Intervention de Bernard Seillier

Réunion du 17 janvier 2007 à 15h00
Modernisation du dialogue social — Discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence

Photo de Bernard SeillierBernard Seillier :

Monsieur le président, monsieur le ministre délégué, mes chers collègues, le projet de loi que nous examinons aujourd'hui constitue une étape décisive dans l'histoire des relations sociales en France. Il s'agit d'instaurer et de développer une pratique dynamique de la négociation et de la coopération.

Il faut en effet éviter les impasses du conflit telles que nous avons pu les connaître dans le passé. Il est certes arrivé que la loi reprenne intégralement le contenu d'un accord collectif. Tel fut notamment le cas avec la loi du 4 mai 2004 relative à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social. À l'inverse, il faut avoir l'honnêteté de reconnaître le coût social d'un affrontement et d'un blocage conduisant à l'éviction totale des propositions de l'une des parties en présence, quelle qu'elle soit.

Conformément au discours du Président de la République prononcé devant le Conseil économique et social le 10 octobre 2006, nous devons aider les syndicats à se libérer d'une tradition protestataire, qui débouche trop souvent sur l'affrontement et, au bout du compte, sur le conservatisme, faute d'un itinéraire de progrès balisé. Il convient, de même, d'aider les organisations patronales à lutter contre la tentation de se réfugier, faute, là encore, d'une perspective de développement suffisamment assurée, dans une vision trop étroite des intérêts de l'entreprise.

Cette dynamique nouvelle devrait permettre d'appréhender l'ensemble des enjeux sociaux, notamment ceux que les relations sociales ont trop souvent occultés ces dernières années : la mondialisation des échanges, les nouvelles formes de relations de travail, la sous-traitance et les contraintes de mobilité pour les entreprises et les salariés.

Nous sentons tous que nous engageons ici une évolution décisive en ce qui concerne le dialogue social et que nous sommes à l'aube de changements importants.

Ainsi, il ne doit plus être possible de modifier le code du travail sans que les partenaires sociaux aient été mis en mesure de négocier le contenu de la réforme proposée. De même, aucun projet de loi ne doit être présenté au Parlement sans que les partenaires sociaux soient consultés sur son contenu. Rien n'interdisait jusqu'ici une telle démarche pour l'élaboration des normes dans les relations du travail. Mais les conditions de son avènement n'étaient peut-être pas réunies, sa dimension éthique n'étant pas suffisamment perçue comme une exigence. Les syndicats sont également conscients que de vastes réformes concernant la représentativité devront, dans leur propre intérêt, être engagées.

Ce projet de loi de modernisation du dialogue social est d'abord le fruit d'une réflexion bâtie à partir du rapport de Dominique-Jean Chertier, à qui le Premier ministre avait demandé de formuler des propositions sur les moyens d'améliorer le dialogue entre le Gouvernement et les partenaires sociaux.

Ces propositions étaient de trois ordres.

Tout d'abord, il s'agissait d'établir une formalisation du programme de réformes d'initiative gouvernementale axée à la fois sur un calendrier et un partage des rôles entre pouvoirs publics et partenaires sociaux.

Ensuite, il était proposé d'instaurer un temps réservé à la concertation pour l'ensemble des réformes, c'est-à-dire d'exiger le respect d'un délai minimal entre l'annonce d'un projet de réforme et l'adoption du texte correspondant en conseil des ministres.

Enfin, il s'agissait de restructurer les lieux du dialogue social. À cet égard, le rapport contient de nombreuses pistes, en particulier la réforme du Conseil économique et social, qui deviendrait ainsi un lieu central et privilégié de consultation, mais aussi l'examen de l'utilité et de la composition des instances de concertation existantes et la réduction de leur nombre, ou encore la révision des dispositifs de consultation obligatoire. Les problèmes de la réduction du nombre d'instances de consultation sociale et de la clarification de leurs attributions restent un chantier pour l'avenir.

Suite à ce rapport, le Premier ministre a entamé la discussion avec les partenaires sociaux et la Commission nationale de la négociation collective s'est réunie pour examiner l'avant-projet de loi. La procédure suivie est donc un modèle en termes de concertation ; elle a donné naissance à ce texte, lequel repose sur trois axes.

Premier axe, tout projet de réforme portant sur les relations individuelles et collectives du travail, l'emploi et la formation professionnelle fera l'objet d'une procédure de concertation préalable avec les partenaires sociaux qui leur permettra, s'ils le souhaitent, d'ouvrir une négociation nationale et interprofessionnelle.

Le deuxième axe est la consultation. Des instances de consultation existent et certaines sont très récentes, à l'image du Conseil national de la formation professionnelle tout au long de la vie. Par une extension des domaines couverts par de telles instances de consultation et une systématisation de leur intervention avant la mise en oeuvre de tout projet de nature législative ou réglementaire en matière de relations individuelles et collectives du travail, d'emploi et de formation professionnelle, le présent projet de loi transforme de manière radicale les pratiques de consultation en matière de droit du travail.

Le troisième axe est l'information. Un grand rendez-vous annuel permettra un véritable échange, un réel dialogue entre le Gouvernement et les organisations syndicales, de manière que puissent être présentés à la fois les grandes orientations du Gouvernement en matière de relations individuelles et collectives du travail, d'emploi et de formation professionnelle avec un calendrier de mise en oeuvre, et l'état d'avancement des négociations interprofessionnelles conduites par les partenaires sociaux en cours ainsi que le calendrier de celles qui sont encore à venir.

Cette clarification des différentes étapes et des champs du dialogue social est essentielle, car elle institue un itinéraire dans la progressivité des enjeux et elle « phase » les étapes du dialogue. Elle est indispensable pour donner à la négociation le maximum de chances de fécondité.

Par ailleurs, on ne peut aborder la question du dialogue social sans traiter de la faiblesse de la représentativité syndicale dans notre pays. Le rapport de M. Raphaël Hadas-Lebel nous a considérablement aidés dans cette réflexion : seuls 4 % des salariés du secteur privé sont en effet syndiqués. Nous nous trouvons là dans un cercle vicieux. L'insuffisance de la responsabilité reconnue aux partenaires sociaux dans le processus d'élaboration des normes n'est pas favorable aux taux de syndicalisation ; elle n'incite pas à l'adhésion syndicale. Au contraire, elle incite à une surenchère dans la protestation, puisque l'habileté et le savoir-faire dans la négociation ne sont pas valorisés, faute de cadre d'application.

Nombre de syndicats souhaitent la réforme des règles de la représentativité syndicale afin d'améliorer la démocratie sociale. Aujourd'hui, un accord peut être signé par une seule organisation syndicale ; chaque organisation se voit reconnaître le même poids. La représentativité syndicale doit être mesurée à partir du résultat des élections professionnelles sur le lieu de travail. Celle-ci implique l'abandon de la présomption irréfragable de représentativité accordée à cinq syndicats. Je salue le sens des responsabilités des syndicats qui acceptent cette révision.

Dans son rapport, le Conseil économique et social reconnaît majoritairement le principe selon lequel le choix par les salariés des organisations appelées à les représenter dans les négociations doit se fonder, entre autres, mais principalement, sur des élections ; il importe de définir les clauses qui doivent figurer expressément au cahier des charges de cette mesure de la représentativité des organisations.

De plus, le Conseil considère que la représentativité des organisations devrait résulter de consultations permettant aux salariés d'élire leurs délégués.

La question de la représentativité patronale ne se pose pas dans les mêmes termes que celle de la représentativité syndicale. Le système a su évoluer, comme le montre la reconnaissance de la représentativité de l'Union professionnelle artisanale, l'UPA, mais les critères de représentativité doivent être encore réformés en conservant une place importante au critère du nombre d'adhérents.

La faiblesse de la représentativité syndicale en France fait que, jusqu'ici, le contrat n'a pas suffi à réguler le champ social ; il ne le pourra jamais complètement, mais sa place peut être substantiellement élargie. La loi conservera son utilité, en tout état de cause comme garant de la cohérence nationale, si le rapport de force entre les partenaires sociaux est trop inégal pour aboutir à un accord satisfaisant. Mais on pourra concrètement mesurer la corrélation directe entre le taux de syndicalisation et la reconnaissance de la compétence syndicale.

Quoi qu'il en soit, le débat de la représentativité syndicale devrait constituer l'une des premières applications de la loi de modernisation du dialogue social.

De plus, si les parlementaires veulent être en mesure de consulter les partenaires sociaux, il est indispensable que les commissions des affaires sociales de l'Assemblée nationale et du Sénat disposent d'un délai suffisant avant l'examen des textes en séance publique.

Enfin, ce projet de loi ne modifie pas les prérogatives constitutionnelles du Gouvernement et du Parlement. Dans ces conditions, un équilibre devra être trouvé entre le respect du compromis négocié par les partenaires sociaux et le respect de la souveraineté nationale.

Mes chers collègues, avec ce texte, notre objectif fondamental est d'aller vers une paix sociale dynamique, facteur de compétitivité et d'efficacité, un syndicalisme puissant et responsable et des relations contractuelles fortes en vue de remplacer la protestation sociale par la coopération conciliatrice entre intérêts ou points de vue différents ; c'est essentiel. Il s'agit donc d'une méthodologie concrète et pratique pour que le bien commun ne reste pas dans le domaine des essences, mais puisse être actualisé à chaque étape historique de la vie politique, économique et sociale.

Je ne saurais terminer sans saluer et remercier notre rapporteur de nous avoir aidés dans la clarification et l'analyse de ce texte essentiel. Je suis certain que cette démarche de progrès que nous engageons aujourd'hui aura d'heureux effets sur le climat dans notre pays et même sur le dynamisme et la compétitivité de son économie.

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