Intervention de Guy Fischer

Réunion du 17 janvier 2007 à 15h00
Modernisation du dialogue social — Discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence

Photo de Guy FischerGuy Fischer :

Monsieur le président, monsieur le ministre délégué, mes chers collègues, tout d'abord je vous prie d'excuser l'absence de mon collègue Roland Muzeau, souffrant, qui a été la cheville ouvrière de la réflexion du groupe CRC sur ce texte. Je vais donc me faire son interprète.

Aspiration largement partagée, s'il en est, le renforcement de la négociation collective s'est imposé, depuis la création du ministère du travail, comme une exigence à satisfaire afin de favoriser et de concilier le progrès social et les conditions d'emploi des salariés avec la croissance économique.

Depuis une dizaine d'années déjà, tout le monde semble se plaindre de la faiblesse des protagonistes sociaux, de la place étroite de la politique contractuelle dans la sphère sociale et du déclin du syndicalisme...

Bien que ce soit pour des raisons différentes, pour ne pas dire opposées, leaders syndicaux et politiques en appellent à la modernisation du dialogue social. Cette question est devenue un vrai enjeu politique.

Or, comme n'a pas manqué de le relever le Conseil économique et social dans l'introduction de son avis intitulé Consolider le dialogue social, « La notion de ?dialogue social? est aujourd'hui couramment utilisée mais rarement définie avec précision, les différents acteurs pouvant dès lors lui donner des significations éminemment variables : dans la mesure où elle ne désigne, a priori, ni une forme identifiée, ni un niveau précis -information, consultation, concertation, négociation -, chacun peut y mettre le contenu qu'il souhaite, avec les questions de méthode et tous les risques de malentendus que cela induit quant au degré d'implication des interlocuteurs dans la décision. »

Ainsi, le 14 juillet dernier, Jacques Chirac, redécouvrant les mérites du dialogue social et défendant un syndicalisme de compromis, s'est fort opportunément servi de ce thème de la modernisation du dialogue social pour tenter de redorer son blason après l'échec cuisant de son gouvernement sur le CPE.

En posant le principe qu'« il ne soit plus possible de toucher au code du travail sans avoir, préalablement, eu une concertation entre les organisations syndicales et professionnelles », le président de la République a ni plus ni moins réitéré, trois ans après, un de ses anciens engagements, celui de renvoyer à la négociation nationale interprofessionnelle les réformes de nature législative relatives au droit du travail. Cet engagement, je vous le rappelle, mes chers collègues, était déjà inscrit dans l'exposé des motifs du projet de loi Fillon relatif à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social, mais il « n'a pas depuis formellement donné lieu à une mise en oeuvre concrète », ainsi que l'a justement constaté M. Dominique-Jean Chertier dans son rapport.

Annonçant la présente réforme en octobre dernier devant le Conseil économique et social, le chef de l'État a plaidé en faveur de la construction « d'une nouvelle architecture de la responsabilité » entre l'État, les syndicats et le patronat, en faveur « de plus de contrat et moins de loi ».

Avant lui, dans la Position commune du 16 juillet 2001 et le rapport de M. Michel de Virville, notamment, avait déjà été abordé dans cet esprit le thème de la place respective et des relations entre la législation et la négociation en prenant le parti « du contrat libérateur dont les excès et les illusions ont été maintes fois décrits », comme le rappelle Marie-Armelle Souriac, professeur à l'Université de Paris-X dans un article de doctrine publié dans le numéro de la Revue de droit du travail d'octobre dernier.

Dans le même ordre d'idées, le MEDEF, sous la présidence d'Ernest-Antoine Seillière, a développé son projet de « refondation sociale » instrumentalisant la relance du dialogue social et de la négociation pour consacrer la prééminence du contrat sur la loi.

Début 2004, le même patron des patrons se satisfaisait des résultats obtenus. Je le cite : « Nous avons obtenu une première étape essentielle dans la modernisation de notre système de négociations collectives en privilégiant l'accord d'entreprise dans la négociation... ».

Il est vrai que la loi de M. Fillon réformant le dialogue social était passée par là, balayant l'ordonnancement juridique en vigueur et le principe de faveur afin de permettre qu'il soit dérogé, par accord d'entreprise, dans un sens moins favorable aux salariés, aux droits consacrés dans les conventions collectives et à l'ordre public social.

Toujours pour illustrer cette approche singulière de la réforme du dialogue social et ses grands enjeux, voyons maintenant les intentions de la nouvelle patronne du MEDEF.

Laurence Parisot a choisi le moment où Jacques Chirac montait en première ligne afin de défendre sa réforme pour lancer « la délibération sociale ». Cette modalité nouvelle de dialogue social dans la forme n'en poursuit pas moins les mêmes objectifs.

« Revoir les règles du droit du travail pour permettre l'adaptation des entreprises et de la société aux évolutions du contexte économique, réduire l'insécurité juridique, corriger les dérives jurisprudentielles, revoir les sanctions... » Bref, mettre tout en oeuvre afin que, surtout, rien de conséquent ne change s'agissant de la légitimité des acteurs syndicaux, tout en s'assurant du caractère bienveillant, moins contraignant de la réglementation. Il s'agit aussi d'empêcher l'ingérence du politique dans la sphère économique.

Je partage le sentiment de Rémi Baroux, journaliste au journal Le Monde, qui voit également dans cette démarche « la volonté affichée par le MEDEF d'éviter notamment que l'État et le gouvernement - l'actuel comme celui qui sera issu de l'élection présidentielle de 2007 - n'interviennent trop dans les affaires sociales ».

Nous ne partageons évidemment pas cette approche de la démocratie sociale et encore moins l'articulation proposée avec la démocratie politique. Comme nombre de syndicats auditionnés, nous tenons avec force à la souveraineté du législateur et pensons que démocratie politique et démocratie sociale doivent se compléter, la seconde n'ayant pas vocation à supplanter la première.

À ce titre notamment, le rapport Chertier est intéressant dans la mesure où l'on n'y propose pas, à la différence de la Position commune, de séparer les domaines de compétence du Gouvernement, du Parlement et des partenaires sociaux. On y fait même la démonstration, à l'appui d'exemples étrangers - notamment allemands - que cette séparation, qui n'est pas sans incertitudes, fait débat.

Cela n'empêche aucunement le MEDEF de continuer à peser pour qu'une révision constitutionnelle vienne compléter le projet de loi que nous examinons, lequel se contente d'inscrire dans la loi une répartition des temps plus que des domaines. M. Jacques Creyssel, directeur général du MEDEF, l'a encore rappelé lors de son audition par la commission des affaires sociales.

Outre cette exigence de réforme constitutionnelle, il a beaucoup insisté sur la transcription législative des accords, sur la nécessité de respecter l'équilibre issu des négociations.

Il s'est élevé contre la pratique des amendements d'appel dont l'initiative revient à certains partenaires ayant, dans la négociation, échoué à faire aboutir leur position, feignant d'oublier que le MEDEF ne se privait pas de gentiment transmettre aux parlementaires des amendements remettant en cause un accord signé.

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