Vous ne vous êtes jamais privés d'utiliser cette excuse. Ainsi, vous avez instrumentalisé les violences urbaines pour tenter d'imposer le CPE ou les chiffres du chômage pour mettre en place le CNE.
Avec vous, l'urgence est seulement l'alibi de la pratique discrétionnaire du pouvoir exécutif. À trop l'avoir employée, vous l'avez vidée de toute substance.
Or la démocratie sociale mérite mieux qu'un texte fade et sans ambition.
En voulant substituer le contrat à la loi, ce n'est pas un hommage à la responsabilité des syndicats que rend le Gouvernement, ce sont les intérêts du MEDEF qu'il a choisi de servir, une fois de plus.
Je ferai plusieurs observations.
Alors que le terme de « négociation collective » est contraignant et identifié, celui de « dialogue social » n'est pas encadré par les textes, et sa définition est floue. C'est une pratique et non une notion juridique. Sa mise en avant par le Gouvernement fait craindre que, sous couvert d'ouverture et d'échange, l'on ne tende à évacuer le formalisme de la négociation au profit de la souplesse du dialogue.
Le flou entoure également les conditions dans lesquelles les organisations syndicales de salariés et d'employeurs feront connaître leur intention d'engager une négociation. Qui décide ? comment ? avec quelle majorité ? Quel sénateur, après avoir examiné ce texte, peut répondre à ces questions ? Or le dialogue social suppose non seulement des syndicats forts et légitimes mais aussi des procédures claires et opposables. En préconisant un nouvel équilibre entre la loi et le contrat sans remettre à plat la représentativité syndicale, sans vous poser la question de la réalité du rapport des forces des partenaires sociaux, vous avez, pour le moins, monsieur le ministre délégué, mis la charrue devant les boeufs !
Vous ne cessez de vous référer aux expériences allemandes, danoises, voire espagnoles. Mais si vous savez y puiser les exemples qui vous servent, vous oubliez le contexte particulier qui est le nôtre.
La France affiche le taux de syndicalisation le plus faible de tous les pays développés, puisqu'il est de 8 %. Au Danemark, ce taux atteint 87, 5 % ; il est de 52 % en Belgique, et de 26 % aux Pays-Bas.
Or, comme le montrent les exemples étrangers, c'est essentiellement la reconnaissance mutuelle que les organisations syndicales et patronales s'accordent qui détermine leur capacité à trouver des accords. Cette reconnaissance passe par la capacité de poser, en cas de besoin, un rapport de force.
En France, avec des taux de syndicalisation aussi faibles, il n'est pas étonnant que de nombreux conflits trouvent leur issue dans la rue.
Comment parler de démocratie sociale et continuer dans le même temps à appliquer un système où la représentativité repose sur des critères administratifs, puisqu'un arrêté datant de 1966 accorde une présomption de représentativité à cinq organisations syndicales ?
À ces questions cruciales, ce projet de loi se garde bien de répondre. Or, faute d'avoir abordé ces problèmes, de lourdes interrogations portent sur le résultat de la mise en oeuvre d'une telle loi.
Aujourd'hui, il suffit de trois syndicats sur cinq parmi les organisations représentatives au niveau national pour valider un accord, même si celui-ci est minoritaire parmi les salariés. Comment aborder sereinement la question de la place de la loi et du contrat dans de telles conditions ? Tant que la possibilité d'accords minoritaires demeurera, la démocratie sociale aura du mal à trouver son souffle.
C'est pourquoi le groupe socialiste vous proposera une série d'amendements pour que cette loi de modernisation du dialogue social soit le point de départ d'un véritable essor de la démocratie sociale.
Nous vous proposerons notamment d'appuyer la représentativité des syndicats sur le vote des salariés. Toutes les organisations syndicales légalement constituées pourront ainsi y concourir.
Nous proposerons également le respect de la règle de l'accord majoritaire. Tout accord, pour être valide, devra avoir obtenu la majorité des suffrages exprimés lors du scrutin de représentativité le plus récent.
Ces propositions sont conformes aux recommandations du Conseil économique et social. Elles sont surtout indispensables si vous voulez donner à ce projet de loi l'envergure que son sujet mérite.
La loi protège souvent le plus faible, quand le contrat affermit la position du plus fort, si le rapport est inégal. Or, entre employeurs et employés, il existe une inégalité de fait. Si nos syndicats ne gagnent pas en représentativité et en force, cette inégalité de fait risque de se traduire en une inégalité de droit.
Cela est d'autant plus inquiétant que, dans les petites entreprises, c'est la question même de la présence syndicale qui se pose. Pour dialoguer, encore faut-il avoir un interlocuteur.
Comment vous faire confiance, monsieur le ministre délégué, alors que, depuis 2002, votre majorité s'est opposée à l'extension, donc à l'application d'un accord remarquable sur la présence syndicale dans les très petites entreprises, accord signé par tous les syndicats de salariés et l'Union professionnelle artisanale, représentant 800 000 entreprises ? Lorsque ces partenaires sociaux arrivent à un tel accord pour donner une réalité au dialogue social, ils trouvent, pour leur barrer la route, le MEDEF, la Confédération générale des petites et moyennes entreprises, la CGPME, et la complicité active du gouvernement UMP.