Monsieur le président, monsieur le ministre délégué, mes chers collègues, le développement du dialogue social constitue l'un des principaux leviers de modernisation de notre pays.
Il est l'un des fondements d'une nouvelle démocratie sociale. Cette démocratie renouvelée suppose la mise en mouvement de toute la société, la participation de tous ses acteurs à l'élaboration des règles qui organisent la vie collective.
Encourager la confrontation réglée des différents intérêts, valoriser la négociation collective, assumer les conflits en les dépassant par des compromis, trouver un équilibre entre le contrat et la loi, délimiter les rôles respectifs de l'État et des partenaires sociaux, voilà quelques-uns des enjeux du dialogue social.
Appliqué aux relations individuelles et collectives du travail, à l'emploi et à la formation professionnelle, le dialogue social peut être un puissant moteur de progrès. Il permet l'affirmation de nouveaux droits pour les travailleurs en les accordant à l'efficacité économique. À travers le dialogue social, l'intérêt collectif peut se construire au plus près de la réalité des situations et des besoins.
Dès lors, comment ne pas proposer une modernisation du dialogue social ? Comment ne pas faire de la concertation, de la consultation et de l'information - auxquelles j'ajoute volontairement la négociation -, autant de principes s'imposant à l'État lorsqu'il s'agit de légiférer sur le code du travail ?
Alors je dis « oui », bien sûr, à la modernisation du dialogue social !
Mais pourquoi si peu et si tard ?
Quel crédit pouvons-nous vous accorder ? Comment concilier la pratique souvent autoritaire de votre gouvernement et de votre majorité avec la modeste volonté aujourd'hui affichée ?
Il y a les mots, d'un côté, et la pratique, de l'autre.
Les mots, nous les avons déjà entendus : la loi Fillon de 2004 portait réforme du dialogue social. L'engagement était pris, d'une part, de renvoyer à la négociation interprofessionnelle tout projet de réforme du droit du travail et, d'autre part, de demander aux partenaires sociaux s'ils souhaitaient engager une négociation sur les projets de réforme envisagés.
Votre pratique, nous l'avons éprouvée : les travailleurs en ont subi les conséquences ! Qu'il s'agisse de la remise en cause du principe de faveur et de la hiérarchie des normes par le biais d'amendements, de l'institution du contrat nouvelles embauches par ordonnance, ou encore du contrat première embauche déposé sans concertation, vous avez démontré, avec une remarquable constance, le peu d'attention que vous accordiez à la délibération collective et, singulièrement, à la concertation avec les partenaires sociaux.
La politique par la preuve commence en rapportant les mots aux actes. Une bien étrange schizophrénie politique vous a conduits à entrer systématiquement en contradiction avec vous-mêmes. Cinq années où vous aviez tous les pouvoirs, à défaut de toutes les audaces, pour en arriver là !
Trop tard, donc ! Et aussi trop peu !
D'abord, le recours à une loi ordinaire ne paraît pas à la mesure des ambitions. Une loi organique serait plus à même de pérenniser l'obligation du dialogue social. D'autant qu'il s'agit de délimiter le champ d'action des pouvoirs publics, de préciser les relations entre l'État et les partenaires sociaux.
Ensuite, la possibilité de déroger à l'obligation légale par le biais d'une procédure d'urgence soulève bien des questions.
Certes, une telle procédure est un principe de notre droit public et elle se trouve désormais encadrée par une utile obligation d'information et de motivation. Mais ce qui est en cause en l'occurrence est non pas la lettre ni même l'esprit, mais bien votre pratique, constante et récurrente.
Depuis cinq ans, tous les textes réformant le code du travail, sauf un, ont fait l'objet d'une déclaration d'urgence. Dans ces conditions, votre texte s'annule lui-même, à moins qu'un nouveau gouvernement ne se montre demain plus respectueux des prérogatives du Parlement et des partenaires sociaux.
Il en va de même pour le recours à des textes d'origine parlementaire, ou encore à l'introduction de dispositions relatives au droit du travail par le biais d'amendements gouvernementaux.
À ce titre, l'épisode du contrat première embauche, introduit par un amendement cavalier, puis supprimé par une proposition de loi du groupe UMP, constitue l'archétype du détournement de procédure et du mépris du dialogue, qu'il soit parlementaire ou social.
Après le rappel de ces faits, vous comprendrez mieux, monsieur le ministre délégué, notre scepticisme et notre méfiance à l'égard des principes affichés aujourd'hui.
Par ailleurs, les modalités pratiques du dialogue social, tel que vous le préconisez, demeurent très floues dans votre texte. À commencer par les délais de saisine et de consultation des partenaires sociaux.
Au-delà, la concertation préalable avec les partenaires sociaux, puis leur déclaration d'intention en vue d'ouvrir une négociation, posent l'évident problème de leur représentativité.
Vous présentez comme un fait que la concertation préalable se déroulera avec « les organisations syndicales de salariés et d'employeurs représentatives au niveau national et interprofessionnel ». Mais justement, ni les premières et encore moins les secondes ne disposent aujourd'hui d'une vraie et pleine légitimité.
Comment se formera la décision majoritaire nécessaire à l'engagement de la négociation en ce qui concerne les organisations syndicales de salariés ? Quelle sera la légitimité de pseudo-accords majoritaires passés par des organisations qui ne représentent pas la majorité réelle des salariés ?
Moderniser le dialogue social ne consiste pas à en répéter indéfiniment la nécessité : il s'agit de le rendre possible, d'en améliorer concrètement la pratique. Tel aurait dû être l'objectif de ce texte. Aidés par de nombreux rapports et avis, vous aviez cinq ans pour être à la hauteur de cette tâche.
D'autant que, en ce qui concerne la représentativité, le financement des organisations syndicales et, plus largement, l'architecture des instances de consultation, les pistes de réforme sont déjà là.
La présomption de représentativité accordée par un arrêté de 1966 au profit de cinq organisations syndicales est désormais caduque.
L'idée même d'une représentativité présumée est aujourd'hui illégitime. D'autant que l'égalité de traitement est constamment bafouée, puisqu'il est demandé aux nouvelles organisations de prouver leur représentativité en répondant à un ensemble de critères contraignants.
La représentativité devrait désormais être mesurée à l'aune d'élections professionnelles généralisées à tous les salariés. Ces élections organisées dans les entreprises et à travers des structures territoriales de branches permettraient une mesure légitime de la représentativité réelle, et non pas supposée. La représentativité des syndicats serait ainsi démocratiquement vérifiée, et non plus administrativement décrétée.
À cette condition, le principe de l'accord majoritaire prend enfin tout son sens.
Pour qu'un accord collectif soit validé, il doit être ratifié par des organisations représentant ensemble la majorité des salariés, ou ne rassemblant pas contre elles une majorité. Une telle règle pourrait s'appliquer à tous les niveaux : à l'échelon interprofessionnel, dans la branche professionnelle et dans l'entreprise.
Concernant le financement de l'activité syndicale, pourquoi ne pas envisager un plan de financement public transitoire et modulable ? Sans remettre en cause le principe de la cotisation, fondement de l'indépendance des organisations, la ventilation des moyens alloués pourrait être fonction des résultats obtenus aux élections de représentativité et du nombre d'adhérents. Par ailleurs, la rémunération des représentants syndicaux ainsi que leurs parcours professionnels doivent être garantis.
Mais il convient d'aller plus loin encore, car le dialogue social ne se décrète pas : il s'organise. Il repose largement sur l'existence d'un syndicalisme de masse, représentatif et acteur de négociations permanentes et étendues.
Afin de ne pas continuer à exclure l'essentiel des salariés des très petites entreprises, des logiques territoriales devraient s'imposer : non seulement au niveau d'une branche, mais aussi - pourquoi pas ? - à l'échelle d'un site, lorsque l'éclatement des activités le justifie.
Pour favoriser les adhésions, et au-delà des incitations fiscales, nous devrions évoluer vers un syndicalisme dans lequel l'appartenance à une organisation syndicale permet aux salariés, ou aux demandeurs d'emploi, de bénéficier de droits et de services spécifiques, comme c'est déjà le cas en Belgique ou en Allemagne.
Enfin, les processus de codécision gagneraient à être développés et institutionnalisés dans les conseils de surveillance des entreprises, avec une codification accrue des conditions de négociation collective et une délimitation responsable du droit de grève.
Par ailleurs, pourquoi ne pas reprendre à votre compte la proposition de création d'un conseil du dialogue social donnant davantage de lisibilité au fonctionnement des processus de consultation et de négociation ?
Dans le même esprit, la répartition entre les domaines législatif et réglementaire et celui de la négociation collective n'est toujours pas clairement précisée. La Position commune sur les voies et moyens de l'approfondissement de la négociation, signée en 2001, avec les partenaires sociaux, aurait mérité un utile prolongement dans le présent texte.
Ce sont là les ingrédients d'un nouveau contrat de démocratie sociale, d'un échange « gagnant-gagnant », qui réconcilierait la recherche de l'efficacité, la production des richesses avec le partage de nouveaux droits et de solidarités accrues.
Tels sont les éléments qui auraient dû être aujourd'hui au centre de nos débats !
Votre projet de loi ne fait qu'entamer ce processus : il pose une première pierre, mais sans aller assez loin. Nous ne nous y opposerons pas, mais nous nous abstiendrons.
Cependant, quel dommage, monsieur le ministre délégué, de ne pas être allé au-delà de l'incantation, de la pétition de principe ! Quel dommage de ne pas être allé plus avant dans la construction et dans l'organisation effective du dialogue social !
Si les mots n'avaient pas pris le pas sur la pratique, votre gouvernement et vous-même seriez aujourd'hui au rendez-vous !
Mais la politique par la preuve est encore à venir ...