Intervention de Annie Jarraud-Vergnolle

Réunion du 17 janvier 2007 à 15h00
Modernisation du dialogue social — Article 1er

Photo de Annie Jarraud-VergnolleAnnie Jarraud-Vergnolle :

Ce projet de loi de modernisation du dialogue social a pour objet d'accorder aux partenaires sociaux un temps de négociation avant tout examen par le Parlement d'un projet de loi portant sur les relations individuelles et collectives du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle.

D'ores et déjà, ce projet de loi, très court, puisqu'il ne comporte que deux articles, et présenté bien tardivement, suscite un certain nombre de questionnements.

Ma première remarque porte sur le titre préliminaire intitulé « Dialogue social ». Le dialogue social n'a ni la même signification ni la même portée juridique que la négociation collective inscrite dans le code du travail à l'article L. 131-1.

La négociation collective s'exerce entre des interlocuteurs précis, suivant des règles fixées par la loi, en vue d'aboutir à des accords collectifs de branche, d'entreprise ou d'établissement.

La Commission nationale de la négociation collective, instituée par les articles L. 136-1 à L. 136-4 du code du travail, a un rôle primordial pour proposer au ministre des améliorations en matière de négociation collective, pour émettre un avis sur les projets de loi et décrets, pour donner un avis motivé sur l'extension et l'élargissement des conventions et accords collectifs.

Le dialogue social est davantage une pratique qu'une notion juridique, comme l'indique le rapport de M. Chertier remis au Premier ministre au début de l'année 2006. Sa définition est donc plus vague et permet de revêtir des formes plus opportunes en fonction des interlocuteurs et du moment.

Le dialogue social a fait son apparition dans la législation avec l'intitulé de la loi Fillon du 4 mai 2004 relative à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social.

Un accord unanime des partenaires sociaux sur le droit individuel à la formation devait être transposé dans la loi. Mais, à la demande du MEDEF, un titre intitulé « Du dialogue social » a été ajouté dans l'objectif de mettre fin à l'obligation de respecter le principe de faveur.

La loi de 2004 a procédé à une recomposition des modalités et des résultats de la négociation collective. Celle-ci est sectorisée par branches et par entreprises, et permet toutes les dérogations en tous sens. Elle est aussi vaste que peut être vague le dialogue social.

Pourtant, si notre pays a besoin d'une redynamisation de sa démocratie sociale, c'est sur la base de règles claires. D'ailleurs, Mme Procaccia l'a souligné tout à l'heure.

Rappelons également l'idée déjà ancienne du MEDEF de faire prévaloir, en matière sociale, l'accord ou le contrat sur la loi. Cette expression n'a pas été reprise dans le projet de loi transmis au Sénat, et l'ensemble des partenaires sociaux auditionnés a particulièrement insisté sur le fait que l'initiative et le droit d'amendement des parlementaires doivent demeurer intacts. Il semble cependant évident que l'objectif fondamental n'est perdu de vue ni par le MEDEF ni par le Gouvernement, qui tient à faire passer ce texte, après déclaration d'urgence, avant les prochaines élections.

Les constats du rapport Chertier - rétrécissement du champ de compétences de l'État par le jeu des transferts à l'Union européenne, aux collectivités territoriales ou à des agences indépendantes - et la volonté du Gouvernement de réduire le budget de l'État, donc sa capacité d'intervention, signent le dessaisissement de l'État et le démembrement des politiques nationales.

Aujourd'hui, il est proposé de franchir une nouvelle étape dans l'élaboration du droit du travail. On comprend mieux, dans ces conditions, le sens des déclarations de M. Chirac au Conseil économique et social du 10 octobre 2006 : « Il faut franchir une étape décisive : placer les partenaires sociaux au coeur de l'élaboration des normes et des réformes sociales. [...] Il faut plus de contrat et moins de loi. » Par la fabrication de nouvelles normes, une architecture institutionnelle se met en place subrepticement.

Dans ce cadre, les syndicats doivent retrouver une représentativité pour assurer un aspect démocratique à l'élaboration de règles de droit.

Ce rôle attribué aux syndicats doit-il s'exercer aux détriments des prérogatives du Parlement ? Certes, l'intervention du Parlement, ne serait-ce que par la voie de l'habilitation, reste indispensable, sauf à réviser préalablement la Constitution.

Dans ce contexte, on peut cependant s'interroger sur le rôle du Parlement. Si le Sénat demeure un lieu de représentation et d'expression auquel les collectivités territoriales sont attachées et que le Conseil économique et social devient un lieu de démocratie sociale, comment évoluera le fonctionnement des autres institutions, particulièrement dans le contexte européen ?

J'en viens à ma deuxième remarque. Vous avez intitulé le chapitre unique du présent projet de loi « Procédures de concertation, de consultation et d'information ». Le rapport Chertier avait rajouté à ces trois procédures la négociation. Le terme est cité dans ce projet de loi, mais la procédure de négociation a disparu, ce qui n'est pas neutre.

Ma troisième et dernière remarque porte sur le fait que la représentativité et le financement des organisations syndicales sont absents du projet de loi.

En mai dernier, M. Hadas-Lebel a remis au Premier ministre un rapport sur la représentativité et le financement des organisations syndicales, qui prévoit des scénarios d'adaptation ou de transformation.

Le rapport du Conseil économique et social « Consolider le dialogue social » a été adopté le 29 novembre 2006. Il est notamment proposé une refonte des règles de la représentativité. Or nous pouvons regretter que la question de la représentativité syndicale ne soit pas réglée par ce projet de loi dans la mesure où elle conditionne l'efficacité de la réforme.

On continue d'appliquer un système qui repose sur une présomption de représentativité accordée par un arrêté de 1966 au profit de cinq organisations syndicales. Dès lors, comment seront aménagées les conditions du dialogue social dans les petites entreprises, sachant que 53 % des entreprises comptent moins de cinquante salariés et 37 % moins de vingt salariés ?

Concernant les règles de validité des accords collectifs, il est primordial de défendre le principe de l'accord majoritaire signé par des organisations représentant la majorité des salariés.

En conclusion, l'actuelle majorité a déjà voté un texte quasiment identique dans la loi Fillon de mai 2004. Or, dans le même texte, le Gouvernement a fait adopter, par voie d'amendement, deux réformes majeures de notre droit du travail, et ce sans consultation préalable des partenaires sociaux.

Vous avez poursuivi par la réforme du contrat de travail en faisant adopter, par voie d'ordonnance cette fois, le contrat nouvelles embauches. Puis vous avez récidivé en tentant la même méthode, peu probante, avec le contrat première embauche.

Votre démarche s'est poursuivie dans le cadre du projet de loi pour le développement de la participation et de l'actionnariat salarié.

Aussi, ce projet d'engagement vers un dialogue social ne manque pas d'apparaître comme un texte de circonstance.

Il est regrettable que cette modernisation du dialogue social arrive si tard. Vous présentez un texte dans des conditions d'examen tout à fait douteuses et dans un contexte dont on ne peut s'empêcher de penser qu'il a une toute autre vocation que celle que vous prétendez. L'urgence n'est pas soeur de la sagesse. Comme vous l'avez dit vous-même, monsieur le ministre, il faut du temps !

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