Intervention de Jean Desessard

Réunion du 17 janvier 2007 à 15h00
Modernisation du dialogue social — Vote sur l'ensemble

Photo de Jean DesessardJean Desessard :

En réalité, pourquoi un tel projet de loi ? S'agirait-il de tenir en fin de course, mais sans rien réellement réformer, une promesse présidentielle jamais traduite dans la pratique durant cinq années de sabotage du code du travail et de passage en force ? S'agit-il d'un affichage en fin de mandat présidentiel ? S'agit-il, pour le Premier ministre, d'exprimer ses remords à la suite de la crise du CPE ? Le Premier ministre souffre-t-il d'une « troublitude » psychanalytique, ne sachant plus exactement où il en est ? Il ne sait pas s'il doit aller à Versailles, il ne sait pas s'il doit voter pour M. Sarkozy, il ne sait pas s'il a eu raison à propos du CPE, il ne sait pas s'il faut élaborer une loi de modernisation du dialogue social...

À moins que la vraie raison du dépôt de ce texte ne soit tout autre : craignez-vous que le candidat libéral que vous soutenez soit si impulsif que, s'agissant du code du travail, il faille freiner d'emblée ses ardeurs en faisant en sorte qu'aucune transformation sociale ne soit possible sans consultation des syndicats de salariés ?

En tout état de cause, je ne sais toujours pas pourquoi ce projet de loi nous est aujourd'hui présenté, d'autant qu'il ne contient vraiment pas grand-chose !

En dépit des nombreuses déclarations du président Chirac exprimant sa volonté de promouvoir le dialogue social et de l'engagement pris par M. Fillon de donner la priorité à la négociation collective avant toute réforme législative touchant aux relations du travail, ce projet de loi n'apportera pas le nouveau souffle annoncé et ne modernisera en rien le dialogue social.

En effet, ce projet de loi reporte la réforme tant attendue des règles de validité des accords collectifs et de représentativité des organisations patronales et des syndicats, aujourd'hui figées par l'arrêté de 1966. Le système actuel de représentation est non démocratique, monopolistique et immuable ; s'il était appliqué aux partis politiques, seuls les radicaux - de gauche ou valoisiens, je ne sais pas - et le Parti communiste français existeraient aujourd'hui. C'est grotesque !

Monsieur le ministre, pourquoi avoir sollicité l'avis du Conseil économique et social si l'on n'en retient rien ? Le Premier ministre lui-même s'est pourtant déclaré « personnellement favorable » à la proposition que lui a remise, à sa demande, le Conseil économique et social le 30 novembre dernier, et qui consiste à asseoir la représentativité des syndicats sur des choix exprimés par les salariés lors d'élections professionnelles et à mettre en place un système de validation majoritaire en voix pour la conclusion des accords collectifs.

Dans la logique des déclarations du Premier ministre, le projet de loi aurait dû engager cette réforme, que nous souhaitons. Nous sommes bien éloignés des objectifs de modernisation du dialogue social avec ce projet de loi qui maintient la désignation d'interlocuteurs institutionnalisés, issus d'un autre monde qui n'a pas pris en compte les mutations des formes d'organisation du travail, la diversification des relations de travail - au travers des CDD, de l'intérim, du temps partiel -, la modification de l'équilibre des rapports entre employeurs et salariés, pourtant au coeur même du dialogue social, qui s'en trouve bouleversé.

Comment peut-on prétendre moderniser le dialogue social quand on signifie, par ce texte, que la démocratie n'a pas sa place dans l'entreprise et qu'il n'est pas question de remettre en cause les rapports de force actuels en son sein ?

Enfin, comment peut-on raisonnablement parler de dialogue social quand une partie de la population dite active se trouve totalement écartée du processus ?

Anciens travailleurs à la recherche d'un emploi et travailleurs en situation de précarité n'ont en effet aujourd'hui aucun des moyens dont disposent les travailleurs en activité pour influer sur les décisions essentielles concernant l'organisation du travail.

Non salariés ou à moitié, ils ne peuvent être représentés dans les organisations syndicales, dont la vocation est de faire valoir les droits et les intérêts d'une population dite pleinement active. Quant aux associations ou organisations de chômeurs et de travailleurs en situation précaire, telles que le Mouvement national des chômeurs et précaires, le MNCP, Agir ensemble contre le chômage ou l'Association pour l'emploi, l'information et la solidarité des chômeurs et des précaires, l'APEIS, elles ne sont pas non plus considérées comme des partenaires sociaux et sont donc mises à l'écart de toute procédure de consultation, de concertation et de négociation en matière de travail.

Ces mêmes chômeurs et précaires sont tout aussi invisibles et inaudibles lorsqu'il s'agit de discuter de l'organisation du régime d'assurance chômage.

Pour que le chômeur ou le salarié en situation précaire se sente encore concerné par le monde du travail, il faudrait qu'on lui permette de s'impliquer dans l'organisation de celui-ci et que l'on ne se contente pas de lui reprocher, comme on peut le faire ici et là, de bénéficier du système sans y participer.

Sauf à les condamner à subir en silence les aléas des politiques successives de traitement du chômage, il serait donc tout à fait logique que les chômeurs soient eux aussi représentés au sein des structures compétentes.

C'est pourquoi j'ai proposé de faire participer, selon des modalités à définir, l'ensemble de la population active à l'élection des représentants syndicaux et d'élargir la concertation préalable, notamment pour toute réforme du régime d'assurance chômage, aux associations ou organisations de chômeurs, dont la représentativité pourrait être déterminée par décret.

Une autre proposition est de mettre à contribution l'État pour le financement d'un chèque associatif ou syndical d'adhésion, destiné à ne pas décourager ceux pour qui le coût de la vie est déjà exorbitant. Pour les demandeurs d'emploi et les travailleurs précaires, le droit d'exister, c'est le droit de s'associer et d'être représentés partout où leurs intérêts sont en jeu.

Monsieur le ministre, vous nous avez dit que ce texte était une première pierre, sur laquelle nous bâtirons ensuite le dialogue social. Pour ma part, je considère qu'il ne s'agit que d'un gros caillou, jeté n'importe comment dans le champ des relations du travail. La société d'aujourd'hui, la représentativité actuelle des syndicats, la précarité qui règne de nos jours ne sont aucunement prises en considération. En l'absence de tout projet de société cohérent, vous aurez beau apporter des pierres, cela ne mènera pas à l'édification d'un projet social.

En conclusion, je m'abstiendrai sur ce texte, bien que l'envie ne me manque pas de voter contre !

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