Intervention de Pierre Hérisson

Réunion du 11 février 2009 à 10h30
Attribution de fréquences de réseaux mobiles — Débat sur une déclaration du gouvernement

Photo de Pierre HérissonPierre Hérisson, au nom de la commission des affaires économiques :

Monsieur le président, madame et monsieur les secrétaires d’État, mes chers collègues, au nom de la commission des affaires économiques, permettez-moi de me réjouir de la tenue de ce débat aujourd’hui au Sénat. Le sujet des fréquences hertziennes semble technique, mais il mérite d’être discuté au Parlement, et spécialement à la Haute Assemblée, qui consacre une partie de son travail à la prospective.

Le spectre hertzien revêt une importance stratégique, comme la commission des affaires économiques a déjà eu l’occasion de le souligner, et cette importance va croissant avec l’exigence toujours plus grande de nos concitoyens pour la mobilité. L’homme contemporain vit de plus en plus connecté à des réseaux variés et s’attend à pouvoir user de cette connexion à tout moment et où il se trouve.

Or seule la transmission par radiofréquences peut satisfaire cette attente. C’est dire l’enjeu que représentent l’attribution de fréquences et la nécessité pour le Parlement de débattre de l’affectation du domaine public hertzien, ressource rare et actif immatériel de l’État, vecteur de croissance pour l’économie numérique et, plus largement, pour l’ensemble de notre économie, qui en a bien besoin à l’heure actuelle !

Le 12 janvier dernier, le Premier ministre a pris acte de cette situation en annonçant différentes mesures qui inscrivent le numérique dans une logique de relance de l’économie française. À ce titre, il a donné le coup d’envoi à la procédure d’attribution de fréquences destinées au très haut débit mobile, qui succédera à l’UMTS, Universal mobile telecommunications system. Il s’agit de la bande 2, 6 gigahertz, identifiée dès la Conférence mondiale des radiocommunications, la CMR, de 2000 et destinée au déploiement de capacités en zones denses et de la bande 800 mégahertz, identifiée lors de la CMR de novembre 2007.

Aujourd’hui utilisée par la radiodiffusion télévisuelle, cette bande de fréquences basses présente des qualités de propagation qui la destinent, dès l’extinction de la télévision analogique, à compléter la bande 2, 6 gigahertz pour la couverture du territoire en haut débit mobile. C’est pourquoi, conformément aux préconisations de la Commission du dividende numérique présidée par notre excellent collègue Bruno Retailleau, l’arrêté du Premier ministre du 22 décembre 2008 attribue cette bande 800 mégahertz à l’ARCEP, à compter du 1er décembre 2011.

Dans ce schéma global d’attribution de fréquences, il n’était plus possible de laisser en jachère les fréquences restant à attribuer à l’UMTS dans la bande 2, 1 gigahertz et identifiées dès la CMR de 1992. L’essor de l’UMTS engendre des besoins d’accès au spectre, que les fréquences toujours libres dans cette bande peuvent contribuer à satisfaire.

De surcroît, les opérateurs mobiles existants ont besoin de visibilité. En effet, si un nouvel entrant était autorisé dans la bande 2, 1 gigahertz, ces opérateurs seraient tenus, conformément à leur cahier des charges, de lui restituer des fréquences dans la bande 900 mégahertz. Enfin, et ce point n’est pas à négliger, l’attribution de fréquences disponibles pourrait alimenter, à hauteur de 619 millions d’euros, le fonds de réserve pour les retraites.

Si l’on se fonde sur les intentions que le Gouvernement a annoncées le 5 février dernier concernant le prix de la licence et que vous venez de rappeler, monsieur le secrétaire d’État, cet avantage en termes de recettes fiscales sera néanmoins contrebalancé par la baisse des recettes de l’impôt sur les sociétés liée à la moindre rentabilité probable des opérateurs mobiles. Il faut que nous en soyons conscients.

Revenons un moment sur l’histoire mouvementée de l’attribution de la bande 2, 1 gigahertz. En 2000, un premier appel à candidatures proposait déjà quatre licences, mais deux seulement furent attribuées en 2001, au prix fort de 4, 95 milliards d’euros ! Il est du rôle de la commission des affaires économiques de faire ces rappels. Après l’éclatement de la bulle financière, le prix de ces licences fut divisé par huit et, au terme d’un nouvel appel à candidatures, une troisième licence fut accordée à la fin de l’année 2002 à Bouygues Telecom, au prix de 619 millions d’euros, prix rétroactivement appliqué à Orange et à SFR.

La quatrième licence restant disponible, un troisième appel à candidatures a été lancé en 2007, mais la candidature d’Iliad, qui exigeait un étalement du paiement de la redevance de 619 millions d’euros, a été rejetée en octobre 2007.

Le Gouvernement avait alors souhaité, par la loi du 3 janvier 2008 pour le développement de la concurrence au service des consommateurs, dite loi Chatel, reprendre la main sur la fixation des redevances UMTS, qui figurait jusque-là en loi de finances. Le législateur a demandé en contrepartie la tenue d’un débat préalable au Parlement. C’est ce qui nous vaut d’être réunis aujourd’hui.

C’est donc un quatrième appel à candidatures que le Gouvernement demande à l’ARCEP de lancer, mais sous une forme inédite, ce qui permet d’espérer qu’il ne reste pas infructueux : trois lots sont proposés, de 5 mégahertz chacun, correspondant à la largeur d’un canal UMTS. L’un de ces lots est réservé à un nouvel entrant, les deux autres mettront en compétition de nouveaux entrants et opérateurs mobiles existants.

Le schéma que propose ainsi le Gouvernement semble sage. En donnant la priorité à un nouvel entrant sur une partie du spectre, il entend dynamiser le marché de la téléphonie mobile. Il n’est pas simple de mesurer le degré de concurrence en ce domaine. En tout état de cause, l’amende infligée par le Conseil de la concurrence aux trois opérateurs en place pour la période 2000-2002 a pu légitimement nourrir des soupçons d’oligopole.

Il s’agit d’une tendance naturelle du marché de la téléphonie mobile, en raison des barrières d’entrée que constituent les investissements considérables à consentir pour acquérir une licence et déployer un réseau.

Même les opérateurs de réseau mobile virtuel, les MVNO, qui ne détiennent pas de réseau en propre, n’ont pas pu animer la concurrence sur le marché de détail : leur part de marché ne dépasse pas 5 % du parc d’abonnés au mobile. Pourquoi ne jouent-ils pas un rôle plus décisif ?

En raison des conditions commerciales, techniques et tarifaires que les opérateurs de réseau leur consentent et que le Conseil de la concurrence a parfaitement analysées dans son avis de juillet 2008, les MVNO sont, pour la plupart, prisonniers de leur opérateur-hôte, auquel ils sont liés par une clause d’exclusivité. Comment, dès lors, pourraient-ils mettre en concurrence les opérateurs de réseau ? En outre, la croissance externe des MVNO est bridée par la préemption de leur base de clients, voire de leurs actifs, par leur opérateur-hôte : sans consolidation entre MVNO, quel développement ces opérateurs peuvent-ils espérer?

L’apparition d’un quatrième opérateur de réseau pourrait changer la donne. Il n’existe pourtant pas de corrélation évidente entre le nombre d’opérateurs de réseau et le niveau des prix : le treizième rapport de la Commission européenne sur la mise en œuvre du cadre réglementaire des communications électroniques laisse apparaître des prix très élevés pour la téléphonie mobile en Allemagne, où l’on compte pourtant quatre opérateurs UMTS, et des prix très bas en Finlande, où l’on en compte seulement trois. L’existence de quatre opérateurs UMTS n’apportera donc aucune garantie au marché du mobile en France. L’exemple espagnol, où le quatrième opérateur peine à exister, appelle aussi à la prudence.

Néanmoins, le marché mobile français étant déjà arrivé à un certain degré de maturité, l’enjeu des opérateurs en place est la fidélisation du client. Si un nouvel entrant était autorisé dans ce contexte stabilisé, il devrait nécessairement déployer une stratégie plus ambitieuse pour gagner des clients, et non pas seulement pour les fidéliser. À ce titre, il devra probablement déployer des efforts en termes de prix ou d’innovation susceptibles de bénéficier au consommateur. C’est d’ailleurs bien là l’enjeu.

Dans le contexte de convergence du fixe et du mobile, un nouvel entrant qui proposerait déjà des accès internet fixes pourrait miser sur le transport quasi gratuit de la voix sur réseau IP, et installer, dans les box de ses clients haut débit, des minirelais lui permettant ainsi d’étendre son réseau de téléphonie mobile. Des offres attractives et illimitées en quadruple play – fixe, mobile, haut débit et télévision – pourraient ainsi se développer. Ce serait alors une nouvelle avancée de la banalisation des nouvelles technologies, ainsi ouvertes à tous.

L’entrée d’un nouvel opérateur sur le marché du mobile peut donc offrir de nouvelles opportunités en matière de tarifs et d’usages. Mais le bénéfice escompté ne doit pas s’obtenir à n’importe quel prix. D’abord, il est essentiel que l’attribution d’une licence à un nouvel entrant se fasse de manière équitable, pour ne pas déstabiliser l’industrie du mobile.

À ce titre, la solution retenue par le Gouvernement, qui consiste à proposer ce lot de 5 mégahertz à un prix proportionnellement équivalent au prix acquitté par les trois premiers opérateurs, semble raisonnable.

Toutefois, on peut s’interroger sur l’exactitude et sur la valeur juridique de cette méthode. En tout état de cause, un certain nombre de précautions devront être prises.

Les uns estimaient que l’accès au rang d’opérateur mobile grâce au lot réservé à un nouvel entrant impliquait de survaloriser ce lot. Il est important de signaler ce point.

D’autres jugeaient que le quatrième opérateur, à qui l’on proposait la bande représentant le tiers de celle qui était occupée par chacun des trois autres, était pénalisé et qu’il devait donc payer moins cher que s’il avait concouru pour un lot identique à ceux détenus par les autres opérateurs.

Entre ces deux positions, le prix de 206 millions d’euros représente-t-il vraiment un compromis équitable ? La question mérite d’être posée.

Assurer l’équité, c’est aussi exiger de ce quatrième opérateur qu’il contribue à la réduction de la fracture numérique. Le déploiement de la 3G ayant pris du retard, il revient à l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, l’ARCEP, d’obtenir des opérateurs existants qu’ils remplissent leurs obligations en la matière, notamment en utilisant pour la 3G la bande 900 mégahertz initialement dédiée au GSM.

Vous l’avez affirmé, monsieur le secrétaire d’État, le cahier des charges du nouvel entrant sera au moins aussi exigeant que celui des trois opérateurs en place, non seulement pour assurer l’équité entre les opérateurs, mais aussi pour ne pas sacrifier la couverture du territoire sur l’autel du consumérisme. Il est essentiel d’imposer au nouvel entrant des obligations de couverture nationale identiques à celles qui incombent aux opérateurs en place, surtout en milieu rural. Notre collègue Bruno Sido reviendra sur ce sujet dans quelques instants, plus particulièrement sur son financement.

C’est ambitieux, mais pas forcément utopique ; le nouvel entrant sera autorisé à utiliser la bande 900 mégahertz, et ces fréquences basses lui permettront de déployer à moindre coût son réseau ; il bénéficiera aussi, pendant un temps, de l’itinérance sur un réseau mobile GSM existant, dès qu’il couvrira 25 % de la population ; enfin, il aura accès aux sites 2G réutilisés en 3G.

Ce dernier point est essentiel ; seul le partage de sites permettra un déploiement rapide de ce quatrième réseau et, dans un second temps, une division par quatre du coût de l’extension de la couverture 3G du territoire, comme le prévoit la loi de modernisation de l’économie.

Dans le contexte actuel d’inquiétude croissante de la population, mais aussi du juge, sur les conséquences des réseaux mobiles sur la santé, cette mutualisation apparaît surtout comme le meilleur moyen d’assurer le déploiement des réseaux.

Sur ce point, madame la secrétaire d’État, pouvez-vous, au nom du Gouvernement, à la fois rassurer la population sur la nature des risques réellement encourus par son exposition aux différentes sources d’ondes électromagnétiques – au-delà de celles qui sont liées à la téléphonie mobile – et rassurer les opérateurs sur votre volonté de développer les réseaux numériques, socles de la croissance de demain ?

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