Monsieur le président, madame et monsieur les secrétaires d'État, mes chers collègues, depuis quelques mois, la Chine compte plus d’internautes que n’en comptent les États-Unis ; de même, il y a plus de « mobinautes », c'est-à-dire d’abonnés au téléphone mobile, en Inde qu’aux États-Unis.
La révolution numérique est non seulement planétaire, mais aussi systémique, dans le bon sens du terme. N’en doutons pas, comme les deux précédentes révolutions industrielles, elle est en train de redessiner profondément la carte de la prospérité mondiale.
Dans cette nouvelle bataille, sur ce nouveau front, la France et l’Europe disposent d’avantages et d’atouts, mais connaissent aussi des retards.
Parmi leurs atouts, citons la pénétration du haut débit ou le prix du triple play, qui est, en France, trois fois moins élevé qu’aux États-Unis.
Parmi les handicaps dont souffre l’Europe, citons le plus faible développement du très haut débit, par rapport aux États-Unis et, surtout, au continent asiatique, ainsi que des investissements insuffisants dans les nouvelles technologies de l’information. Ceux-ci sont deux fois plus faibles qu’aux États-Unis et de deux à quatre fois plus faibles que dans les pays d’Europe du Nord.
Madame et monsieur les secrétaires d'État, votre objectif est de créer en France un environnement numérique aussi avancé que possible pour placer notre pays à la tête des grandes nations à même de relever cette nouvelle ambition numérique et de croissance.
La politique du spectre est capitale, car elle peut nous aider à relever ce défi. Sans doute comme la plupart de mes collègues, je me réjouis de l’organisation d’un tel débat, même s’il est un peu frustrant qu’il ne soit pas conclu par un vote. Les fréquences et le spectre sont un bien public appartenant à l’État, mais aussi une ressource rare, qu’il faut affecter. Enfin, leur potentiel économique et social est extrêmement important.
Par conséquent, la gestion du spectre par l’État ne saurait se réduire à une gestion patrimoniale aux termes de laquelle celui-ci chercherait simplement à maximiser son profit immédiat. Au contraire, l’État doit adopter une vision stratégique afin de préparer l’avenir de la France. S’agissant du spectre, les choix sont décisifs, et ceux que vous nous proposez, madame et monsieur les secrétaires d’État, doivent nous permettre de relever trois défis successifs.
Le premier défi, c’est celui des usages et des technologies. Comme l’atteste l’essor de l’internet mobile, ces deux aspects sont liés : l’augmentation du débit a pour corollaire l’essor de l’internet mobile.
S’agissant de ces défis technologiques, nous sommes confrontés à une double exigence : d’une part, celle d’un débit croissant ; d’autre part, celle d’une mobilité croissante.
Les nouveaux usages réclament des débits croissants, des bandes passantes d’une capacité croissante, d’une part, en raison d’une plus grande utilisation d’internet, d’autre part, parce qu’internet est désormais utilisé de façon simultanée. Le très haut débit répond précisément à cette exigence d’une capacité croissante.
Voilà quelques années, Ericsson avait calculé que, grosso modo en cinq ans, soit de 2007 à 2012, le trafic serait multiplié par sept en Europe occidentale. Il faut donc que nos tuyaux puissent répondre à cette explosion des usages et du trafic.
La deuxième exigence, c’est celle de la mobilité. La société de l’information, c’est la société de l’ubiquité et de la mobilité : « Ce que je veux, quand je veux et où je veux, sans fil à la patte. » Ce fil à la patte peut à la rigueur exister chez soi ou au bureau, mais on a en tout cas besoin de mobilité. Par conséquent, il ne fait aucun doute que le développement des réseaux et des grandes infrastructures d’aujourd’hui et de demain passe non seulement par le très haut débit filaire, notamment la fibre optique, mais aussi par le très haut débit mobile.
Pour ma part, je tire deux conclusions de ce premier défi que nous devons relever, compte tenu des décisions que vous annoncez.
D’une part, il me paraît logique de permettre aux opérateurs du fixe d’œuvrer aussi dans le mobile et de les accompagner dans cette démarche de convergence. Une porteuse de 5 mégahertz est un début. Mais, à l’avenir, il ne sera pas possible de se limiter à cette capacité, même s’il est entendu que l’opérateur du premier temps pourra postuler dans un deuxième temps.
D’autre part, s’agissant du dividende numérique, il faut se projeter très vite dans l’avenir, car, dans le domaine du très haut débit mobile, 2012, c’est demain. Il faudra prévoir des tuyaux, ce qu’on appelle des canalisations, qui autoriseront réellement des débits de 100 mégabits non seulement en crête, mais encore en débit moyen, dans le cas où l’antenne est éloignée ou lorsque plusieurs personnes téléphonent ou surfent en même temps.
Afin que cette infrastructure soit dès à présent dimensionnée pour les vingt prochaines années, il faudra que ces canalisations aient une capacité de 15 mégahertz.
Je reviendrai tout à l’heure sur ce point capital.
Après avoir exposé le premier défi que nous devons relever, celui de la technologie, j’en viens au deuxième défi, économique.
Mes chers collègues, nous devons nous poser une question : quel est le meilleur écosystème permettant de maximiser et d’optimiser le surplus économique et social ?
Est-ce un système à 3, tel qu’il existe actuellement, un système à 3, 5 ou un système à 4 ? S’agissant d’une ressource rare, le Gouvernement doit prendre des décisions, notamment quant à la bande de fréquence 2, 1. Partout en Europe, les décisions ont été prises et les fréquences affectées.
S’agissant du dividende numérique, nous ne devons pas tarder, même si je sais que son extraction, dont dépend le passage au tout-numérique, constitue un énorme chantier. Madame la secrétaire d’État, j’espère que vous disposerez des moyens politiques pour le piloter dans toutes ses dimensions, car, si tel n’était pas le cas, nous courrions de grands risques.
Nous devons impérativement prendre de l’avance et affecter les fréquences en or du dividende en 2009. Cette décision est la bonne, parce que les industriels ont besoin de visibilité pour produire, par exemple, les terminaux nécessaires, mais aussi parce que nous devons être prêts à mettre en place le très haut débit LTE, qui autorisera des débits supérieurs à ceux que permettent aujourd’hui la 3G et la 3G+.
Madame la secrétaire d’État, vous avez partiellement répondu à la question suivante : à quoi le succès du GSM est-il dû, succès qu’il importe de reproduire ? Il tient à l’harmonisation des normes au niveau européen. Précisément, où en est-on à l’heure actuelle ?
Pour en revenir à la 3G, deux conditions doivent à mon avis être remplies pour que l’attribution d’une quatrième licence ait du sens.
Premièrement, elle ne doit pas privilégier un modèle ou inciter le nouvel entrant à adopter un comportement de passager clandestin. En clair, cela signifie que les gains immédiats pour les consommateurs ne sauraient être obtenus au détriment de l’investissement et de l’innovation, qui conditionnent, pour les mêmes consommateurs, les futurs gains en pouvoir d’achat.
En d’autres termes, le nouvel attributaire de cette quatrième licence devra scrupuleusement satisfaire aux obligations de la précédente soumission comparative. En matière de coût, la bonne solution est sans doute celle que vous retiendrez, madame et monsieur les secrétaires d’État, dans la mesure où, sur un plan juridique, elle est la plus « bordée ». Aussi, je vous invite à retenir une solution juridique plutôt que toute autre solution ou tout autre échafaudage, qui, à mon avis, présentent un certain nombre de risques.
Deuxièmement, pour que la quatrième licence ait un sens, il convient de déverrouiller le marché. Comme l’a souligné avec raison Pierre Hérisson, le nombre d’opérateurs présents sur un marché ne garantit pas à lui seul la baisse des tarifs.À cet égard, le cas de l’Allemagne est exemplaire.
Seules les conditions de déverrouillage du marché, et notamment du marché de gros, c’est-à-dire les MVNO, garantissent une baisse des prix.
Nous avons discuté de cette question lors de l’examen du projet de loi relatif à la communication audiovisuelle et au nouveau service public de la télévision.
En France, les MVNO, dont le nombre est inférieur à cinq, sont d’une taille très modeste et voient leurs parts de marché diminuer. Je rappelle que la moyenne européenne se situe à 18 %.
C’est donc un vrai souci, dont il faut tirer toutes les conséquences. Ainsi, les critères d’attribution devront, pour les 5 mégahertz et 10 mégahertz sur la bande 2, 1, respecter ce choix. Mais cela ne suffit pas. Sur la base des conclusions rendues par le Conseil de la concurrence au cours de l’été dernier, l’ARCEP devra organiser une table ronde réunissant l’ensemble des opérateurs, afin de refonder un modèle de développement des MVNO. Aujourd’hui, un tel modèle est inexistant en France.
Oui, la quatrième licence peut permettre de déverrouiller le marché, mais de façon partielle. C’est pourquoi il ne faut pas négliger les MVNO.
Le troisième défi, c’est celui de la couverture du territoire.