Intervention de Michel Teston

Réunion du 11 février 2009 à 10h30
Attribution de fréquences de réseaux mobiles — Débat sur une déclaration du gouvernement

Photo de Michel TestonMichel Teston :

Quoi qu’il en soit, l’ouverture de la procédure d’attribution de la quatrième licence soulève des questions de plusieurs natures.

Tout d’abord, y a-t-il place sur le marché pour un nouvel opérateur, dans un climat de profonde crise économique et sociale ? Quelles seraient les conséquences de l’arrivée de ce nouvel entrant pour les trois premiers opérateurs et pour les opérateurs de réseau mobile virtuel, les MVNO ?

Le marché de la téléphonie mobile représente aujourd’hui plus de 58 millions d’utilisateurs et, en 2008, pour la première fois, les communications téléphoniques passées avec un mobile sont plus nombreuses que celles qui sont passées depuis un poste fixe.

Dans la mesure où il n’y a que trois opérateurs de téléphonie mobile en France, il est tentant d’en tirer la conclusion qu’il y a place pour un quatrième. C’est d’ailleurs ce que fait le Gouvernement, qui estime qu’un quatrième opérateur pourrait apporter une croissance de 7 % du marché.

Une analyse de la situation dans les autres grands États de l’Union européenne montre que le quatrième opérateur occupe une place marginale – 2, 5 % de parts de marché en Espagne – et qu’il éprouve de grandes difficultés à se maintenir. Ses dirigeants peuvent être conduits soit à une cession à l’un des trois premiers opérateurs – c’est déjà fait aux Pays-Bas –, soit à la recherche d’une telle cession, comme c’est le cas en Allemagne et en Grande-Bretagne.

En outre, compte tenu de la situation économique prévisible en 2009, il est très vraisemblable que le marché de la téléphonie mobile subisse aussi les effets de la crise. Une étude menée par l’agence Reuters évoque la possibilité d’une contraction du marché de plus de 6 %, les consommateurs hésitant, notamment, à changer leur terminal mobile.

Par ailleurs, nous avions cru comprendre que le Gouvernement voulait améliorer le sort des MVNO qui demandent des conditions d’hébergement plus justes sur les plans technique et tarifaire. Je discerne mal en quoi l’arrivée d’un quatrième opérateur permettrait de répondre à cette attente.

Il est donc légitime de s’interroger sur l’opportunité de faire entrer maintenant un nouvel opérateur sur un marché qui subira, comme tous les autres, les effets de la crise. À moins qu’il n’y ait un lien avec l’instauration de la taxe de 0, 9 % sur le chiffre d’affaires des opérateurs de télécommunications pour contribuer au financement des chaînes publiques de télévision ! S’agirait-il d’inciter les trois opérateurs à ne pas augmenter leurs tarifs lors de l’entrée en vigueur de la taxe ?

Cette interrogation m’amène à la deuxième question que pose la décision du Gouvernement : l’arrivée d’un quatrième opérateur est-elle de nature à faire baisser les prix ?

L’objectif du Gouvernement est de rendre du pouvoir d’achat aux Français, objectif qu’il ne parvient pas à atteindre. Il considère que l’arrivée d’un quatrième opérateur devrait stimuler la concurrence et se traduire par une baisse des prix de 7 % et par une meilleure offre de services.

Les associations de consommateurs se réjouissent de l’attribution de la quatrième licence, tout en attendant de connaître plus précisément les modalités de l’appel à candidatures. Elles considèrent probablement que, si les tarifs baissent sur tout le territoire national sans déstabiliser pour autant l’équilibre du marché, l’arrivée d’un quatrième opérateur sera bénéfique. Mais qu’en sera-t-il réellement ?

Selon une étude de l’observatoire économique de la téléphonie mobile, le prix moyen de la minute mobile sortante est moins élevé en France que dans les pays qui comptent plus de trois opérateurs. Il semble donc que l’accroissement de la concurrence ne garantisse pas à lui seul la baisse des prix pour les consommateurs.

Par ailleurs, même en admettant que le nouvel opérateur veuille faire baisser les prix, ne sera-t-il pas tenté par la solution du low cost, avec les effets néfastes qui en résulteraient pour l’économie : bas salaires et diminution de l’offre de services, par exemple ?

En outre, il ne disposera dans un premier temps que de 5 mégahertz, auxquels s’ajouteront les 5 mégahertz libérés par les autres opérateurs dans les dix-huit à vingt-quatre mois suivant l’attribution de la nouvelle licence.

Il est donc possible que les tarifs du nouvel opérateur soient compétitifs, mais seulement sur les territoires où il disposera d’un réseau. Pour qu’il propose une offre géographiquement plus étendue, il faudra attendre qu’il ait atteint les taux de couverture de population lui permettant de bénéficier de la clause d’itinérance, à savoir du droit d’utiliser le réseau de ses concurrents, moyennant rémunération.

Cela dit – et j’appelle votre attention sur ce point –, pouvoir utiliser des réseaux est une chose, vouloir le faire en est une autre !

Cela me conduit à évoquer la question des contraintes qui seront imposées au nouvel opérateur en matière d’aménagement du territoire.

Le cahier des charges annexé à la licence octroyée à chaque opérateur mobile actuellement sur le marché précise ses obligations en matière de couverture de la population.

Les trois opérateurs se sont engagés à résorber les zones blanches. Actuellement, chacun d’eux consacre environ un milliard d’euros par an à l’amélioration de son réseau.

L’itinérance fait aussi partie des obligations des opérateurs. Il s’agit de la possibilité pour un opérateur d’utiliser les infrastructures mises en place par un autre. Dans la situation actuelle, un opérateur couvrant 25 % de la population peut bénéficier de l’itinérance. Ce pourcentage peut paraître important, mais je rappelle que la couverture de la région d’Île-de-France et des cinq autres plus grandes agglomérations françaises suffit pour l’atteindre, donc pour bénéficier de l’itinérance.

L’article 119 de la loi de modernisation de l’économie prévoit un partage des installations des réseaux de troisième génération. Les conditions de la mise en œuvre de ce partage, notamment le seuil de couverture exigé, seront déterminées par l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes.

Avec ces dispositions, le nouvel entrant peut ne pas investir et se contenter de profiter des infrastructures des autres opérateurs. Dès lors, l’intérêt concurrentiel à investir pour les autres opérateurs est réduit. Le risque existe que ces derniers ralentissent leurs investissements dans les zones moins denses et moins rentables, avec pour conséquence un moindre effort en faveur de la réduction de la fracture numérique.

Il est donc particulièrement important que les obligations demandées au nouvel entrant en matière de couverture du territoire soient identiques à celles qui ont été exigées des opérateurs actuellement en place.

J’en viens à la question de savoir si la procédure retenue par le Gouvernement présente toutes les garanties d’un strict respect des règles de la concurrence.

Le nouvel opérateur obtiendra un droit d’accès à moindre frais : 206 millions d’euros, à comparer aux 619 millions d’euros acquittés par chaque opérateur en place qui dispose d’un lot de 15 mégahertz.

Avec un lot de 5 mégahertz, complété par un autre lot de 5 mégahertz libérés par les autres opérateurs, le nouvel entrant disposera donc de 10 mégahertz pour le prix de 5 ! Son entrée sur le marché se fera ainsi dans des conditions qui lui seront favorables.

Dès lors, on peut se demander comment vont réagir ses concurrents. Ne risquent-ils pas de considérer la procédure d’attribution comme une aide déguisée de l’État au nouvel entrant ?

On peut également s’interroger sur ce qui pourrait se passer dans l’hypothèse où il n’y aurait qu’un seul candidat. Dans ce cas, est-il prévu d’attribuer malgré tout une licence, ou bien un nouvel appel à candidatures sera-t-il lancé ?

La question n’est pas anecdotique. En effet, si l’on en croit toutes les rumeurs qui agitent le microcosme parisien, les jeux seraient faits en faveur d’un opérateur qui n’avait pas voulu verser, en 2007, les 619 millions d’euros correspondant à l’attribution d’une bande de fréquences de 15 mégahertz. Ledit opérateur avait même demandé au juge des référés du Conseil d’État de mettre fin à la procédure d’attribution. Cette requête avait alors été rejetée.

Telles sont, madame et monsieur les secrétaires d’État, les principales questions que je tenais à évoquer au nom du groupe socialiste.

Toutefois, l’actualité me conduit à aborder une question supplémentaire. En effet, et ce jugement est une première, la cour d’appel de Versailles, confirmant le jugement du tribunal de grande instance de Nanterre, a ordonné le démontage d’émetteurs relais de téléphonie mobile en invoquant l’incertitude d’un éventuel impact sur la santé des riverains.

Cette décision de justice exige que le Gouvernement précise clairement sa position sur ce sujet dans la mesure où le quatrième opérateur devra installer de nouvelles antennes relais.

À l’Assemblée nationale, Mme le secrétaire d’État a suggéré la tenue d’un « Grenelle des antennes » afin de répondre à l’inquiétude de nos concitoyens sur l’exposition aux ondes électromagnétiques. Pourquoi pas ? Au nom de l’application du principe de précaution, il convient en effet de définir le niveau de protection nécessaire si l’on veut couvrir tout le territoire en téléphonie mobile en évitant une avalanche de recours en justice.

Notre groupe est également très attentif aux modalités qui seront retenues pour l’attribution des deux autres lots – concours de beauté ou enchères ? –, étant précisé qu’il nous paraît essentiel que l’État encaisse au moins 619 millions d’euros pour les trois lots, c’est-à-dire autant que si la quatrième licence avait été attribuée en même temps que les trois premières.

Je rappelle enfin, à l’attention du Gouvernement, qu’un recensement complémentaire, réalisé en liaison avec l’Assemblée des départements de France, a fait apparaître que 364 communes supplémentaires sont situées en zone blanche en téléphonie mobile et que de très nombreuses autres communes sont en zone grise, c’est-à-dire qu’elles ne sont desservies que par un ou deux opérateurs.

Dès lors, on peut penser que l’objectif prioritaire consiste non pas forcément à attribuer une quatrième licence, mais plutôt à assurer la couverture complète du territoire national par les trois opérateurs existants. Il reste en effet encore bien du travail à réaliser dans ce domaine.

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