Intervention de Odette Terrade

Réunion du 11 février 2009 à 10h30
Attribution de fréquences de réseaux mobiles — Débat sur une déclaration du gouvernement

Photo de Odette TerradeOdette Terrade :

Monsieur le président, madame et monsieur les secrétaires d’État, mes chers collègues, c’est sous la forme d’un amendement de dernière minute, non présenté devant la commission des affaires économiques, que, le 14 décembre 2007, le Gouvernement avait souhaité préciser sous quelles modalités les attributions des fréquences UMTS seraient en quelque sorte utilisées.

Cet amendement précisait, par ailleurs, que le produit des droits d’entrée comme des redevances acquittés par les opérateurs était affecté au Fonds de réserve des retraites, ou FRR.

Trois opérateurs – Orange, SFR et Bouygues – ont acquitté 619 millions d’euros pour obtenir l’une des trois premières fréquences.

Cette attribution, outre le droit d’entrée indiqué, est l’objet d’une redevance fondée sur le chiffre d’affaires, à hauteur de 1 % de celui-ci. Sans surprise, Orange, suivi de SFR et enfin de Bouygues, est le principal contributeur, disposant de la part de marché la plus importante.

Reste posée la question de la quatrième licence.

Dans un premier temps, le Gouvernement est intervenu dans le débat, lors de la discussion du projet de loi de modernisation de l’économie, pour prévoir expressément des conditions particulières d’attribution.

Cela fut réglé, d’une certaine manière, par les articles 114 et 119 de la loi de modernisation de l’économie qui, au-delà des critères habituels de qualité de couverture du territoire et de service rendu aux usagers de la téléphonie, permettaient de mettre en œuvre, sous la responsabilité de l’Autorité de régulation, une procédure de mise aux enchères de la quatrième licence.

Cette procédure de mise aux enchères prévoyait de facto des critères autonomes pouvant fort bien déroger aux contraintes de service public, dérogation allant évidemment jusqu’à un partage de la fréquence et, en conséquence, de conditions particulières de prix d’entrée !

Le cadre juridique de la loi Châtel est donc clairement fixé.

Il reste une fréquence disponible, et il est question, pour des raisons d’adaptation de l’offre de services aux capacités des candidats, de la partager.

Dans les faits, ce qui risquait d’arriver, avec le schéma choisi par la loi Châtel – comme quoi il faut toujours se méfier de l’urgence et de la précipitation en matière législative –, c’était un recours contre le niveau des enchères proposées au nouvel intervenant sur les fréquences de troisième génération, intervenant dont le nom circulait : le groupe Iliad, propriétaire, entre autres, de la marque Free.

Un prix d’ami, peu élevé, tel que celui qui pouvait être proposé à Iliad, et c’était immédiatement le recours des trois premiers attributaires devant la Commission européenne, pour non-respect des principes de concurrence libre et non faussée !

Alors, le Gouvernement a opté pour la solution de mise en place de conditions spécifiques d’attribution. Ce choix consiste à partager la quatrième fréquence en trois parties, ce qui pourra in fine justifier bien entendu que Free ne s’acquitte pas du même droit d’entrée que les autres.

Sans surprise, Free annonce aujourd’hui être prêt à payer 206 millions d’euros, soit le tiers de la somme payée par les autres opérateurs.

Quant à l’imposition du chiffre d’affaires, elle peut rester identique, là n’est pas la question.

Nous avons donc pu voir, dans cette affaire, la mise en œuvre d’une des formes les plus répandues de la loi ces derniers mois : l’adaptation du texte aux décisions stratégiques des groupes susceptibles de tirer parti de tel ou tel dispositif.

Nous avons débattu voilà peu d’un plan de relance dont les majors du secteur du bâtiment et des travaux publics attendent clairement le maintien de leur profitabilité. Il ne faut donc pas s’étonner d’en être arrivé là s’agissant de la téléphonie mobile !

La presse de ce mois de janvier est d’ailleurs explicite. Le 12 janvier dernier, Les Échos, journal qu’on ne peut guère taxer d’être partisan de la dissolution du capitalisme, titrait ainsi : Le quatrième opérateur mobile : le résultat d’une intense bataille de lobbying.

L’objectif du débat qui nous est donc proposé ce jour est parfaitement factuel. Il s’agit simplement de prendre acte d’une décision du Gouvernement qui, via l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, dont le président vient d’ailleurs de changer, va permettre, au nom du développement de la concurrence au profit des consommateurs, à un nouvel opérateur d’ajouter à ses prestations de services comme fournisseur d’accès internet une offre de téléphonie mobile.

Pourquoi l’opérateur Free n’a-t-il pas les moyens de payer plus que prévu, ou de s’acquitter du même droit d’entrée que les autres ?

Peut-être tout simplement parce que le groupe Iliad s’est attaché, ces dernières années – avant même d’améliorer la qualité de service à la clientèle, qui, pour certains aspects, semble aussi low cost que les tarifs d’abonnement –, à absorber peu à peu les opérateurs qui étaient présents sur le marché national mais n’avaient pas réussi à y faire leur place. Ainsi, pour ne donner qu’un exemple, le groupe fondé par Xavier Niel, en exploitant des services télématiques de mise en relation de personnes, a acquis l’ensemble des marques lancées sur le marché français par Telecom Italia, telles que Alice, Infonie ou Liberty Surf, par exemple.

Par ailleurs, Iliad s’était positionné sur le segment du renseignement téléphonique, en réservant l’un des numéros mis en vente, et s’est retiré de cette activité moins de six mois après l’attribution d’un service par l’Autorité de régulation !

Nous avons donc mis la loi au service des impératifs de développement d’un groupe dont l’image publique est pourtant assez nettement détériorée et qui doit d’abord faire face à des exigences de rendement, avant toute autre considération, et notamment avant toute couverture du territoire en termes de qualité de service de téléphonie mobile ! Drôle de manière de faire de la loi l’expression de l’intérêt général !

Les quelques dizaines d’emplois créés par Iliad risquent de n’être rien par rapport aux centaines d’emplois qu’on peut s’attendre à perdre dans l’ensemble de la filière des télécommunications.

Reste le cas des finances publiques. Ce soudain empressement à faire la courte échelle pour permettre à Iliad de trouver la voie de la profitabilité grâce au développement d’une offre globale – internet et téléphonie mobile – rencontre, pure coïncidence sans doute, la crise financière.

Je rappelle que les droits d’entrée et les redevances des opérateurs alimentent le Fonds de réserve des retraites. Dans le même temps, la loi relative à la communication audiovisuelle et au nouveau service public de la télévision prévoit de taxer le chiffre d’affaires des opérateurs de communications électroniques, ce qui fait de l’attribution de la quatrième licence un petit gisement de ressources fiscales de plus !

Or, le Fonds de réserve des retraites vient de souffrir de la crise financière, sur la place boursière de Paris comme dans la maison mère, c’est-à-dire Wall Street.

En effet, en utilisant les surplus des comptes sociaux des années précédentes et les redevances versées par les opérateurs de téléphonie, le Fonds de réserve des retraites a essentiellement placé ces ressources sur le marché des actions. Pour le moment, la capitalisation de ces actions est en chute de 20 %, à hauteur de 6, 8 milliards d’euros, pour l’ensemble de l’année 2008 ! Cette déperdition, même virtuelle, amène à s’interroger sur la capacité d’intervention du FRR à l’échéance 2020, où il est censé faire face au déséquilibre démographique du papy-boom. En conséquence, cette soudaine accélération de l’attribution de la quatrième fréquence arrive au bon moment.

Pour l’ensemble de ces raisons, qu’il s’agisse de la loi adaptée aux desiderata d’une entreprise comme d’un mauvais usage des deniers publics, le groupe CRC-SPG ne peut que manifester son opposition au schéma retenu dans le cadre de l’attribution de la quatrième licence de téléphonie mobile.

En conclusion, comment ne pas s’étonner que, treize ans après l’adoption de la loi Fillon-Larcher de réglementation des télécommunications, et malgré la concurrence libre et non faussée, nous ayons encore autant de zones blanches pour l’accès internet et une qualité médiocre de couverture mobile ?

À moins que – permettez-moi de le dire à tous les partisans du libéralisme sans rivages ni entraves – la réponse ne soit dans la question !

Un jour prochain, il faudra bien, mes chers collègues, que nous interrogions cette logique européenne qui, notamment dans les pays voisins, se traduit par un approfondissement continu de la fracture numérique.

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