Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le principe de la liberté de navigation et son corollaire, l'exclusivité de la loi du pavillon, reste un impératif essentiel pour une puissance maritime comme notre pays.
Vous l'avez rappelé, madame la ministre, ce principe ne connaît que de rares exceptions qui portent sur les actes de piraterie, la traite des esclaves et les émissions de radio non autorisées.
Ces infractions, réprouvées par la coutume et incriminées par la convention de Montego Bay font de tout navire qui s'y livre, un bâtiment réputé sans pavillon.
Le droit international a toutefois apporté plusieurs aménagements au principe de la loi du pavillon pour lutter contre deux formes de criminalité en mer : le trafic de stupéfiants et le trafic de migrants.
Les Etats se sont accordés sur la nécessité d'une coopération internationale pour lutter contre ces trafics. Le trafic de migrants et le trafic de stupéfiants ne permettent pas de déroger à la règle du pavillon, l'accord de l'Etat du pavillon étant toujours requis, mais cet accord est facilité et autorise une intervention sur les navires en infraction.
En droit interne, les modalités de l'exercice par l'Etat de ses pouvoirs en mer sont définies par la loi du 15 juillet 1994. Cette loi a été adaptée une première fois en 1996 pour tenir compte des dispositions particulières, issues de la convention de Vienne, contre le trafic de stupéfiants.
En la matière, elle permet l'exercice de pouvoirs de contrôle et de coercition et elle déroge aux règles de la procédure pénale pour tenir compte des spécificités de la police des stupéfiants en haute mer. Elle habilite ainsi les commandants de bord à rechercher, à constater des infractions et à prendre les mesures nécessaires pour qu'une suite judiciaire puisse leur être donnée.
Le présent projet de loi nous propose une nouvelle adaptation de la loi de 1994 pour deux raisons principales.
D'abord, la pratique a fait apparaître le besoin de préciser la loi du 15 juillet 1994 pour assurer la sécurité juridique des opérations effectuées en mer.
Ensuite, la signature du protocole du 15 décembre 2000, relatif à la lutte contre le trafic de migrants ouvre de nouvelles possibilités d'intervention contre cette infraction, qu'il convient de transposer en droit interne.
Les précisions de nature à assurer la sécurité juridique des opérations peuvent être appréciées au regard de l'arrêt de la Cour de cassation, rendu le 15 janvier 2003, sur l'arraisonnement du Winner.
Le Winner, navire battant pavillon cambodgien - le Cambodge étant un Etat non partie à la Convention de Vienne - a été arraisonné par un bâtiment de la marine nationale au mois de juin 2002, après que le Cambodge eut donné son accord à cette intervention.
Prenant appui sur la convention de Montego Bay de 1982 sur le droit de la mer, la Cour de cassation a validé cette opération, faisant primer l'accord de l'Etat du pavillon.
Le présent projet de loi, en supprimant toute référence à la convention de Vienne, élargit les possibilités d'intervention à tout navire dont l'Etat du pavillon aurait sollicité ou agréé l'intervention des autorités françaises.
Il précise également que, pendant la durée du transit nécessaire aux opérations de déroutement, les agents de l'Etat dûment habilités peuvent prendre les mesures de coercition nécessaires et adaptées en vue d'assurer la préservation du navire et de sa cargaison, ainsi que la sécurité des personnes se trouvant à bord.
Dans un deuxième temps, le projet de loi tire les conséquences en droit interne des possibilités nouvelles ouvertes par le droit international. Ces possibilités sont de deux ordres.
Tout d'abord, en vertu d'accords régionaux pris sur la base de la convention de Vienne, des Etats peuvent s'entendre sur la possibilité pour des navires d'autres Etats d'intervenir dans leurs eaux territoriales pour réprimer le trafic de stupéfiants.
L'accord signé à San José, le 10 avril 2003, entre les pays continentaux ou insulaires de la Caraïbe est, pour le moment, le seul exemple. Il prévoit la possibilité pour les Etats de donner leur accord a priori pour l'intervention des autres parties sur un navire battant leur pavillon ou dans leurs eaux territoriales. Dans ce dernier cas, l'Etat intervenant agit sur délégation de l'Etat ayant donné son accord.
Le présent projet de loi élargit donc le champ d'intervention des autorités habilitées aux navires situés dans les espaces maritimes sous souveraineté d'un Etat étranger, en accord avec ce dernier.
Deuxième possibilité ouverte récemment par le droit international : l'intervention en haute mer sur des navires battant pavillon d'un autre Etat pour lutter contre le trafic de migrants. Cette possibilité fait l'objet de l'insertion dans le texte d'un titre spécifique et reprend, s'agissant de la lutte contre le trafic de migrants, des dispositions similaires à celles qui sont en vigueur pour la lutte contre le trafic de stupéfiants.
Le champ d'application est identique : il couvre les navires battant pavillon d'un Etat qui a sollicité l'intervention de la France ou agréé sa demande d'intervention, ainsi que les navires n'arborant aucun pavillon ou sans nationalité. Le présent texte habilite les personnels chargés de la surveillance en mer à prendre les mesures de contrôle et de coercition prévues par la loi. Le commandant peut également faire procéder à la saisie des objets ou des documents liés aux infractions et ordonner le déroutement d'un navire. Tout comme pour le trafic de stupéfiants, le projet de loi établit la compétence des juridictions françaises lorsque des accords internationaux le prévoient ou avec l'accord de l'Etat du pavillon.
Ce texte s'applique en métropole, mais aussi à Mayotte, dans les îles Wallis et Futuna, en Polynésie française, en Nouvelle-Calédonie et dans les Terres australes et antarctiques françaises. Cette précision est utile dans la mesure où les infractions commises en mer concernent tout particulièrement ces territoires.
L'Assemblée nationale n'a que peu modifié ce texte, essentiellement par des amendements rédactionnels. Elle a ainsi tenu compte de la codification, intervenue récemment, du titre Ier`de la loi du 15 juillet 1994 au titre II du Livre V du code de la défense. Elle a apporté certaines précisions de nature à sécuriser la procédure en prévoyant, par exemple, que l'absence de remise d'une copie du procès-verbal à la personne intéressée en matière de trafic de migrants n'entache pas pour autant la procédure de nullité. Cette précision est rendue nécessaire par la difficulté d'identification des passeurs en matière de trafic de migrants.
Elle a également adopté deux amendements de fond, prévoyant la possibilité pour le procureur de la République d'ordonner, dans les collectivités d'outre-mer, la destruction des embarcations dépourvues de pavillon ayant servi à commettre les deux types d'infractions visés par loi, le trafic de stupéfiants et le trafic de migrants. Cette mesure de destruction, dont l'effet est très dissuasif, est mise en oeuvre depuis quelque temps en Guyane pour l'orpaillage clandestin. Cette procédure, strictement encadrée puisque placée sous le contrôle du procureur, ne sera donc pas systématique.
Le présent projet de loi conforte et complète de façon opportune le dispositif existant en opérant les transpositions nécessaires du droit international. Il vient à l'appui du mouvement engagé depuis plusieurs années d'une protection renforcée de nos approches maritimes, de plus en plus soumises à des risques et menaces d'ordre écologique, économique ou sécuritaire.
La commission des affaires étrangères a souscrit à cet objectif en émettant un avis favorable sur le projet de loi, assorti des amendements adoptés par l'Assemblée nationale.
Je bornerai donc mon propos à trois remarques.
La première, c'est que l'exercice par I'Etat de la police concerne bien sûr la marine nationale au premier chef, en raison de sa capacité d'intervention en haute mer et de son action spécifique de sauvegarde maritime. La codification de la loi de 1994 dans le code de la défense ne doit cependant pas faire passer au second plan le caractère nécessairement interministériel du dispositif de protection de nos approches maritimes, lequel implique le ministère des transports, mais aussi celui de l'économie, des finances et de l'industrie, ministère de tutelle de la douane. Il s'agit d'un modèle de coopération entre administrations qui doit être conforté et dont la communauté d'objectifs est à souligner.
Ma deuxième remarque, c'est que la dimension internationale des trafics appelle une coopération renforcée, notamment à l'échelle européenne, mais aussi avec nos partenaires de la rive sud de la Méditerranée. Nos partenaires européens n'ont certes pas tous une façade maritime, mais ils sont exposés aux conséquences des trafics par voie de mer. Or la coopération douanière et policière reste insuffisante et peu structurée. Nous devons donc constituer un réseau de coopération plus dense et plus efficace.
Le projet de loi de ratification de l'accord de San José, déposé à l'Assemblée nationale à l'automne dernier, devrait être transmis prochainement au Sénat afin de rendre effective et plus efficace la coopération esquissée dans la Caraïbe en matière de lutte contre les stupéfiants. Il constitue un véritable modèle.
Enfin, dans ma troisième remarque, je mettrai l'accent sur l'importance du renseignement maritime. Sans information sur les navires et leur cargaison, les dispositions que nous adoptons aujourd'hui risquent de rester vaines. Là encore, un vaste espace reste ouvert pour une coopération accrue entre nos administrations et avec nos partenaires européens pour faire face à des menaces communes.
Marquant son accord avec les objectifs du présent projet de loi et leur formulation, ainsi qu'avec les modifications apportées par l'Assemblée nationale, dont l'examen a du être à plusieurs reprises repoussé, votre commission vous propose, mes chers collègues, d'adopter ce texte sans modification.