Intervention de Pierre-Yvon Trémel

Réunion du 14 avril 2005 à 15h00
Pouvoirs de police en mer — Adoption définitive d'un projet de loi

Photo de Pierre-Yvon TrémelPierre-Yvon Trémel :

Le projet de loi qui nous est soumis constitue une mise à jour de notre arsenal juridique en matière d'action maritime. Le droit de la mer doit évoluer pour faire face aux risques nouveaux et aux nouvelles modalités des risques traditionnels.

« La mer, la mer, toujours recommencée », écrivait déjà fort justement Paul Valéry...

Ce projet de loi vise à modifier la loi du 15 juillet 1994. Il s'agit, pour l'essentiel, d'adapter notre législation aux différentes modifications intervenues dans le droit international de la mer et, comme l'a relevé notre rapporteur, de permettre à notre pays de déroger, dans certains cas, à la règle du pavillon prévalant dans les espaces ne relevant pas de sa juridiction.

Ces dernières années, nous avons constaté une augmentation du nombre des trafics illicites en mer et nous savons que le narcotrafic, la piraterie, la traite d'esclaves, le transport illicite de migrants, le terrorisme, peuvent avoir dans cet espace gigantesque la possibilité de se développer. Cela vient s'ajouter aux risques dits « traditionnels » des activités maritimes avec les accidents de mer, la pollution notamment.

Je tiens à vous remercier, madame la ministre, de nous avoir fait parvenir un document intéressant, intitulé « Sauvegarde maritime, une dimension de sécurité renouvelée ». Nous y trouvons en effet de très utiles informations sur l'évolution des trafics illicites en mer.

L'exigence de sécurité à l'égard des risques provenant de la mer ne cesse de croître. La France a la particularité de posséder un espace maritime très vaste, sur plusieurs océans. En effet, l'espace maritime français s'étend sur près de onze millions de kilomètres carrés. Notre devoir de vigilance, à la hauteur de cette présence mondiale, est donc considérable.

En conséquence, il s'agit de doter la France d'un cadre juridique rénové pour lutter efficacement contre les trafics illicites dans l'espace maritime. Cette oeuvre législative est nécessaire, et nous la soutenons. Elle doit se réaliser en étroite concertation avec les membres de l'Union européenne et dans un esprit de coopération avec les pays riverains de la Caraïbe, du Pacifique, de la Méditerranée, de l'Atlantique ou de l'océan Indien.

Dans notre pays, le fondement juridique de l'intervention des services de l'Etat et de la marine nationale est la loi du 15 juillet 1994 relative aux modalités de l'exercice par l'Etat de ses pouvoirs de contrôle en mer.

On l'a rappelé, ce texte a mis en place des procédures de contrôle et de coercition à l'encontre de navires étrangers, procédures que le droit international rend possibles, y compris en haute mer, dans des cas tels que la piraterie, le transport d'esclaves ou les émissions radiophoniques non autorisées.

A la suite de l'adoption de la convention de Vienne, il a été complété par des mécanismes d'entraide internationale à l'encontre de trafics illicites de stupéfiants en mer. Tel a été l'objet de la loi du 13 mai 1996.

Aujourd'hui, il apparaît nécessaire d'aller plus loin et de renforcer les moyens juridiques et opérationnels. Ce projet de loi vise donc à doter la France d'un cadre juridique adapté permettant à ses moyens hauturiers ou côtiers - la marine nationale, la gendarmerie, les affaires maritimes, les douanes - de lutter plus efficacement contre les trafics illicites dans l'espace maritime.

Soyons clairs : les évolutions du droit international qui sont abordées dans ce texte visent concrètement à ouvrir aux Etats de nouvelles possibilités d'intervention dans les espaces maritimes ne relevant pas de leur souveraineté.

Nous constatons que le texte qui nous est proposé recueille un accord politique assez large. Cette adaptation des outils juridiques qui encadrent les actions de la marine devrait rendre plus efficace la lutte que mène l'Etat français contre les activités illicites commises en mer.

Je souhaite donc, à l'occasion de l'examen de ce projet de loi, vous interroger, madame la ministre, sur des questions importantes que soulève incontestablement son application.

Je formulerai trois remarques, accompagnées de trois interrogations.

La première remarque a trait à la sauvegarde maritime et aux moyens qui lui sont consacrés.

Compte tenu des nouveaux risques apparus ces dernières années, l'action de l'Etat en mer s'exerce dans un cadre de coordination renforcée, formalisée par le décret du 6 février 2004 relatif à l'organisation de l'action de l'Etat en mer.

La protection des approches maritimes est une oeuvre collective : le dispositif est, par nature, interministériel et la marine nationale en est le pivot central. Au sein de ce dispositif, les pouvoirs de coordination des préfets ont été renforcés.

La marine nationale remplit une mission de sauvegarde, qui vise à la fois à assurer la protection des approches maritimes du territoire national, à exercer la pleine souveraineté dans les eaux territoriales et à maîtriser les risques liés aux activités maritimes.

Les activités de service public de la marine nationale concernent environ 2 000 marins, et ses moyens sont conséquents : 70 bâtiments, qui vont des frégates aux vedettes légères utilisées par les douanes ou la gendarmerie maritime en passant par les patrouilleurs, ainsi qu'une trentaine d'avions et d'hélicoptères. Ces fonctions constituent aujourd'hui plus d'un quart de l'activité de la marine nationale.

Madame la ministre, compte tenu des incertitudes qui pèsent sur l'exécution de la loi de finances de 2005 et sur la loi de programmation militaire en cours - incertitudes relevées notamment dans le rapport de notre collègue député Guy Teissier -, vous sera-t-il possible de tenir tous les engagements budgétaires nécessaires pour que la marine nationale puisse affronter la perspective d'un accroissement prévisible du nombre de ses activités de service public ?

Ma deuxième remarque a trait à l'évolution du droit international de la mer et à l'action de la France en la matière.

La convention des Nations unies sur le droit de la mer, dite convention de Montego Bay, constitue la pierre angulaire sur laquelle repose la législation actuelle.

Des évolutions sont bien sûr possibles - certaines ont d'ailleurs déjà eu lieu -, et le texte présenté par le Gouvernement aujourd'hui en est la preuve.

Certains Etats souhaitent une plus grande régulation et un plus grand contrôle des activités maritimes, allant même jusqu'à proposer un droit d'intervention direct non seulement en haute mer, mais également dans les eaux territoriales étrangères.

L'existence d'Etats défaillants ou incapables de faire respecter le droit dans leurs mers territoriales peut créer des situations de risque ou favoriser l'action de « voyous de la mer ». Faut-il alors élargir le droit d'intervention ?

N'oublions pas non plus que certains pays, tels les Etats-Unis par exemple, étendent déjà leurs contrôles en mer au-delà de leurs eaux territoriales.

En conséquence, quelle est la position de la France en la matière, madame la ministre ? Quelles sont vos propositions en matière de réforme du droit international de la mer ? Des négociations en ce sens existent-elles déjà au sein de l'Union européenne ?

Ma troisième remarque concerne un service qui exerce des missions spécifiques en mer : la douane ; les orateurs qui m'ont précédé en ont déjà parlé.

Nous savons que les douanes jouent un rôle important dans le cadre des actions maritimes conduites par l'Etat, en particulier dans le domaine du renseignement et du travail de recherche en amont, lequel permet de démanteler des réseaux ou d'empêcher des trafics.

Les actions de traque du narcotrafic dans les Caraïbes, mais aussi en Méditerranée ou ailleurs, imposent à la marine nationale une coopération avec les douanes et la police ainsi qu'une coopération internationale poussée. Le service garde-côtes des douanes est un acteur majeur de l'action du service public en mer.

Par ailleurs, les douanes participent également aux missions de sécurité intérieure et de protection de l'environnement en contrôlant et en observant les flux transfrontaliers de personnes, de marchandises, de capitaux.

Or les douanes, dont les compétences et les missions seront accrues avec ce projet de loi, sont actuellement victimes d'une réforme qui tend à planifier une forte diminution de leurs moyens.

Dans cette restructuration en cours est d'abord prévue une réforme du dispositif de renseignement de la douane, c'est-à-dire la suppression de la Direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières, chargée du démantèlement des grands réseaux de trafics illicites, ainsi que la disparition dans plusieurs régions, notamment dans celles qui sont situées sur la côte Atlantique ou encore dans la Manche - j'en parle en connaissance de cause - des brigades régionales de recherches.

Cette diminution des moyens portera atteinte au service public de surveillance aéromaritime assuré par la douane française pour la protection et la sauvegarde du territoire français et européen.

Enfin, troisième et dernière question, madame la ministre, la réforme de la douane envisagée par le Gouvernement va-t-elle permettre aux services douaniers d'exercer toutes leurs missions de lutte contre tous les trafics, notamment économiques et fiscaux, sur mer ?

J'en arrive à ma conclusion. Nous savons que, dans le domaine de l'action en mer, les domaines à couvrir sont nombreux : les pêches et la protection de nos ressources halieutiques, l'assistance aux marins en péril, la lutte contre le narcotrafic, contre l'immigration clandestine et contre le trafic des êtres humains, mais aussi la prévention en matière de terrorisme et, sur un autre plan, la protection face à l'accroissement des risques liés au transport maritime de matières dangereuses.

Ainsi, la surveillance du trafic en mer, depuis la terre comme à partir des airs, requiert la mise en oeuvre constante de moyens considérables. Le dispositif de sécurité aux frontières maritimes de l'Union européenne exige une meilleure coordination de nos politiques et une mutualisation de nos moyens.

Nous ne pouvons plus envisager d'assurer la sécurité aux frontières de manière isolée et strictement nationale. Dès maintenant, pour faire face à des besoins croissants en matière de sécurité maritime, il faut continuer à rechercher des solutions européennes.

Merci, madame la ministre, de continuer, pour votre part, à travailler dans ce sens.

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