Intervention de Jack Ralite

Réunion du 4 novembre 2004 à 15h00
Cohésion sociale — Article 53

Photo de Jack RaliteJack Ralite :

L'échange de vues que nous avons eu avec M. le ministre m'a semblé très intéressant, ce qui montre qu'il est possible, lorsqu'on se place sur un terrain de vérité, en l'approfondissant, de parvenir à de bonnes décisions.

Puisque tel est le cas, je souhaiterais vous faire part d'une réflexion que m'a inspiré un article paru dans Le Monde de ce week-end. Ce journal se faisait l'écho d'une décision de justice touchant au saturnisme.

Sans qu'il soit question de commenter cette décision en elle-même, je pense que les aspects évoqués par le journaliste ne sont en rien étrangers au débat sur la « cohésion sociale » qui nous anime depuis quelques jours.

Il semblerait - je résume - que soit évoquée une violation délibérée d'une obligation de sécurité ; il semblerait également que l'insuffisance des capacités du parc HLM ait été considérée par le juge comme sans effet sur la notion d'infraction ; il semblerait enfin, permettez-moi de dire « surtout », que l'indemnisation des enfants soit désormais conditionnée à une expertise témoignant d'une incapacité et de lésions irréversibles. Attendons de connaître les considérants détaillés du jugement et les conclusions des experts.

Mais il me semble que ce jugement interpelle directement le politique, et signe plusieurs de ses échecs.

Le premier de ces échecs est lié à l'intervention en elle-même du judiciaire dans le champ du saturnisme : si l'on veut bien se rappeler que le saturnisme est une pathologie dont l'effet est difficilement perceptible à l'échelle de l'individu mais l'est de façon très nette à l'échelle de la collectivité, en l'occurrence de la génération d'enfants, on admettra sans peine qu'il s'agit d'une pathologie dont la gestion et la prévention relèvent éminemment du politique.

Le glissement vers le terrain judiciaire, par essence celui du rapport de l'individu au droit - et non celui de l'homme à ses droits -, traduit malheureusement l'incapacité des pouvoirs politiques à agir dans l'intérêt commun d'une façon suffisamment énergique, efficace et convaincante. C'est aussi parce que l'intérêt commun, c'est-à-dire la défense de tous, aura été insuffisamment porté par ceux ayant à en connaître, c'est-à-dire les politiques, que le débat s'est déplacé sur le terrain de la défense de chacun, c'est-à-dire sur le terrain du judiciaire.

Et je crains que ce déplacement ne se traduise par un effet boomerang sévère. Désormais, si j'en crois l'exégète de l'arrêt de la cour d'appel de Paris, il conviendra, pour que le droit « judiciaire » de l'enfant soit reconnu - à travers une indemnisation, certes, mais enfin reconnu -, que les lésions soient irrémédiables, qu'elles entraînent une incapacité. Si le droit de l'enfant n'est pas réaffirmé dans une démarche collective et préventive, s'il reste cantonné à la réponse judiciaire, autrement dit si le politique ne s'en « réempare » pas, nous allons acter les conditions d'une primauté conceptuelle donnée à l'irrémédiable sur le préventif, à l'indemnisation sur l'action, et ce sera notre deuxième échec.

Nous sommes loin de la « cohésion sociale », direz-vous. Certes non : à Aubervilliers - je vous l'ai rappelé tout au long de ces dernières années - la lutte contre le saturnisme a été une obsession de la municipalité, sous ma direction, puis sous celle du nouveau maire Pascal Beaudet. Nous avons appliqué tous les textes de loi, jusqu'au moindre interstice, pour réaliser les travaux d'office prévus par la loi de 1998, pour mobiliser les bailleurs sociaux et pour soutenir les équipes qui font preuve de vigilance chaque jour.

Nous continuerons de le faire pour les nouveaux textes qui ont été adoptés cet été. J'ai déjà eu l'occasion de vous donner quelques chiffres : en dix ans, on a constaté une baisse des deux tiers des intoxications et un nombre toujours plus élevé de travaux de réduction des expositions.

Et pourtant, cet engagement se heurte à des murs, et le plus important de ces murs, c'est la quasi-absence de solidarité entre les territoires qui agissent contre le saturnisme, et plus généralement l'insalubrité, et ceux qui sont à l'abri de ces fléaux.

Dans l'article 53 du projet de loi, vous proposez d'améliorer par ordonnances les dispositifs législatifs en matière de lutte contre l'insalubrité. C'est indispensable, et nous entendons contribuer à la rédaction de cet article. Mais l'acte politique majeur serait ailleurs : il serait dans l'obligation pour tous les territoires de construire, vite, des logements sociaux de grande taille, accessibles aux familles les plus pauvres ; il serait dans l'obligation pour les territoires qui ne sont pas confrontés à ce fléau de l'insalubrité d'instaurer une vraie solidarité envers les populations des zones qui en souffrent ; il serait dans des mesures plus générales d'accès aux droits - droit au travail, aux papiers ; je pense même au droit opposable en matière de logement, que le Haut comité pour le logement des personnes favorisées, auquel j'appartiens, prône sans cesse depuis plus d'un an -, mesures sans lesquelles les familles sont enfermées dans le ghetto des logements indignes.

Ces arguments ne sont pas étrangers à l'échange que nous venons d'avoir, mais il faut vraiment marquer cet échange de cette pensée. J'ai été maire d'Aubervilliers pendant dix-neuf ans et je savais que, chaque matin, je serais une cousette et que, chaque soir, une paire de ciseaux viendrait couper le fil.

Par conséquent, tout ce qui peut apporter une amélioration au quotidien - on parle de « pragmatisme » ; je n'aime pas ce mot, car il est hautement théorique de s'occuper fondamentalement de ces questions - est opportun. C'est pourquoi le groupe CRC votera l'article 53.

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