Au cours du « rallye parlementaire », nous avons pu déceler, au sein de la majorité, trois équipages avec trois commandants s'engageant sur des routes un peu différentes : l'équipage « de Richemont », c'est la route empruntée par le Sénat le 11 décembre 2003 ; l'équipage « Couaneau », c'est la route indiquée par la commission des affaires culturelles de l'Assemblée nationale ; enfin, l'équipage « Besselat », c'est la route prise par la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale. Au final, la majorité a emprunté une route « Besselat-Goulard », dont nous allons parler aujourd'hui.
L'adoption de cette version remaniée de la proposition de loi a, elle aussi, suscité des réactions immédiates qui marquent de manière vraiment nette que « l'équilibre » tant proclamé n'est pas au rendez-vous.
Les armateurs se sont déclarés « satisfaits ». Le RIF créé répond, disent-ils, à leurs préoccupations. Ils ont désormais obtenu un certain nombre d'avantages fiscaux - taxe au tonnage, GIE fiscaux, exonérations de charges, légalisation du recours aux sociétés d'entreprise de travail maritime -, et cela avec un minimum de contreparties concernant l'emploi de marins français.
Les syndicats, eux, expriment déception et colère et sont unanimes pour rejeter le dispositif adopté. Là encore, certaines prises de position, dont je citerai quelques extraits, permettent de bien mesurer l'ampleur de leur refus du texte : « Ce texte est très mauvais pour les marins français. C'est Bolkenstein en mer. Il y aura des navires à deux vitesses. » ; « Le texte voté est une catastrophe. » ; « Les députés adoptent le RIFkestein, mauvais coup porté au droit du travail et à l'emploi des marins français. »
La mission Scemama a donc abouti à un échec, et nous revoilà à la case départ.
Je souhaite aborder trois points qui motivent notre rejet ferme du texte : les conditions de nationalité des navigants, l'obligation de formation incombant aux armateurs, les entreprises de travail maritime.
Le fameux article 4, monsieur le secrétaire d'Etat, dans sa rédaction actuelle, fixe un quota d'embauche de 25 % de marins communautaires pour les navires immatriculés au RIF, quota qui est porté à 35 % pour les navires bénéficiant du dispositif d'aide fiscale à l'investissement, appelé GIE fiscal. La définition de l'équipage retenue pour l'application de cette contrainte d'embauche est celle de la fiche d'effectifs établie par l'administration des affaires maritimes et non celle de l'effectif réel présent à bord.
Nous avons là deux points de désaccord : d'une part, ces deux quotas de 25 % et 35 % et, d'autre part, le critère, puisque nous défendons le critère de l'effectif réellement embarqué. L'introduction de cette règle minimale de 35 % de marins français communautaires sur l'effectif réellement embarqué aurait pu amener l'équilibre dont nous parlons.
La deuxième divergence entre nous porte sur l'article 5, qui concerne les formations.
La rédaction retenue par le Sénat avait créé beaucoup d'inquiétude chez les élèves et les enseignants de nos quatre écoles nationales de marine marchande. La situation est déjà très préoccupante, vous l'avez rappelé, monsieur le rapporteur, comme vous le faites d'ailleurs chaque année, à l'occasion de la présentation de votre rapport sur le budget de la mer.
Deux questions méritent d'être posées à propos de cet article 5.
Tout d'abord, comment ne pas relever l'incohérence existant entre les articles 4 et 5 de la proposition de loi ? Il y aura, qu'on le veuille ou non, moins de marins français à bord des navires français, donc encore moins d'attractivité pour nos écoles nationales de marine marchande.
Par ailleurs, quid de la formation, pourtant tellement nécessaire, de tous les autres personnels - l'école de maistrance, les activités de service général... - et, bien sûr, de la formation des marins employés par les sociétés de transport maritime ?
L'article 7 - c'est notre troisième divergence - vient légaliser et officialiser le recours aux entreprises de travail maritime, dites sociétés de manning. Ici, on peut toujours dire : que n'avez-vous agi ? Nous marquons sur ce point une différence de position qui est aussi très claire.
Et l'on aura beau nous opposer le réalisme économique, la constitution d'un socle minimal applicable à tous les marins, faisant du RIF l'un des pavillons les plus protecteurs d'Europe, il n'en reste pas moins vrai que le contenu du titre II de ce texte, en l'état actuel, est vraiment discriminatoire : discriminations selon le lieu de résidence - en fait, selon la nationalité ; discrimination entre les navigants et les autres personnels ; discrimination entre marins français et marins communautaires - à un moment, il faudra bien évoquer le principe du pays d'origine ; enfin, discrimination fondée sur la légalisation d'une pratique qui prive le marin de tout lien contractuel direct avec son armateur.
Avec le RIF, la France va prendre ouvertement le chemin du dumping social, ce qui entraînera des conséquences inacceptables que nous entendons dénoncer. Toutes les déclarations d'intention qui seront faites en faveur d'une amélioration de la sécurité vont être sérieusement sujettes à caution.
Le RIF ouvre aussi des brèches dans le droit social français et international. Il constitue un dangereux précédent parce qu'il est aussi un modèle pour des activités de plus en plus nombreuses, soumises à la concurrence internationale, et qui sont déjà tentées, nous le voyons chaque semaine, par des pratiques condamnables et qui n'attendent que des textes comme celui-ci pour obtenir que ces pratiques ne le soient plus : après le marin philippin, le fameux plombier polonais !