« Non au pavillon de complaisance, non aux voyous des mers », c'est ainsi que plusieurs centaines de marins et d'officiers de la marine marchande exprimaient leur colère lors de récentes manifestations contre le RIF, et tout à l'heure encore devant les grilles du Sénat.
Sous prétexte de développer la marine française, on taille sur mesure un texte pour les armateurs de fret. Cette proposition de loi vise à répondre à la concurrence mondiale par l'alignement des salaires sur les plus faibles, par l'alignement des garanties sociales sur les minima de l'Organisation internationale du travail, l'OIT.
Certes, les marins français ne seraient pas concernés par ces dispositions, mais peut-on accepter que, sur un même navire, français qui plus est, deux droits du travail s'appliquent, plaçant les marins étrangers dans une situation de sous- rémunération ?
La proposition de loi s'inscrit dans une logique de régression sociale que nous n'admettons pas. Une telle vision, réduite au seul équilibre économique, privilégiant le seul profit financier, est dangereuse pour la sécurité en mer.
Comme on peut le penser, les nouvelles mesures permettront peut-être - je l'espère - un rapatriement de bateaux exploités sous des pavillons de complaisance, mais quid des marins ? Peut-on miser sur le fait que, sans obligations juridiques, les armateurs embarquent naturellement des marins français ou communautaires, qui leur reviennent plus cher ?
Sans revenir sur l'intégralité de l'article 4, je rappellerai la proportion minimale de 35 % calculée sur la fiche d'effectif. C'est là que le bât blesse. Pour nous, cette disposition est inacceptable, car nous savons fort bien que la fiche ne correspond pas à l'effectif réel embarqué ; nous nous en sommes assurés tout à l'heure auprès des syndicalistes que nous avons reçus. Par exemple, sur un porte-conteneurs, si la fiche d'effectif est de quinze marins, l'effectif réellement embarqué est de vingt-quatre, chiffre absolument nécessaire, nous ont-ils dit, pour que le navire fonctionne parfaitement.
Prévoir une obligation de nationalité seulement pour le capitaine et son suppléant est insuffisant pour assurer le renouvellement des capitaines et officiers suppléants. Cela rendra donc impossible le maintien, en France, d'une filière de formation maritime. Cette loi organise son assèchement en la rendant peu attractive par le rétrécissement de l'offre d'emplois qu'elle provoque. Au-delà, il s'agit d'une grave atteinte à la sécurité que seule une bonne formation peut assurer.
Autre régression, ce texte, cela a été dit tout à l'heure, institutionnalise le recours aux sociétés de manning. Ne nous trompons pas sur ce que cache ce terme : il s'agit bien de sociétés de marchands d'hommes. Même si leur existence n'est pas autorisée en France, les armateurs peuvent recourir à une entreprise de travail maritime qui, comme l'a rappelé Marylise Lebranchu à l'Assemblée nationale, a recours à des enchères dégressives.
On nous dit que ces sociétés devront être agréées par les autorités de l'Etat où elles sont établies. Soit. Mais comment s'assure-t-on contre les pays complaisants qui, eux, s'accommodent d'un droit du travail misérable, de rémunérations des marins et de conditions de travail désastreuses ?
Alors même que M. le Président de la République dénonce haut et fort les « armateurs voyous » et les « navires poubelles », la majorité parlementaire instituerait un texte qui ne propose à la marine marchande française - et c'est un comble ! - qu'une dérive bien dangereuse
Au final, cette proposition de loi donne satisfaction aux armateurs, mais laisse les marins amers. On assiste là à un véritable naufrage du droit social, au nom des intérêts économiques de quelques-uns.