Intervention de Monique Cerisier-ben Guiga

Réunion du 12 octobre 2004 à 16h00
Contrat de volontariat de solidarité internationale — Adoption d'un projet de loi en deuxième lecture

Photo de Monique Cerisier-ben GuigaMonique Cerisier-ben Guiga :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la voix féminine qui s'élève maintenant va apporter une note un peu dissonante au concert consensuel que nous venons d'entendre.

En effet, de quoi s'agit-il ici, sinon d'un contrat, c'est-à-dire un échange de droits et de devoirs réciproques entre les associations de solidarité internationale, d'une part, et les volontaires, de l'autre ?

Il était donc entendu que ce texte visait à conforter à la fois les associations et les volontaires. Or, à l'issue de la première lecture au Sénat, nous avons constaté que la balance penchait en faveur des associations au détriment des volontaires. Encore qu'il faille relativiser car, de toute manière, et c'est l'une des deux raisons essentielles de l'abstention du groupe socialiste en première lecture, le projet de loi ne définissait pas l'engagement financier de l'Etat. Force est de constater que le texte issu des travaux de l'Assemblée nationale ne le définit pas davantage.

Je rappelle que cela fait peser des risques de saupoudrage de crédits sur certaines associations. De surcroît, ces fonds ne vont pas croître parce que ce qui est donné d'une main dans le projet de budget pour 2005 est retiré de l'autre.

Nous savons bien que les associations aux actions peu médiatiques qui ne se financent pas par des campagnes de levées de fonds privés sont très dépendantes des crédits publics pour remplir leurs devoirs envers leurs volontaires et pour mener à bien toutes leurs missions.

Nous continuons aujourd'hui à soutenir que, sans engagement financier de l'Etat, ce projet de loi restera lettre morte. Certaines associations seront même fragilisées et ne pourront pas tenir leurs engagements contractuels vis-à-vis des volontaires.

La seconde raison pour laquelle les membres du groupe socialiste sont réticents est que ce texte ne garantit pas suffisamment les droits des volontaires. Nous considérons que, au nom de l'équilibre des droits et des devoirs, il est nécessaire de préciser les devoirs des associations envers les volontaires, en particulier en matière de préparation à la mission, de suivi et d'aide à la réinsertion professionnelle en France. Les associations puissantes, celles dont on entend le plus la voix, agissent beaucoup en la matière, mais les associations « confidentielles » et à faible financement ne peuvent assumer les mêmes charges.

Tel qu'il nous revient de l'Assemblée nationale, le projet de loi présente donc l'inconvénient de ne plus garantir une protection sociale convenable aux volontaires.

J'ai le plaisir de constater que M. le ministre s'en est remis à la sagesse de notre assemblée. De ce fait, nous allons revenir à l'amendement proposé par notre collègue Jean-Pierre Cantegrit, texte auquel je m'étais ralliée, mon groupe ayant déposé un amendement identique.

En effet, nous pensons que seule la Caisse des Français de l'étranger fournit une assurance maladie donnant toute garantie aux jeunes, car ce sont surtout eux qui sont concernées et qui sont envoyés dans des pays à risque sanitaire élevé.

En revanche, sur la question controversée de la durée des missions, l'Assemblée nationale était unanime et son rapporteur, M Godfrain, qui a tout de même quelque expérience en la matière, avait conforté notre position. Nous nous rallions très volontiers à une durée cumulée des missions, de façon continue ou non, de trois ans.

Je voudrais maintenant prendre le temps de préciser les raisons pour lesquelles nous voulons cadrer plus rigoureusement la durée du volontariat qui est, selon une formule que j'avais employée et qui a été reprise par notre rapporteur, du « bénévolat indemnisé ». En effet, il est à craindre que, si une mission dure trop longtemps, les volontaires ne soient en réel danger de précarisation professionnelle et sociale.

J'en veux pour preuve les résultats de deux enquêtes.

Dès 2002, l'enquête réalisée par le cabinet indépendant Presse Etudes montrait que les 72 % de personnes ayant répondu qui avaient cumulé plus de trois ans de missions dans les secteurs de l'urgence, de la reconstruction et du développement estimaient avoir été pénalisés dans leur projet professionnel par cette trop longue durée.

L'enquête réalisée, elle, par IPSOS pour le CLONG-volontariat et publiée en février 2004 a touché un public très différent : 95% des personnes ayant répondu avaient à leur actif moins de trois ans de missions et 80% d'entre elles avaient travaillé pour l'une des cinq grandes ONG françaises qui oeuvrent surtout dans l'aide au développement, qui sont connues et qui offrent le plus de garanties à leurs volontaires.

Or, même à l'issue de cette durée raisonnable de volontariat - moins de trois ans -, les jeunes qui étaient partis sans expérience professionnelle préalable et qui n'étaient pas fonctionnaires ont connu de réelles difficultés de réinsertion.

J'avais déjà abordé ce sujet en première lecture, mais je tiens à insister de nouveau sur ce point. Nous, sénateurs, sommes en âge d'être parents de jeunes volontaires et nous sommes à ce titre conscients de certains faits. Sans argent, sans relations, sans statut de chômeur indemnisé, comment ces jeunes d'une trentaine d'années se logeraient-ils, comment accéderaient-il à une formation qualifiante, comment feraient-ils valoir leurs acquis ?

C'est pourquoi les membres du groupe socialiste ne comprennent pas très bien comment des ONG très professionnelles et très reconnues, dont nous admirons l'action et dont nous souhaitons qu'elles la développent plus encore, peuvent affirmer n'envoyer que rarement sur le terrain des volontaires pour une durée supérieure à deux ans et, dans le même temps, demander d'une seule voix une durée totale de six ans sans même qu'il soit précisé s'il s'agit de missions cumulées ou de missions continues.

S'il s'agit de durées discontinues, je ne vois pas la nécessité de fixer une limite à six ans. Il est très bien que des professionnels salariés ou non en cours d'activité deviennent volontaires pendant dix ans s'ils le veulent en effectuant des missions discontinues. Mais que de jeunes sans expérience professionnelle préliminaire partent en tant que volontaires pour une durée continue de six ans est dangereux pour eux et sans avantage réel pour les associations.

De surcroît, il existe d'autres formules de volontariat, comme le congé de solidarité internationale ou l'engagement de jeunes retraités.

Limiter à trois ans la durée des missions de volontaires s'expatriant à l'aube de leur carrière et n'ayant souvent aucune expérience professionnelle ne semble donc pas être une demande exorbitante.

Un double rappel s'impose. D'une part, l'engagement financier de l'Etat est chronique. Depuis 1987, les crédits n'ont pas évolué. Ils augmenteront semble-t-il un peu en 2005, mais d'une façon qui n'est pas significative.

D'autre part, la durée des missions effectuées dans le cadre du volontariat est ramenée à six ans.

Nous estimons que nous nous trouvons face au risque d'une double dérive.

D'un côté, des organisations non gouvernementales et des organisations de solidarité internationale disposant de ressources financières importantes seront capables d'embaucher, en France et à l'étranger, ce dont nous nous félicitons, des personnels salariés compétents pour des missions de durée variable en ne faisant appel au volontariat que de manière marginale.

D'un autre côté, des associations moins bien dotées financièrement, faisant appel au volontariat pour des missions de moyenne et de longue durée au titre de contrats à répétition, se trouveront dans l'incapacité d'embaucher du personnel salarié qualifié en nombre suffisant.

Dans le premier cas, nous nous dirigerions, à terme, vers la disparition du volontariat dans les grandes associations les plus professionnelles. Dans le second cas, le volontaire ne serait qu'un vrai-faux salarié.

Certes, nous n'en sommes pas encore là, heureusement. Mais nous pensons que les prémices de cette évolution sont déjà visibles. Les amendements que nous avons déposés tant en première qu'en deuxième lecture visaient justement à couper court à cette dérive.

Les amendements que nous soutiendrons tout à l'heure ont pour objet de rassembler les associations et les volontaires dans un progrès commun afin non seulement de garantir la part de financement public qui consolidera les ONG et qui leur permettra de remplir leur mission tout en respectant leurs engagements vis-à-vis des volontaires, mais aussi de prêter assistance au volontaire pendant sa mission.

Finalement, nous soutiendrons l'amendement de la commission relatif à l'assurance maladie du volontaire, protection que nous souhaitons la plus complète possible.

Avant de conclure, je veux formuler une dernière remarque. Nous avons en effet l'impression que, dans l'élaboration de ce projet de loi, un aspect fondamental a été purement et simplement omis, je veux dire la nécessaire dimension européenne de la solidarité internationale et du volontariat.

Comme si nous étions seuls au monde ; comme si la solidarité internationale ne passait pas, et de plus en plus, par des actions de l'Union européenne, comme en témoigne la contribution croissante de la France au Fonds européen de développement, le FED ; comme si aussi la question du volontariat était une affaire franco-française qui ne concernait pas les autres membres de l'Union !

De même, on oublie complètement dans ce projet de loi que les organisations de solidarité internationale actives en France sont d'ores et déjà des multinationales européennes de la solidarité.

Bien entendu, nous sommes réunis dans cet hémicycle pour élaborer la loi française. Mais est-il encore possible, dans le domaine qui nous occupe, de négliger l'Europe, de ne pas voir quels pourraient être les liens entre notre conception du volontariat et celle qui, petit à petit, se fait jour au sein de l'Union européenne ? A titre d'exemple, quelle relation s'instaurera entre le volontariat à la française et le service européen volontaire créé par la décision du 20 juillet 1998 par le Conseil et le Parlement européens et géré par la Commission ?

Nous gardons encore l'espoir d'être entendus, d'être compris et de pouvoir voter un texte qui, tout imparfait qu'il soit, représenterait le progrès attendu par tous les partenaires de la solidarité internationale, associations et volontaires.

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