Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, il s’agit de la première proposition de résolution soumise au Sénat sur le fondement de la nouvelle procédure constitutionnelle.
Elle porte sur les finances locales, ce qui est symbolique, mes chers collègues, de la détermination du Sénat, et plus particulièrement des deux groupes qui sont à l’origine de ce texte, à exercer sa mission constitutionnelle de représentant des collectivités territoriales.
Le sujet s’y prête : transformer la taxe professionnelle en contribution économique territoriale est un pari risqué, et il faut faire en sorte de sortir avec succès du processus dans lequel les acteurs de la réforme sont entrés depuis le 1er janvier 2010.
Tout d’abord, il est vrai, mes chers collègues, que l’article 76 de la loi de finances pour 2010 n’est pas respecté à la lettre. Si tel avait été le cas, nous ne serions pas en train de débattre d’une proposition de résolution, mais d’un texte législatif susceptible d’être promulgué avant le 31 juillet.
En effet, selon cet article, « la loi précise et adapte le dispositif de répartition des ressources des collectivités territoriales et des établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre. Elle met en place des mécanismes de péréquation fondés sur les écarts de potentiel financier et de charges entre les collectivités territoriales ».
Rappelons-nous, mes chers collègues, que cet article a été voulu par le Sénat, et qu’il a été déterminant pour finaliser la réforme de la taxe professionnelle.
Cette réforme, vous vous en souvenez, madame la ministre, n’a pas été un long fleuve tranquille, et le processus est loin d’être terminé.
Le principe d’une mise en œuvre de la contribution économique territoriale, jalonnée de rendez-vous réguliers, nous semble plus que jamais pertinent.
En effet, les conséquences de la suppression de la part « équipements et bien mobiliers » de la taxe professionnelle vont bien au-delà de celles de la suppression de la part « salaires » en 1999. Il s’agit cette fois d’une réforme qui a un impact sur l’ensemble du système de financement des collectivités territoriales : le rendement des impôts, le fonctionnement des fonds de péréquation, les modalités de répartition des dotations.
Il est donc logique que les élus soient préoccupés, ou à tout le moins attentifs. Il est tout aussi compréhensible que nous entendions leurs inquiétudes et que nous puissions les relayer au sein de la Haute Assemblée.
Le dispositif mis en place par la réforme se situe dans la longue tradition de complexité des finances locales, avec des subtilités accessibles aux seuls initiés. Les conditions de l’intéressement des collectivités territoriales à l’implantation des entreprises, claires sous l’ancien régime, ne nous semblent à ce stade que théoriques dans le nouveau.
Le Sénat s’est préparé à ce rendez-vous de juillet, madame la ministre, la commission des finances ayant pour sa part organisé plusieurs tables rondes et ateliers de travail sur les différents aspects de la réforme, auxquels vous avez bien voulu apporter votre concours.
Le Gouvernement a été lui-même invité à se préparer à ce rendez-vous de juillet : l’article 76 de la loi de finances lui prescrivait de remettre un rapport avant le 1er juin. Le Gouvernement a missionné l’Inspection générale des finances et l’Inspection générale de l’administration et a fait sien le rapport préparé par ces deux corps d’inspection. Quant aux simulations répondant aux demandes formulées par la commission des finances du Sénat, il y a effectivement été répondu tout dernièrement : les chiffres ont été communiqués hier, dimanche 27 juin, et je vous avoue qu’ils n’ont pu être totalement exploités.
Les signataires de la proposition de résolution souhaitent principalement que le Gouvernement puisse nous présenter le « chemin critique », c’est-à-dire la trajectoire de la réforme. Depuis plusieurs mois déjà, la commission des finances a la conviction que l’on prendrait un risque inutile en légiférant trop tôt, ce qui ressort notamment du communiqué de presse qu’elle a diffusé dès le 31 mars dernier.
Une nouvelle loi, conçue à partir de simulations guère plus fiables que celles qui ont été utilisées durant l’examen du projet de loi de finances pour 2010, ne pourrait qu’alimenter une confusion supplémentaire.
En revanche, s’il est bien une annonce à ne plus repousser, c’est celle de la trajectoire de la réforme.
Ce que nous attendons aujourd’hui de vous, madame la ministre, et ce que la proposition de résolution invite le Gouvernement à présenter, c’est donc l’annonce détaillée des dates auxquelles les différentes données seront connues et, en conséquence, le calendrier des modifications législatives.
Nous le savons bien, mes chers collègues : la loi de finances pour 2011 sera le premier rendez-vous législatif intermédiaire. Mais que va-t-il contenir ? Que sera-t-on en mesure d’y faire figurer ?
Nous rappelons par exemple dans la proposition de résolution que les notions de potentiel financier et de potentiel fiscal doivent être adaptées pour que le système de répartition des dotations puisse continuer de fonctionner et que les fonds de péréquation ne soient pas asphyxiés. Il s’agit bien d’une question essentielle, dont on ne peut pas imaginer qu’elle ne soit pas tranchée dans la prochaine loi de finances.
Pourra-t-on simultanément traiter des instruments de mesure des richesses et de répartition des dotations et, sans avoir mis à l’épreuve les nouveaux instruments, définir dans le détail le nouveau système de péréquation au sein du bloc communal ?
La réponse est sans doute dans la question et, à cet égard, il serait utile que votre collègue secrétaire d’État à l’intérieur et aux collectivités territoriales précise à quoi il faisait allusion lorsque, le 22 juin devant la commission des finances, il a annoncé l’inscription de dispositions relatives à la péréquation dans le projet de loi de finances pour 2011.
L’absence de précipitation dans les modifications législatives ne doit pas, à notre avis – bien au contraire –, empêcher le Gouvernement de nous faire part de ses intentions.
La proposition de résolution vise à ce que soit annoncé le cadre du dispositif de péréquation pour le bloc communal.
Elle traduit également une vive préoccupation de notre part quant au statut de la dotation de compensation de la réforme de la taxe professionnelle au regard de l’enveloppe normée des concours financiers de l’État aux collectivités territoriales. On sait depuis la loi de finances pour 2010 que ses attributions ne seront pas indexées, pas plus que les versements du fonds national de garantie individuelle de ressources, le FNGIR.
Madame le ministre, vous avez bien voulu voilà quelques jours, devant la commission des finances élargie, nous indiquer que cette dotation n’avait pas vocation à jouer le rôle de variable d’ajustement de l’enveloppe normée. Nous sommes nombreux à souhaiter que ces assurances soient renouvelées, car il s’agit du principe de la compensation à l’euro près, sur lequel nous serons intransigeants.
Les élus locaux – nos mandants – pourront comprendre que le rendez-vous législatif de juillet soit repoussé si nous sommes capables de leur présenter, dès les prochaines semaines, une approche progressive et réaliste de la mise en œuvre de la réforme. Madame le ministre, en ce domaine comme dans d’autres, rien ne serait pire que le double langage : celui que l’on tiendrait aux élus pour les rassurer et celui que l’on tiendrait par ailleurs au sein des administrations entre gens raisonnables. On ne peut pas se permettre, sur un tel sujet, de miser sur la résignation des élus locaux et des parlementaires.
Quoi qu’il en soit, une chose est sûre : le report des modifications législatives n’est en rien, à ce jour, une source d’incertitude supplémentaire pour les élus locaux.
En 2010, l’administration a très correctement fait les choses s’agissant de la notification des attributions au titre de la compensation relais. Les éléments de calcul apparaissaient clairement ainsi que le montant.
Rien ne devrait être différent en 2011, car le dispositif de compensation « à l’euro près » garantit aux collectivités territoriales une réelle visibilité sur leurs ressources pour l’année 2011.
Tout d’abord, chaque collectivité est assurée de percevoir en 2011, pour l’ensemble des ressources fiscales affectées par la réforme, un montant équivalent à ce qu’elle aurait perçu en 2010 en l’absence de réforme. Cette stabilité – surtout dans l’état actuel de l’économie – est source de visibilité.
Ensuite, on peut même penser que, en l’absence de réforme, le produit de taxe professionnelle de l’année 2011 – je vous demande de bien vouloir y réfléchir, mes chers collègues – fondé sur les données économiques de l’année 2009 – année de crise – aurait probablement diminué en valeur pour une bonne partie des collectivités. De ce point de vue et à court terme, la réforme est donc protectrice.
Enfin, du point de vue pratique, l’administration notifiera à chaque collectivité, comme pour la compensation relais en 2010, les montants de dotation de compensation de la réforme de la taxe professionnelle et d’attribution ou de prélèvement au titre du fonds national de garantie individuelle de ressources afin qu’elle puisse établir son budget.
J’évoquerai maintenant brièvement quelques enjeux plus généraux de cette réforme encore en devenir.
Les entreprises sont globalement plus largement bénéficiaires que prévu d’une réforme conçue pour elles.
Lorsque l’Assemblée nationale a transmis au Sénat le projet de loi de finances pour 2010, je le rappelle, le Gouvernement évaluait à 4, 3 milliards d’euros l’allégement de charges fiscales devant résulter de la réforme pour les entreprises. Aujourd'hui, selon des évaluations plus fines mais qui ne sont pas encore définitives, et compte tenu de la décision du Conseil constitutionnel, ce montant est non plus de 4, 3 milliards d’euros, mais de 5, 3 milliards d’euros.
En revanche, les données actuelles, les informations dont nous avons connaissance, ne nous permettent pas d’avoir une idée vraiment précise des effets de la réforme par taille d’entreprises ou par secteur d’activité, ni même d’ailleurs au niveau de chaque entreprise considérée individuellement. Une étude approfondie reste à mener sur les conséquences de l’introduction dans la loi d’une définition aussi détaillée de la valeur ajoutée.
Pour en revenir à la trajectoire de la réforme, je souhaite rappeler que les modalités de taxation des titulaires de bénéfices non commerciaux de moins de cinq salariés font partie des sujets qui doivent être tranchés dès le projet de loi de finances pour 2011. Or, 400 millions d’euros manquent à l’appel pour le bloc communal.
Pour l’État, madame le ministre – permettez-moi de le redire –, cette réforme est un pari à 5, 3 milliards d’euros par an de déficit structurel supplémentaire.
Le montant des gains des entreprises se traduit à due concurrence par une perte de recettes pour l’État de 5, 3 milliards d’euros.
On a donc accepté, afin de poursuivre un objectif d’intérêt général, de dégrader d’autant le déficit structurel, ce qui, par définition, complique les conditions du retour au respect des critères du pacte de stabilité et de croissance.
Compte tenu de l’évolution de notre dette et de la situation particulièrement préoccupante de nos finances publiques, il y a lieu d’avoir une vue plus générale des choses. Ce sera la fonction du débat sur les orientations des finances publiques pour 2011 qui aura lieu, au Sénat, le jeudi 8 juillet prochain.
Pour 2010, venant sans doute opportunément en relais du plan de relance budgétaire, les 12, 9 milliards d’euros dépensés auront un effet favorable sur la trésorerie des entreprises et c’est assurément un soutien précieux pour la sortie de crise.
Mes chers collègues, la réforme fera l’objet d’évaluations. Son succès devra être apprécié un jour à l’aune des objectifs au nom desquels on a pris le risque de tant bouleverser le système de financement local : il s’agit de lever les freins à l’investissement et de lutter contre la désindustrialisation. Nous apprécierons en temps utile dans l’avenir si les résultats sont proportionnels à l’argent investi et au risque pris.
Pour conclure, mes chers collègues, je souhaite remercier le président du Sénat, M. Gérard Larcher, et la conférence des présidents d’avoir inscrit cette proposition de résolution en « ouverture » de la discussion du projet de loi relatif à la réforme des collectivités territoriales.
En effet, si l’on se résume, quels sont aujourd'hui les enjeux pour les collectivités territoriales ? Elles sont manifestement soumises à plusieurs phénomènes contradictoires auxquels elles devront faire face simultanément : la nécessité de rénover leur système de financement pour tirer les conséquences de la disparition de la taxe professionnelle ; la réduction de leurs marges de manœuvre fiscales du fait de l’absence de pouvoir de taux sur la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises ; la réduction de leur autonomie fiscale dès lors que la part des dotations dans le financement local, en substitut de la taxe professionnelle, est sensiblement plus élevée que prévu lors du vote de la réforme. Cette part de dotation que l’État doit apporter pour équilibrer le système était évaluée à 600 millions d’euros et devrait être plutôt de 2, 5 milliards d’euros. Cette somme, pensons-nous, sera stabilisée et n’évoluera pas comme la situation économique.
Parmi les préoccupations des collectivités territoriales figurent, vous le savez, la forte augmentation des dépenses obligatoires pour les départements, notamment dans le domaine social.
Il faut aussi évoquer, dans la conjoncture actuelle et dans le cadre de la consolidation budgétaire que nous devons engager, la stabilisation en valeur du montant des concours financiers que verse l’État à l’ensemble des collectivités territoriales, tout cela devant être cohérent avec les options générales du programme de stabilité 2010-2013 et prendre place dans le cadre des nouvelles règles de gouvernance budgétaire dont notre pays a besoin pour inspirer confiance à l’extérieur.
Au total, madame le ministre, mes chers collègues, les auteurs de la proposition de résolution souhaitent réaffirmer, dans un esprit bien entendu très constructif, leurs vives préoccupations à l’égard des résultats encore non maîtrisés d’une réforme économiquement utile à court terme, mais dont les effets structurels ne sont pas encore explicités. Au demeurant, cette réforme – nous devons en être conscients – n’aurait pas été possible sans les adaptations voulues par le Parlement et les réécritures successives de l’Assemblée nationale et du Sénat.
C’est donc en souhaitant que l’on fasse preuve d’une vigilance toute particulière, mais aussi, bien entendu, avec amitié et confiance, que nous nous adressons à vous, madame le ministre, pour vous demander de bien vouloir entendre nos préoccupations.