Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous étudions aujourd’hui la proposition de résolution de la majorité sénatoriale qui acte l’abandon de la clause de revoyure qu’elle avait pourtant décidé de mettre en œuvre lors de l’examen de la loi de finances pour 2010. Que notre collègue Charles Guené se rassure : nous ne vociférerons pas pour autant ; nous travaillerons en toute tranquillité, ainsi que nous avons l’habitude de le faire !
Comme l’a dit Nicole Bricq, les socialistes pressentaient la difficulté qu’il y aurait à tenir les délais annoncés, tant cette clause semblait être un alibi politique à l’intention de certains de nos collègues de la majorité qui peinaient à adhérer à ce projet de réforme de la taxe professionnelle. Le 1er juin est passé et le rapport attendu n’était pas au rendez-vous.
Ce n’est pas la « récupération » du rapport Durieux, présenté le 17 juin comme celui qui était initialement attendu, qui nous a leurrés. C’est aujourd’hui la proposition de résolution de la majorité qui nous confirme l’incapacité de mener à bien les simulations demandées et l’abandon pur et simple du projet de loi qui devait découler des propositions de ce rapport.
Si j’ai bien compris ses propos, notre collègue Charles Guené nous a expliqué que, au fond, rien ne pressait et qu’il convenait d’attendre l’examen, cet automne, du projet de loi de finances pour 2011, et même peut-être davantage.
Je souhaiterais reprendre rapidement les éléments que nous, sénateurs socialistes, avec d’autres collègues, étions en droit d’attendre pour nous permettre de nous prononcer en toute connaissance de cause sur les mécanismes de péréquation à mettre en œuvre. Je m’attacherai plus particulièrement à leurs conséquences sur les départements.
Ces mécanismes sont nécessaires pour garantir aux collectivités locales et aux départements des recettes prévisibles, porteuses de dynamique, à même de leur permettre de continuer à jouer leur rôle de moteur dans l’économie de notre pays.
Les collectivités locales sont les investisseurs de ce pays, « des parieurs d’avenir ». Asphyxier, comme on le fait aujourd’hui, leurs capacités budgétaires futures, les enfermer inéluctablement dans un rôle de guichet d’État, c’est les pousser dès maintenant à freiner leurs actions et leurs investissements.
Pourtant, nous savons combien l’État a pu compter sur les communautés, les départements et les régions pour mettre en œuvre son plan de relance.
Le mécanisme des propositions de résolution ne permettant pas au Parlement d’amender un texte, je me contenterai de poser quelques questions.
Qui dit ou a dit que les départements demandent une attention particulière ?
C’est l’Assemblée des départements de France, dont c’est légitimement le rôle. Dès janvier, elle a formulé une demande d’audience auprès du Premier ministre en raison des graves difficultés financières auxquelles sont déjà confrontés de nombreux départements, souvent ruraux, où les actions sociales sont prédominantes. La crise a accru ces difficultés, au détriment des populations fragiles qui, de fait, ne peuvent constituer des bases de finances locales solides.
C’est ainsi : la France est multiple et présente des départements aux visages différents, qui doivent pourtant appliquer partout les mêmes contraintes imposées par la loi.
La clause de revoyure de décembre laissait espérer non pas un redressement immédiat des finances des départements par le jeu de la solidarité territoriale, mais au moins une prise en compte de cette situation et l’assurance, en quelque sorte, que la réforme de la taxe professionnelle ne viendrait pas assombrir encore davantage l’horizon.
La Cour des comptes, en novembre dernier, faisait ce constat : « Ce sont souvent les départements les plus pauvres, ceux qui disposent des recettes fiscales les moins dynamiques, qui doivent en même temps faire face aux charges les plus importantes. » La Cour concluait ainsi : « L’État doit veiller à plus intégrer le principe de péréquation, inscrit à l’article 72-2 de la Constitution. »
Les socialistes souscrivent à ces réflexions et demandent au Gouvernement que les collectivités locales puissent retrouver une visibilité quant à leurs ressources, laquelle passe notamment par une péréquation véritablement efficace et un financement intégral des compétences transférées.
Le rapport Jamet, quant à lui, rendu en avril, dresse le même constat d’une mauvaise structuration des finances des départements due à leur rôle de support social. Il préconise notamment qu’une forme d’aide d’urgence soit allouée par l’État aux départements les plus fragiles. Le discours gouvernemental à l’issue de la seconde conférence des déficits me laisse malheureusement augurer du contraire : c’est un monologue aux incantations constitutionnelles qui rejettent la responsabilité des uns sur les autres.
Les élus socialistes comme les auteurs des rapports, tous plaident en faveur d’une plus grande péréquation.
Qu’apporte de plus le rapport Durieux, remis le 17 juin ?
Rien, car les hypothèses d’évolution des recettes retenues entre 2010 et 2015, voire les données réunies, sont sujettes à caution et les auteurs eux-mêmes indiquent que des « limites méthodologiques » à ce rapport peuvent en affecter la compréhension. J’avoue que j’allais presque me réjouir en lisant, comme cela est indiqué dans le rapport, que la progression des finances des départements allait dépasser 20 % en cinq ans – 21, 07 % dans mon propre département. Mais voir que les droits de mutations à titre onéreux allaient s’accroître de 19, 05 % ou la contribution à la valeur ajoutée des entreprises bondir de 24, 23 % dans mes terres m’a confirmé que les hypothèses retenues ou les données enregistrées étaient bien éloignées de la réalité de la crise que nous vivons actuellement.
Qu’apporte donc le rapport Durieux ?
Rien, car les propositions formulées sur la nécessaire péréquation ne sont à mon sens qu’incantatoires.
Rien, car il ne fournit, comme l’a confirmé M. le rapporteur général, aucune réponse aux demandes de simulations formulées par la commission des finances du Sénat.
Rien, car il n’analyse pas la faisabilité d’une évolution distincte des bases de la taxe foncière due par les ménages de celle qui est due par les entreprises.
Rien, enfin, car vu par ses auteurs comme une étape avant le rapport final, il ne peut satisfaire notre attente collective d’une véritable base solide de travail pour la clause de revoyure.
Que nous proposent les auteurs du texte dont nous débattons aujourd’hui ?
À mon sens, ils nous demandent d’accepter ce que certains membres de la majorité de cette assemblée n’avaient pu accepter en décembre dernier. Ainsi, notre collègue Jean-Pierre Raffarin pressentait sans doute les difficultés à trouver des solutions viables de substitution de la taxe professionnelle, si importante pour les recettes des collectivités locales.
L’État exsangue, qui prône l’austérité, peut-il ainsi se permettre de compenser une perte annuelle globale de plus de 5 milliards d’euros ? Je ne suis pas la seule à en douter. La réponse avancée est le gel des dotations. L’enveloppe fermée des concours financiers de l’État aux collectivités locales, dans laquelle on a traité cette compensation, sera une contrainte difficilement contournable et un goulet d’étranglement pour les finances des départements et des régions.
L’État a eu beau jeu, lors de la rencontre accordée le 1er juin dernier aux départements, de faire les quatre propositions suivantes.
Première proposition : le dépôt d’un projet de loi sur le cinquième risque à la fin de l’année, laissant penser qu’un allégement pouvait être attendu en ce qui concerne le financement de l’allocation personnalisée d’autonomie, l’APA, et des maisons départementales des personnes âgées, les MDPH.
Deuxième proposition : la création, en septembre prochain, d’une mission d’appui placée sous la direction du secrétaire d’État aux collectivités territoriales, dont je salue la présence parmi nous. Mais une mission pour quoi faire : une mise sous tutelle ? On peut se poser la question.
Troisième proposition : l’instauration d’un moratoire sur les normes réglementaires qui leur sont imposées et dont on ne peut que souhaiter qu’elles se réduisent et non pas ²qu’elles cessent seulement de progresser.
Quatrième proposition : l’installation de groupes de travail sur les propositions Jamet. Le rapport est là ; il a le mérite de la clarté. Il reste désormais à en tirer les conséquences.
Mon sentiment sur la proposition de résolution est simple : le Gouvernement a pris la responsabilité de supprimer la taxe professionnelle sans prendre la mesure des conséquences de cette suppression sur les recettes des collectivités. Ce n’est pas faute, et pas seulement pour les sénateurs qui siègent à gauche de cet hémicycle, d’avoir attiré son attention sur ce point !
Il me revient en mémoire cette phrase de Marc Massion. Lors de la discussion du projet de loi de finances, notre collègue déclarait ceci : « C’est une réforme qui est née d’un caprice à l’Élysée, qui n’a grandi que dans les couloirs de Bercy, mais ce sont bien demain nos territoires qui en mourront. »
Je crains que la méditation de cette phrase ne se fasse dans la douleur.