Intervention de Michèle André

Réunion du 28 juin 2010 à 21h45
Réforme des collectivités territoriales — Discussion d'un projet de loi en deuxième lecture

Photo de Michèle AndréMichèle André, présidente de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, rapporteur :

Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, le projet de réforme territoriale dont nous débutons aujourd’hui l’examen en deuxième lecture permettra d’engager la discussion sur le mode de scrutin des futurs conseillers territoriaux.

La délégation aux droits des femmes, au nom de laquelle je m’exprime aujourd’hui, en qualité de présidente et de rapporteur sur ce texte, a travaillé pendant plusieurs mois sur l’incidence de cette réforme au regard de la parité.

Or il nous est vite apparu que les deux modes de scrutin successivement proposés par le Gouvernement – et personne, me semble-t-il, ne le conteste – n’étaient pas favorables à l’accès des femmes au mandat de conseiller territorial.

Le scrutin mixte initialement envisagé ne devait aboutir, dans les meilleures hypothèses et d’après l’Observatoire de la parité entre les femmes et les hommes, qu’à l’élection de 17 % de femmes. Quant au scrutin majoritaire à deux tours, vers lequel penche aujourd’hui le Gouvernement, devrait être encore moins favorable.

Triste anniversaire pour la loi du 6 juin 2000, la loi fondatrice de la parité, qui instituait pour la première fois dans l’histoire de notre pays des leviers juridiques et financiers tendant à favoriser l’accès des femmes aux responsabilités politiques ; il est vrai qu’elle s’appuyait alors sur une volonté politique sans faille !

En ce dixième anniversaire, les leçons que nous pouvons tirer de l’application de cette loi et de celles qui l’ont complétée sont claires : la parité a fortement progressé dans toutes les élections qui se déroulent au scrutin de liste, grâce à la règle qui prévoit que toute liste doit être composée alternativement d’un candidat de chaque sexe.

C’est ainsi que nos conseils régionaux sont aujourd’hui devenus les exemples mêmes d’une parité effective. Non seulement ils sont constitués de 48 % de femmes, mais, grâce à la loi du 31 janvier 2007, qui étend les contraintes paritaires à la composition de leurs exécutifs, ils comptent plus de 45 % de femmes vice-présidentes depuis mars 2008.

En revanche, les résultats sont décevants dans les élections qui se déroulent au scrutin uninominal à deux tours. Les conseils généraux, avec 12, 3 % de femmes seulement, restent les assemblées les plus masculines du pays et l’obligation de se présenter accompagné d’un remplaçant de l’autre sexe, ou plutôt d’une remplaçante, dans la grande majorité des cas, n’a guère eu d’effet visible jusqu’à présent.

Les pénalités financières imposées aux partis qui ne présentent pas suffisamment de candidates aux élections législatives sont-elles plus efficaces ? Vous me permettrez d’en douter. La proportion des femmes parmi les députés, qui s’élève à 18, 5 %, montre la limite de l’exercice. Ces pénalités qui représentent un manque à gagner de 5, 288 millions d’euros par an – dont 4, 131 millions d’euros pour le parti majoritaire, soit dit en passant –, sur un financement public global de 80 millions d’euros par an, ne semblent pas avoir beaucoup d’effet.

Pour nous, la solution doit donc être cherchée dans une autre direction. C’est ce à quoi nous nous sommes appliqués, en auditionnant successivement des constitutionnalistes, les représentants de grandes associations d’élus, les associations de femmes favorables à la parité et les responsables des partis politiques représentés au Parlement.

Nos auditions ont souligné les faiblesses du mode de scrutin mixte proposé par le Gouvernement dans le projet de loi n° 61, qui regroupait à l’origine l’essentiel du volet électoral de la réforme. Dans ce projet de loi, 80 % des sièges devaient être pourvus au scrutin uninominal majoritaire à un tour, les 20 % restants étant attribués, dans le cadre du département, au scrutin de liste proportionnel.

Ce mode de scrutin a suscité bien des critiques et des interrogations liées au scrutin de liste à un tour et à un système complexe d’attribution des sièges pourvus au scrutin de liste en fonction des suffrages exprimés au scrutin majoritaire. Il était, en outre, particulièrement défavorable à la parité.

Les constitutionnalistes que nous avons interrogés ont, certes, douté que le juge constitutionnel sanctionne le mode de scrutin au seul motif d’un recul prévisible de l’accès des femmes à ces mandats locaux, mais ils se sont demandé si l’addition des différentes faiblesses juridiques ne risquait pas cependant de peser dans le sens d’une censure.

Le Gouvernement a finalement renoncé à ce mode de scrutin pour y substituer le scrutin majoritaire à deux tours à l’occasion de la discussion à l’Assemblée nationale du projet de loi de réforme territoriale, alors que celui-ci avait déjà été examiné et adopté par le Sénat en première lecture.

Permettez-moi de déplorer ce changement de support législatif qui n’est respectueux ni de la procédure législative ni du Sénat. Nous ne pouvons en effet nous prononcer sur ce nouveau dispositif qu’à l’occasion de cette deuxième lecture et donc lui apporter les correctifs nécessaires dans des délais très contraints.

Le choix du mode de scrutin est tout aussi problématique. Le scrutin majoritaire à deux tours est usuel en droit français, mais son impact négatif sur la parité est bien connu. Il serait plus négatif encore que celui du scrutin mixte qui comportait un volet de 20 % de proportionnelle.

En outre, il est loin de faire l’unanimité des partis politiques que nous avons consultés, vous le savez d’ailleurs bien, pour en être ici les représentants.

Les conditions dans lesquelles ce mode de scrutin a été présenté, puis adopté à l’Assemblée nationale, avant que notre commission des lois ne décide, à la majorité, de le retrancher du texte que nous examinons aujourd’hui, me paraissent significatives. Elles démontrent à la fois le caractère problématique du choix effectué par le Gouvernement et le malaise inspiré par la précipitation avec laquelle il cherche à l’imposer.

Dans ce contexte, notre délégation a adopté neuf recommandations. Les sept premières relèvent du constat ; les huitième et neuvième constituent le cœur de nos propositions.

Je passe rapidement sur les premières, qui reprennent le double constat que j’ai formulé à l’instant : le scrutin de liste favorise la parité, mais celle-ci ne progresse pas dans les élections au scrutin uninominal majoritaire.

Ce constat nous conduit à formuler un regret. Le Gouvernement a successivement privilégié deux modes de scrutin qui, reposant pour l’essentiel ou en totalité sur le scrutin uninominal majoritaire, sont de nature à défavoriser l’accès des femmes aux futurs conseils régionaux et conseils généraux. J’ai rappelé les projections faites par l’Observatoire de la parité entre les femmes et les hommes et déjà indiqué que les perspectives étaient encore plus sombres à cet égard si le mode de scrutin maintenant envisagé est effectivement retenu.

Le Gouvernement met régulièrement en avant l’incidence positive pour les femmes de l’extension du scrutin de liste aux petites communes et de l’élection au suffrage universel des délégués communautaires. Nous en approuvons, certes, le principe, mais nous refusons de considérer que l’intérêt de ces mesures à l’échelon municipal pourrait compenser la régression prévisible et accentuée des femmes dans les conseils régionaux et généraux.

J’en viens au sixième point, qui est une déclaration de principe. L’article 34 de la Constitution reconnaît au Parlement la faculté de fixer le régime électoral des assemblées. Mais la liberté dont il doit jouir dans le choix des modes de scrutin ne doit pas le dispenser pour autant de chercher à atteindre l’objectif constitutionnel d’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux.

Dans ces conditions, nous considérons que l’adoption d’un mode de scrutin particulièrement défavorable à la parité, comme le scrutin majoritaire à deux tours, ne peut devenir acceptable que si celui-ci s’accompagne de mécanismes susceptibles d’en neutraliser les effets négatifs.

Nous ne privilégions pas la voie des pénalités financières imposées aux partis pour non-respect de la parité. En effet, nous relevons dans notre septième point qu’elle n’a pas produit les effets escomptés. Il faudrait les rendre insupportables, comme l’avait, me semble-t-il, promis le Premier ministre, pour qu’elles soient efficaces ; or c’est très loin d’être le cas dans le dispositif adopté par l’Assemblée nationale.

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