Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, à l’heure où nous parlons d’énergie, il reste un grand absent dans le formidable processus de concertation sociale qu’a été le Grenelle, comme dans les deux projets de loi dits « Grenelle I » et « Grenelle II » : il s’agit, vous l’aurez compris, du nucléaire.
Nombreux sont les orateurs qui ont évoqué, devant la Haute Assemblée, une révolution écologique. Certes, mais celle-ci ne peut avoir lieu sans une révolution énergétique, qui elle-même implique un débat public, transparent et ouvert sur toutes les formes d’énergie, y compris le nucléaire.
Or le nucléaire est manifestement un sujet tabou, au moment même où certains tentent de le faire passer pour une source d’énergie « propre », non émissive en CO2, voire renouvelable. C’est pourtant inexact : la filière nucléaire émet elle aussi des gaz à effet de serre, et ce à plusieurs titres, notamment en termes d’énergie grise et d’émissions induites.
Premièrement, l’ensemble du cycle de vie des réacteurs, de la construction au démantèlement, n’est pas pris en compte.
Il est vrai que les technologies du démantèlement des centrales, après leur fermeture, n’ont pas été développées, ni en France ni dans le reste du monde : sur les cent dix centrales qui sont aujourd'hui arrêtées, l’une, à Tchernobyl, a été mise sous sarcophage, les autres sont restées sur place, ce qui fait d’elles, en quelque sorte, des mausolées du XXe siècle, interdits d’accès et placés sous haute surveillance, tels des déchets nucléaires stockés en surface.
Toutefois, l’énergie grise nécessaire au traitement définitif de ces sites – car il faudra bien commencer un jour, et pourquoi pas à Fessenheim, la plus vieille centrale PWR de France, qui connaît des incidents à répétition ? – est inconnue et, par conséquent, non prise en compte.
Deuxièmement, l’extraction, le transport et l’exploitation des combustibles dont le bilan d’émissions de gaz à effet de serre dépend fortement de la concentration en minerai d’uranium doivent aussi être pris en compte. Sur la base du minerai moyen actuel – 0, 15 % d’uranium –, cela représente 56 grammes de CO2 par kilowattheure, selon l’étude récente publiée par l’Université technique d’Eindhoven.
Dans la mesure où l’on sera conduit inévitablement à exploiter des minerais d’uranium moins concentrés et inclus dans des matériaux durs, les émissions de gaz à effet de serre liées à l’extraction et à l’exploitation de ces nouveaux gisements iront croissantes. L’épuisement tendanciel de cette énergie fossile qu’est l’uranium conduit donc mécaniquement à une dégradation du bilan carbone du nucléaire.
Troisièmement, se pose la question, non réglée, de l’entreposage et du traitement des déchets radioactifs, qui demandent, et demanderont pour des millénaires, une dépense en énergie avec émissions de CO2.
Cela étant, le développement exceptionnel du nucléaire entraîne également des émissions de gaz à effet de serre mécaniquement, pour des raisons techniques. En effet, la production nucléaire n’est pas modulable et ne peut donc pas s’adapter à une demande d’électricité qui fluctue avec les saisons.
nucléaire oblige, le développement exceptionnel du chauffage électrique dans notre pays, qui est une aberration non seulement thermodynamique, mais aussi sociale – ce sont les familles modestes qui en paient la facture –, conduit à un déséquilibre structurel. Ainsi, en base, la France est en surcapacité électrique – tout le monde en parle –, mais en période de chauffage, le nucléaire est incapable de faire face. Ce sont les centrales classiques, notamment les centrales à charbon allemandes, fortes émettrices de CO2, qui répondent à la demande ; on le dit moins !
Toujours sur le plan technique, les réacteurs nucléaires ne permettent pas de récupérer la chaleur dégagée lors de la production d’électricité, et ce contrairement aux technologies dites de cogénération : le nucléaire gaspille, en quelque sorte, l’énergie produite.
Au final, une chaudière à gaz moderne, qui coproduit de la chaleur et de l’électricité, émet moins de gaz à effet de serre que le mix classique, techniquement nécessaire, de l’électricité nucléaire et de l’appoint en fioul et en charbon. Le meilleur bilan pour le climat résulte de la cogénération à partir de la biomasse.
Ces résultats, émanant du ministère de l’environnement allemand en 2007, conduisaient le ministre à conclure que si l’on veut vraiment enrayer les changements climatiques, on a besoin non pas d’électricité nucléaire supplémentaire, mais davantage de cogénération, et je me permets d’ajouter, de faire les choix d’investissement correspondants.
En conclusion, je tiens à rappeler les propos tenus par Joseph Stiglitz, prix Nobel d’économie : « D’après moi, l’empreinte carbone de l’énergie nucléaire n’est pas si avantageuse que cela. Au vu des problèmes que pose l’industrie nucléaire, je pense qu’il faut se tourner, d’abord et avant tout, vers les énergies renouvelables. »
Or le Gouvernement a exclu l’électricité, et donc le nucléaire, du périmètre de la taxe carbone, il a exclu le nucléaire du processus du Grenelle, ainsi que de la discussion parlementaire des lois Grenelle I et Grenelle II, mais il instaure une prime implicite à l’énergie nucléaire avec la modulation de 80 kilowattheures par mètre carré relative à la norme d’isolation des bâtiments.
Mes chers collègues, je ne pouvais aborder ce débat sur l’énergie sans évoquer la question taboue du nucléaire et de ses émissions de gaz à effet de serre, que celles-ci soient liées aux énergies grises ou induites. Est-ce une vérité qui dérange ?