Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je souhaite tout d'abord remercier les parlementaires d'outre-mer, qui, anticipant ce débat, ont participé à la discussion sur les crédits de la mission « Régimes sociaux et de retraite », samedi dernier, au cours de laquelle trois amendements concernant les compléments de retraite outre-mer ont été examinés.
Leur présence a permis d'éclairer l'ensemble de la représentation nationale sur les enjeux de ces questions pour l'outre-mer. Des incompréhensions demeurent toutefois, et nous devons engager un immense travail collectif pour mieux faire comprendre la réalité de l'outre-mer - des outre-mer, devrais-je dire.
Il s'agit là, d'ailleurs, d'un élément que nous devons avoir bien présent à l'esprit. Nous ne pouvons parler de « l'outre-mer » en usant de cette appellation générique facile. Il existe autant de territoires que de politiques publiques à mener, soit sous l'impulsion des collectivités territoriales, dans les domaines de leur compétence, soit à l'instigation de l'État, dans ses missions régaliennes, soit dans le cadre d'un pacte de confiance appliqué à la décentralisation, dans le respect de nos statuts respectifs et des articles 73 et 74 de la Constitution.
Cela étant, depuis six mois, je suis frappé de constater, d'un côté, l'importance et la pertinence d'une action collective au service de nos compatriotes ultramarins et, de l'autre côté, la très grande méconnaissance que l'on a souvent, en métropole, des réalités de nos départements et collectivités d'outre-mer : certains, généralement de bonne foi, ont tendance à ne les regarder que de très loin, avec des jumelles, et à « surfer » sur des images d'Épinal qui ne correspondent en rien à ce que l'on peut observer sur le terrain.
C'est pourquoi je retiens bien volontiers la proposition de Mme Michaux-Chevry d'organiser une grande réflexion sur l'outre-mer, qui soit tout à fait compatible avec le débat qu'avait engagé la représentation nationale lors de l'examen de la loi de programme. Une telle réflexion devrait permettre, par une pédagogie adaptée, de mieux faire connaître les réalités de l'outre-mer pour mieux faire comprendre la nécessité d'y adapter des politiques publiques, tout en suivant une logique de rattrapage économique, indispensable, et d'alignement sur le droit commun.
L'outre-mer est une chance pour la France : cela crée à l'État un devoir de répondre d'abord, loin des images d'Épinal auxquelles je faisais allusion, aux problèmes quotidiens de nos compatriotes ultramarins.
Je tiens à remercier vos rapporteurs de la qualité de leurs travaux, de la pertinence de leurs réflexions et aussi de la sincérité avec laquelle ils ont abordé les échanges avec le ministère : chacun a fait part de ses convictions, et toutes sont légitimes parce que nourries d'une longue expérience.
Bien entendu, le rôle du ministre est de trouver un terrain d'entente sur le constat de la situation et de définir, dans le cadre d'une loi de finances, les moyens d'atteindre les objectifs qui, je le sais, quelles que soient nos divergences d'analyse, nous rapprochent.
Les rapporteurs ont bien mis en perspective le fait que le budget qui vous est proposé ne correspond qu'à une petite part du soutien que l'État accorde à l'outre-mer ou « aux » outre-mer. Les crédits qui vous sont soumis aujourd'hui ne représentent en effet que 17 % de l'effort budgétaire global de l'État en faveur des collectivités ultramarines, soit, je le rappelle, 11 milliards d'euros en 2006.
Ce montant ne tient pas compte, il faut le souligner, des dépenses fiscales de l'État en faveur de l'outre-mer, que vous avez chiffrées, monsieur Torre, madame Payet, à 2, 5 milliards d'euros.
Ces dépenses fiscales ont d'ailleurs, cette année, largement alimenté le débat parlementaire. À cet égard, je me réjouis de la forte mobilisation qui a été celle des élus d'outre-mer, quelle que soit leur appartenance politique, quand les dispositifs de la loi de programme, sans se trouver menacés, ont fait l'objet d'interrogations. Celles-ci appelaient une clarification aussi bien de la part du Gouvernement, pour lever les malentendus, que de la part des parlementaires, pour bien préciser le sens qu'il convenait de donner au dispositif tel que le législateur l'a validé voilà deux ans.
Ayant moi-même été parlementaire, à travers l'exercice de trois mandats de député, je sais que la vertu du débat parlementaire, à l'annonce d'un projet de loi de finances, est précisément de permettre des avancées, d'éclairer l'opinion, chacun étant ensuite amené à prendre ses responsabilités en exprimant son accord ou son désaccord.
Dois-je rappeler que la défiscalisation est, avant tout, l'expression de la solidarité nationale et qu'elle est destinée à combler les retards de développement économique et social que connaît l'outre-mer ? Est-il besoin de souligner qu'elle est indispensable pour surmonter les handicaps structurels des économies de nos collectivités et départements d'outre-mer ?
Il faut lever un malentendu : la défiscalisation n'a pas pour finalité de supprimer l'impôt sur le revenu des contribuables aisés ! Il s'agit de les faire participer au financement des économies ultramarines, ce qui implique de lourdes contreparties : les contribuables considérés doivent en effet rétrocéder au moins 60 % de leur économie d'impôt au profit du projet. Cela signifie qu'ils acceptent de prendre un risque industriel et fiscal pendant cinq ans. C'est une politique de donnant-donnant !
Bref, la défiscalisation est un outil de rattrapage économique et ce n'est en rien un « cadeau » ! Elle ne peut donc, ainsi que l'ont souligné Mme Michaux-Chevry et beaucoup d'autres intervenants, être considérée comme une « niche fiscale ». Cette qualification est non seulement très étrangère aux réalités de l'outre-mer, mais encore pour le moins inadaptée lorsqu'il s'agit d'aider des hommes et des femmes à mieux vivre au quotidien.
Car il ne faudrait pas oublier que les réalités de l'outre-mer sont très éloignées de celles de la métropole. Elles sont peu connues, à l'exception de la représentation nationale et de ceux qui y vivent. Pour le dire d'une manière lapidaire, les problèmes de l'outre-mer, ce sont les problèmes de la métropole multipliés par trois ou quatre ! Le taux de chômage y est entre le double et le triple de celui de la métropole. L'insuffisance de logements sociaux y est criante : il faudrait construire 15 000 logements sociaux, alors même que la maîtrise du foncier y est particulièrement difficile - n'est-ce pas monsieur Virapoullé ? -, et l'on compte plus de 70 000 logements sociaux inadaptés, voire insalubres.
L'outre-mer, c'est aussi une immigration clandestine très importante. Vous savez quelle position j'ai prise à cet égard ; cela a permis de faire prendre conscience à l'opinion publique d'une réalité totalement méconnue, singulièrement en Guyane, à Mayotte et dans l'archipel de la Guadeloupe.
C'est une démographie très active, et il faut s'en réjouir. Dans certains de nos départements et collectivités, plus de la moitié de la population a moins de vingt-cinq ans, ce qui exige une adaptation des politiques publiques : il faut construire des écoles, des collèges, des lycées, il faut anticiper sur l'évolution du marché de l'emploi. Nous devons également développer les infrastructures et mieux assurer la continuité territoriale, de manière que ces jeunes puissent ensuite poursuivre des études supérieures s'ils le souhaitent et là où ils le souhaitent, c'est-à-dire souvent dans leur collectivité ou leur département. Voilà encore une exigence à laquelle il nous faut répondre.
L'outre-mer, c'est en outre un accès au crédit moins aisé et donc, pour les entreprises, une plus grande difficulté à se procurer des capitaux pour réaliser des investissements. Ce sont des infrastructures encore insuffisantes pour dynamiser le développement économique et assurer un aménagement du territoire équilibré.
Ces difficultés exigent, en réponse, des politiques adaptées, de la même manière qu'en d'autres points du territoire national où des dispositifs particuliers ont été mis en place pour revitaliser des zones en difficultés ou des quartiers défavorisés.
C'est la raison pour laquelle je combats cette idée de « niche fiscale » à propos des sommes investies outre-mer.
Parle-t-on de « niches fiscales » quand on évoque les zones urbaines sensibles ? Et pourtant, c'est bien la défiscalisation en outre-mer qui a servi de modèle pour appliquer la défiscalisation dans nos quartiers. Je suis un élu local, comme beaucoup d'entre vous. Oserait-on dire aujourd'hui, après ce qui s'est passé dans nos banlieues : « Vous avez un fort taux de chômage, vous avez des difficultés d'emploi, de logement, etc., mais on va faire des économies parce que vous vivez dans une niche fiscale » ?
L'expression est impropre, la qualification juridique ne peut pas être retenue et le message politique est brouillé.
Voilà pourquoi on ne peut en aucun cas mettre sur un pied d'égalité des avantages fiscaux en tant que tels et des mesures d'incitation qui relèvent de politiques publiques en faveur de populations qui méritent le même soutien que tous ceux qui sont en difficulté en d'autres points du territoire national.