Intervention de Jean-Pierre Plancade

Réunion du 7 décembre 2005 à 15h00
Loi de finances pour 2006 — Action extérieure de l'état

Photo de Jean-Pierre PlancadeJean-Pierre Plancade :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, parmi la multitude d'évènements et de sujets qui ont fait l'actualité internationale de cette année, l'un des plus importants, sinon peut-être le plus important, concerne les Nations unies et les difficultés de sa réforme.

À l'heure des scandales, des dysfonctionnements récurrents et des critiques de tous bords, il est tout de même bon de rappeler que c'est vers l'ONU que se tourne la communauté des nations lorsqu'il s'agit de condamner les implications criminelles du régime syrien au Liban, ou encore les anathèmes du président iranien appelant à « rayer Israël de la carte ». Et l'on ne peut que se réjouir de voir que le monde finit toujours par se tourner vers les Nations unies.

De plus, les leçons de la guerre en Irak, payées au prix fort par la population irakienne et les soldats américains, nous confirment chaque jour qu'une guerre menée en dehors du cadre de l'ONU souffre d'un déficit de légitimité et qu'il est, ensuite, beaucoup plus difficile de remobiliser la communauté internationale, qui, et pour cause, ne souhaite pas rentrer dans un conflit qu'elle n'a pas voulu, et dont elle ne sait pas comment sortir. Par ailleurs, ce déficit de légitimité rend plus complexe une sortie de crise par la négociation.

Ce que nous apprennent ces évènements est simple : l'ONU, en tant que collectivité des États réunis pour se contrôler et s'apporter mutuellement assistance, est et demeure, malgré ses limites, ses difficultés, ses atermoiements, voire ses contradictions, l'horizon indépassable des relations à l'échelle mondiale.

L'ONU est aujourd'hui, pour les actions des États, l'unique source de légitimité internationale incontestable et, à ce titre, elle doit récupérer le monopole de l'usage de la force.

De même, combien de conférences internationales où se pense et s'organise quotidiennement l'avenir de notre monde sur des sujets allant de la biodiversité à l'accès aux nouvelles technologies, en passant par les analyses climatiques ou le point sur la lutte contre le SIDA, se tiennent, sans que cela ne surprenne ou n'inquiète plus personne, « naturellement » grâce à l'ONU ?

A tous ces égards, et à bien d'autres encore, la réforme de l'ONU est une priorité. M. Lakhdar Brahimi, auteur en 2000 d'un rapport audacieux et sensé sur la réforme de l'ONU, lors de son audition par la commission des affaires étrangères de l'Assemblée nationale en octobre 2004, a résumé l'enjeu de la réforme en disant qu'il s'agit là de « la création d'un nouvel ordre international ».

C'est pourquoi le résultat en demi-teinte du sommet sur la réforme de l'ONU risque de peser encore durablement sur l'efficacité de cette organisation. D'un côté, l'impasse sur la réforme du Conseil de sécurité, qui, rappelons-le, doit devenir plus représentatif du monde d'aujourd'hui, constitue un problème de première importance. D'un autre côté, avec la reconnaissance de l'impératif à protéger les populations civiles, communément appelé « droit d'ingérence humanitaire », et la création de la commission de consolidation de la paix, nous avons, malgré tout, accompli un grand pas vers le rapprochement des peuples.

Madame la ministre, je souhaiterais que vous m'indiquiez l'état actuel de cette question. Quelles actions entendez-vous mener pour relancer cette réforme essentielle au renouvellement de la légitimité onusienne et au fonctionnement du système de sécurité collective, et pour continuer de défendre les propositions de la France ?

Plus précisément, la nouvelle commission des droits de l'homme et la commission de consolidation de la paix sont supposées voir le jour avant la fin de l'année. Serons-nous dans les temps, d'autant que l'ambassadeur des États-Unis, John Bolton, a menacé de bloquer la participation américaine au budget de l'ONU si les réformes ne sont pas adoptées d'ici à la fin de l'année.

Par ailleurs, ne pensez-vous pas, madame la ministre, que la force de réaction rapide européenne, en devenir, pourrait être mise à la disposition de l'ONU ?

Enfin, dernier point, et non des moindres, au sujet de l'ONU : on ne peut pas, comme le fait ce gouvernement, s'affirmer fervent partisan de l'ONU et du multilatéralisme et présenter un tel budget, qui ne couvre même pas le montant de la contribution française aux opérations de maintien de la paix. Franchement, ce n'est pas sérieux !

La situation est si déplorable que même la commission des finances du Sénat a déposé un amendement visant à corriger ce déficit. Et elle a estimé nécessaire de préciser que cet amendement entendait « restaurer la sincérité des crédits proposés au vote du Parlement ».

S'agissant de nos contributions aux organismes internationaux, je souhaite attirer l'attention de tous sur notre participation au budget du Haut comité aux réfugiés. C'est l'un des organes de l'ONU qui dépend presque exclusivement des contributions volontaires des membres, puisque le budget régulier de l'ONU ne couvre que 2, 9 % de ses besoins. Peut-on savoir quel sera le montant de notre participation cette année ? De nombreux pays, et pas toujours plus riches que la France, font des efforts plus importants.

Dans moins d'une semaine s'ouvrira la conférence interministérielle de l'OMC à Hong-Kong. Après les échecs des précédentes réunions du cycle de Doha, l'enjeu est de taille. Je sais qu'en France, pour beaucoup d'entre nous, l'OMC est souvent perçue comme l'incarnation d'un ultralibéralisme profondément inégalitaire. Pourtant, malgré, ou plutôt à cause, des excès de la mondialisation, l'OMC est devenue une enceinte incontournable du multilatéralisme. Il s'agit donc de ne pas la déserter, tant seul qu'au sein de l'Union.

Je souhaiterais que vous m'indiquiez, madame la ministre, quelle va être, à quelques jours du sommet, la position de la France, notamment en matière de politique agricole, en particulier sur l'érosion des préférences commerciales qui va venir frapper de plein fouet les pays les plus pauvres, pour la plupart africains. À l'occasion du sommet de Bamako, la France n'a pas manqué de faire de belles déclarations.

Madame la ministre, sans vouloir être trop pessimiste, pourriez-vous nous faire le point sur l'évolution des négociations européennes consacrées au budget ? Je pense notamment au différend avec la Grande-Bretagne sur la politique agricole commune et à la proposition de Tony Blair de diminuer les aides aux nouveaux pays membres. En l'état, cette proposition pourrait se résumer ainsi : faire payer par les pays européens les plus pauvres la baisse des contributions des plus riches. Autrement dit, les premiers subventionneraient les seconds !

Plus généralement, s'agissant de l'état de l'Union, madame la ministre, je déplore la dégradation de la situation dans laquelle se trouve la France. Ces derniers temps, j'entends trop souvent dire que le rejet par référendum de la Constitution européenne nous a mis dans une situation difficile. C'est vrai, et personne ne le nie ! Mais la France doit relever la tête. C'est justement parce que l'heure est difficile que nous devons redoubler d'efforts. La construction européenne n'est pas morte avec le rejet du traité. Ce n'est certainement pas le message que nous ont envoyé les Français. Et ce n'est sûrement pas la dernière difficulté que nous aurons à affronter.

Or je ne vois pas quelles initiatives ont été prises pour réagir. Je ne vois, comme d'habitude, qu'un Gouvernement qui blâme, dès qu'il le peut, la Commission et, à travers elle, l'Union. Ce fut notamment le cas lors des licenciements de Hewlett-Packard, alors que l'Europe n'y était pour rien. Je vous l'accorde, mes chers collègues, cette dommageable attitude de charger continuellement l'Europe de maux qui ne dépendent pas d'elle n'est pas l'exclusivité de ce gouvernement. Nous ne devons pas moins arrêter d'agir ainsi !

Je voudrais parler maintenant de la région du monde vers laquelle se tournent beaucoup de regards : le Proche-Orient.

Madame la ministre, l'année dernière, à la même époque, je saluais devant votre prédécesseur la bonne image que nous savions entretenir par nos actions auprès de nos amis des pays arabes.

Mais j'affirmais aussi que, si la France entendait jouer un rôle plus actif dans le processus de paix au Proche-Orient, il était impératif que l'on travaille à l'amélioration de nos relations avec Israël et, notamment, que l'on oeuvre à changer l'image que les sociétés israélienne et française ont l'une de l'autre après les incompréhensions et quiproquos de ces dernières années. Depuis, le Premier ministre Ariel Sharon est venu en visite officielle en France, dans un contexte de réchauffement louable de nos relations bilatérales.

Le Président Jacques Chirac, après diverses consultations et reprenant ainsi l'une des nombreuses propositions qui lui avaient été faites, a décidé de créer la fondation France-Israël, dont le but est précisément de tout mettre en oeuvre pour changer les perceptions réciproques de nos deux peuples.

Israël-Palestine est un éternel recommencement : espoir, violence, négociation, violence, négociation, espoir... Aujourd'hui, il est un fait incontestable que les Israéliens, par la volonté d'Ariel Sharon - je tiens à saluer sa lucidité et son courage, en dépit des nombreuses difficultés politiques et sécuritaires - se sont retirés de la bande de Gaza.

De surcroît, l'ouverture de la frontière palestino-égyptienne, qui a été acceptée par Israël, sur intervention de Mme Rice, est un pas de plus vers la paix. Et, fait nouveau qui me semble très important, le contrôle de ce passage s'effectuera avec la mission d'observateurs de l'Union européenne. C'est une nouvelle preuve de ce que l'Europe peut apporter dans cette région du monde.

Pouvez-vous nous dire, madame la ministre, où en est l'application de la feuille de route ? Quelle est l'action de la France pour favoriser la paix, pour qu'enfin Israéliens et Palestiniens puissent vivre en paix dans deux États reconnus ?

Je pense que la paix dans cette région passe par l'indépendance réelle du Liban et la maîtrise de la totalité de son territoire. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle, sur l'initiative de la France, le Conseil de sécurité a demandé le départ des troupes syriennes et le désarmement de toutes les milices. Si la première partie de cette résolution est remplie, il reste le désarmement du Hezbollah et des milices, en général.

Or nous avons reçu au Sénat des députés libanais qui nous ont assurés, s'appuyant sur les affirmations du Quai d'Orsay, que la France n'avait pas la même perception que les États-Unis sur le désarmement des milices, notamment celle du Hezbollah dont on connaît les liens avec la Syrie et l'Iran, considérant que son implication dans la vie démocratique pouvait l'amener progressivement à ce désarmement.

S'il est vrai qu'aujourd'hui des députés et des ministres sont membres du Hezbollah, il n'en demeure pas moins que la légitimation par les urnes doit s'accompagner du désarmement.

Au moment de la création du Hezbollah, certains ont parlé de « mouvement de résistance ». Mais, aujourd'hui, du fait déjà ancien du retrait des troupes israéliennes, cette résistance n'a plus de raison d'être. Ce ne sont pas les fermes de Shebba qui, contrairement à ce que l'on croit souvent, se trouvent non pas en territoire libanais, mais en Syrie, comme l'a confirmé récemment le secrétaire général de l'ONU, qui peuvent justifier cette « résistance ».

Madame la ministre, la France tient-elle un double langage ? D'un côté, nous votons la résolution 1559 et, de l'autre, nous ferions savoir aux Libanais que le désarmement du Hezbollah ne serait plus une urgence.

Enfin, je voudrais que vous nous fassiez rapidement le point sur la situation en Côte d'Ivoire, où un Premier ministre vient d'être nommé. Le délai avant les élections a été prolongé. Mais quelle est la prochaine étape ? Pensez-vous que nos troupes de la force Licorne vont rester en place ?

Après ce rapide tour d'horizon, je veux revenir sur le budget, en baisse et caractérisé par son manque de « sincérité ».

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