Intervention de Aymeri de Montesquiou

Réunion du 7 décembre 2005 à 15h00
Loi de finances pour 2006 — Action extérieure de l'état

Photo de Aymeri de MontesquiouAymeri de Montesquiou :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, notre monde éclaté, incertain, dangereux, est à la recherche de sens. La France propose des choix par le biais de son puissant réseau diplomatique, consulaire, culturel et d'enseignement : le respect de la légalité internationale en Irak, la défense de l'environnement avec le protocole de Kyoto, une conception plus juste de la mondialisation en sont des exemples.

De quels moyens la France dispose-t-elle pour peser à l'étranger ? Au-delà des contraintes budgétaires, un nouveau style de politique étrangère s'impose, avec, comme axe majeur, la performance. Notre présence politique et la performance économique doivent être étroitement liées.

Certes, nous nous glorifions d'entretenir le deuxième réseau diplomatique mondial, mais celui-ci, sans moyens budgétaires suffisants, perd de son efficacité. Nous sommes en pleine contradiction avec la LOLF et sa finalité, la performance.

En effet, l'absence de moyens contraint nos plus petites ambassades à une présence passive tenant plus de la mondanité que de la recherche de contrats. Vingt-cinq pays cibles, recélant les plus grands potentiels économiques, ont été désignés par le ministère du commerce extérieur. Densifions l'action politique de nos ambassades dans ces pays, convainquons nos partenaires de l'Union européenne que, dans les pays qui présentent un intérêt économique moindre, nous pouvons mettre en place des ambassades et des consulats mutualisés.

Cette nouvelle organisation de notre diplomatie lui donnerait plus d'efficacité. De plus, la mise en oeuvre courageuse du principe de la non-compensation d'un départ à la retraite sur deux nous y contraint.

Nous sommes conduits par le changement du contexte des relations internationales à adopter ce nouveau concept pour notre diplomatie. La révolution des nouvelles technologies de la communication et les facultés de déplacement font que les grandes décisions se prennent davantage à Paris. Les ambassadeurs devraient voir s'accentuer leur rôle dans le domaine économique et s'affirmer leur responsabilité de véritable chef de l'ensemble des administrations sur place.

Notre diplomatie ne peut perpétuer une organisation intangible dans un monde en constante mutation. Hélas ! notre action diplomatique n'a pas encore pris en compte cet état de fait. Parmi d'autres, un élément est révélateur de cette situation : nos parts de marché ne sont pas toujours proportionnelles au volume de ce dernier, mais varient souvent en raison inverse de la distance. Cela démontre que nous n'avons pas de stratégie, que nous sommes engoncés dans nos habitudes ou peu enclins à découvrir des marchés prometteurs, mais lointains. Ainsi, notre part de marché est de 12 % dans une Europe à la croissance molle, et de 1, 6 % dans une Asie où la croissance est en pleine explosion. Faisons du laser beaming - pardonnez-moi cette expression, mes chers collègues - vers les zones à forte croissance.

La mission « Action extérieure de l'État » intègre-t-elle cet objectif ? Son intitulé, ambitieux, exclut seulement la coopération décentralisée, conduite par les collectivités territoriales, et sous-entend une prise en considération de toutes les actions menées hors de France, quel que soit le domaine d'intervention.

Serions-nous enfin en possession d'un outil permettant d'articuler les politiques publiques, pour une plus grande efficacité et une meilleure lisibilité de notre action ? Hélas ! non, car cette mission reste d'échelon ministériel, et son intitulé séduisant recouvre trois programmes somme toute assez classiques dans leur architecture, le programme « Français à l'étranger et étrangers en France » reprenant même l'appellation de l'une des directions du Quai d'Orsay.

Ce manque d'innovation représente donc une première déception, même s'il était ardu de regrouper toutes les initiatives au sein d'une seule mission, vingt-sept programmes, sur un total de cent trente-deux, relevant d'autres ministères ayant une action à l'étranger. Je souligne d'ailleurs que les prêts de l'Agence française de développement et les remises de dettes ne figurent pas au budget général : les règles budgétaires ne doivent-elles pas être adaptées pour une meilleure lisibilité de nos actions ?

Madame le ministre, dans cette logique d'efficacité, il est paradoxal que le Comité interministériel des moyens de l'État à l'étranger n'ait plus été réuni depuis huit ans. À quelle échéance seront créés les premiers pôles administratifs uniques et interministériels, placés sous la responsabilité des ambassadeurs ?

L'évolution du monde et la diminution des effectifs conduisent donc à définir les choix de manière stratégique.

Concernant la réorganisation du réseau, depuis des années, je plaide pour le maintien de la seule ambassade et de sa section consulaire dans les pays de l'Union européenne. Sur ce point, je m'étonne à nouveau de la conversion d'un certain nombre de consulats en « consulats d'influence », auxquels sont assignées à la fois une mission d'influence et une fonction culturelle. Pourquoi maintenir à Anvers et à Liège, par exemple, soit à 50 kilomètres de Bruxelles et à 350 kilomètres de Paris, de tels consulats d'influence, qui doivent être, je cite, « des relais privilégiés de l'ambassadeur » ?

Au regard de l'efficacité, l'ouverture de nouveaux consulats dans une zone stratégique, en Asie par exemple, serait plus utile : il y a aujourd'hui en Allemagne un consulat français de plus qu'en Chine ! Or nous sommes condamnés à choisir, et le temps presse. Par conséquent, soyons pragmatiques.

À cet égard, deux zones me semblent prioritaires pour notre politique étrangère : l'Union européenne, indissociable de notre avenir, et l'Asie, pour son potentiel économique et son poids stratégique.

La première priorité est de renforcer notre action en faveur de la construction européenne, malgré le choc du 29 mai 2005, ou à cause de celui-ci. Nous sommes évidemment favorables au renforcement de la présence française dans les institutions européennes, avec dix nouveaux experts nationaux détachés. Je profite de cette occasion pour tordre le cou à l'idée d'une prétendue perte d'influence de notre pays au sein des instances communautaires. Que ce soit au Conseil, au sein de la Commission européenne, dans les cabinets des commissaires ou au Parlement européen, les Français sont, en réalité, parfaitement bien placés. Les promotions de nos compatriotes sont même compromises, car nous sommes représentés au-delà des quotas qui sont alloués à notre pays ! Dans ces conditions, cessons de nous autoflageller !

Passons de la proximité indispensable à l'éloignement stratégique, en ciblant les zones où la croissance est forte.

En Asie, une diplomatie de combat est à mettre en oeuvre. Madame la ministre, je sais que vous partagez ce diagnostic sur le redéploiement de notre réseau consulaire en direction des grands pays émergents, principalement ceux qui sont situés en Asie. Passons à l'acte !

Je m'étonne que nous ayons été totalement absents, et peut-être même pas informés, de la conférence de Sian, où l'on a défini la future carte de l'énergie pour cette zone en pleine expansion. De plus, quelle action souligne notre prise de conscience du fait que la Chine et l'Association of the south-east asian nations, l'ASEAN, représentent la plus grande zone d'échanges organisée du monde ?

On ne peut que s'étonner de la baisse des crédits, en partie alloués par le ministère des affaires étrangères, affectés au Pacific economic cooperation council, qui nous permettent d'être le seul État membre de l'Union européenne à participer à ce forum regroupant des pays situés sur les deux rives du Pacifique, zone où s'effectue près de 30 % du commerce international.

La ligne diplomatique chinoise a toujours été au service de la croissance économique. La montée en puissance de l'Asie va constituer un bouleversement de l'équilibre économique et stratégique actuel. Les États-Unis ont pris leur place dans cette évolution. Pourquoi la France ne profite-t-elle pas aujourd'hui de ce levier de croissance extérieure ?

Nos exportations n'ont pas suivi le rythme de croissance de cette zone. Pourquoi la balance commerciale française est-elle si déficitaire avec la Chine, ce qui n'est pas le cas de la balance commerciale allemande ?

L'Allemagne réalise la moitié des exportations européennes en Chine, en se concentrant sur les biens intermédiaires et les biens d'équipement. Il est grand temps de compléter la diplomatie des gros contrats à la française - naturellement toujours bienvenus - par un renforcement des échanges de services et de produits manufacturés. Or la France est passée du douzième au quinzième rang des pays exportateurs en Chine et son classement n'est pas meilleur sur les trop nombreux autres marchés à forte croissance.

Notre diplomatie doit y être, encore plus qu'ailleurs, une diplomatie économique qui aide nos entreprises à exporter.

Elle pourrait aussi s'appuyer utilement sur des relations précoces et régulières, nouées avec les dirigeants ou les futurs dirigeants. Ce type de contacts commence à prendre forme : l'ambassade de France a su constituer à Pékin l'un des premiers « centres pour les études en France », et les étudiants chinois bénéficieront des nouvelles mesures les autorisant à travailler en France à l'issue de leur mastère.

Pour ce qui est des relations avec les dirigeants actuels, est-il normal que Lee Hsien Loong, le Premier ministre de Singapour, pays exemplaire pour sa croissance, ne se soit rendu à Paris que deux ans et demi après son accession au gouvernement ?

Écoutons-le lorsqu'il déclare : « L'Europe doit s'engager en Asie pour comprendre ce qui s'y passe, et pouvoir en bénéficier ».

Il nous appelle à la modestie : nous ne sommes pas attendus ; c'est à nous de prendre l'initiative. Nous devons retrouver le sens de l'action, le désir de conquête et, pour ce faire, donner à notre diplomatie, qui est de très grande qualité, une véritable stratégie conquérante pour notre économie. Elle doit mieux s'intégrer dans ce monde dont l'évolution s'accélère et où, dans le cadre de la mondialisation, l'économie prend souvent le pas sur le politique.

Considérant, madame la ministre déléguée, les efforts de votre ministère pour gérer au mieux ses effectifs avec un budget modeste, la majorité du groupe RDSE soutiendra les crédits alloués à la mission « Action extérieure de l'État ».

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