Intervention de Ronan Kerdraon

Réunion du 27 octobre 2011 à 9h45
Sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé — Article 19

Photo de Ronan KerdraonRonan Kerdraon :

Monsieur le ministre, dans un entretien accordé à L’Express en juin dernier, vous aviez estimé que le système de la visite médicale devait être revu « de fond en comble ». Cependant, au vu du texte qui nous est présenté, il y a lieu de se poser un certain nombre de questions.

En effet, l’article que vous nous proposez d’adopter impose aux visiteurs médicaux dans les hôpitaux de prospecter devant plusieurs professionnels de santé, au lieu de les rencontrer individuellement. Cette « mesurette » ne modifie évidemment pas le problème, dans la mesure où cette expérimentation ne concernera qu’une partie des visiteurs médicaux, la médecine de ville n’étant pas touchée. De plus, rien ne garantit que la présence de plusieurs médecins lors de la visite médicale empêchera que ne se reproduisent les abus observés par le passé.

En effet, le réel problème de la visite médicale est qu’elle vise à pallier une carence qui existe depuis bien trop longtemps : l’insuffisante formation continue des médecins. C’est parce que ceux-ci ne disposent pas d’une institution pouvant les tenir au courant des nouveaux dispositifs mis au point, de leur utilisation et de leur qualité, qu’ils se voient obligés d’accueillir les visiteurs médicaux. Les problèmes associés à la visite médicale viennent donc de l’absence d’une réelle formation continue des médecins.

Or la visite médicale n’a pas pour but d’assurer cette formation. Elle est financée par les laboratoires, à hauteur de 1, 3 milliard d’euros en 2009, dont 1, 1 milliard d’euros en dépenses de personnels, et a donc pour principal but de promouvoir les médicaments concernés. En outre, ces dépenses sont finalement à la charge de la collectivité, à travers les prix administrés du médicament. L’information délivrée lors d’une visite peut ainsi être biaisée, voire erronée. Devons-nous rappeler que, juste avant son interdiction, le Mediator était prescrit à 80 % hors AMM ? Beaucoup d’observateurs ont alors pointé le rôle qu’avait joué la visite médicale dans cette prescription abusive.

Le Gouvernement nous explique souvent que la charte de la visite médicale, adoptée en 2004, a contribué à améliorer la qualité des informations délivrées par les visiteurs médicaux, et donc à limiter les excès. Cependant, cette charte conclue entre le Comité économique des produits de santé, ou CEPS, et les entreprises du médicament représentées par le LEEM s’est avérée être une « régulation [...] a minima », selon le rapport de l’Inspection générale des affaires sociales sur la pharmacovigilance et gouvernance de la chaîne du médicament, publié en juin 2011.

En effet, cette charte, dont l’objectif était de « ne pas occasionner de dépenses inutiles », ne comportait aucun engagement sur la fréquence de la visite, aucune disposition crédible sur la visite médicale de l’hôpital ou sur les autres produits de santé. Par ailleurs, les organismes certificateurs ne disposent toujours pas des moyens nécessaires à la vérification du respect des prescriptions de la charte, et aucun dispositif de sanction n’a été prévu en cas de non-respect de ces prescriptions. La situation est donc réellement préoccupante, et cet article ne répond pas au problème posé.

Qui pis est, cet article, en plus de manquer cruellement d’ambition, contient des dispositions qui complexifieront l’organisation des hôpitaux. De fait, il leur impose de réserver des plages horaires pour accueillir les visiteurs médicaux. Comment les petits hôpitaux de campagne devront-ils s’organiser si, sur les trois médecins en charge, un seul est disponible ? Renverra-t-on les visiteurs médicaux ? Par ailleurs, un cardiologue sera-t-il intéressé par les nouveaux dispositifs en cancérologie ?

L’absence d’une mesure d’envergure montre que votre projet manque cruellement d’une réflexion profonde sur la place des entreprises pharmaceutiques dans le risque sanitaire. De fait, la question de la visite médicale ne se réglera pas grâce à un seul dispositif.

Si le rapport susmentionné de l’IGAS et le rapport d’information de François Autain et Marie-Thérèse Hermange, fait au nom de la Mission commune d’information sur le Mediator, publié en juin 2011, recommandaient la suppression de la profession de visiteur médical, la question de la reconversion de ces 18 000 femmes et hommes se pose. En effet, il ne s’agit pas d’accabler ni de stigmatiser ces personnes, qui ne font que ce pourquoi elles sont payées. Il convient donc de réfléchir à des alternatives à la visite médicale.

Enfin, la question de la formation continue des médecins ne sera pas réglée par la suppression de la visite médicale. Il importe donc de mener une réelle réflexion – « de fond en comble », pour employer à nouveau votre expression, monsieur le ministre – sur le devenir de la visite médicale en France, et non pas d’adopter une « mesurette » pour obtenir un effet d’annonce. C'est pourquoi M. le rapporteur a proposé une mission d’information, proposition à laquelle nous souscrivons.

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