Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, à partir d’une réflexion sur l’organisation et la gouvernance du Fonds stratégique d’investissement, ainsi que sur ses choix d’investissement, notre collègue Nathalie Goulet s’interroge sur le rôle de la Caisse des dépôts et consignations et sur le contrôle qu’exerce le Parlement sur celle-ci. Étant, depuis la récente entrée en vigueur de la loi de modernisation de l’économie, qui a notamment modifié la gouvernance de la CDC, représentante de l’opposition sénatoriale au sein de la commission de surveillance de cette dernière, c’est bien volontiers que je participe au présent débat.
Mme Goulet note avec raison que le FSI est né de la volonté du Président de la République. Dans ce langage qui n’appartient qu’à lui, celui-ci a exposé sa vision du Fonds : « Je veux que l’on arrête le processus de délocalisation. […] l’État est là, et naturellement, quand la situation sera meilleure, eh bien on revendra notre part, s’il le faut on prendra un bénéfice, tant mieux pour le contribuable. Cela, c’est la première vocation de ce fonds. »
Cette vision est-elle simplificatrice ? Peut-être. En tout cas, c’est une vision circonstancielle, qui conduit, si on la suit à la lettre, à faire du FSI un pompier dans la crise.
Le 20 avril dernier, la commission des finances a pris l’initiative d’auditionner Michel Bouvard, président de la commission de surveillance, Augustin de Romanet, directeur général de la CDC, et Gilles Michel, directeur général du FSI. Ce dernier a donné sa vision de la société qu’il dirige : « La mission du FSI est d’investir dans les entreprises françaises afin de renforcer la compétitivité de notre pays. À cet égard, le Fonds prend en compte la rentabilité de l’opération et le retour sur investissement, qui sont des conditions de la pérennité du FSI, et le projet économique de l’entreprise. »
Entre les deux conceptions que je viens d’exposer, il y a, on le voit bien, plus qu’une nuance, d’où certainement une ambiguïté amenant les élus à s’interroger légitimement, notamment sur les critères présidant aux choix d’investissement du FSI.
Ce qui intéresse au premier chef la commission de surveillance, ce n’est pas trahir un secret que de le dire, c’est le « S » du FSI : la stratégie. En effet, elle s’interroge régulièrement et avec constance sur la doctrine d’emploi commandant les choix stratégiques destinés à muscler notre appareil productif pendant la crise, et surtout en période de sortie de crise. Nous auditionnons régulièrement le directeur général et nous faisons un point, tous les quinze jours, sur l’avancement de la mission du FSI. Notre collègue député Michel Bouvard est, quant à lui, l’invité permanent du comité des investissements du FSI.
D’une manière générale, nous, parlementaires, devons poser la seule question qui vaille à l’exécutif, celle de l’existence d’une politique industrielle qui mobilise les choix économiques de la nation. Une société, fût-elle érigée à partir de fonds publics, peut-elle, doit-elle être à elle seule le lieu de définition d’une stratégie industrielle ? Pour sa part, le groupe socialiste répond : certainement pas !
Après l’éphémère Agence de l’innovation industrielle, l’A2I, voulue par le président Chirac, nous doutons de l’efficacité du Fonds stratégique d’investissement lancé par le président Sarkozy pour renforcer notre appareil productif, qui était déjà bien faible avant la crise : des diagnostics ont été établis et de multiples rapports publiés sur le sujet, notre pays manquant, comme l’a dit M. Fourcade, de grosses PME capables d’être offensives et bien placées sur les marchés mondiaux. Il faut prendre la crise pour ce qu’elle est : un bouleversement du monde. Après le coup d’arrêt de la crise financière, les nouvelles puissances industrielles, c’est-à-dire la Chine, le Brésil, l’Inde, la Russie, voient redémarrer leur production, alors que celle de l’Europe a simplement cessé de chuter, tandis que les investissements sont gelés. C’est l’Union européenne qui a besoin d’une politique industrielle de coopération entre les nations qui la composent, fondée sur l’innovation et l’écologie. Traduit-on cet impératif, en France, par le biais du FSI ? Lit-on cela dans la doctrine d’emploi de ce dernier ? Je ne le crois pas.
Les états généraux de l’industrie lancés par le Gouvernement suffiront-ils à guérir notre industrie malade depuis trop longtemps ? Le débat autour de l’affectation du produit de l’emprunt suffira-t-il à engager enfin notre pays dans la voie de l’avenir ? Ces questions sont ouvertes, et nous y reviendrons certainement lors de la discussion du projet de loi de finances, et surtout du projet de loi de finances rectificative pour 2010 que l’on nous annonce d’ores et déjà comme devant faire suite aux propositions de la commission présidée par MM. Rocard et Juppé, qualifiée de « savante » par notre collègue Jean-Pierre Fourcade.
En revanche, les parlementaires siégeant à la commission de surveillance ont toute légitimité pour contrôler non seulement les investissements du FSI, mais aussi, le moment venu, les choix de cessions éventuels des actifs qui lui ont été transférés par l’État et par la CDC, son actionnaire principal. Au regard de l’autonomie d’initiative et de décision du FSI dans la gestion de ces actifs, telle qu’elle a été revendiquée par sa direction générale, la marge est étroite.
La croissance du Fonds stratégique d’investissement est un défi que la CDC doit relever. Il lui faudra concilier sa présence au FSI avec le rôle d’investisseur de long terme que lui a conféré expressément la loi de modernisation de l’économie, la LME. Il est certain que, dans la période récente, la Caisse des dépôts et consignations a été sur tous les fronts. Faut-il rappeler qu’elle a joué son rôle d’actionnaire historique de Dexia, transféré des actifs et des liquidités au FSI, soutenu une intervention auprès des entreprises, assuré la gestion du fonds d’épargne après la banalisation du livret A, veillé au respect du niveau des ressources fixé par la LME, accru ses financements au logement social, contribué au plan université et assuré la trésorerie de l’ACOSS, sans oublier de verser son écot au budget de l’État, soit 900 millions d’euros au titre de 2009 ?
Dans le même temps, les sollicitations multiples auxquelles la CDC est soumise en cette période de crise ont mis en lumière la nécessité de redéfinir ses relations financières avec l’État. Ce travail est en cours, sur l’initiative de la commission de surveillance et de son président.
En outre, depuis l’entrée en vigueur de la LME, la commission bancaire, via la commission de surveillance, exerce son droit de regard sur les activités bancaires et financières, par conséquent sur les ratios de fonds propres et sur la capacité d’endettement. Un comité des investissements a été créé, qui vise toutes les cessions et acquisitions. Je rappelle par ailleurs que lors de l’examen du projet de loi de finances rectificative portant plan de relance, le groupe socialiste a soutenu, avec le groupe de l’Union centriste, M. Arthuis, président de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation, quand il a voulu encadrer le décret en Conseil d’État relatif aux rémunérations variables que le Gouvernement devait prendre. Nous avons obtenu, malgré les fortes réticences du Gouvernement, que soient précisées les conditions dans lesquelles les actions gratuites, les stock-options, les bonus, les indemnités de départ cesseront d’être attribués, pendant la durée de la crise, aux dirigeants et mandataires sociaux de toute entreprise financièrement aidée par l’État, directement ou indirectement. Le Fonds stratégique d’investissement est concerné.
Pour que le contrôle du Parlement soit effectif, il suffit donc que les parlementaires se saisissent de leurs droits. Du reste, puisque la Caisse des dépôts et consignations est placée sous le contrôle du Parlement, il serait bienvenu que le Sénat, qui s’était beaucoup investi dans l’élaboration de la loi de modernisation de l’économie, procède à l’évaluation complète de l’application de cette dernière, y compris les modifications intervenues dans la gouvernance de la CDC. Le groupe socialiste, depuis l’été dernier, demande régulièrement en conférence des présidents l’inscription de cette évaluation à l’ordre du jour des semaines réservées au Parlement. J’invite les autres groupes politiques, notamment le groupe de l’Union centriste, à appuyer cette revendication. C’est ainsi, me semble-t-il, que nous pourrons exercer pleinement notre vigilance.