Intervention de Frédéric Mitterrand

Réunion du 26 janvier 2011 à 14h30
Patrimoine monumental de l'état — Adoption d'une proposition de loi

Frédéric Mitterrand, ministre de la culture et de la communication :

Monsieur le président, monsieur le président de la commission, madame le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je me réjouis de me présenter devant vous pour l’examen de cette proposition de loi de Mme Férat et de la commission de la culture.

Ce texte répond à point nommé à un débat de plus en plus présent et passionné chez nos concitoyens. Les discussions sur l’hôtel de la Marine, dont vous vous êtes fait l’écho dans vos propos, Mme le rapporteur, lui donne une forte actualité.

La présente proposition de loi est l’aboutissement d’une histoire déjà assez ancienne. Elle s’inscrit dans le prolongement de la loi du 13 août 2004, qui avait organisé un premier mouvement de transfert de monuments historiques de l’État, affectés au ministère de la culture, au profit de collectivités territoriales volontaires.

Cette mesure a entraîné la cession gratuite de 66 monuments appartenant à l’État, assortie d’une compensation des charges de personnels et de fonctionnement, et d’un programme de travaux d’investissement cumulés de près de 50 millions d’euros.

La commission d’évaluation des charges, dont certains d’entre vous sont membres – notamment M. Ambroise Dupont –, a examiné en novembre 2010 le bilan de la compensation, qui a donné globalement satisfaction. Le Gouvernement doit en outre présenter un bilan qualitatif à l’issue d’un délai de cinq ans après les transferts effectifs de propriété. Ces derniers ont commencé en 2006, et six d’entre eux sont encore en cours, pour des raisons diverses essentiellement liées à des difficultés de délimitation cadastrale. Ce bilan s’appuiera sur les rapports annuels que doivent remettre chaque année les collectivités bénéficiaires.

Le ministère de la culture a pour sa part entrepris un premier travail d’évaluation, nécessairement imparfait compte tenu du peu de recul dont nous disposons. Il en ressort néanmoins un bilan positif en ce qui concerne la croissance de la fréquentation pour un certain nombre de monuments : il en est ainsi du château de Chaumont, avec une augmentation de 37 %, du château de Tarascon avec une hausse de 34 %, du Haut-Koenigsbourg, qui était déjà très fréquenté, avec une hausse de 5 %, du cloître de Notre-Dame en Vaux à Châlons-en-Champagne, avec une augmentation record de 88%.

De telles hausses sont le fruit d’un effort significatif des collectivités concernées afin d’améliorer les conditions d’ouverture au public. Je salue leur engagement et leur réussite, qui sont de très bon augure pour l’avenir.

Mais d’autres monuments peinent à enregistrer de tels résultats. La mise en œuvre de leur projet culturel n’est parfois pas achevée. Sans préjuger de ce bilan sur la durée, il me paraît donc nécessaire, comme aux auteurs de cette proposition de loi, de faire mieux qu’en 2004. Je ne doute pas qu’ensemble nous y parviendrons, nous qui, entre État et collectivités, partageons une ambition commune pour l’ensemble de notre patrimoine.

La proposition de loi que vous présentez aujourd’hui est également le fruit de plusieurs tentatives récentes qui n’avaient pas abouti. Il leur manquait, en effet, l’indispensable travail de réflexion préalable que Mme Férat a mené pour la commission de la culture, de l’éducation et de la communication au cours du premier trimestre 2010 et dont j’ai pu prendre connaissance avec le plus vif intérêt.

Sur le plan méthodologique, ce rapport, unanimement salué, était une étape indispensable pour la conception d’un dispositif de transfert cohérent et fructueux. Ce dispositif s’inspire de la loi de 2004 ; il traite cependant d’un champ patrimonial beaucoup plus vaste, puisque c’est cette fois à l’ensemble du patrimoine de l’État que vous avez souhaité vous intéresser et c’est tout à fait louable. Il fallait donc remettre ainsi à plat l’ensemble des questions.

Ce travail préalable s’avérait également indispensable en ce qui concerne la place et le rôle de l’État en tant que gardien du patrimoine de la nation, ses relations avec les collectivités territoriales, leur partenariat indispensable pour la conservation de notre patrimoine en général, son utilisation intelligente au bénéfice de tous. Tous ces éléments doivent être pris en compte dans la loi qui va organiser et encadrer le processus de transfert des monuments. À la différence de 2004, ce dispositif s’inscrit dans la durée, puisqu’il n’est pas soumis à des conditions de délai.

Je tiens donc à remercier la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, M. le président Legendre et Mme Férat, d’avoir imposé ce préalable à la préparation du texte de loi que nous examinons ce soir. Nous disposons ainsi du confort et de la profondeur de vue nécessaires pour en approuver l’équilibre général.

Je tiens à le dire une fois encore : pas plus qu’en 2004, il ne s’agit d’une braderie du patrimoine de l’État, nous ne vendons pas l’argenterie de famille. L’objectif est de faciliter, pour les collectivités territoriales qui le souhaitent, la réutilisation des monuments de l’État, dont ce n’était pas toujours la destination, pour créer ou développer des équipements culturels. Tous les monuments protégés de l’État sont potentiellement concernés, soit 1 750 monuments environ, d’une grande variété de formes, d’usages, de potentialités. Il s’agit non pas de se désengager, mais de favoriser la conservation et la mise en valeur partagées de notre patrimoine, avec l’objectif commun de le rendre accessible au plus grand nombre, de le mettre au service du développement culturel de notre territoire, afin d’initier, partout, toutes les générations à cette richesse dont notre pays peut être à juste titre très fier.

Ce qui est ici essentiel, c’est le maintien du principe contractuel et partenarial de 2004, entre la collectivité, qui fait une démarche volontaire de demande de cession, et l’État, qui propose aux collectivités les monuments dont il n’a plus l’usage ou qu’il souhaite transférer. Ce partenariat est au cœur de ce dispositif et je ne conçois pas qu’il puisse en être autrement.

L’un des points forts de cette proposition de loi, c’est la création d’un Haut conseil du patrimoine, permanent, associant élus, experts en architecture, historiens et historiens d’art, et représentants de l’administration, sur le même principe que la commission animée par le professeur Rémond en 2003 et 2004. Inspiré de la notion de « principe de précaution patrimoniale » défini dans le rapport d’information préalable à cette proposition de loi, le Haut conseil aura un rôle clé pour assurer la pertinence des transferts et des cessions onéreuses, afin d’éviter les polémiques incessantes sur fond de favoritisme supposé ou de désengagement de l’État.

C’est en effet au Haut conseil qu’il revient d’apprécier, pour chaque monument dont la cession est envisagée, sa place dans le patrimoine national et l’opportunité de le céder, soit à titre de transfert gratuit s’il est souhaitable qu’il fasse l’objet d’un projet culturel, soit à titre onéreux dans les autres cas. Il lui reviendra également d’évaluer, en liaison avec la Commission nationale des monuments historiques, les contraintes spécifiques à chaque monument dans son utilisation future, ainsi que la qualité du projet culturel présenté à l’appui d’une demande de transfert gratuit. Remettre ainsi la dimension culturelle au cœur de la procédure de transfert est une préoccupation à laquelle je ne peux qu’adhérer et c’est pourquoi j’approuve pleinement la création du Haut conseil du patrimoine telle que vous la proposez.

Il pourra s’avérer qu’aucune collectivité ne souhaitera reprendre pour un projet culturel un monument identifié par le Haut conseil comme transférable gratuitement à ce titre. Je tiens à dire que, dans ce cas, il ne me paraît pas inconcevable que sa cession à titre onéreux pour un usage non culturel, mais néanmoins respectueux du monument, puisse être réalisée. La réutilisation des monuments non valorisés est, en effet, une de mes priorités. Elle s’inscrit dans une démarche de développement durable à laquelle mon ministère est attaché. Elle permet aussi d’assurer la conservation d’un monument par la pérennité de son usage. Elle permet encore d’en permettre l’accès à des publics, qui sans cette réutilisation n’y auraient peut-être jamais pénétré. Créer une école, des logements étudiants, un service administratif d’accueil dans un monument historique, c’est aussi une manière louable de replacer notre patrimoine au cœur de la société et de le rendre ainsi à la fois accessible et utile aux missions de service public.

Je tiens à dire que les monuments cédés à titre onéreux pour des usages non culturels ne seront évidemment pas négligés pour autant par les services centraux et les services déconcentrés de mon ministère. Comme pour tous les monuments historiques, mes services auront pour tâche de veiller à la compatibilité des travaux à entreprendre avec la qualité du monument, son histoire, ses caractéristiques architecturales. Ils pourront également apporter, en cas de besoin, leur expertise dans le choix du projet de réutilisation. Le ministère de la culture et de la communication accorde depuis longtemps une grande importance à la recherche de réutilisations intelligentes des monuments ; les perspectives qu’ouvre cette proposition de loi pour les collectivités territoriales sont à cet égard très stimulantes.

J’approuve, par ailleurs, les orientations du texte relatives aux collections et au non-morcellement des ensembles immobiliers lors des opérations de transfert. J’approuve encore pleinement la disposition rendant possible un retour gratuit du monument à l’État en cas d’échec du projet culturel, qui pourra être prévue spécifiquement dans le cadre de la convention de transfert.

La commission a également complété le texte d’origine par deux dispositions concernant les objets présents dans les monuments, afin d’éviter leur dispersion et favoriser leur maintien in situ. C’est une heureuse initiative, dont je me réjouis évidemment.

Le Haut Conseil a enfin pour mission de donner un avis de conformité sur le déclassement du domaine public, afin de pouvoir opérer des cessions à titre onéreux, d’un monument acquis à titre gratuit par une collectivité territoriale en application de cette loi. Là encore, le rôle de garde-fou donné au Haut conseil ne peut qu’être approuvé et la publicité de ses avis, que je m’engage à prévoir dans le décret d’application, sera le meilleur garant de son autorité morale.

Je souhaite, en conclusion, faire remarquer que les années récentes ont à plusieurs reprises donné lieu à des dispositifs de transfert de monuments ou de biens de l’État à titre gratuit, pour des raisons conjoncturelles liées à des mesures de décentralisation – statut de la collectivité territoriale de Corse en 2002, loi de décentralisation de 2004 – ou pour compenser la réorganisation de la carte militaire. Mais la proposition de loi que nous examinons ce soir, et c’est là l’un de ses apports les plus fondamentaux, est la première qui en organise la possibilité raisonnée et organisée dans la durée, pour des motifs culturels et dans un souci de développement équilibré du territoire.

À cet égard, les statuts du Centre des monuments nationaux sont précisés, afin que l’on inscrive dans ses obligations la répartition équitable de ses moyens entre les monuments dont il a la charge. Cette obligation vient ainsi consacrer le principe de mutualisation des ressources : parmi les monuments relevant du Centre des monuments nationaux, ce sont les plus fréquentés, comme l’Arc de triomphe, le Mont-Saint-Michel, la citadelle de Carcassonne, les tours de Notre-Dame de Paris ou encore le Panthéon, qui financent les moins fréquentés.

Je tiens à remercier la commission, à l’instar d’ailleurs de la Cour des comptes dans son récent rapport, d’avoir ainsi souhaité renforcer la structure et le rôle du Centre des monuments nationaux, institution centenaire, exemplaire dans son action de valorisation et de diffusion du patrimoine. C’est là aussi un signe supplémentaire dans cette proposition de loi : le caractère transférable des monuments, ainsi réactivé, n’a rien à voir avec de la braderie. Il s’agit bien au contraire d’une réaffirmation, par la loi, du rôle de l’opérateur de l’État dans le domaine de son patrimoine. Cela atteste, s’il en était besoin, du fait que vous tenez à renforcer le patrimoine dans le rôle clef qu’il doit jouer pour le développement économique de nos territoires. Cette conviction, vous le savez, je la partage pleinement avec vous.

Il s’agit au fond d’optimiser la gestion du domaine public des monuments historiques, dont nous partageons la responsabilité avec les collectivités territoriales. Le Gouvernement approuve donc cette proposition de loi dans son équilibre général, son esprit et ses dispositions. Les amendements que nous avons déposés sont mineurs et vous seront présentés au fil de l’examen du texte.

Je tiens à saluer, pour finir, l’insertion, en tête de la proposition de loi, d’une disposition relative au patrimoine inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO. Cette disposition vise à affirmer l’obligation de tenir compte, dans les politiques d’urbanisme et d’aménagement, du patrimoine culturel en général et en particulier de la valeur universelle exceptionnelle des biens inscrits à l’UNESCO. Cette mesure, M. Ambroise Dupont l’avait suggérée en conclusion de son rapport sur le budget de la culture ; elle est maintenant prise en compte et j’en remercie Mme Férat. Cette initiative vient, en effet, pallier une lacune de notre législation, qui ne tire jusque-là aucune conséquence particulière du classement d’un bien au titre du patrimoine mondial, et qui renvoie pour sa protection aux dispositifs habituels en matière de protection du patrimoine et des sites.

Affirmer la nécessité de tenir compte de nos obligations et de nos engagements internationaux en la matière jusque dans les documents d’urbanisme, c’est aussi se mettre en cohérence avec la loi Grenelle II, dont les dispositions sont marquées d’un souci constant de lier patrimoine, développement durable et bien public.

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