Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, institué par la loi du 3 janvier 1973, expressément qualifié d’autorité indépendante par la loi du 13 janvier 1989, le Médiateur de la République a su gagner une place incontournable, à la fois au sein de nos institutions et auprès de nos compatriotes.
Il remplit une mission fondamentale par sa contribution à l’amélioration des rapports entre l’administration et les usagers, en cherchant à résoudre les litiges non juridictionnels pouvant survenir entre eux. À l’époque de sa création, cette institution constituait une innovation remarquable ; elle représente désormais un acquis sur lequel nul ne souhaite bien entendu revenir.
Le rapport annuel du Médiateur est devenu un révélateur de l’état et de l’évolution de la société française et de ses difficultés, des inquiétudes de nos concitoyens, de leurs problèmes quotidiens. Il dénonce des abus, des insuffisances et, surtout, montre quel meilleur chemin pourrait être emprunté pour rendre l’administration plus efficace, plus simple, mieux apte à s’adapter aux mutations de notre société, aux besoins des citoyens et à promouvoir les principes de notre République.
Malgré la réduction des effectifs de fonctionnaires ou les coupes budgétaires, la distance entre l’administration et ses usagers persiste. Mais, au-delà de cette antienne, il n’en reste pas moins vrai que nos concitoyens pâtissent au quotidien des arcanes de l’administration, souvent abritée derrière la complexité du droit et un langage peu accessible au non-initié.
À cet égard, le rôle du Médiateur de la République, conciliateur exigeant, est absolument fondamental, comme le démontrent les 76 000 affaires dont il a été saisi en 2009. Je sais que tous les hommes qui ont exercé cette fonction – et je tiens à rendre ici hommage à la mémoire de Jacques Pelletier, ancien président du groupe du RDSE – s’en sont acquittés avec courage et conviction.
L’objet du présent texte est donc de proroger le mandat actuel du Médiateur, dans l’attente de la promulgation de la loi organique portant application du nouvel article 71-1 de la Constitution. Longtemps annoncé, ce nouveau « Défenseur des droits » a vocation à fusionner, outre le Médiateur de la République, le Défenseur des enfants et la Commission nationale de déontologie de la sécurité, ou CNDS. Il aura pour mission de veiller, selon les termes mêmes de la Constitution, au « respect des droits et libertés par les administrations de l’État, les collectivités territoriales, les établissements publics, ainsi que par tout organisme investi d’une mission de service public, ou à l’égard duquel la loi organique lui attribue des compétences ».
Bien qu’un projet de loi organique ait été déposé au Sénat le 9 septembre 2009 – vous l’avez rappelé, monsieur le secrétaire d’État –, la date de sa discussion reste encore indéterminée. Il est toutefois difficile de ne pas en aborder aujourd’hui le fond. Le champ de compétences ouvert par la Constitution et la loi organique au profit du Défenseur des droits est suffisamment large pour susciter des interrogations sur l’opportunité de faire disparaître des autorités spécialisées et ayant fait leurs preuves : en effet, l’institution de cette nouvelle autorité indépendante aura pour effet de diluer le champ d’expertise et d’investigation aujourd’hui partiellement occupé par les autorités indépendantes auxquelles il se substituerait.
Le regroupement des fonctions de contrôle et de médiation, qui relèvent de logiques différentes, risque de nuire à l’impératif d’effectivité de la protection des droits, comme n’a d’ailleurs pas manqué de le relever la Commission nationale consultative des droits de l’homme. Le contrôle est coercitif, là où la médiation est une conciliation, à l’image de l’action de l’ombudsman suédois, institution dont s’est inspiré le législateur français en créant le Médiateur de la République.
Il est pourtant établi que les autorités spécialisées peuvent se focaliser sur une mission unique et fixer une identité claire susceptible de faciliter leur mission, en déterminant elles-mêmes, de façon adaptée, leurs propres standards de contrôle.
Sur ce point, la loi organique ne va sans doute pas au bout de sa logique : pourquoi n’intégrer « que » le Médiateur, le Défenseur des enfants et la CNDS, toutes autorités aux compétences finalement disparates et cloisonnées ? Pourquoi, si le Défenseur des droits a vocation à assurer une meilleure protection des droits et libertés individuelles de façon transversale, ne pas lui avoir adjoint, par exemple, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté et la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité des droits, la HALDE ? Bien que nous ne souhaitions pas un tel élargissement des compétences du Défenseur des droits, nous ne comprenons pas l’incohérence qui a présidé à l’élaboration de ce projet de loi organique. Nous aurons naturellement le temps d’y revenir lorsque ce texte nous sera soumis.
D’une manière générale, il est aussi plus que temps de s’interroger et d’agir pour limiter l’extension du nombre et des compétences d’organismes mutant vers le juridictionnel, afin de réserver ce statut à quelques rares exceptions, dont la Commission nationale de l’informatique et des libertés, la CNIL.
Avec cette proposition de loi visant à proroger les fonctions de l’actuel Médiateur, nous sommes aujourd’hui en présence d’une sorte de demande de renvoi préjudiciel. Il est toutefois dommageable que nous soyons aujourd’hui obligés de voter cette prorogation alors que le projet de loi organique a été déposé en septembre dernier, comme cela a déjà été indiqué.
Cette situation illustre à quel point la surcharge du calendrier parlementaire – je pense aux multiples textes pénaux à vocation médiatique – peut nous contraindre à agir dans la précipitation, voire l’improvisation. Il est ainsi anormal de devoir voter un tel texte à quinze jours de l’expiration du mandat du Médiateur.
Ce texte pallie néanmoins un vide prévisible et dommageable. Fort de cette constatation, c’est tout naturellement que l’ensemble du groupe du RDSE le votera.