Intervention de Annie Jarraud-Vergnolle

Réunion du 25 mars 2010 à 15h00
Services sociaux — Rejet d'une proposition de loi

Photo de Annie Jarraud-VergnolleAnnie Jarraud-Vergnolle, rapporteur :

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, avant d’entrer dans le vif du sujet, je souhaite rappeler brièvement un élément de contexte.

Une proposition de loi analogue à celle que nous examinons aujourd’hui a déjà été discutée et rejetée par l’Assemblée nationale voilà quelques semaines. Évitons donc l’écueil qui consisterait à reproduire un débat qui a déjà eu lieu et à nous opposer, de manière stérile, les mêmes arguments qu’à l’Assemblée nationale. Tout le monde perdrait son temps et cela n’aurait aucun intérêt, surtout pour nos concitoyens.

L’attitude que je veux adopter en tant que rapporteur consistera plutôt à tirer les leçons de la discussion au Palais-Bourbon, en reconnaissant par exemple que certains arguments avancés par le Gouvernement, mais aussi par les députés, ne sont pas sans fondement, et à faire porter le débat sur des points qui n’ont pas été abordés, ou qui l’ont été insuffisamment.

En effet, depuis l’examen du texte par nos collègues députés, des étapes importantes du processus de transposition de la directive ont été franchies ; nous disposons donc de davantage de recul et de visibilité.

Comme l’a dit notre collègue Roland Ries, le texte vise trois objectifs essentiels : exclure l’ensemble des services sociaux du champ d’application de la directive ; inscrire la notion de service social dans la loi ; tenter de sécuriser la relation entre les pouvoirs publics et les prestataires de services sociaux.

Je concentrerai mon intervention sur deux points principaux. Au risque de vous surprendre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je suis convaincue que nous pouvons trouver un large accord sur ces points, tant ils suscitent le consensus au sein de notre assemblée : je veux parler, d’une part, du respect des prérogatives du Parlement en matière de transposition des directives européennes et, d’autre part, de la défense et de la promotion des services sociaux en Europe.

S’agissant de la transposition de la directive, ce n’est pas tant l’absence de loi-cadre qui est démocratiquement problématique que la mise à l’écart du pouvoir législatif et la poursuite de négociations entre le Gouvernement et la Commission européenne dans le dos du Parlement.

L’article 9 de la directive « Services » prévoit en effet que les États membres doivent faire parvenir à la Commission une liste des services pour lesquels ils estiment nécessaire de maintenir un régime d’autorisation, que le prestataire soit national ou non. Cette liste a été, conformément à la directive, remise à la Commission le mois dernier et comporte plus de quatre cents autorisations. La Commission va donc examiner le document et engager une discussion avec la France sur les régimes d’autorisation qui lui semblent injustifiés.

Or, ce qui n’est pas acceptable, c’est que le Gouvernement ait, jusqu’à hier, refusé de communiquer cette liste au Parlement. Nous n’avons donc pu exercer aucun contrôle sur les choix du Gouvernement, alors même que ces choix: auront des implications législatives !

Madame la secrétaire d’État, avouez qu’il n’est pas excessif de dire, face à une telle situation, que le Gouvernement a été fortement tenté d’ignorer le Parlement et a cherché, jusqu’au dernier moment, à le réduire à une chambre d’enregistrement. Cette méthode est certainement la plus efficace pour rendre l’Europe impopulaire !

Puisque le Gouvernement a fini par nous communiquer la fameuse liste, reconnaissez donc au moins que cette proposition de loi aura eu le mérite d’apporter un peu de transparence démocratique au processus de transposition de la directive. Tous les parlementaires, quel que soit leur bord politique, devraient s’en féliciter…

J’en viens maintenant au deuxième point : la défense et la promotion des services publics, et plus particulièrement des services sociaux, en Europe.

Permettez-moi d’abord, dans un souci pédagogique, de faire une précision juridique importante.

Si paradoxal que cela puisse paraître, la directive Services, dans sa version définitive, permet au Gouvernement de prévoir certains aménagements ; cependant, inclure ou exclure certains services du champ d’application de la directive ne modifie pas leur statut au regard du droit de la concurrence. Autrement dit, en vertu du droit communautaire, tous les services publics, y compris les services sociaux, sont soumis au droit de la concurrence.

La question est donc autant celle du périmètre de la directive que celle de l’aménagement du droit de la concurrence. Or, sur cette question, disons-le clairement, le Gouvernement ne fait pas preuve de volontarisme malgré toutes ses déclarations d’intention.

Après avoir entendu non seulement les responsables des principales fédérations associatives, mais également le secrétariat général des affaires européennes et la représentation permanente de la France à Bruxelles, j’estime pouvoir dire – et croyez bien que je me réjouirais d’avoir tort – que le Gouvernement n’a entrepris aucune démarche active pour aménager ce droit de la concurrence, ni au niveau européen ni niveau national.

Au niveau européen d’abord, nous sommes confrontés à une réglementation des aides d’État inadaptée. Toute subvention d’un montant supérieur à 200 000 euros sur trois ans doit répondre à un certain nombre de conditions telles que la définition d’obligations de service public, l’évaluation a priori du coût de ces obligations, selon des critères transparents et objectifs, ou la vérification a posteriori de l’absence de surcompensation.

L’ensemble des élus locaux le disent, ces obligations sont totalement disproportionnées au regard des moyens humains dont disposent les collectivités territoriales et entraînent des surcoûts de gestion élevés et absurdes. Soumettre une commune qui subventionne un foyer pour femmes battues ou une association de lutte contre l’illettrisme à ces exigences, n’est-ce pas céder à la frénésie bureaucratique au détriment des initiatives et de la vie locales ? Considérer que de telles subventions portent atteinte à la concurrence sur le marché communautaire, n’est-ce pas s’enfermer dans une approche dogmatique totalement coupée de la réalité ?

Alors même que de possibles alliances objectives avec d’autres pays puissants de l’Union européenne, comme l’Allemagne, permettraient de relever les seuils et d’infléchir la définition des aides d’État, le Gouvernement n’a rien entrepris en ce sens. Quel dommage, par exemple, de ne pas avoir profité de la présidence française pour mettre ce sujet sur la table !

Au niveau national également, c’est la passivité qui caractérise le Gouvernement face aux problèmes des aides d’État. Pourtant, là aussi, un examen approfondi des dispositions communautaires oblige à reconnaître que la quasi-totalité des aides versées par les caisses d’allocations familiales aux centres de loisirs, aux centres de vacances et aux centres sociaux ne sont pas conformes au droit communautaire – les acteurs concernés en sont conscients et sont inquiets – et pourront être remises en cause à l’occasion d’un contentieux déclenché, par exemple, par une entreprise privée désireuse de se positionner sur le marché.

Il s’agit non pas d’être dogmatique et de refuser a priori toute évolution du secteur social, mais de sécuriser juridiquement des centres, qui, dans une grande majorité des cas, fonctionnent bien et auxquels les maires, comme les familles, sont très attachés. Madame la secrétaire d'État, pourquoi alors un tel silence, une telle apathie de l’exécutif sur ce sujet ?

Permettez-moi une dernière remarque : la jurisprudence communautaire laisse déjà aux États membres une certaine marge de manœuvre pour définir les services d’intérêt économique général. Pourquoi le Gouvernement ne se saisit-il donc pas du sujet, notamment pour sécuriser le soutien scolaire gratuit, essentiel pour un certain nombre d’élèves en difficulté et pourtant contestable au regard du droit de la concurrence européenne ?

Tels sont, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, les points que je tenais à souligner. Vous l’aurez compris, loin de moi l’intention de polémiquer inutilement sur des sujets si importants et auxquels nos compatriotes sont légitimement attachés : je demande simplement au Gouvernement d’être plus volontariste et de se comporter davantage comme un stratège pour ce qui concerne la préservation de nos services sociaux, indispensables à la cohésion sociale de notre pays.

Tel est l’objet de la présente proposition de loi, à laquelle je suis personnellement favorable. Cela étant, conformément à l’accord passé entre les présidents des différents groupes politiques, la commission des affaires sociales n’a pas modifié ce texte lors de son examen, afin qu’il soit discuté cet après-midi sous sa forme initiale.

Je souhaite que nos débats constituent un électrochoc salvateur et enclenchent une rupture avec la passivité et la résignation dangereuses du Gouvernement dans la promotion des services sociaux en Europe !

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion