Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, madame le rapporteur, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui aborde un sujet fondamental et très important : l’organisation et la pérennité même des services sociaux de notre pays. Chacun sait que la défense des services publics guide tous les votes émis au sein de cette assemblée. C’est précisément la volonté de les préserver de la dérégulation qui nous a amenés à voter contre le traité de Lisbonne.
Force est de le constater, nous avons été les seuls à dénoncer les dangers que ce traité libéral faisait, et fait toujours, courir à nos services publics. Nos craintes étaient malheureusement fondées.
Aux termes de ce traité, la quasi-totalité des activités humaines peuvent être qualifiées d’économiques et ainsi soumises à la sacro-sainte libre concurrence.
Or la directive Services porte en elle la même veine libérale que le traité dont elle est issue. Face au principe de libre concurrence qu’elle réaffirme, elle n’a posé que de fragiles exceptions pouvant, pour la plupart d’entre elles, être remises en question au nom du marché.
La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui tente donc d’élargir le domaine des exceptions, en soustrayant certaines activités du champ d’application de la directive Services.
Comme nous estimons également nécessaire de renforcer la protection offerte aux services sociaux contre le libre marché, une telle tentative de sauvetage des activités associatives dans le domaine social nous paraît louable. Or, selon nous, cette sécurisation aurait dû intervenir en amont et se traduire par un refus du traité de Lisbonne. Il est maintenant trop tard, et les tentatives de « colmatage » seront sans effet face à ce traité, qui impose ses dérégulations !
Nous sommes d’accord sur le constat, mais nous considérons que la présente proposition de loi n’apporte pas les bonnes réponses à de véritables questions. En effet, même si elle était adoptée, elle ne serait pas en mesure de sécuriser les services sociaux, et ce en raison de l’existence du traité constitutif de l’Union européenne et du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.
Cependant, avant d’évoquer la proposition de loi sur le fond, nous voulons dénoncer avec force le déni de démocratie manifeste résultant de la méthode de transposition choisie par le Gouvernement !
Comme vous le savez, mes chers collègues, la plupart des pays de l’Union européenne ont choisi de soumettre une loi-cadre à leur représentation nationale pour transposer la directive. Or, en France, le Gouvernement a opté pour une tout autre méthode : une transposition morcelée, rampante, à travers différents textes législatifs, doublée d’une voie réglementaire, et ce dans la plus grande opacité. À n’en pas douter, l’objectif est de ne pas réveiller certains débats, par exemple le « non » au traité de Lisbonne ou encore la directive Bolkestein !
On ne compte plus le nombre de lois récentes qui contiennent des dispositions de transposition ! Et cela continue ! Ainsi, le 6 avril prochain, l’Assemblée nationale examinera le projet de loi relatif aux réseaux consulaires, au commerce, à l’artisanat et aux services, qui comporte également des mesures de transposition.
Il y a donc beaucoup à dire sur la méthode.
Certes, l’inventaire que le Gouvernement a transmis à la Commission était prévu. En revanche, l’opacité qui règne dans ce processus ne l’était pas !
Une telle manière de transposer une directive est particulièrement choquante. C’est un déni de démocratie. Nous demandons donc, une fois encore, que le Gouvernement adopte plus de transparence dans la procédure de transposition et se décide enfin à engager un vrai débat sur le sujet devant les deux assemblées. Même si une loi-cadre n’aurait pas forcément plus de poids juridique – je vous ai bien entendue, madame la secrétaire d’État –, elle aurait au moins permis la tenue d’un tel débat tant dans cette enceinte qu’à l’Assemblée nationale !
J’en viens au fond de la proposition de loi. Nous ne pensons pas que les mesures proposées permettent à nos services publics d’être à l’abri des règles européennes de la libre concurrence.
En effet, aux côtés des services d’intérêt général non-économiques, qui sont les seuls à être expressément exclus de la directive Services, certains services dits « services d'intérêt économique général » pourraient également en être exclus, mais seulement s’ils répondent aux conditions cumulatives que vous avez rappelées tout à l’heure, madame la secrétaire d’État, en l’occurrence concerner un domaine bien défini et être assurés par l’État ou par des prestataires mandatés par l’État.
Ainsi, en l’état actuel du droit européen, il est impossible de sécuriser véritablement l’ensemble des services sociaux d’intérêt général. Et vouloir les mettre à l’abri de la directive Services, comme le proposent les auteurs de la présente proposition de loi, en précisant la liste définie à l’article 2.2. j) de la directive et la procédure de mandatement est un leurre, selon nous.
En effet, au nom de sa jurisprudence très libérale, la Cour de justice de l’Union européenne pourra toujours condamner les États qui auront voulu exclure certains services du jeu de la libre concurrence. Par conséquent, la liste des domaines écartés du champ d’application de la directive Services nous paraît, au final, sans effet.
Après réflexion, nous pensons que les précisions apportées à la définition du mandat contenue dans l’article 2.2. j) de la directive constituent une fausse bonne réponse, si je puis dire, à de véritables préoccupations, et ce pour plusieurs raisons.
Tout d’abord, étendre ainsi la notion de mandatement risque de mettre à mal les spécificités du tiers secteur associatif. S’il n’existe pour ces structures que le mandatement, toute initiative associative sera tarie. On voit poindre le risque qu’une collectivité puisse choisir de mandater seulement tel ou tel type de structures pour des raisons politiques.
Ensuite, certains régimes en France – je pense notamment aux procédures d’agrément – ne sont pas assimilables à un mandatement. Pour cette raison encore, le nouveau régime de mandat proposé ne nous semble pas en mesure de répondre aux problèmes auxquels sont aujourd'hui confrontés les acteurs concernés.
Enfin, comment peut-on modifier, via un texte national, la définition du mandat qui figure, elle, dans la directive Services ? En effet, la sécurisation juridique des services sociaux d’intérêt général ne peut venir au préalable que du niveau européen, afin qu’il n’existe pas, au niveau national, de contradiction avec le droit européen, donc de sanctions.
C'est la raison pour laquelle nous suivons une autre démarche. Nous pensons que les services sociaux d’intérêt général doivent véritablement être mis à l’abri du jeu de la concurrence débridée. Nous estimons qu’ils devraient être inclus dans la catégorie des services d’intérêt général non-économiques, la seule catégorie expressément exclue des règles de la concurrence.
Soit dit en passant, de telles activités seront néanmoins toujours soumises aux règles contenues dans le traité constitutif de l’Union européenne. En réalité, c’est ce dernier qu’il faudrait modifier...
Comme nous ne pouvons nous contenter de la directive Services et des exclusions qu’elle prévoit, nous souhaitons qu’une nouvelle directive destinée spécifiquement à protéger les services d’intérêt général non-économiques et incluant les services sociaux soit adoptée.
Dans quelques semaines, nous déposerons donc une proposition de résolution en ce sens. Elle aura pour objet d’inciter le Gouvernement à demander à la Commission de mettre tout en œuvre pour élaborer une directive spécifique aux services sociaux d’intérêt général non-économiques.