Intervention de Éric Woerth

Réunion du 22 octobre 2009 à 15h00
Débat sur les prélèvements obligatoires

Éric Woerth, ministre :

Soutenir nos entreprises dans un monde de plus en plus compétitif, c’est évidemment créer de l’emploi et faire la richesse du pays. Le propos est un peu banal, frappé au coin du bon sens, voire un peu simpliste, mais il exprime la réalité.

Je constate d’ailleurs que, entre 1997 et 2002, lorsque l’opposition était au pouvoir, elle n’a pas considéré que la réforme de la taxe professionnelle ou la baisse de l’impôt sur les sociétés qu’elle avait engagée à l’époque était contraire à l’intérêt des ménages !

Que répondre à l’affirmation selon laquelle nous avons créé des taxes ? Est-ce vrai ? Certes, des taxes ciblées ont été créées. Elles étaient destinées à modifier des comportements ou à financer des réformes. Mais d’autres taxes, bien plus importantes, ont été supprimées.

Comment pourrait-on, par exemple, comparer la création de la taxe sur les extractions d’or en Guyane à la suppression de la taxe professionnelle ? En comptabilité pure, cela fait deux – un plus un. Évidemment, en termes de montant, ce n’est pas tout à fait la même chose !

Nous n’avons pas fait d’augmentation générale des prélèvements et nous ne soutiendrons aucune mesure qui irait dans ce sens, qu’il s’agisse de la création de nouvelles tranches de barème de l’impôt sur le revenu, de la diminution de l’ensemble des niches d’un coup de rabot un peu magique ou encore du détricotage du bouclier fiscal, que beaucoup nous proposent. En effet, ne nous y trompons pas, si nous faisions sauter le verrou du bouclier fiscal, la prochaine étape serait immanquablement de faire sauter le verrou des hausses d’impôt pour tout le monde ! Qui croira d’ailleurs à notre engagement de ne pas augmenter les impôts si nous commençons par revenir sur notre engagement de mettre en place un bouclier fiscal ?

Si nous ne voulons pas de hausse générale d’impôt, c’est parce que c’est par la relance de l’activité et par la baisse des dépenses que notre situation financière s’améliorera. C’est notre politique, et nous l’assumons ! La priorité, c’est la baisse des dépenses, pas la hausse des impôts.

C’est d’ailleurs un débat qu’il faut aussi avoir au niveau local. Quand on compare l’augmentation de l’emploi public local, hors charges de décentralisation, et l’augmentation des taux d’imposition locaux, on se dit que cette stratégie-là n’est pas viable.

Il me paraîtrait utile d’avoir un débat sur l’ensemble de l’emploi public. Les fonctions publiques d’État, hospitalière et locale méritent que l’on regarde de près leurs évolutions. Nous devrons en débattre un jour ou l’autre. À un moment, nous avons apporté des réponses pour l’État. Ensemble, nous devrons essayer de donner des réponses plus générales sur l’emploi public.

Mais pas de hausses des prélèvements, cela ne veut pas dire immobilisme. Bien au contraire, le Gouvernement s’est engagé dans une réforme profonde de la fiscalité, autour de trois axes : une fiscalité qui permette plus de compétitivité, une fiscalité garante d’un meilleur respect des normes et de la volonté écologique, et une fiscalité plus juste.

Pour renforcer la compétitivité de notre pays, tout d’abord, nous allégeons la charge fiscale pesant sur les dépenses d’avenir : l’investissement et la recherche et développement.

Après la suppression de l’impôt forfaitaire annuel, l’IFA, Christine Lagarde et moi-même vous proposons, dans le projet de loi de finances, la suppression de la taxe professionnelle. C’est évidemment une réforme majeure. Elle a été préparée par le Gouvernement et par les parlementaires pour lutter contre les délocalisations, pour améliorer l’attractivité du territoire.

J’ai conscience du fait que les collectivités locales ont aussi besoin de leurs financements. Je serai le dernier à dire le contraire ! Mais nous ne réformerons pas la taxe professionnelle sans garantir l’autonomie financière et la stabilité des ressources des collectivités.

C’est d’ailleurs le débat qui se déroule en ce moment à l’Assemblée nationale. Bien évidemment, il se prolongera dans quelques semaines au sein de la Haute Assemblée.

Notre engagement est clair, et le Gouvernement a donné toutes les garanties politiques et techniques – elles peuvent évidemment être améliorées encore – aux collectivités : tout d’abord, la garantie de ressources, assurant à chaque collectivité, à chaque établissement public de coopération intercommunale que ses ressources totales seront inchangées. Je le réaffirme, il n’y a pas une collectivité perdante dans cette réforme !

Par ailleurs, le Gouvernement s’engage à garantir l’autonomie financière des collectivités, ainsi que le lien entre les entreprises et les territoires. Certes, il faut encore l’améliorer. De nombreux amendements sont déposés en ce sens à l’Assemblée nationale. J’imagine que ce sera le cas également au Sénat.

Contrairement à ce que j’ai entendu dire, cette réforme n’est pas une réforme menée pour les entreprises et contre les collectivités. Comme l’a dit le Premier ministre la semaine dernière devant la Conférence nationale des exécutifs, « il n’y a pas d’un côté l’État et puis de l’autre côté les collectivités locales […] il y a une seule République au fonctionnement de laquelle concourent et l’État et les collectivités locales ».

Avant les discussions très denses qui vont nous occuper ces prochaines semaines sur ce sujet, avec Christine Lagarde qui porte ce texte sur la taxe professionnelle, je profite du débat d’aujourd’hui dans la Haute Assemblée pour poser une question simple : qui peut nier que la suppression de la taxe professionnelle soit nécessaire ? Au fond, pas grand monde ! Qui peut nier qu’elle soit bénéfique pour l’économie française ? Pour sa compétitivité ? Pour ses emplois, et donc pour nos territoires ? Personne ! Même à gauche, les personnalités les plus éminentes l’ont reconnu dans le passé et continuent à le reconnaître.

Cette réforme doit donc être faite. Elle est difficile, complexe, bouscule les habitudes, crée de la crainte, j’en conviens aisément. Mais cette réforme est nécessaire. C’est notre rôle d’arriver à surmonter ensemble les obstacles pour aboutir.

J’en viens à un autre point majeur, s’agissant des prélèvements obligatoires : après le Grenelle de l’environnement, la fiscalité doit être tournée de plus en plus vers l’économie verte et vers un modèle de croissance verte.

Ainsi, nous devons déplacer la fiscalité de la production vers la pollution. C’est le cas avec la taxe carbone.

Nous devons également procéder à un certain nombre d’ajustements de nos dispositifs fiscaux pour encourager les comportements écologiques, et donc procéder à un certain nombre de « verdissements », comme l’on dit. On ne peut pas s’engager en faveur de l’écologie uniquement au moment des élections ; il faut le faire dans les textes, et nous le faisons.

Instituer la taxe carbone, c’est évidemment mettre un prix sur ce qui n’était jusqu’à présent qu’un coût pour l’environnement. C’est un signal envoyé aux entreprises et aux ménages. La taxe carbone est tout simplement indispensable et cohérente avec les engagements politiques de la majorité.

Dans le respect d’un autre de nos engagements, celui de ne pas augmenter les prélèvements, nous rendrons le produit de cette taxe aux ménages et aux entreprises. Cependant, et personne d’ailleurs ne s’y trompe, sa mise en place correspond à un changement en profondeur de notre fiscalité.

Enfin, la fiscalité doit être plus juste, ce qui signifie d’abord qu’il faut continuer à agir sur les niches fiscales.

Il est assez facile de caricaturer le débat en la matière, mais j’estime que nous avons progressé au cours des dernières années, notamment avec l’appui du président et du rapporteur général de votre commission des finances, et je tiens à dire que le Gouvernement reste mobilisé.

Au fond, on peut ou poursuivre le plafonnement des niches, en continuant à procéder niche par niche, ou changer de méthode et prendre un rabot.

Je relève toutefois que, comme d’habitude, on commencera par faire faire beaucoup de tours et de détours au rabot pour éviter des niches dont on considère qu’elles ne peuvent être rabotées. Ce sera quasiment du slalom ! Il serait en effet malaisé de raboter la prime pour l’emploi, les diminutions de base taxable pour les retraités, les avantages fiscaux accordés aux personnes handicapées ou encore – d’autant que cela mettrait beaucoup d’emplois en cause – ceux dont bénéficient les quelque 3 millions de personnes qui recourent à des gardes d’enfant ou à des emplois à domicile.

Au fond, compte tenu de tous les virages qu’il devrait faire, le rabot ne servirait pas à grand-chose ! C’est donc, mesdames, messieurs les sénateurs, à un travail en profondeur que nous allons, ensemble, nous livrer sur la base d’un document qui nous permettra de disposer de tous les éléments d’un débat complet et éclairé.

J’ai en effet demandé l’année dernière à l’Inspection générale des finances de procéder à l’examen et à l’évaluation des 469 niches fiscales, notamment sous l’angle de la rentabilité socio-économique.

Pour effectuer sérieusement cette tâche, qui est considérable, deux ans environ sont nécessaires ; nous connaîtrons donc d’ici à la fin du premier semestre de l’année 2010 les résultats de cet examen pour la plupart des « grandes » niches, et donc les volumes que représentent réellement celles-ci.

Par ailleurs, le projet de loi de finances pour 2010 comprend toute une série de propositions, dans le domaine fiscal comme dans le domaine social, dont nous pourrons, évidemment, discuter.

J’ajouterai que, s’agissant des prélèvements tant fiscaux que sociaux, je suis désormais assez favorable au renouvellement de nos règles pour assurer une bonne gouvernance de nos finances publiques, idée qui, jusqu’à présent, ne m’enthousiasmait guère, car, quitte à dépenser beaucoup d’énergie, j’estimais préférable d’utiliser celle-ci à diminuer la dépense plutôt qu’à définir des règles dont je crains toujours qu’elles ne cachent l’essentiel, à savoir l’action non pas sur la forme mais sur le fond.

En tout état de cause, nous allons avoir à nouveau, d’ici au printemps, un débat dans le cadre d’un projet de loi de programmation, et il serait à mon avis bon que, à l’occasion – donc bien en amont – de la préparation de celui-ci, qui se fera, bien sûr, en étroite collaboration avec la commission des finances du Sénat, nous essayions de construire des règles adaptées à notre pays.

Il ne s’agit pas, par exemple, de copier les règles allemandes – l’Allemagne, chacun ici l’a remarqué, n’est pas tout à fait la France en matière de finances publiques… –, mais bien de définir des règles qui, tout en permettant d’encadrer suffisamment nos finances, respectent nos modes de fonctionnement ainsi que notre culture politique et économique.

Le Gouvernement vous fera des propositions en ce sens, et je ne doute pas que votre commission des finances fera de même ; le débat nous aidera à tracer le chemin de l’assainissement de nos finances publiques pour les trois prochaines années.

Au-delà de la lutte contre la fraude, qui vise en définitive au rétablissement de la vérité, de l’honnêteté et de la réalité de nos prélèvements obligatoires, telles sont les considérations que je souhaitais vous livrer en guise d’introduction à ce débat sur les prélèvements obligatoires.

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