Intervention de Philippe Marini

Réunion du 22 octobre 2009 à 15h00
Débat sur les prélèvements obligatoires

Photo de Philippe MariniPhilippe Marini, rapporteur général de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous ouvrons la saison budgétaire avec ce débat.

Vous savez, monsieur le ministre, que c’est dans cette assemblée que s’est manifestée, lors de l’élaboration de la loi organique relative aux lois de finances, la volonté d’organiser un débat « facteur commun » au projet de loi de finances et au projet de loi de financement de la sécurité sociale.

Cette année, la situation est très particulière parce que nous sommes en période de crise et que cette crise perturbe les ordres de grandeur : en quelque sorte, nous sommes en état d’apesanteur financière.

Nous perdons, dans la crise, nos repères en même temps qu’un paradoxe extraordinaire se produit, pour nous qui avons plaidé si longtemps en faveur de la baisse du taux des prélèvements obligatoires et avons si longtemps soutenu, dans nos engagements politiques et nos programmes d’autrefois, qu’il était nécessaire de faire refluer ce taux jusqu’à 40 % du produit intérieur brut.

Eh bien, c’est fait !

Cependant, si nous sommes passés de 45 % à 40 %, nous y sommes arrivés non pas exactement par le chemin que nous escomptions… mais plutôt par l’enchaînement des circonstances de la crise.

Et, paradoxe, ce taux de 40 %, nous ne l’avions plus jamais connu depuis 1981, ce qui mérite tout de même d’être noté ! Mais c’est justement une façon de souligner l’ampleur de la crise.

Il s’agit là non pas d’un phénomène mineur, mais d’un phénomène qui va impacter très durablement le contexte dans lequel nous vivons et les structures de notre économie, plus particulièrement les éléments structurels de nos finances publiques.

À la vérité, ce taux de 40 % du produit intérieur brut, nous y arrivons du fait d’un affaissement, et même d’un effondrement de certaines des recettes de l’État.

Vous l’avez dit très justement, monsieur le ministre, l’impôt sur les sociétés a ainsi diminué d’à peu près 30 milliards d’euros. Plus exactement, il était dans la zone des 45 milliards à 50 milliards d’euros, et il sera, à la fin de 2009, dans la zone des 15 milliards à 20 milliards d’euros.

Quant à l’analyse des probabilités pour 2010, elle fait apparaître que le rendement de l’impôt sur les sociétés se situera vraisemblablement non pas dans la zone des 45 milliards à 50 milliards d’euros, mais dans celle des 30 milliards d’euros. Autrement dit, nous n’allons pas spontanément retrouver en 2010 le niveau antérieur.

Cela me paraît être un enseignement important à méditer, car, mes chers collègues, le point qu’il va falloir évaluer de manière très approfondie est celui de savoir quelles sont les transformations apportées à l’économie par la crise.

Je suis pour ma part très sincèrement convaincu, monsieur le ministre, qu’après ne sera pas comme avant. La machine ne va pas se remettre à tourner comme avant, et ce ne sera d’ailleurs plus la même machine !

La question sera donc notamment de savoir, en termes techniques, à partir de quel niveau de produit intérieur brut potentiel nous allons redémarrer et quel chemin nous allons suivre.

Avant la crise, l’ordre de grandeur du taux de croissance potentiel, puisque c’est de cela qu’il s’agit, était fixé par les économistes à 2 % l’an. Retrouverons-nous ce taux de 2 % et, je le répète, à partir de quel niveau de produit intérieur brut ?

Toute l’équation des finances publiques dépend de cela, de même que dépend de cela la distinction, excellente, entre déficit conjoncturel et déficit structurel.

Si le point de départ comme le taux de croissance potentiel de l’économie sont plus bas, une proportion importante du déficit, qui aurait été estimée conjoncturelle selon l’ancienne analyse, devient structurelle, ce qui signifie que les efforts à faire pour converger vers l’équilibre devront être plus importants demain qu’ils ne l’auraient été hier, dans la dynamique de l’économie que nous connaissions avant la crise.

Dire cela, monsieur le ministre, n’est pas faire preuve de pessimisme ; c’est ce qu’en cette période d’automne nous pouvons entendre, les uns et les autres, dans toutes les réunions macroéconomiques qui se tiennent, et en France et en Europe, et nous ne pouvons pas faire exception à la réalité, car nous sommes dans la réalité.

Il n’en est que plus nécessaire de suivre les orientations que vous avez évoquées à la fin de votre propos en retenant l’opportunité de principes de gouvernance des finances publiques pour l’avenir.

Pour imaginer ces principes, nous pouvons prendre appui sur ceux qui existent déjà, et en particulier nous fonder sur les articles de la loi de programmation des finances publiques qui induisent un certain nombre de contraintes tout en examinant comment ces contraintes sont respectées, ce qui sera sans doute un bon point de départ pour le raisonnement.

Même si les chiffres de la loi de programmation des finances publiques sont, du fait de la crise, complètement obsolètes, les articles normatifs, eux, ne le sont pas. Ils sont censés devoir s’appliquer.

Ainsi, l’article 11 prévoit l’obligation chaque année de gager les créations et augmentations de niches fiscales ou sociales par des suppressions ou réductions de niches.

L’article 12 crée quant à lui l’obligation de procéder à une évaluation des niches fiscales au plus tard le 30 juin 2011 – vous en avez parlé, monsieur le ministre.

Bien entendu, il faut tenir compte de ce gage des nouvelles niches fiscales année par année.

J’ai cru comprendre que l’interprétation de l’administration était un peu plus globale et qu’il s’agissait davantage d’évaluer le coût des niches « en régime de croisière », ce qui permet d’oublier que, en 2010, selon toute probabilité, les nouvelles niches coûteront 2, 2 milliards d’euros, et non pas 200 millions d’euros.

À ces règles relatives aux régimes exceptionnels s’ajoute, en dernier lieu, un autre dispositif, qui interdit de procéder à des allégements d’impôt lorsque les recettes sont inférieures à un certain montant fixé en valeur absolue.

Si l’on applique, comme je crois pouvoir le faire au moins de manière théorique, ce point de droit et si l’on veut respecter pour l’année 2011 cette règle, il faudrait augmenter les ressources, d’ici à cette année-là, de 6, 5 milliards d’euros.

Qu’il s’agisse de jouer sur la dynamique de l’assiette ou sur tout autre moyen d’augmenter les ressources, il n’en reste pas moins, mes chers collègues, que c’est ce que nous avons voté !

Bref, monsieur le ministre, il est clairement nécessaire, notamment du point de vue de la « soutenabilité » de notre dette et donc pour favoriser une approche confiante de la part des opérateurs internationaux, que nous tracions des perspectives crédibles et que nous nous dotions d’un corps de principes auxquels il nous faudra bien, quoi que cela coûte, nous tenir.

Je voudrais, avant d’en venir à ma conclusion, appliquer maintenant mes réflexions à quelques dossiers d’actualité.

Vous avez évoqué, monsieur le ministre, la taxe carbone. Pour moi, vous le savez, ce n’est pas une taxe, mais, nous en sommes d’accord, c’est un signal-prix.

Ce dispositif doit normalement induire un ajustement des comportements et être lui-même biodégradable, ce qui suppose, dans les deux cas, qu’il ait un certain coût ; à défaut, rien ne se passera. Nous devrons étudier ce très délicat réglage dans le cadre du projet de loi de finances pour 2010.

J’en viens à la réforme de la taxe professionnelle.

J’avais participé, en son temps, aux travaux de la commission Fouquet, à laquelle il faut d’ailleurs rendre hommage, car elle avait remarquablement travaillé. Les solutions qui nous sont aujourd’hui soumises en sont d’ailleurs issues.

Si cette réforme peut se faire, monsieur le ministre, c’est parce que nous sommes en période de crise. Et si j’y adhère, malgré mes réserves initiales, c’est parce que nous sommes en crise et parce que cette réforme représente le deuxième acte du plan de relance. Nous allons soutenir la trésorerie des entreprises pour la deuxième année consécutive grâce à un apport d’une dizaine de milliards d’euros. Nous devons le faire ! Mais nous savons tous ici, comme vous-même, que des inquiétudes s’expriment et qu’il faudra y répondre.

Pour limiter les inquiétudes que cette réforme ne manquera pas de susciter et pour répondre aux questions légitimes qui se posent, la première chose à faire est de traiter en une seule fois l’ensemble de la réforme dans le projet de loi de finances pour 2010, mais en « adaptant le temps », c’est-à-dire en distinguant, en première partie, ce qui impacte le solde pour 2010, et, en seconde partie, ce qui n’a aucune vocation à s’appliquer à l’exercice 2010.

Si nous ne votons pas cette réforme dans son ensemble, en choisissant avec soin la place de chaque curseur, je crois, monsieur le ministre, que nous alimenterons encore davantage les inquiétudes et les anxiétés, qui sont parfois instrumentalisées…

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