Or, si la sécurité sociale a pu supporter depuis 2003 des déficits annuels voisins de 10 milliards d’euros au prix d’un accroissement important de la dette sociale, elle ne résistera pas, à mon sens, à plusieurs années d’un déficit qui se maintiendrait à 30 milliards d’euros par an. Il ne s’agirait plus d’un déficit conjoncturel lié à la crise mais, comme l’a dit M. Marini, d’un déficit structurel.
Nous devons donc réagir avec vigueur et surtout ne pas croire que le retour de la croissance arrangera tout.
Quel est l’état de nos prélèvements sociaux ? Ils se stabilisent autour de 22 % du produit intérieur brut de 2008 à 2010 et stagnent, en valeur, à environ 430 milliards d’euros – ce n’est pas rien ! –, un chiffre à rapporter aux 240 milliards d’euros du budget de l’État.
Cette évolution appelle plusieurs remarques de ma part.
C’est d’abord la première fois qu’on observe deux années consécutives de baisse de la masse salariale, soit une baisse de 2 % en 2009 et de 0, 4 % en 2010. En conséquence, par rapport à la moyenne observée au cours des dix dernières années, on enregistre plus de 21 milliards d’euros de pertes de recettes pour 2009 et 2010, au seul titre des recettes liées aux revenus d’activité, c’est-à-dire les cotisations et une grande partie de la CSG.
De leur côté, les prélèvements sur les revenus du capital chutent d’environ 20 %, soit une perte de 3, 4 milliards d’euros.
Cependant, quelques recettes fiscales affectées à la sécurité sociale résistent assez bien à la crise, notamment les taxes dites comportementales, comme les droits sur les tabacs, les droits sur les alcools, ainsi que la TVA sur les produits pharmaceutiques.
Il résulte de cet ensemble de facteurs que le ratio de couverture des dépenses par les recettes se réduit considérablement puisqu’il passe, pour le régime général, de près de 97 % en 2008 à 90 % à peine en 2010.
Ce rapide accroissement des déficits a un corollaire : l’aggravation de la dette sociale. Pour l’instant, cette dette est portée par l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale, l’ACOSS, et le restera tout au long de l’année 2010 ; M. le ministre l’a d’ailleurs confirmé devant la commission des affaires sociales. C’est à ce titre qu’il est prévu dans le projet de financement de la sécurité sociale un plafond d’emprunt de 65 milliards d’euros en 2010.
Au-delà des risques financiers que cela comporte, et dont nous reparlerons lors de l’examen du projet de financement de la sécurité sociale, le simple report du traitement de la dette risque de rendre plus coûteux et douloureux, demain, les prélèvements pour en assurer le financement.
Nous avons posé en juin dernier les données du problème : conformément à la règle organique, tout transfert de dettes à la Caisse d’amortissement de la dette sociale, la CADES, doit s’accompagner d’un transfert de ressources pour lui permettre d’y faire face. La reprise par la CADES au 1er janvier 2011 des déficits sociaux de 2009 et 2010 exigera donc une augmentation de la contribution pour le remboursement de la dette sociale, la CRDS, de 0, 54 point, soit plus du doublement de son taux, qui passerait de son niveau actuel, 0, 5 %, à 1, 04 %. Si l’on attend une année supplémentaire, la reprise de dette devrait avoisiner les 100 milliards d’euros, et il faudra alors porter la CRDS au taux de 1, 44 %, soit le triplement de l’actuel taux de prélèvement.
Ces chiffres démontrent de façon évidente la nécessité d’envisager sans plus tarder le traitement de la dette sociale en cours d’accumulation. Le reporter reviendrait à transférer aux générations futures des prélèvements obligatoires que nous n’aurons pas voulu acquitter nous-mêmes, ce qu’elles pourront, à juste titre, nous reprocher un jour.
À moins que nous n’acceptions de modifier la loi organique : les Français d’aujourd’hui devraient alors supporter cette charge.
Je reconnais que le contexte actuel est complexe. Vous êtes, monsieur Woerth, un des ministres des comptes publics qui aura été confronté à la situation budgétaire la plus difficile. Votre tâche est donc ardue. Mais qu’une reprise de la dette par la CADES soit d’ores et déjà mise en œuvre et que les ressources nécessaires lui soient transférées m’apparaîtrait comme une solution pertinente. La hausse de la CRDS qui devrait alors être votée pourrait éventuellement être atténuée, bien que cette solution ne m’enchante pas, par un léger desserrement de la contrainte liée à la durée de vie de la CADES, à condition qu’il n’entraîne pas un basculement complet de la totalité de la dette sur les générations suivantes.
Cette première étape, le traitement des déficits en cours, étant posée, la question essentielle reste entière : comment réduire les déficits des années à venir ou, autrement dit, comment financer le maintien d’un haut niveau de protection sociale à nos concitoyens, en tenant compte du niveau élevé de nos prélèvements obligatoires et des problèmes de compétitivité de nos entreprises ?
Puisque nous débattons des prélèvements obligatoires, je passerai quasiment sous silence le problème de la maîtrise des dépenses. Simplement, par référence à un principe qui s’applique uniquement aux niches sociales et fiscales, l’on pourrait imaginer qu’une augmentation des prélèvements obligatoires soit compensée par une diminution des dépenses. Mais il n’est pas évident de diminuer les dépenses sociales. La seule possibilité consisterait à revoir les périmètres du régime obligatoire et des régimes complémentaires. Je vous laisse imaginer dès à présent les débats que provoquerait une telle initiative chez les partenaires sociaux et chez nos concitoyens. Mais pourrons-nous en faire l’économie ?
Sur le plan des recettes, je constate qu’aucun observateur, aucune institution, aucun expert avisé n’exclut aujourd’hui une hausse des prélèvements pour faire face aux dépenses supplémentaires, liées notamment au vieillissement de la population.
Les décisions relatives aux prélèvements de la sortie de crise et de l’après-crise doivent donc être préparées dès à présent.
La priorité, semble-t-il, est de poursuivre l’élargissement et la préservation de l’assiette des prélèvements sociaux. Comme le rappelle régulièrement la Cour des comptes dans ses différents rapports, les meilleurs prélèvements sont ceux qui ont une assiette large et des taux bas.