Intervention de Roland Courteau

Réunion du 26 mai 2011 à 9h00
Débat sur le bilan du dispositif d'exonération fiscale et sociale des heures supplémentaires

Photo de Roland CourteauRoland Courteau :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, en application du slogan de Nicolas Sarkozy : « Travailler plus pour gagner plus », la loi du 21 août 2007 en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat, dite « loi TEPA », a créé un nouveau dispositif d’exonération des cotisations sociales et de l’impôt sur le revenu, concernant les heures supplémentaires et complémentaires.

Près de quatre ans après, quel bilan peut-on tirer de ces dispositions ? Je précise d’emblée, car c’est fondamental, que la décision de recourir aux heures supplémentaires constitue une prérogative de l’employeur, dans l’exercice de son pouvoir de direction. C’est l’employeur, et en aucun cas le salarié, qui décide de recourir ou non aux heures supplémentaires.

Il y a donc, à l’origine de ce dispositif, une confusion délibérément entretenue, destinée à faire croire aux salariés qu’ils peuvent choisir de « travailler plus », alors qu’ils n’ont aucune latitude en la matière. Il en résulte, comme on le verra, que le « procédé TEPA » est donc très habile dans sa conception, mais fondé en partie sur une illusion.

Concernant le volet « heures supplémentaires » de la loi TEPA, il faut savoir que, dès le départ, soit en 2007, ses effets négatifs avaient été annoncés par des économistes d’obédience libérale tels que Pierre Cahuc, dans le cadre du Conseil d’analyse économique. Ce dernier affirmait qu’une telle mesure aurait un effet ambivalent sur l’emploi : d’un côté, elle inciterait les entreprises à faire travailler davantage en heures supplémentaires leurs salariés, lesquels répondraient favorablement à une telle proposition ; de l’autre, elle constituerait un véritable frein à l’embauche, puisque le coût du travail effectué en heures supplémentaires serait inférieur au coût du travail normal.

Il indiquait également que s’ajouterait à cela le problème du financement, car le fait que des heures supplémentaires se substituent à des heures « normales » entraînerait une perte significative de cotisations pour les organismes sociaux, perte qu’il faudrait rapidement refinancer par des charges additionnelles.

Michel Godet, économiste et professeur au CNAM, le Conservatoire national des arts et métiers, systématiquement hostile à la réduction du temps de travail, écrivait dans La Tribune, au début de l’année 2007: « Il ne faut surtout pas soustraire les entreprises aux cotisations, comme le propose l’UMP. Cela aurait un effet d’aubaine par lequel les entreprises s’arrangeraient pour moins embaucher et faire travailler plus de salariés sous le régime des heures supplémentaires, privant ainsi le système de cotisations sociales substantielles. »

Ainsi, on peut facilement calculer que, pour une entreprise de cinquante salariés, trois heures supplémentaires par semaine et par salarié permettent d’économiser quatre embauches sur l’année L’avantage n’existe que pour les employeurs et les salariés qui bénéficient du système. Bref, le dispositif crée un effet de rente.

J’ai d’ailleurs relevé dans la presse l’exemple d’une PME ayant augmenté de 15 % ses heures supplémentaires, ce qui lui a permis de ne réaliser aucune embauche, y compris en contrat à durée déterminée : les salariés travaillent une heure et demie de plus par jour, au tarif horaire normal. Dans cet exemple, l’employeur est donc le grand bénéficiaire. Quant aux salariés, ils se disent satisfaits, ce dispositif leur permettant de boucler leurs fins de mois, ce qui montre que leur salaire est trop faible pour leur permettre de vivre décemment. Il serait d’ailleurs intéressant de savoir combien d’entre eux sont assujettis à l’impôt sur le revenu.

Je souhaite également préciser que le nombre d’heures supplémentaires comptabilisé est également sujet à caution, car le risque d’une fraude concertée entre l’employeur et le salarié est grand : il est en effet plus avantageux de payer au salarié des primes, et de convertir celles-ci en heures supplémentaires non imposables et exonérées de cotisations patronales et salariales. La loi l’interdit certes, mais seules les URSSAF peuvent déceler une telle manœuvre, et ce à condition que des primes aient été versées auparavant.

On a donc vu surgir du néant, dans un premier temps, des heures supplémentaires purement fictives qui ont permis d’alimenter la communication gouvernementale, alors même que la production nationale n’augmentait pas, ce qui offrait l’exemple d’une contradiction insoluble.

Permettez-moi de citer également le rapport d’octobre 2010 du Conseil des prélèvements obligatoires, lequel constitue un véritable réquisitoire contre l’exonération des heures supplémentaires : « La très forte progression du volume d’heures supplémentaires par salarié, de 34, 5 % entre le deuxième trimestre 2007 et le deuxième trimestre 2008, semble notamment peu compatible avec l’évolution de la conjoncture (ralentissement de la croissance en 2008) ».

En 2008, selon le Gouvernement, 750 millions d’heures supplémentaires auraient été effectuées dans le secteur privé par 5, 5 millions de salariés, soit 38 % des salariés à temps complet.

Les auteurs du rapport précité indiquaient cependant que « les entreprises ont recensé avec plus de précision les heures supplémentaires réalisées, alors que les données statistiques sur les heures supplémentaires n’existent que depuis le quatrième trimestre 2007. » Cela sonne comme un aveu !

Dès le premier trimestre de l’année 2009, le nombre d’heures supplémentaires a baissé de 11 % par rapport au dernier trimestre de l’année 2008. À partir de ce moment, il devient curieusement difficile d’obtenir des statistiques…

Le rapport du 6 octobre 2010 du Conseil des prélèvements obligatoires fait encore remarquer que « pour les salariés, la baisse de la fiscalité sur les heures supplémentaires a en principe tendance à encourager l’augmentation de l’offre de travail (incitation financière à travailler). Toutefois, l’incitation à l’accroissement du temps de travail créée par la mesure suppose que l’offre de travail, sous la forme d’heures supplémentaires, ait un impact sur son niveau effectif, ce qui n’est pas garanti. En effet, la baisse de la fiscalité sur les heures supplémentaires comporte un risque de substitution de la rémunération sous forme d’heures supplémentaires à la rémunération sous forme d’heures normales, mutuellement gagnante pour l’employeur et le salarié. Cette substitution peut d’ailleurs se produire par simple réduction de la sous-déclaration des volumes d’heures supplémentaires. La défiscalisation des heures supplémentaires conduit alors à des pratiques d’optimisation visant à maximiser l’assiette exemptée au détriment de l’assiette assujettie. »

Je veux également évoquer les effets négatifs de ce dispositif sur la création d’emplois.

Inutile en période de récession et de chômage élevé, ce dispositif se substitue à des mesures qui pourraient être directement orientées vers le retour à l’emploi, comme des formations ou des contrats aidés.

En période de retour de la croissance, même faible, il freine la création d’emplois, à rebours de l’objectif que devrait poursuivre la politique du Gouvernement.

Aussi la loi TEPA est-elle, selon nous, un mécanisme qui appauvrit la croissance en emplois. Celles de ses dispositions qui sont relatives aux heures supplémentaires constituent de surcroît un encouragement au blocage des salaires, en incitant les employeurs qui le peuvent à proposer des heures supplémentaires à des salariés supposés volontaires, au détriment d’une augmentation collective et négociée des salaires.

La crise de 2008 et la récession consécutive, en rendant inutile le recours aux heures supplémentaires, ont fait échec à l’intention manifeste consistant à individualiser les salaires.

Le mécanisme introduit par la loi TEPA s’applique seulement aux salariés dont la rémunération est inférieure au plafond de la sécurité sociale, c’est-à-dire aux travailleurs qui, parce qu’ils ont le plus besoin d’accroître leurs revenus, peuvent être conduits à accepter des heures supplémentaires pour un bénéfice somme toute modeste, particulièrement s’ils font partie des contribuables exonérés de l’impôt sur le revenu.

Après plusieurs années de blocage des salaires, les revendications portant sur le pouvoir d’achat sont aujourd’hui fortes ; elles s’exaspèrent en raison des difficultés quotidiennes, des informations disponibles sur les revenus considérables des dirigeants de grandes entreprises et du partage inégal des plus-values entre les actionnaires et les salariés.

De plus, comme le fait observer le Conseil des prélèvements obligatoires à propos des salariés qui n’effectuent pas d’heures supplémentaires, « la nécessité de combler la perte pour les finances publiques risque de peser sur leur pouvoir d’achat via des prélèvements obligatoires supplémentaires. »

Au total, pour les salariés concernés par les heures supplémentaires comme pour les autres, le bénéfice résultant du dispositif est largement illusoire, voire négatif.

La loi TEPA prend place dans la guerre de tranchées engagée par le patronat contre les lois de 2000 et 2002 réduisant le temps de travail et fixant à 35 heures la nouvelle durée légale hebdomadaire du travail.

Dans les branches comme dans de nombreuses entreprises, les partenaires sociaux sont parvenus, parfois difficilement, à des accords collectifs acceptables par les deux parties. Sur le terrain, le désir de rouvrir les négociations sur le temps de travail est donc modéré.

C’est pourquoi les gouvernements, soucieux de faire l’économie d’un nouveau grand débat sur ce sujet, ont mis en place, depuis 2004, des dispositifs de contournement utilisables par les employeurs à la demande, et permettant d’accroître la flexibilité du travail en cas d’augmentation de l’activité : il s’est agi d’abord des heures choisies par accord individuel entre l’employeur et le salarié, introduites en 2004, puis de la loi du 20 août 2008.

En autorisant la rémunération des heures supplémentaires au tarif des heures normales, la loi TEPA s’inscrit dans ce processus d’éclatement de la durée du travail. Ses défenseurs font notamment valoir que l’augmentation de la durée du travail, sans augmentation du coût du travail pour l’employeur, contribue à améliorer la compétitivité des entreprises françaises sur le plan international.

Je ne veux pas entrer dans des détails inutiles. Mais il est un fait avéré que l’amélioration de la compétitivité suppose d’agir sur d’autres facteurs, autrement plus importants, comme la recherche et le développement, la réindustrialisation ou la formation des travailleurs, etc.

Rechercher seulement la diminution du coût du travail conduit à des résultats limités, pour au moins deux raisons : la baisse est sans effet sur la nature et la qualité des biens exportés, et elle concerne, de plus en plus, des activités de service pour la plupart inexportables par nature.

En outre, le dispositif va à l’encontre des évolutions souhaitables sur le plan de la protection de la santé et de la sécurité des salariés : ceux-ci, pour gagner davantage, sont obligés de s’exposer à de nouvelles fatigues et à de nouveaux risques.

À cet égard, le dispositif doit être mis en rapport avec le sort réservé à la reconnaissance de la pénibilité, difficilement arrachée au patronat par les syndicats et introduite dans la loi du 9 novembre 2010 sur les retraites : nous voyons là quelle est la réalité de la préoccupation du Gouvernement sur ce sujet…

À propos du coût pour les finances publiques, notamment pour les finances sociales, du dispositif introduit par la loi TEPA dans le domaine des heures supplémentaires, il apparaît que les premières estimations ont vraiment été réalisées « au doigt mouillé »…

La perte de recettes devait être compensée par une augmentation des bénéfices des entreprises et une hausse de la consommation des salariés concernés : la relance de l’économie qui en résulterait devait entraîner une amélioration de l’emploi et des rentrées fiscales.

Ces espoirs ont malheureusement été déçus.

Si les résultats du dispositif ont été nuls, voire négatifs, la contribution de ce dernier au déficit budgétaire s’est révélée en revanche bien réelle.

Le rapport présenté au Parlement par le Gouvernement en janvier 2009 évalue à 0, 15 % l’effet positif de la mesure sur la croissance du PIB, ce qui correspond à un accroissement de 3 milliards d’euros.

Par comparaison, le coût fiscal et social du régime créé par la loi TEPA a été évalué à 4, 4 milliards d’euros en 2009, puis à 4, 1 milliards d’euros en 2010. Il convient d’ajouter à ces montants l’effet mécanique du dispositif sur l’allégement général des cotisations sociales patronales sur les bas salaires dans la limite de 1, 6 fois le SMIC.

Selon le Conseil des prélèvements obligatoires, « l’efficience du dispositif semble très limitée, le gain en PIB étant en tout état de cause inférieur au coût de la mesure. »

En conséquence, le Conseil des prélèvements obligatoires propose la suppression du régime fiscal et social des heures supplémentaires issu de la loi TEPA.

Au total, compte tenu de l’absence de résultats des dispositions de la loi TEPA relatives aux heures supplémentaires, le coût de ces dernières pour les finances de l’État et les finances sociales apparaît totalement disproportionné. À ce seul titre, la loi TEPA constitue l’illustration parfaite d’une mauvaise gestion de l’économie, guidée par des considérations idéologiques et tendant à satisfaire des intérêts particuliers au détriment de l’intérêt général.

Ce dispositif pèse sur les salaires, freine la création d’emplois et coûte plusieurs milliards d’euros aux contribuables : il sert seulement les intérêts des employeurs, aux dépens de ceux de la société.

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