Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce débat sur les prélèvements obligatoires apparaît trop souvent comme une discussion de techniciens et de spécialistes.
Or il s'agit d’un débat de société, qui porte sur les choix collectifs, parce qu’un système de prélèvements obligatoires constitue la traduction de décisions politiques et idéologiques influant sur la société tout entière.
Bien que la France soit un pays développé, nous vivons dans une société profondément marquée par les inégalités de revenus, de ressources et de patrimoine.
L’égalité fait partie des valeurs de la République. Pourtant, le moins que l’on puisse dire est que, depuis 2002, et avec une accélération non négligeable depuis l’adoption, à l’été 2007, du paquet fiscal de la loi TEPA, c'est-à-dire de la loi en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat, cette valeur s’inscrit à la baisse, victime des réformes de notre système fiscal et social, qui font subir aux plus fragiles les conséquences des mesures adoptées en matière tant de recettes publiques que de dépenses.
Monsieur le ministre, vous avez distingué les impôts des ménages et ceux des entreprises.
Néanmoins, quelques lignes de force transparaissent dans les réformes engagées depuis 2002 et amplifiées à partir de 2007 : un allégement sensible de la contribution fiscale des entreprises, avec une suppression de la surtaxe de l’impôt sur les sociétés et des aménagements divers des modalités d’imposition des plus-values, et une diminution non moins sensible de la contribution des revenus et patrimoines les plus importants, qui sont les principaux bénéficiaires de la transformation du barème de l’impôt sur le revenu et des multiples mesures d’évasion fiscale.
D’ailleurs, de manière presque caricaturale, les projets de loi de finances et de loi de financement de la sécurité sociale pour 2010 accentuent encore les choix antérieurs.
On réévalue de façon minimale l’impôt sur le revenu et on supprime la taxe professionnelle, offrant là aux entreprises une recette de trésorerie qui ne changera guère leurs choix d’investissements futurs.
Pour faire bonne mesure, au nom de la protection de l’environnement et pour « changer les comportements », on invente la taxe carbone, qui semble promise à un bel avenir de recette de compensation de cadeaux fiscaux ultérieurs, plutôt qu’elle ne servira d’arme contre le réchauffement climatique !
On prétend faire la chasse aux niches fiscales, mais on s’attaque au premier chef, comme par hasard, à celles qui concernent les ménages les plus modestes, notamment en matière d’acquisition de l’habitation principale. Et certains de nos collègues ont un temps caressé l’espoir de rendre imposables les indemnités journalières « accident du travail »…
Le débat sur le plafonnement des niches participe, comme chaque année, de l’animation parlementaire, mais il ne débouchera sans doute pas plus que précédemment sur la moindre mesure pertinente !
D’autant que, niche pour niche, il en est une dont le montant sera singulièrement réduit en 2010 : c’est la prime pour l’emploi. En effet, les revenus distribués sur les fonds des collectivités locales aux allocataires du RSA seront tout simplement imputés sur cette prime, permettant à l’État de récupérer un milliard d’euros sur le dos des travailleurs précarisés, selon un dispositif inventé par Martin Hirsch, à la demande du Président de la République.
Et pendant ce temps, les centres des finances publiques tiennent table ouverte pour verser aux entreprises, avec une procédure de contrôle particulièrement allégée, les remboursements d’acomptes prétendument excédentaires de l’impôt sur les sociétés ou les crédits d’impôt recherche, qui remontent aussi vite qu’ils sont distribués aux holdings têtes de groupe !
Qu’il s’agisse de la fiscalité des donations, de celle des successions, de l’impôt de solidarité sur la fortune ou de l’imposition des revenus mobiliers, ce sont les patrimoines les plus élevés et les revenus les plus importants qui ont tiré partie de l’essentiel des dispositions votées.
Cette série de mesures s’est accompagnée d’une consolidation des droits et impôts indirects, qui sont essentiellement subis par les ménages modestes. Les effets de cette prétendue réforme fiscale sont connus : la part des droits indirects perçus par l’État ne cesse de croître, ajoutant l’iniquité fiscale aux inégalités sociales grandissantes !
On n’augmente pas les impôts, on crée chaque année un florilège de nouvelles taxes ! Et pour quels résultats ? La croissance se porte-t-elle mieux ? La création d’emplois se trouve-t-elle au rendez-vous des initiatives prises ?
En outre, la responsabilité citoyenne des entreprises se révèle de plus en plus un vœu pieux, surtout quand on apprend, par exemple, que les aides du FSI, le Fonds stratégique d’investissement, sont aujourd’hui distribuées sans exigence de contrepartie en termes de maintien de l’activité et de l’emploi, comme j’en ai donné ici même, ce matin, un exemple.
De fait, plutôt que d’en rester à quelques considérations philosophiques, rappelons quelques chiffres.
En 2001, l’industrie française et le secteur de la construction ont créé respectivement 32 600 et 41 400 emplois, soit un total de 84 000 postes de travail.
En 2002, l’industrie française a perdu 85 300 emplois, signe d’une hémorragie qui est toujours en cours. De 2003 à 2005, ce sont ainsi 274 300 postes industriels qui ont été détruits ! Et ce mouvement de liquidation d’emplois n’avait manifestement pas attendu la crise financière pour se prolonger.
Depuis 2005, ce sont en effet 166 000 autres postes industriels salariés qui ont été détruits, sans compter les effets de la réduction drastique de l’emploi intérimaire, qui a été largement utilisée en 2008 et en 2009 comme variable d’ajustement à l’évolution des carnets de commande.
D’ailleurs, monsieur le ministre, mes chers collègues de la majorité, le mouvement général de l’emploi accuse votre bilan.
Malgré les cadeaux fiscaux, malgré les allégements de cotisations sociales, le rythme des créations d’emplois dans le pays demeure faible, et il suffit de regarder les plus récentes statistiques fournies par l’INSEE lui-même pour se faire une idée de la situation.
Ainsi, dans une note publiée ces derniers jours, l’Institut national de la statistique et des études économiques indique que le mouvement de baisse de l’emploi s’est prolongé au second semestre 2009 – où sont donc les signes de reprise ? –, avec une chute de près de 114 000 emplois dans le secteur marchand.
La note de l’INSEE indique d’ailleurs que, contrairement à ce qui s’était passé au premier trimestre 2009, quand l’intérim avait largement servi de « variable d’ajustement », ce sont les emplois durables qui sont aujourd’hui concernés. On ne remplace plus les départs en retraite, ni les démissions, on délocalise, on restructure !
Notre pays compte ainsi, en 2009, moins d’emplois industriels qu’en 1970 ! C’est le résultat magnifique – c’est le moins que l’on puisse dire – de la politique menée depuis désormais sept ans et demi, et qui ne fait que relayer, à travers la loi, les revendications les plus antiéconomiques et antisociales, notamment celles du MEDEF.
La situation pourrait être résumée ainsi : le poids des prélèvements obligatoires n’a pas été réduit depuis 2002, puisqu’il reste stable aux alentours de 44 % du PIB, contrairement aux promesses qui avaient été effectuées alors, et la baisse constatée cette année, et probablement en 2010, a plus à voir avec la chute des recettes fiscales et sociales liées à la crise qu’avec toute autre politique !
Ce n’est pas parce que les prélèvements semblent avoir baissé que le pouvoir d’achat des ménages les plus modestes s’est redressé et que le moteur de la consommation populaire a pu repartir, d’autant que cette diminution est liée aux remboursements anticipés et sans contrôle d’impôts dus par les entreprises !
La structure de nos prélèvements a donc évolué vers plus de droits indirects au sein des recettes de l’État, plus de prélèvements sociaux et plus de prélèvements de substitution aux obligations fiscales et sociales hier fixées aux entreprises.
De même, nos concitoyens peuvent avoir une impression particulièrement détestable de cette évolution.
S’ils paient plus de taxes sur les produits pétroliers, plus de TVA sur bien des produits et des services, plus d’impôts locaux ou plus de cotisations sociales, ils ont aussi, en contrepartie, moins de service public local, moins de couverture collective en matière de santé – il n’est qu’à voir la tarification à l’activité ou le forfait médicament, par exemple –, moins de pension au moment de la retraite, moins de présence de l’État dans bien des domaines, qu’il s’agisse de l’école, de la sécurité, de l’action sur le logement ou de la lutte contre la précarité.
De fait, cette rupture avec le pacte républicain, qui veut que les impôts, taxes et cotisations sociales servent à répondre à la charge publique, consacre la perversion accélérée de notre système de prélèvements, dont vous usez et abusez, chers collègues, pour pousser toujours plus avant les feux de la réduction des dépenses publiques.
Contrairement à bien des pays de l’OCDE, notamment ceux du G8, la France a opté, dès la Libération, pour une large socialisation des dépenses de santé, de protection de la famille et de l’enfant, des personnes âgées, pour un développement de la formation et de la scolarité, pour une ouverture sensible du champ de l’intervention publique dans l’ensemble de la vie du pays.
La même observation vaut pour les investissements en infrastructures, de longue date mis en œuvre par des entreprises publiques dont l’efficacité économique est reconnue.
D’aucuns ont d’ailleurs découvert que la France supportait moins mal la crise financière de 2008 que d’autres pays, plus attachés aux seules valeurs du tout marché et du libéralisme économique sans limites.
Ce n’est pas la politique du gouvernement actuel qui a conduit à ce constat. C’est bien plutôt parce que notre système de prélèvements est constitué d’autant d’« amortisseurs sociaux » que notre pays devient capable d’éviter certaines catastrophes...
De fait, proposer des comparaisons internationales en matière de taux de prélèvements n’a finalement que peu de sens.