Le principe de réalité finissant toujours par s’imposer aux bidouillages comptables, ce gouvernement collectionne donc les déficits, leur faisant en outre atteindre des niveaux historiques.
Il faut dire qu’avec un taux de prélèvements obligatoires de 40, 7% par rapport au PIB les recettes fiscales se sont effondrées. Ce taux plancher est largement facteur d’inquiétude. En cause : la crise et ses conséquences en matière d’emploi, mais également l’adoption de diverses mesures, telles les baisses d’impôt sur le revenu, d’impôt sur les sociétés, de TVA et l’augmentation des allégements de charges.
La dégradation de la masse salariale est sans précédent, enregistrant une baisse de quatre points, avec une diminution de 1, 25% en 2009, ce qui représente 8 milliards d’euros de recettes en moins. Une telle évolution est, bien sûr, liée non seulement à l’augmentation du chômage et à une diminution des heures supplémentaires, mais également à l’explosion du chômage partiel. En effet, celui-ci, exonéré de cotisations patronales, est une variable d’ajustement pratique pour les entreprises, ce qui occasionne de lourdes pertes de recettes pour la sécurité sociale comme pour l’État.
Voilà pourquoi, en 2009, le déficit de l’État devrait atteindre 141 milliards d’euros, soit deux fois et demi le déficit de 2008. En 2010, il devrait s’établir à 116 milliards d’euros. Les mesures fiscales prises pour 2010 ainsi que celles qui ont été prises antérieurement, hors plan de relance, devraient représenter plus de 14 milliards d’euros de manque à gagner.
À ce déficit record s’ajoute celui, sans précédent, du régime général : plus de 23 milliards d’euros en 2009. Mais 2010 devrait vite reléguer ce record aux oubliettes puisque c’est la barre des 30 milliards d’euros qui sera alors franchie. Dans le meilleur des cas, le déficit annuel devrait se stabiliser par la suite à ce niveau.
Conséquence : une explosion de la dette de l’État et de la sécurité sociale. Ainsi, le ratio de dette publique devrait atteindre 84 % du PIB l’année prochaine. Ce chiffre ne tient bien sûr pas compte du fameux « grand emprunt », dont le montant, comme le calendrier, reste flou. Autant dire que l’avenir de nos enfants et la pérennité de notre système de protection sociale sont hypothéqués.
La situation est d’autant plus critique que le Gouvernement fonde la logique de ses projets de finances publiques sur des hypothèses parfaitement irréalistes : un retour de la croissance annuelle du PIB de 2, 5 % et de la masse salariale de 5 % à partir de 2011 ! Un scénario aussi peu crédible que les précédents, hélas !
Le président de la Cour des comptes a d’ailleurs critiqué cette propension du Gouvernement à défier les lois du réel en matière de finances et a rappelé qu’« il ne saurait y avoir de démarche crédible de rétablissement des comptes sans un effort accru de vérité sur l’état de nos finances ». Mais il risque de prêcher dans le désert encore longtemps, tant les hypothèses du Gouvernement portent la marque du refus pathologique d’affronter la nécessaire hausse des prélèvements obligatoires.
Peu importe si cette promesse détruit les équilibres sociaux, met en situation critique notre protection sociale et ne sert que les intérêts de ceux dont le patrimoine est suffisamment important pour pouvoir se passer du filet de sécurité tissé par la solidarité nationale. C’est cela, sans doute, la droite décomplexée que nous a promise Nicolas Sarkozy au moment de sa campagne !
En matière de finances sociales, les litanies annuelles sur le « trou de la sécu » ont émoussé la conscience de l’ampleur du problème. Pourtant, les déficits sans précédent de 2009 et de 2010, auxquels s’ajoutent ceux du Fonds de solidarité vieillesse, aggravent encore de près de 64 milliards d’euros le poids de la dette sociale.
Rappelons pour mémoire que la loi Douste-Blazy annonçait l’équilibre des comptes de l’assurance maladie pour 2007. Quant à la réforme Fillon de 2003, elle devait garantir l’équilibre des retraites jusqu’en 2020…
Toutefois, le cruel démenti que le « réalisé » inflige à vos prévisions ne nous réjouit pas pour autant. En effet, derrière les comptes catastrophiques se profile l’abandon des ambitions du système de protection sociale défini en 1945.
Mesure après mesure, les assurés sociaux portent la charge du redressement des comptes. Dans le même temps, ils voient l’âge du départ à la retraite reculer, les pensions baisser, les franchises augmenter, le champ des médicaments non remboursés s’élargir, l’accès aux soins se compliquer, les hôpitaux se raréfier, etc.
Avec l’annonce de tels déficits, ils savent que ce Gouvernement va continuer à s’attaquer à leur protection et creuser encore les inégalités.
Assurer à notre sécurité sociale des recettes stables et pérennes est pourtant plus que jamais indispensable. On a vu, à l’occasion de la crise qui nous frappe, à quel point un tel filet de protection participe au maintien de la cohésion d’une société et est déterminant pour sa capacité à rebondir. Or, faute d’avoir été à la hauteur des enjeux, les PLFSS successifs ont financé les déficits en les faisant porter par la CADES, autrement dit en les faisant reposer sur les générations futures !
Aujourd’hui, la dette restant à amortir est de 91, 9 milliards d’euros ; elle devrait, en théorie, s’éteindre en 2025. Voilà deux ans, c’était en 2023 ! Jusqu’où allons-nous reporter le terme ? La dette qui pèse déjà sur nos enfants et nos petits-enfants interpelle notre responsabilité de parlementaire.
Le fait que les ressources de la CADES s’appuient essentiellement sur la CRDS rend d’autant plus choquante la décision de Nicolas Sarkozy de faire entrer les contributions sociales dans le bouclier fiscal.
La gauche s’est insurgée contre ce déni de solidarité qui vise à exempter les plus riches des devoirs qu’assument normalement les membres d’une société. Même le président UMP de la commission des lois de l’assemblée nationale, M. Jean-Luc Warsmann, en convient : d’après lui, la CRDS devrait être retirée des impositions prises en compte dans le bouclier fiscal : « Lutter contre cette dette est une cause nationale qui suppose la solidarité de tous. La CRDS se distingue de l’impôt. Sa seule raison d’être est le remboursement de la dette sociale. »
Cet impératif moral est d’autant plus d’actualité que, pour arrêter le processus sans fin d’accumulation de dettes, il a été décidé, dans le dernier projet de loi de financement de la sécurité sociale, de ne plus transférer de charges sans transférer une ressource équivalente. Or, face à l’explosion des déficits actuels et futurs, donc face à la nécessité de supporter la dette de demain, une augmentation de la CRDS est devenue inévitable.
Tous les spécialistes l’écrivent, les parlementaires le disent, Nicolas Sarkozy le sait, mais, au pied du mur, il choisit de compter les briques ! Pourtant, l’enjeu est de taille, car, au-delà du stock de la dette, qu’adviendra-t-il des nouveaux déficits annoncés si de nouvelles recettes ne sont pas trouvées ? La poussière étant déjà plus épaisse que le tapis, qui supportera les nouvelles dettes ?
« Ce sera l’ACOSS », a décrété le Gouvernement, lequel a relevé son plafond d’emprunt à 65 milliards d’euros. Or l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale n’étant censée supporter que les décalages de trésorerie, lui faire assumer un tel déficit et, à partir de 2011, des déficits annuels qui pourraient se stabiliser à 30 milliards d’euros est une solution aussi dépourvue de sens que d’avenir.
Peut-être se justifierait-elle si les difficultés étaient essentiellement conjoncturelles. Cependant, si la crise a effectivement creusé le déficit, le déséquilibre de nos finances n’est malheureusement pas temporaire : pour l’essentiel, il est ancien et structurel. Même un retour hypothétique de la croissance au niveau antérieur garantirait non pas une baisse des déficits, mais seulement leur stabilisation.
Avec 30 milliards d’euros de déficit annuel, notre système se trouvera bientôt devant l’entrée du service des soins palliatifs !
Voilà pourquoi le débat sur les politiques d’allégements de charges et de cotisations n’est pas une bataille purement technique. En siphonnant une part des recettes de la sécurité sociale, ces politiques pèsent lourd sur les comptes sociaux. S’interroger sur leur efficacité et leur utilité sociale est plus que jamais légitime.
Avec plus de 30 milliards d’euros consacrés, à l’heure actuelle, aux allégements généraux et plus de 46 milliards d’euros aux exemptions d’assiette, les politiques d’exonérations sociales représentent un total annuel d’environ 76 milliards d’euros. Ces dispositifs n’ont cessé de se multiplier. Au nombre de quarante-six dans la loi de finances de 2006, ils sont soixante-cinq dans celle de 2009.
Dans le rapport d’Alain Vasselle, dont le titre, Finances sociales : arrêté de péril, est déjà hautement révélateur, on peut lire : « Cette progression témoigne parfaitement du recours sans cesse croissant au mécanisme d’allégement de charges pour des raisons qui ne tiennent pas uniquement à la politique de l’emploi, mais parfois à la simple commodité ou à l’affichage. » Toujours selon Alain Vasselle, « l’État fait le choix délibéré de mettre à la charge de la sécurité sociale des politiques qui sont de sa responsabilité ».
Un tel choix est d’autant plus critiquable que les dispositifs en cause n’ont en effet guère fait la preuve de leur efficacité en matière d’emploi : dans son dernier rapport, la Cour des comptes souligne leur caractère coûteux comme leurs effets hasardeux, voire contre-productifs. Un quotidien titrait d’ailleurs récemment : « L’invendable bilan de la loi TEPA. Un excellent prétexte pour ne pas embaucher » ; ou comment, en période de crise, l’augmentation des heures supplémentaires permet d’éviter toute embauche.
Mais il existe un autre effet pervers : ces exonérations sont devenues un élément de la politique salariale des entreprises, conduisant ces dernières à figer l’échelle des salaires pour privilégier d’autres formes de rémunération. L’utilisation des heures supplémentaires illustre une telle dérive. Or la perte pour les finances publiques de ces exonérations est supérieure aux gains de pouvoir d’achat obtenus par les salariés.
L’absence de toute contrepartie salariale à de tels allégements pose problème. Et ce n’est pas le simulacre de conditionnalité annoncée par Nicolas Sarkozy qui y répond. En effet, une mesure qui va prochainement entrer en vigueur précise que les entreprises de plus de 50 salariés devront restituer 10 % des allégements accordés l’année précédente en cas de non-engagement de négociations salariales. Cela ne devrait guère produire d’autre effet qu’un effet d’annonce. Outre que l’ouverture de négociations salariales dans ces entreprises constitue déjà une obligation, il suffira de tenir une séance de négociation, sans se soucier d’obtenir de résultat, pour que la restitution demeure lettre morte.
Faire dépendre les allégements de cotisations sociales de la signature effective d’accords salariaux, voilà qui serait un vrai progrès.
Il est ici question non pas de supprimer tous les dispositifs d’exonération de cotisations, mais d’en limiter le nombre comme le poids sur nos finances sociales, en en conditionnant le bénéfice à une obligation de résultat.
C’est l’effet sur l’emploi, les salaires, les conditions de travail et la précarité, qui doit être pris en compte pour décider du maintien ou de la suppression de ces multiples dispositifs. Cette remise à plat est impérative au vu de la situation de nos comptes sociaux. Je gage pourtant que ce n’est pas encore cette année qu’elle aura lieu !
C’est d’autant plus regrettable que des propositions telles que la baisse du seuil de 1, 6 SMIC au-dessous duquel certains allégements s’appliquent, la limitation des dispositifs aux entreprises de taille petite ou moyenne ou la mise en place de critères sociaux et environnementaux pourraient faire l’objet d’un consensus.
De même, le développement des taxes comportementales par l’augmentation des droits sur les tabacs et l’alcool ou la création d’une taxe nutritionnelle, ciblée sur les produits diététiquement médiocres, augmenterait les ressources tout en ayant un impact positif en termes de santé publique. Ces propositions sont partagées par les parlementaires de droite comme de gauche. Que faut-il de plus pour qu’elles soient entendues ?
Par ailleurs, alors que les stock-options, retraites chapeaux, parachutes dorés et autres golden hello sont des formes de rémunérations alternatives développées au bénéfice d’un nombre restreint de salariés très favorisés ou de mandataires sociaux, nous demandons que ces salaires déguisés fassent l’objet d’une imposition spécifique à la hauteur des objectifs de justice fiscale que nos comptes sociaux réclament.
Certes, dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2010, il est notamment prévu d’accroître la contributivité des retraites chapeaux, de doubler le taux du forfait social sur l’épargne salariale, de supprimer certaines exonérations sur les assurances vie. Toutefois, cet accroissement est très limité et, surtout, ces dispositions sont mises en place avec un tact et une mesure fort éloignés de la manière dont on taxe les salariés lambda. Le rapporteur général de la commission des affaires sociales affirme lui-même que « des marges de manœuvre peuvent sans doute être trouvées dans la taxation des stock-options ».
Alors que la crise devrait obliger à concevoir un projet de loi de financement de la sécurité sociale ambitieux, celui qui est présenté pour 2010, particulièrement indigent, comprend ainsi quelques aménagements fiscaux destinés à offrir une rampe de communication au Gouvernement. Ce n’est qu’un buisson d’équité au moindre coût pour protéger une forêt de privilèges !
En effet, la crise de nos finances sociales est adossée sur un confortable magot, celui des niches fiscales. La France détient le record en la matière : plus de 470 niches pour un coût budgétaire supérieur à 110 milliards d’euros. Elles permettent notamment de réduire considérablement le taux réel d’imposition des ménages les plus aisés. Ainsi 100 contribuables ont-ils pu, en 2008, économiser en moyenne pas moins de 1, 5 million d’euros chacun. Grâce à tous ces aménagements, jamais les plus aisés n’auront aussi peu contribué à l’effort commun !
Les entreprises, quant à elles, ont également vu leur contribution baisser de manière notable. Pourtant, une telle situation n’a jamais tempéré leurs récriminations, à croire que ce n’est pas le niveau de participation à la solidarité nationale qui est en cause, mais bel et bien le principe même de cette participation.
Selon le Conseil des prélèvements obligatoires, la part des entreprises dans le financement de la protection sociale a ainsi diminué de 6 points, passant de 40 % à 34 %, tandis que la part des ménages passait de 31, 1 % à 46, 6 %. Entre 1983 et 2006, la part des cotisations sociales dans les recettes du régime général a ainsi été ramenée de 92 % à 55 %.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, alors que les défis auxquels nos finances sociales doivent faire face deviennent de plus en plus ardus, le Gouvernement continue à faire de la redistribution à l’envers, avec le seul souci de favoriser les siens. Selon l’analyse menée par le groupe socialiste, cette attitude est indécente !