Intervention de François-Noël Buffet

Réunion du 5 novembre 2008 à 15h00
Protection du secret des sources des journalistes — Article 1er

Photo de François-Noël BuffetFrançois-Noël Buffet, rapporteur :

C’est là un point extrêmement important !

Pour lever ce malentendu, l'Assemblée nationale a précisé qu'il ne pouvait être porté atteinte au secret des sources « directement ou indirectement », le mot « indirectement » devant précisément couvrir l'ensemble de la chaîne de l'information.

Cette précision ne semblant pas avoir atteint son objectif, la commission propose d'expliciter ce qu'il faut entendre par « atteinte indirecte au secret des sources ». Serait considéré de la sorte « le fait de chercher à découvrir les sources d'un journaliste au moyen d'investigations portant sur toute personne qui, en raison de ses relations habituelles avec un journaliste, peut détenir des renseignements permettant d'identifier ces sources ».

S'agissant ensuite des critiques sur le flou des conditions permettant de porter atteinte au secret des sources, la commission juge possible d'améliorer la rédaction et de la préciser, sans toutefois remettre en cause l'esprit du dispositif.

Au premier alinéa, une première difficulté porte sur la notion d’« information du public sur des questions d'intérêt général ». J'ai constaté que l'ensemble des syndicats et associations de journaliste entendus s'étaient déclarés gênés, voire heurtés par cette notion. L’émotion passée, la distinction ainsi introduite entre une grande presse dite d'investigation, qui bénéficierait seule de la protection du secret des sources, et une presse « de second ordre », comprenant en particulier la presse people, est rejetée par toute la profession.

Par ailleurs, les personnes entendues regrettent le flou de cette notion, susceptible d'interprétations variables par les juges. En effet, cette notion mal délimitée vient s'ajouter à d'autres notions du projet de loi aux contours incertains, comme celle d'impératif prépondérant d'intérêt public.

En définitive, cette notion n'apporte pas grand-chose. Dans le cas de la presse people, en pratique, la justice ne décide pas de mesures d'investigations pour connaître la source d'un journaliste. Le journal sera directement condamné à une amende et à des dommages et intérêts pour atteinte à la vie privée, sans qu'il soit nécessaire de connaître l'informateur.

Je souligne également que le fait que le journaliste bénéficie ou non de la protection de ses sources n'a pas pour effet de le déresponsabiliser : il reste entièrement responsable de ses écrits et peut donc faire l’objet de poursuites pour diffamation, éventuellement, ou atteinte à la vie privée. Il doit vérifier la fiabilité de ses sources et étayer ses affirmations.

Pour l'ensemble de ces raisons, la commission propose de prévoir que le secret des sources des journalistes est protégé « dans l'exercice de leur mission d'information du public ». Cette formule, plus neutre et moins susceptible d'interprétation divergente, permet néanmoins d'exclure l'invocation du secret des sources en cas de mise en cause d'un journaliste dans une affaire étrangère à l'exercice de sa profession.

L’idée est bien de protéger le secret des sources des journalistes au cours de l’exercice de leur profession, et non de leur assurer une protection totale et sans limite qui leur permettrait peut-être quelques dérapages.

De même, si un journaliste s'abritait derrière son statut pour régler des comptes strictement personnels, sa qualité de journaliste ne pourrait plus être invoquée et, par conséquent, le secret des sources non plus.

Une seconde difficulté concerne la définition des situations dans lesquelles une autorité administrative ou judiciaire pourrait porter atteinte au secret des sources.

Au cours des auditions, l'ensemble des représentants des journalistes ou des entreprises de presse ont proposé de fixer une liste d'infractions ou un quantum minimum de peine à partir duquel pourrait être porté atteinte au secret des sources.

Séduisante en apparence en ce qu’elle semble plus sécurisante, cette solution pose malheureusement plusieurs problèmes.

Tout d'abord, il est impossible d'imaginer l'ensemble des situations où il pourrait être légitime de porter atteinte au secret des sources, à moins de prévoir une liste d'infractions si longue ou un quantum de peine si bas que l'intérêt même de fixer les cas d'atteinte au secret des sources disparaîtrait.

La Cour européenne des droits de l'homme, malgré sa jurisprudence très favorable au secret des sources, se refuse d'ailleurs à dresser une liste . Elle s’en tient à une action au cas par cas et fixe des conditions générales, sur lesquelles nous reviendrons sans doute.

Toutefois, il est possible de préciser la rédaction du projet de loi en la rapprochant, notamment, de la jurisprudence de la Cour de Strasbourg.

La commission propose d'affirmer que, de manière générale, les mesures susceptibles de porter atteinte au secret des sources lorsqu'un impératif prépondérant d'intérêt public existe doivent être « strictement nécessaires et proportionnées au but légitime poursuivi ».

La précision est d’importance et répond à l’inquiétude de Michel Charasse : si, dans les cas qu’il a évoqués, il est évident que le secret des sources pourra être levé, il n’empêche que, avant que soit acceptée la levée de ce secret, le critère de proportionnalité de l’atteinte, notamment, devra être respecté.

La Cour européenne des droits de l’homme, en particulier, vérifie donc si d’autres mesures n’auraient pas permis de parvenir au même résultat : atteindre le stade où il est besoin de lever le secret des sources signifie qu’ont été épuisées – cela doit pouvoir être justifié – toutes les autres mesures susceptibles de faire connaître la vérité des choses. Il s’agit de cas extrêmement limités.

Dans la rédaction du projet de loi, la condition de stricte nécessité n'est prévue que si l'atteinte intervient dans le cadre d'une procédure pénale. En revanche, la condition de proportionnalité n'est pas prévue.

Certes, en pratique, les atteintes au secret des sources sont essentiellement le fait du juge pénal, mais il semble préférable et plus logique de l'inscrire au niveau des principes généraux.

Dans le cadre d'une procédure pénale, la commission propose également de mieux définir l'interprétation qui doit être faite des conditions de nécessité et de proportionnalité. Outre la gravité du crime ou du délit, il devrait être tenu compte, pour apprécier la nécessité de l'atteinte, de l'importance de l'information recherchée pour la répression ou la prévention de cette infraction, et du fait que les mesures d'investigation envisagées sont indispensables à la manifestation de la vérité. Le juge devra donc s'assurer que d'autres moyens ne permettent pas d'aboutir au même résultat.

J’espère avoir rassuré Michel Charasse sur les conditions de levée du secret des sources : le principe est bien la protection des sources et non pas celle du journaliste, et la levée de cette protection est soumise à des conditions telles qu’elle n’interviendra qu’à l’issue d’un processus qui n’aura pas pu permettre à la vérité d’être révélée.

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