Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi de notre collègue M. Nicolas About, sur laquelle je vous livrerai dans un instant les conclusions de la commission des finances, a le grand mérite de nous conduire à réfléchir ensemble, loin de l'urgence de l'examen des lois de finances, à un véritable problème de société.
Derrière un intitulé technique apparemment complexe, cette proposition de loi a pour objet de répondre à un problème matériel d'un nombre malheureusement toujours plus grand de familles.
La séparation et la fragilité des couples constituent un fait de société qu'il ne nous appartient pas de juger. En revanche, il nous incombe d'en tirer les conséquences fiscales aussi équitables que possible. Dans notre pays - et il faut s'en réjouir -, le régime fiscal fait une large place à l'enfant et à la famille dans la détermination de l'impôt sur le revenu des personnes physiques.
Je rappellerai quelques chiffres.
En France, le taux global de divorce atteindrait aujourd'hui plus de 45 %, contre 30 % voilà une vingtaine d'années et seulement 10 % en 1970. De ce point de vue, nous nous rapprochons lentement de la moyenne des pays de l'Organisation de coopération et de développement économiques, l'OCDE.
En outre, en France, en ce début de siècle, sur un peu plus de 16 millions d'enfants de moins de vingt-cinq ans, trois enfants sur quatre vivent avec leurs deux parents, un sur quatre demeurant avec un seul de ses deux parents. On estime que 1, 6 million d'enfants de moins de vingt-cinq ans sont membres de familles dites « recomposées ».
En d'autres termes, mes chers collègues, la famille, lieu d'équilibre et d'épanouissement à la fois personnel et collectif, lieu des apprentissages fondamentaux pour l'individu et pour la société, se trouve en première ligne face à ce que l'on pourrait appeler les accidents ou l'instabilité de la vie privée.
Devant cette situation, dans quelle mesure et sur quelles bases le régime de l'impôt sur le revenu doit-il tenir compte de ce phénomène de séparation et d'instabilité des couples ? C'est à cette question que la commission des finances a été amenée à réfléchir, grâce à la proposition de loi déposée par notre collègue M. Nicolas About.
Mon propos s'articulera autour de trois points. Tout d'abord, je rappellerai quelques éléments de la situation fiscale actuelle. Ensuite, je proposerai une réflexion sur les deux logiques d'équité qu'il nous faut concilier. Enfin, j'exposerai la position à laquelle la commission des finances est parvenue à l'issue d'une discussion tout à fait fournie et active. Ce sujet a, en effet, mobilisé nombre de nos collègues, monsieur le ministre.
La proposition de loi de M. Nicolas About pointe une iniquité. Pour le parent qui verse une pension alimentaire, le régime de déductibilité fiscale est soumis à deux dispositifs apparemment incohérents, selon que l'enfant est mineur ou non.
Lorsque l'enfant est mineur, la pension alimentaire est déductible sans limitation du revenu de celui qui la verse et est en revanche imposable au niveau du foyer fiscal de rattachement de l'enfant.
Toutefois, une fois que l'enfant a atteint dix-huit ans, la déductibilité est plafonnée à 4 489 euros, ce qui correspond à la limite de l'avantage fiscal de droit commun valable également pour les couples mariés.
Les raisons historiques d'une telle situation sont fort simples.
En 1982, lorsque l'avantage fiscal résultant du quotient familial a été plafonné, il a été décidé de ne pas appliquer cette mesure aux pensions. Sans doute a-t-on alors considéré que les pensions étaient une contrainte ayant un caractère indemnitaire et qu'elles ne relevaient pas, de ce fait, d'un choix délibéré du contribuable.
On aurait pu ajouter, à l'appui de cette règle, que ce régime de déplafonnement des pensions alimentaires - qu'il faut bien considérer comme un régime de faveur - se justifie pour permettre aux familles dissociées de faire face aux problèmes matériels et, sans doute aussi, dans une large mesure, aux troubles affectifs que peuvent connaître les enfants du fait de la séparation de leurs parents.
Pour la commission des finances, la seule question qui se pose est celle de l'égalité devant l'impôt. Or deux conceptions de la justice fiscale s'affrontent dans ce débat. Pour les simplifier, je les qualifierai respectivement d'« équité horizontale » et d'« équité verticale ».
D'une part, mes chers collègues, il est possible de comparer la situation des couples dissociés, ou couples rompus, avec celle des couples qui forment un seul foyer fiscal, au regard des charges consécutives à l'entretien d'un enfant majeur. Dans cette logique d'équité horizontale, ces charges étant peu ou prou les mêmes, nous sommes amenés à considérer que rien ne justifie de prolonger l'avantage accordé pour les enfants mineurs une fois que ceux-ci ont atteint leur majorité.
D'autre part, si l'on se borne à ne considérer que le cas des couples dissociés, et eu égard notamment au phénomène d'allongement de la durée des études, il faut considérer, à l'instar de notre collègue M. Nicolas About, que la rupture n'est pas compréhensible. Celui qui verse une pension est surpris de constater que la déductibilité de la pension alimentaire est subitement plafonnée, une fois que son enfant a atteint dix-huit ans.
Face à ce véritable dilemme, la commission des finances vous appelle, mes chers collègues, à adopter une position que je qualifierais de compromis entre les deux logiques. À la suite d'une discussion nourrie, elle a dégagé les orientations que je vous propose dans les présentes conclusions.
Dès lors qu'il n'est pas possible de revenir sur les droits acquis reconnus aux familles séparées pour les enfants mineurs, il semble raisonnable de vous proposer d'étendre le régime fiscal de déductibilité sans plafond, mais en restreignant le bénéfice de la mesure aux seules pensions versées en application d'une décision de justice.
En cantonnant ainsi la mesure, nous voulons surtout prévenir les tentations d'optimisation fiscale qui ne manqueraient pas de se faire jour si l'on ouvrait complètement le dispositif, car les capacités contributives des différents foyers fiscaux concernés peuvent être très diverses.
Notre objectif est donc essentiellement d'éviter de donner une prime aux plus astucieux, aux plus habiles. Il ne s'agit pas particulièrement d'un objectif budgétaire. En effet, même si l'on ne sait pas véritablement le chiffrer de façon rigoureuse, le coût de cette proposition de loi serait a priori relativement limité, à savoir de l'ordre de quelques dizaines de millions d'euros.
Pour conclure, je voudrais dire que la solution de compromis donne satisfaction pour l'essentiel au souhait exprimé à juste titre par M. Nicolas About sans contrevenir au principe constitutionnel d'égalité devant l'impôt, dès lors que l'avantage fiscal est limité aux pensions qui sont pour ainsi dire imposées de l'extérieur et dont la définition et le quantum sont des contraintes pour celui qui les verse. Cet avantage fiscal ne saurait donc s'appliquer aux pensions qui pourraient être librement décidées par les parties.
Bref, dans un souci de cohérence, nous avons cherché une voie étroite afin de préserver les intérêts de l'enfant sans créer de nouvelles commodités fiscales pour les parents.
Tels sont, monsieur le ministre, mes chers collègues, les éléments d'analyse que je voulais vous livrer au nom de la commission des finances. La rédaction tenant compte de l'option que nous recommandons permettrait de respecter l'esprit de la proposition de loi de M. About, tout en la délimitant.