Je vous remercie de votre réponse, monsieur Hyest.
La violence au sein du couple ne constituant pas un phénomène de délinquance juvénile ou de délinquance ordinaire, elle doit par conséquent être traitée sous tous ses aspects, directement ou indirectement perceptibles.
La violence conjugale touche principalement - dans 95 % des cas - les femmes. L'ampleur du phénomène a été révélée, bien tardivement, grâce à l'Enquête nationale sur les violences envers les femmes en France, l'ENVEFF, réalisée en 2000. Cette enquête nous a permis à tous de ne plus pouvoir occulter, de ne plus pouvoir relativiser ce problème.
Il s'agit donc clairement d'une violence de genre, sexiste. Il conviendrait également d'aborder le problème de la violence conjugale dans le cadre plus global de la promotion des valeurs d'égalité entre les femmes et les hommes.
Par ailleurs, un acte de violence commis par un conjoint intervient dans un contexte bien particulier - la sphère privée, l'espace de l'intime -, se vit et se subit dans le non-avouable. La violence exercée par le partenaire au sein de la famille se présente sous la forme d'un ensemble de comportements qui tendent à établir et à entretenir le contrôle sur la femme et, parfois, sur les enfants.
Il s'agit de véritables stratégies visant à exercer un pouvoir sur l'autre, en utilisant différents types de comportements violents : dévaloriser, dénigrer, imposer des contrôles ou des limites, brutaliser. La liste en est malheureusement longue.
Généralement, la violence s'installe progressivement, voire de façon insidieuse. Elle débute par des remarques vexantes, des insultes, et aboutit parfois à la mort, par homicide ou suicide. Violences physiques et violences psychologiques apparaissent simultanément.
C'est ce caractère très particulier qui rend le phénomène des violences conjugales difficile à repérer, la femme elle-même ne se reconnaissant pas comme victime et des sentiments d'amour et de désamour se mêlant et s'entremêlant dans ce drame conjugal. D''où l'importance de la prévention et des campagnes de sensibilisation, afin que la victime puisse s'identifier comme telle et trouver les appuis et les aides nécessaires.
Nous voulons être efficaces. La prévention, notamment grâce à une meilleure formation des professionnels, la sensibilisation des femmes et l'information des jeunes, sont pour nous des priorités dans le cadre d'une lutte agissante contre les violences.
Notre proposition de loi initiale reposait d'ailleurs sur la formation, la prévention, l'éloignement du conjoint violent et l'aide financière accordée à la victime.
Nous examinons en deuxième lecture un texte remodelé, qui me navre quelque peu. Nous pensions mettre en oeuvre tous les moyens pour éradiquer ce fléau en proposant des mesures complètes aux victimes et à tous les intervenants confrontés à ces drames humains, en privilégiant une approche éducative en direction des jeunes et en misant ainsi sur le futur. Or ce texte opère un véritable glissement vers les mariages forcés et les cas de nullité. Son intitulé lui-même est d'ailleurs révélateur.
C'est pourquoi nous avons jugé nécessaire de déposer à nouveau des amendements qui, je l'espère, vous convaincront de l'utilité d'apporter aux professionnels une meilleure formation en matière de soins et de sécurité, mais aussi en termes d'accueil, d'écoute et de conseils à prodiguer aux femmes victimes de violences conjugales.
La violence conjugale est un véritable problème de santé publique dont l'ampleur est considérable puisqu'il touche une femme sur dix. La pénalisation du comportement violent du conjoint ne peut être la seule réponse à apporter face à une violence qui découle, plus ou moins directement, d'une conception machiste de la société.
Cela explique aussi qu'il n'existe pas de profil type de victime, toutes les femmes étant potentiellement susceptibles de subir la violence de leur conjoint. L'ENVEFF a ainsi révélé que, dans toutes les formes de violences conjugales, les femmes les plus jeunes avaient déclaré subir nettement plus de violences que leurs aînées. Les violences physiques sont perpétrées dans tous les milieux sociaux, et la pression psychologique occasionnelle est plus fréquemment dénoncée par les étudiantes et les femmes les plus diplômées.
Dans l'ensemble, les violences conjugales sont tout aussi fréquentes que les femmes exercent ou non une activité professionnelle. En revanche, les plus jeunes d'entre elles, qui connaissent quelquefois des situations de relative instabilité ou de précarité économique, déclarent plus souvent des relations de couple violentes. La catégorie socioprofessionnelle n'est donc pas forcément un facteur aggravant, ou au contraire protecteur, face à une éventuelle situation de violence au sein du couple.
Un autre aspect est également à prendre en compte, celui des violences psychologiques et verbales répétées, qui seraient aussi destructrices que les agressions physiques. Une femme sur dix vit une telle situation et trois femmes sur dix la vivaient parmi celles qui se sont séparées récemment.
Ces divers constats m'amènent donc à la plus grande prudence lorsqu'il s'agit d'appréhender les violences conjugales d'un point de vue strictement pénal, d'autant plus que notre droit, notamment notre code de procédure pénale, n'est pas dépourvu de sanctions et de mesures permettant de lutter contre les violences au sein du couple.
Je prendrai l'exemple de l'article 138 du code de procédure pénale relatif au contrôle judiciaire, qui prévoit notamment que le juge d'instruction peut interdire à la personne mise en examen de se rendre sur certains lieux ou d'entrer en relation avec la victime. Nous souhaitions inciter les magistrats à utiliser plus souvent les possibilités offertes par notre législation pénale, et plus particulièrement par l'article 138, afin de protéger la victime du conjoint violent.
C'est pourquoi, dans notre proposition de loi, nous avions ajouté la mention « en cas de violences au sein du couple » à la liste des cas pouvant donner lieu à des interdictions susceptibles d'être décidées par le juge. De même, nous souhaitions que celui-ci puisse prononcer une injonction de soins, toujours dans le cadre du contrôle judiciaire.
Nous regrettons bien évidemment que ces deux propositions n'aient pas été retenues, et ce au profit d'une pénalisation accrue.
Nous regrettons également que la question du soutien financier accordé à la victime de violences conjugales ait été écartée par le Gouvernement. Il s'agit pourtant d'un point essentiel dans la lutte contre cette forme de violence. La solidarité nationale doit pouvoir être sollicitée dans ces cas de figure où, bien souvent, les femmes se trouvent dans l'obligation de quitter le domicile conjugal tout en étant privées de ressources.
À cet égard, je ne pense pas que la proposition avancée il y a quelque temps, notamment par Mme la ministre déléguée, consistant à mettre en place des familles d'accueil susceptibles de recueillir ces femmes, éventuellement accompagnées de leurs enfants, soit la solution.
C'est à la solidarité nationale, à l'État, de pourvoir aux besoins de ces femmes en détresse, en développant les centres d'accueil d'urgence ou encore en leur accordant une indemnité spécifique, comme nous le proposerons dans un amendement. L'État ne peut se désengager sur ce point.
De même, je pense qu'il serait intéressant de prévoir que les offices d'HLM réservent ou, tout au moins, attribuent en priorité des logements aux femmes qui sont obligées de quitter leur domicile. Malheureusement, nous connaissons tous la situation actuelle de pénurie de logements sociaux, aggravée par le fait que de nombreuses communes refusent délibérément d'appliquer la loi SRU, la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains.
La question du logement d'urgence des femmes victimes de violences se pose donc dans le cadre plus global de l'offre de logements sociaux, qui est bien insuffisante par rapport aux besoins.
J'en viens maintenant aux dispositions relatives à la lutte contre les mariages forcés. Si nous nous réjouissons de l'adoption par les deux assemblées du relèvement de l'âge légal du mariage à dix-huit ans pour les filles, nous nous interrogeons néanmoins sur l'opportunité d'introduire dans un texte sur les violences conjugales diverses dispositions destinées à lutter contre les mariages forcés. De surcroît, ces articles risquent de renforcer la suspicion, déjà grande, qui existe à l'encontre des mariages mixtes, ce que nous ne souhaitons évidemment pas.
Je pourrais exprimer les mêmes réserves s'agissant des dispositions relatives à la lutte contre les mutilations sexuelles. Bien qu'il soit positif que le Parlement engage la discussion sur ce sujet et se décide à légiférer en la matière, je pense que ces dispositions n'ont pas leur place dans un texte relatif aux violences au sein du couple.
Alors que le texte initial, tant attendu par les associations, avait pour objectif de lutter contre le fléau que représentent les violences conjugales, nous voici tenus d'examiner une proposition de loi dans laquelle les mesures de lutte contre les violences au sein du couple se retrouvent cernées par des dispositions relatives au mariage, à la lutte contre les atteintes et mutilations sexuelles envers les mineurs, ainsi qu'au tourisme sexuel.
Loin de moi l'idée de minimiser ces pratiques inhumaines et non respectueuses de l'intégrité des enfants. Mais notre message envers les femmes victimes de violences conjugales est-il toujours aussi clair ? Je n'en suis pas sûre.
Néanmoins, le rapporteur et la commission nous proposent des amendements qui ont retenu toute notre attention. Nous en prenons bonne note et nous demandons au Gouvernement, en retour, de prendre en compte nos propositions.