Intervention de Roland Courteau

Réunion du 24 janvier 2006 à 21h30
Prévention et répression des violences au sein du couple — Adoption d'une proposition de loi en deuxième lecture

Photo de Roland CourteauRoland Courteau :

...car le respect mutuel est un élément fondamental de la vie conjugale.

Cela étant dit, le caractère imminent, du moins, je l'espère, de l'adoption définitive de notre proposition de loi ne semble faire désormais plus aucun doute, et c'est en soi une bonne nouvelle, car, ainsi, nous aurons contribué non seulement à briser la loi du silence, mais aussi à lutter plus efficacement contre un fléau trop longtemps minimisé et sous-estimé.

Gardons-nous cependant d'oublier que c'est aussi par la connaissance de leurs droits que les femmes victimes de violences trouveront le moyen de faire reculer ce fléau., même si nous savons combien les chemins de la dénonciation d'abord, de la reconstruction, ensuite, sont ardus.

En la matière, un gros travail d'information reste à réaliser, madame la ministre déléguée. Il nous faudra mieux communiquer, mieux sensibiliser, mieux former, mieux éduquer pour améliorer la prévention des violences et mieux accompagner les victimes.

Qu'il me soit donc permis de saluer l'énorme travail des associations qui, les premières, ont su se saisir de ce problème. Si elles n'existaient pas, il nous faudrait les inventer !

Tant mieux, mes chers collègues, si les tabous ont commencé à tomber, tant mieux si nous pouvons, par cette proposition de loi, contribuer à faire en sorte que le droit et la justice pénètrent enfin la sphère privée. Mais, de grâce, chassons également de nos esprits l'idée, parfois défendue, selon laquelle violences conjugales et conflits conjugaux seraient la même chose. Nous retrouverons cette question que j'avais évoquée en première lecture à l'article 5 bis B, qui traite des limites de la médiation pénale.

Rappelons une fois encore que, comme l'a si bien expliqué le professeur Benghozi, « la violence constitue une attaque contre l'humain, elle est destructive, [...] car elle nie l'altérité et l'intégrité de la personne ».

Dans le conflit, les membres du couple s'interpellent : il y a enjeu, et le rapport de force peut passer de l'un à l'autre, ce qui n'est pas le cas dans les violences conjugales physiques, sexuelles, psychologiques, où la domination, l'emprise même sont toujours exercées par la même personne.

Comme on l'aura également compris, je ne fais pas davantage de distinction, au niveau de leur gravité, entre violences physiques et violences psychologiques, ces dernières étant, à mon sens, tout aussi terribles que les violences physiques, si ce n'est plus. Comment d'ailleurs douter que, portées à leur paroxysme, ces violences psychologiques n'entraînent la personne sur des pentes extrêmement périlleuses pour sa santé et pour sa vie ?

Le pire est que ce type de violence est par excellence l'arme de l'agresseur habile, car elle ne laisse aucune trace visible, tout en pouvant être particulièrement destructrice.

C'est là un sujet extrêmement grave, et nous avons eu en première lecture un très long et riche débat, madame Gisèle Gautier, sur le fait de criminaliser ou non spécifiquement le harcèlement moral envers le conjoint, le concubin ou le partenaire pacsé. Par 160 voix contre 159, je vous le rappelle, mes chers collègues, le Sénat n'avait pas adopté ce point de vue. Mais nous reviendrons, j'imagine, sur ce sujet lors de la discussion des articles.

J'en viens maintenant aux dispositions relatives à la lutte contre ce qui peut aussi être considéré comme la première des violences : je veux parler des mariages forcés.

Faut-il rappeler que le libre consentement au mariage est inscrit dans la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948 ?

Je me réjouis que notre proposition de loi ait pu servir de support à plusieurs dispositions, dont celle que nous avons adoptée à l'unanimité sur l'initiative de la plupart des groupes parlementaires et qui porte l'âge légal du mariage des femmes à dix-huit ans révolus ; l'Assemblée nationale l'a d'ailleurs adoptée conforme. Nous rejoignons ainsi sur ce point la presque totalité de nos partenaires européens.

Il fallait en effet en finir avec cette discrimination fondée sur le sexe qui fixait l'âge du mariage à quinze ans pour les jeunes filles depuis 1804 !

C'est là un signe fort, car les jeunes filles mineures sont très vulnérables en raison de leur âge et très dépendantes de leur famille. Cette mesure peut libérer des jeunes filles de certaines pressions familiales.

Nous nous devions donc de réagir, mes chers collègues, face à un phénomène qui est loin d'être marginal puisque des milliers de jeunes filles - selon les associations, 70 000 seraient concernées - sont « données » ainsi chaque année en mariage.

Cette disposition trouvait donc légitimement sa place dans notre proposition de loi, d'autant que, nous le savons, le mariage forcé, qui est en soi une violence à répétition, aboutit souvent à d'autres violences, physiques et psychologiques, avec tous les drames qui s'ensuivent, certains d'entre nous n'hésitant pas à y voir une forme moderne d'esclavage.

Je ferai remarquer que nous ne stigmatisons aucune catégorie de femmes en particulier.

Par ailleurs, nous ne souhaitons pas qu'il y ait pénalisation en la matière. Mieux vaut, en effet, en rester à une démarche de prévention et de contrôle. Toute pénalisation dirigée contre la famille, par exemple, risque de poser problème à la jeune fille et pourrait même la dissuader de réagir.

Je suis également conscient que cette disposition sur l'âge légal, même si elle est essentielle, ne résoudra pas pour autant à elle seule le problème du mariage forcé.

Je constate que l'Assemblée nationale a adopté à l'unanimité plusieurs dispositions, notamment celles qui visent à étendre plus explicitement l'audition des futurs époux et la saisine du ministère public par l'officier d'état civil non seulement quand il existe un doute sur l'existence du consentement au mariage, mais aussi quand il y a doute sur la liberté de consentement, les mêmes dispositions étant prévues dans le cas d'un mariage à l'étranger avec audition des futurs époux par les agents diplomatiques ou consulaires.

Rappelons cependant que ces dispositions, complétées par l'Assemblée nationale, ont été insérées dans le code civil par la loi du 26 novembre 2003 relative à la maîtrise de l'immigration : il est hautement souhaitable que cette procédure ne soit pas utilisée à cette seule fin.

Cela étant, la lutte contre les mariages forcés passera aussi par l'information et l'éducation. Les jeunes filles doivent pouvoir en effet connaître leurs droits et savoir notamment que le « oui » sous la contrainte tombe sous le coup de la loi pour vice du consentement.

Nous retrouvons là l'une des préoccupations que nous avions déjà exprimée en première lecture ainsi que dans notre proposition de loi initiale : la volonté de transmettre l'information dès l'école, le collège ou le lycée. Je reviendrai sur ce point dans quelques instants.

Concernant les circonstances aggravantes tirées de la commission de certains faits au sein d'un couple, le Sénat, comme nous l'avions prévu dans notre proposition de loi, a aggravé la répression envers les violences commises non seulement par le conjoint ou le concubin, comme le prévoyait déjà le code pénal depuis 1994, mais aussi lorsqu'elles sont le fait du partenaire lié par un pacte civil de solidarité, ou de l'ancien conjoint, de l'ancien concubin ou de l'ancien partenaire pacsé.

Force est de constater que le temps de la séparation pour un couple constitue bien, dans certains cas, une épreuve à risque, car 31 % des violences ont lieu après la séparation et 10 % des actes homicides également.

Reste la question de la limitation ou non dans le temps de la circonstance aggravante pour l'ex-conjoint, l'ex-concubin ou l'ex-partenaire.

Nous étions de ceux qui ne souhaitaient pas fixer un délai parce que nous estimions, et nous estimons toujours que, même plusieurs années après la séparation, de nombreux actes de violence sont commis du fait des relations antérieures.

C'est pourquoi la proposition qui nous est faite par l'Assemblée nationale, précisant que la circonstance aggravante n'est reconnue que si l'infraction a été commise « en raison des relations ayant existé entre l'auteur des faits et la victime », nous convient tout à fait.

Par ailleurs, notre collègue Dominique Voynet avait défendu avec succès, en première lecture, un amendement visant à créer un nouveau délit de privation de pièce d'identité, de titre de séjour ou de titre de résidence d'un étranger par le conjoint, le concubin ou le partenaire pacsé.

Nous avions soutenu cette initiative, car la personne ainsi privée de papiers ne dispose alors ni de statut, ni d'identité, ni de moyens financiers, et se trouve ainsi tenue en état de sujétion pour ne pas dire d'esclavage. Elle est ainsi condamnée à rester au domicile ou, si elle l'a quitté pour se mettre à l'abri des violences, à y retourner.

Mme Voynet a eu le mérite de soulever ce point particulièrement important.

L'Assemblée nationale a préféré considérer que la privation de ces pièces ainsi que des moyens de paiement s'apparente à un vol, infraction qui peut être sanctionnée par trois ans d'emprisonnement, au lieu de un an dans le cas de la disposition adoptée par le Sénat.

Au-delà du quantum d'une peine qui n'est que rarement prononcée en totalité, je ferai remarquer que la privation de pièces d'identité - notamment - est beaucoup plus qu'un vol puisque c'est bien de son identité que la femme est en fait privée, étant dès lors enchaînée, en quelque sorte, à l'agresseur. L'acte nous paraît être plus pénalisant et donc bien plus grave que le simple vol.

J'en viens maintenant à l'incrimination, dans notre droit, du viol au sein du couple.

Le Sénat, avec certes une rédaction différente, nous avait également suivis sur ce point.

Le viol, malheureusement, tient une place non négligeable parmi les actes de violence au sein du couple, d'autant que, comme vous l'avez souligné, madame la ministre déléguée, la proximité avec l'agresseur, derrière les murs du domicile, rend la victime particulièrement vulnérable.

Même si la jurisprudence a établi qu'il pouvait y avoir viol entre époux, elle n'est pas suivie systématiquement, comme ont pu le faire remarquer certains magistrats.

Il convenait donc, comme cela a été déjà dit, de donner un fondement légal à cette jurisprudence tout en donnant une plus grande visibilité à la gravité de l'acte, car, dans l'esprit de beaucoup, le viol entre époux n'existe pas.

Cependant, l'Assemblée nationale a modifié la rédaction du Sénat en faisant du mariage, du concubinage ou du PACS une circonstance aggravante du viol et des autres agressions sexuelles.

Le groupe socialiste n'est pas favorable à cette disposition. Il vous suivra donc, monsieur le rapporteur, dans cette voie et dans votre souhait d'améliorer la rédaction de cet article et de viser aussi bien le viol que les autres agressions sexuelles.

Concernant les mesures de prévention, et plus précisément la question de l'éloignement du domicile de l'auteur des violences, le Sénat nous avait là aussi donné satisfaction dans le cadre tant du contrôle judiciaire que du sursis avec mise à l'épreuve. C'était l'une de nos principales préoccupations, mise en avant dans notre proposition de loi initiale dans laquelle nous avions suggéré, pour mieux protéger la victime, de permettre au juge d'ordonner, d'une manière explicite, l'éloignement de l'agresseur.

En effet, la rédaction actuelle de l'article 138 du code de procédure pénale suscite, semble-t-il, trop souvent les hésitations du juge, notamment dans le cas où l'agresseur est le propriétaire ou le locataire du logement.

Je reste persuadé que, si la victime a pleinement conscience que, dans le cas de poursuites, c'est plutôt son agresseur qu'elle-même qui pourra être amené à quitter le domicile, elle hésitera certainement moins à porter plainte et n'acceptera plus de subir sans réagir.

En revanche, nous n'avions pas été suivis sur notre amendement qui visait à donner la possibilité au juge de prononcer envers les auteurs de violences au sein du couple l'obligation de se soumettre à des soins spécialisés, pas plus que nous ne l'avions été sur notre proposition visant à donner une base légale à certaines expériences conduites notamment par les parquets de Paris, de Nîmes ou de Douai.

Bien évidemment, nous avons remarqué que l'ensemble de ces dispositions ont été entre-temps satisfaites par l'article 35 de la proposition de loi relative au traitement de la récidive des infractions pénales, que ce soient les mesures d'éloignement du domicile ou celles qui permettent, sous l'autorité du procureur de la République, dans le cadre de l'enquête, d'astreindre l'agresseur à une prise en charge sanitaire et sociale, consacrant ainsi les pratiques des parquets précités.

Peut-être sur ce dernier point avons-nous eu le tort, à quelques mois près, d'avoir eu raison trop tôt ! Cela dit, nous constatons que la loi du 12 décembre 2005 n'a pas prévu d'étendre ces mesures aux auteurs de violences qui se trouvent être des anciens conjoints, des anciens concubins, des anciens ou actuels partenaires pacsés. Il convenait donc de compléter le dispositif en ce sens, et c'est pourquoi nous proposerons un amendement à cet effet.

Nous considérons également qu'il était utile que le dispositif soit complété s'agissant de la révocation du contrôle judiciaire ou des modifications apportées au régime de la mise à l'épreuve avec incarcération de l'agresseur dès lors que ce dernier se soustrait aux obligations qui lui sont imposées, par exemple l'interdiction de revenir au domicile.

Concernant toujours la prévention, pardonnez-moi de le rappeler encore une fois, notre proposition de loi initiale faisait justement de la prévention le coeur même d'un dispositif global.

Punir sévèrement est nécessaire ; informer, éduquer, et donc prévenir les violences est encore mieux, d'autant que celles-ci ne régressent pas, particulièrement chez les jeunes.

Ainsi, il est nécessaire d'aller au-delà de la seule sensibilisation des adultes et de prévenir les comportements sexistes entre filles et garçons dès l'enfance, et donc dès l'école, puis au collège et au lycée, par l'éducation non seulement au respect de l'autre, mais aussi plus spécifiquement au respect de l'autre sexe.

Je reste convaincu que notre droit doit prendre en compte cette nécessité afin de mieux mobiliser la communauté scolaire, car c'est là l'un des points de départ pour contribuer à favoriser l'évolution des mentalités.

Cela valait donc bien un complément explicite au code de l'éducation, dans la mesure où nous voulons vraiment inscrire notre action dans la durée.

Mais le Sénat, dans sa majorité, ne nous a pas suivis, au prétexte que nos amendements seraient déjà satisfaits par certaines dispositions du code de l'éducation.

Il n'y a rien de redondant à inscrire dans ce code qu'une information sur le respect de l'autre sexe, sur la violence, les propos sexistes et leurs conséquences, doit être également dispensée. Non, il n'y a rien là de redondant, puisque cette disposition n'est pas explicitement affichée dans le code de l'éducation.

Je crois savoir qu'à l'Assemblée nationale le débat a surtout porté sur le fait que les dispositions ainsi proposées par amendements étaient de nature réglementaire. Je crois me souvenir aussi que le législateur n'a pas eu de tels états d'âme lors de l'examen de la loi Fillon.

Vous avez par ailleurs, madame la ministre délégué, proposé, en liaison avec le ministère de l'éducation nationale, de donner à ce texte, une fois adopté, la publicité la plus large.

C'est une excellente idée qu'il sera très utile de mettre en oeuvre, et nous espérons que vous nous le confirmerez ici même. Cela dit, une telle campagne de sensibilisation ne sera que ponctuelle. Or, je le redis, il nous faut nous inscrire dans la durée et, jusqu'à preuve du contraire, il n'y a pas pour ce faire de meilleure garantie que celle qu'apporte la loi.

Nous défendrons donc un amendement fixant un cadre, tout en renvoyant au décret le soin de fixer les modalités et le contenu.

Nous reviendrons aussi sur la question relative à la formation des personnels médicaux, de police et de gendarmerie, ainsi que des magistrats et des avocats.

De même, et c'est là un autre sujet, peut-être faudrait-il également veiller à ce que les émissions publicitaires ne contiennent aucune incitation à la violence et aucune image dégradante de la femme.

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