Intervention de Robert Badinter

Réunion du 6 mars 2009 à 9h45
Loi pénitentiaire — Article 31

Photo de Robert BadinterRobert Badinter :

Nous abordons maintenant l’aménagement des peines, domaine tout à fait différent de ceux que nous avons évoqués jusqu’à présent, même s’ils sont liés.

Nous ne sommes plus dans le droit pénitentiaire, dans le droit des détenus. D’ailleurs, j’aurais souhaité que l’on évoquât également le statut des personnels dans le projet de loi. Quoi qu’il en soit, nous voici à présent dans le domaine procédural de l’exécution des peines.

À cet égard, j’ai relevé avec un certain étonnement l’extraordinaire discrétion qui a pesé sur ce volet du projet de loi. Les services de communication de la Chancellerie, fort efficaces, nous avaient d’ordinaire habitués à moins de réserve.

Pourtant, les dispositions dont il s’agit marquent une véritable rupture avec la politique qui a été menée jusqu’à présent.

D’abord, ces dispositions visent à réduire le champ de la détention provisoire en étendant celui du placement sous surveillance électronique. Il n’est rien de plus naturel ni de très original ; toutes les avancées en ce domaine sont positives.

Mais le plus intéressant, ce sont les possibilités qui sont ouvertes à tous les niveaux aux magistrats pour leur permettre de substituer des aménagements de peine ou des mesures alternatives à l’emprisonnement.

À y regarder de près, ce qui exige du temps et de la patience, on constate que le plafond des peines visé par l’aménagement des peines est porté de un an à deux ans. Or 60 % des condamnés le sont à des courtes peines. Dorénavant, les magistrats auront la possibilité de prononcer dès le départ des aménagements de peine. C’est dire l’importance d’une telle ouverture.

J’irai au-delà. Il résultera des modalités de procédure que nous allons examiner et qui n’appellent pas de critiques en soi, grâce à l’excellent travail, comme toujours, de la Direction des affaires criminelles, que, dans le cadre même de l’exécution de la peine, les mesures alternatives ou d’aménagement de peines permettront des libérations. En d’autres termes, cela signifie que l’on donne aux magistrats une très grande extension des possibilités de libérations.

J’ai parlé de rupture parce qu’il suffit de considérer l’accroissement constant de l’incarcération depuis 2002, tempéré très récemment avec le placement sous surveillance électronique, pour mesurer le changement intervenu.

Comme je l’ai évoqué, la philosophie qui a sous-tendu l’action pénale de ces deux dernières années a été celle de la peine ferme, certaine et presque automatique s’agissant des peines planchers.

À présent, nous retrouvons l’inverse, c'est-à-dire des dispositions auxquelles, pour ma part, je n’ai jamais cessé de croire : l’individualisation, la personnalisation et les possibilités d’aménagement des peines.

Selon le dernier document réalisé par la Commission nationale consultative des droits de l’homme, la CNCDH, le taux d’aménagement des peines n’est aujourd'hui que de 20 %.

Voilà donc des dispositions qui apporteront des changements, en ce sens qu’elles donnent aux magistrats les moyens de pallier la surpopulation pénale. En définitive, c’est la véritable raison. Comme on ne peut recourir ni aux grâces collectives ni à une loi d’amnistie, la seule possibilité de vider le « tonneau carcéral », qui est actuellement trop plein, est de s’y prendre à la petite cuillère ! C’est la seule issue, car bien d’autres problèmes que nous avons hélas trop connus par le passé pouvaient s’ajouter aux inconvénients humains majeurs de la surpopulation pénale !

Par conséquent, nous soutiendrons et voterons ces dispositions intéressantes. Par rapport à la politique et à la philosophie pénales qui ont marqué les deux dernières années, de telles mesures constituent un changement si radical que l’on ne peut que s’en étonner et, en même temps, en tirer tout le parti nécessaire.

En son temps, le grand Saint-Just déclarait : « La force des choses nous conduit peut-être à des résultats que nous n’avons pas pensés. »

Pour ma part, je constate avec satisfaction que le cours des événements redonne enfin à la démarche judiciaire en matière pénale toutes les capacités d’aménagement des peines que nous souhaitons Car, croyez-moi, sans aménagement des peines, nous ne pourrons avoir, en matière de récidive, que des lendemains qui déchantent !

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