Cette référence à l'étape importante franchie voilà cinq ans, par le biais, justement, d'une niche parlementaire, explique que nous ne proposions pas d'aller plus loin dans l'instauration du droit de vote et d'éligibilité. Le débat devra avoir lieu pour d'autres élections.
Pour l'heure, nous proposons de franchir un cap significatif, déjà validé par l'une des deux chambres du Parlement : l'Assemblée nationale. Il s'agit d'un cap démocratique d'une adresse solennelle au monde : la République française est fidèle à ses idéaux de justice, de citoyenneté, d'ouverture.
En ces heures de doute sur la capacité de notre pays à accueillir, à intégrer des populations d'origine étrangère, l'accès au droit de vote manifesterait sans ambiguïté que notre société est bien tournée vers l'avenir.
Cette proposition de loi constitutionnelle répond également à un objectif immédiat : réparer la discrimination, que nous avons, nous, membres de l'opposition, toujours regrettée, entre étrangers communautaires et étrangers non communautaires.
Ainsi, dès 1992, nous avions souligné la grande injustice qui consistait à accorder le droit de vote et d'éligibilité à un ressortissant de l'Union européenne récemment établi sur notre sol et à le refuser à un salarié algérien ou marocain résidant en France depuis trente ans.
En 1992, le droit de vote des étrangers communautaires a, en effet, été intégré dans la Constitution. Une directive du 19 décembre 1994 a généralisé ce principe à tous les pays membres. Elle a été transposée en droit interne par une loi organique promulguée le 25 mai 1998.
Un intéressant rapport publié par le Sénat, comparant les législations de différents pays européens, l'indique : « Les ressortissants des pays de l'Union européenne ont pu voter aux élections européennes pour la première fois en 2001. Quant aux autres étrangers, quelle que soit la durée de leur séjour dans notre pays, ils sont exclus du droit de vote. »
Ce même rapport souligne les prises de position d'un certain nombre de personnalités en faveur du droit de vote et rappelle le vote émis par l'Assemblée nationale le 3 mai 2000.
Il montre que de nombreux pays européens ouvrent la citoyenneté aux résidents étrangers. Ainsi, l'Irlande a pris cette décision depuis 1963. La Belgique, le Danemark, le Luxembourg, les Pays-Bas, la Suède et certains cantons suisses ont déjà adopté une législation comparable au texte que nous souhaitons voir examiné aujourd'hui. L'Espagne, le Portugal, le Royaume-Uni accordent le droit de vote à des ressortissants de certains pays.
La France peut-elle longtemps rester en retrait ?
Cette discrimination entre étrangers communautaires et étrangers non communautaires est difficile à admettre et suscite une grande frustration, notamment chez les enfants de ces hommes et de ces femmes qui, devenus Français, n'ont jamais vu leur parents ou leurs grands-parents voter.
Les résidents étrangers établis sur notre sol disposent des droits civils, économiques et sociaux. Ils en partagent les devoirs, mais leurs droits s'arrêtent à la porte des bureaux de vote. Une telle discrimination est indéfendable.
Depuis de nombreuses années, les groupes parlementaires de gauche ont déposé des propositions de loi pour mettre fin à cette injustice. Pour notre part, c'est le 5 avril 1990, sur l'initiative de Mme Luc, que nous avons déposé la première sur le bureau du Sénat.
Celle que nous défendons aujourd'hui est celle de toute la gauche et je me réjouis de l'initiative commune que j'ai l'honneur de présenter aujourd'hui.
L'opinion publique, longtemps réticente, est maintenant majoritairement favorable. Un sondage rendu public en octobre indique, en effet, que 63 % des Françaises et des Français sont favorables au droit de vote des étrangers aux élections municipales
Peut-être cette évolution explique-t-elle un ralliement progressif, tout au moins en paroles, de certains membres de la majorité...
En 1999, M. de Robien s'est prononcé pour le droit de vote des étrangers aux élections locales ; le 3 mai 2000, M. Borloo a voté pour le texte que j'évoquais ; en 2001, ce fut au tour de M. Bayrou de basculer ; enfin - cerise sur le gâteau ! - c'est M. Sarkozy qui, le 25 octobre, a pris à revers son propre parti, qu'il préside au demeurant, en s'exprimant pour le droit de vote, ce avant - notons-le - de mettre le feu aux banlieues !
Il s'agit tout de même de trois ministres, et non des moindres, ainsi que des deux présidents des deux partis de la majorité. Et je ne rappellerai pas que M. Jacques Chirac, futur Président de la République, s'était exprimé dès 1977 en faveur du droit de vote des étrangers aux élections municipales.
Pourtant, tout indique, à moins d'une heureuse surprise, que la majorité sénatoriale, nonobstant les prises de positions loin d'être anodines que je viens d'évoquer, s'apprête, non seulement à refuser d'approuver la proposition de loi constitutionnelle présentée par le groupe socialiste et apparenté et par le groupe communiste républicain et citoyen, mais, surtout, à écarter l'idée même d'une discussion sur le sujet.
Il faut, en effet, préciser que les largesses du règlement du Sénat à l'égard de l'opposition ont leur limite.
Ainsi, l'article 30, présentement mis en oeuvre, comporte deux étapes. Il est d'abord procédé à un vote sur l'ouverture ou non de la discussion sur la proposition de loi visée, au terme d'un débat réduit à sa plus simple expression : un orateur pour, un orateur contre, une intervention de la commission et, éventuellement, du Gouvernement, aucune explication de vote n'étant autorisée. C'est regrettable, puisque cela empêche certains de s'exprimer.
Tout porte à croire que nous ne dépasserons pas cette étape ce soir.