Intervention de Bernard Vera

Réunion du 23 juillet 2007 à 15h00
Règlement du budget de l'année 2006 — Adoption définitive d'un projet de loi déclaré d'urgence

Photo de Bernard VeraBernard Vera :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, lors de l'explication de vote sur le projet de loi de finances pour 2006, mon collègue Thierry Foucaud déclarait au nom de notre groupe : « La justice sociale commande une fiscalité plus juste et plus respectueuse du principe d'égalité devant l'impôt.

« Les impôts progressifs en France sont peu nombreux - impôt sur le revenu, droits de mutation, impôt de solidarité sur la fortune - et représentent une trop faible part de l'ensemble des ressources. Ainsi, l'impôt sur le revenu n'apporte que 17 % des recettes fiscales. [...] L'ISF et toute la fiscalité sur le patrimoine sont considérablement affaiblis alors que 10 % des ménages possèdent 45 % du patrimoine total.

« Il faut conforter ces impôts afin de renforcer la redistribution. Il faut aussi les rendre plus justes. Il n'y a en effet pas lieu de réserver un traitement de faveur aux revenus financiers ou fonciers ni de multiplier les exonérations pour les détenteurs d'actions. [...]

« L'école, la formation, le logement, la culture, la recherche, la santé publique et l'aménagement du territoire nécessitent des efforts substantiels, qui ne figurent pas dans le présent projet de loi de finances, afin de favoriser le progrès social et économique de notre pays.

« Vous avez décidé de privilégier la dépense fiscale par des cadeaux fiscaux aux plus riches, au détriment de la dépense publique. [...]

« Le projet de loi de finances pour 2006 ne favorise ni l'emploi, ni le logement, ni le pouvoir d'achat. Il ne répond pas à l'urgence sociale, que le Gouvernement refuse d'écouter. Il n'est pas bon pour la grande majorité des Françaises et des Français. »

Aujourd'hui, vous vous félicitez d'une situation financière de l'État qui se serait améliorée. En réalité, cette amélioration n'est qu'apparente et ce sont les catégories modestes et moyennes qui en paient le prix fort.

Chacun le sait bien, ce n'est pas par la croissance que la situation budgétaire s'est améliorée. Même le rapporteur général l'indique, en évoquant une « croissance décevante », qui, pour la première fois depuis 1998, est « nettement inférieure à celle de nos principaux partenaires ».

Deux facteurs essentiels expliquent cette apparente amélioration de la situation budgétaire.

Le premier facteur concerne l'accroissement des ressources fiscales au regard des prévisions de la loi de finances initiale.

Les recettes de l'impôt sur le revenu progressent de 1, 14 milliard d'euros, la TVA croît de 1, 3 milliard d'euros, tandis que le produit de l'impôt sur les sociétés augmente de 6, 35 milliards d'euros.

Il convient également de noter la progression des autres recettes fiscales, notamment les produits de l'enregistrement et les impôts assimilés, comme l'impôt de solidarité sur la fortune.

Bien entendu, l'élément principal de ces plus-values fiscales, c'est l'augmentation du produit de l'impôt sur les sociétés, qui procède, manifestement, de l'amélioration de la situation financière des entreprises.

Ces évolutions démontrent que, malgré la faiblesse de la croissance - ou malgré les trente-cinq heures -, la situation des entreprises est loin d'être dégradée. Sans doute suffit-il d'examiner l'évolution du CAC 40 et de la capitalisation de la Bourse de Paris pour s'en rendre compte !

Les plans de licenciement, les délocalisations et les opérations de leveraged buy-out, ou LBO, ont occupé l'actualité sociale de 2006. Pourtant, tout va bien sur le front de la rentabilité financière !

Ainsi, les recettes fiscales provenant de l'impôt sur les sociétés sont en nette progression au regard des prévisions initiales, malgré la diversité des outils légaux de réduction de l'impôt sur les sociétés, le report en arrière illimité des déficits, et l'allégement de la fiscalité des plus-values de cession d'actifs.

Le second facteur de réduction des déficits est connu : c'est la compression de la dépense publique.

Les crédits ouverts en loi de finances initiale n'ont pas été consommés en totalité, et les dépenses publiques ont été, selon l'expression du rapporteur général, « contenues ».

À l'apparente satisfaction qui pourrait en résulter, il faut opposer la réalité, beaucoup moins favorable.

L'amélioration du solde budgétaire est, pour une part, liée à une profonde modification de la structure même des dépenses publiques. Nous avons ainsi dénoncé, depuis plusieurs années, la forte propension à faire supporter au budget de l'État une part sans cesse croissante des cotisations sociales dues par les entreprises, par prélèvement sur la valeur ajoutée.

Le cantonnement de ces dépenses dans une structure ad hoc, moyennant l'affectation de recettes fiscales dédiées, a réduit de manière sensible les dépenses d'intervention de l'État.

Cette observation vaut également pour d'autres dépenses, notamment celles qui sont conditionnées par le versement du revenu minimum d'insertion, transféré aux départements, ou encore de l'allocation personnalisée d'autonomie.

L'examen de la situation budgétaire de l'exercice 2002, par exemple, premier exercice de la précédente législature, permettait d'observer un déficit de 49, 3 milliards d'euros, supérieur de plus de 13 milliards d'euros à celui qui est aujourd'hui enregistré pour l'année 2006.

Par ailleurs, les dépenses d'intervention en 2002 représentaient 78, 74 milliards d'euros, soit 14 milliards d'euros de plus qu'aujourd'hui, et les dépenses d'équipement public s'élevaient à 28, 14 milliards d'euros, soit 15 milliards d'euros de plus qu'à l'heure actuelle. Ainsi, avec 12, 7 milliards d'euros, les dépenses d'équipement ont été abaissées à un niveau historiquement bas, inférieur à 5 % des dépenses budgétaires.

Votre déficit budgétaire est donc le résultat d'une faible croissance et d'une financiarisation accrue de l'économie, alors même que la présence et les interventions concrètes de l'État dans la vie de la nation sont en forte baisse et que l'effort d'équipement public est d'une faiblesse inégalée.

On dépense aujourd'hui trois fois plus de ressources publiques à servir les intérêts de la dette qu'à investir pour l'avenir du pays. On dépense cinq fois plus dans le budget d'investissement de la nation à réaliser des opérations financières sur titres de dette publique qu'à équiper la France et à développer ce qui a pourtant toujours fait sa force, c'est-à-dire la qualité de ses infrastructures.

Je dirai d'ailleurs un mot sur la dette publique, pour faire écho à l'argument selon lequel, en 2006, le volume de la dette négociable a été stabilisé.

Cette « stabilisation » s'est faite dans le cadre d'opérations de cession particulièrement importantes de titres publics, notamment des participations de l'État dans le capital des sociétés autoroutières. D'ailleurs, ce mouvement est encore amplifié par la récente annonce de la cession des 5 % du capital de France Télécom que détient encore l'État. En attendant, peut-être, que celui-ci cède quelques points dans le capital d'Électricité de France...

Mais la stabilisation de la dette en 2006 ne peut masquer que cette dernière est repartie de plus belle, dès le 1er janvier 2007, avec une soudaine hausse de 43 milliards d'euros en volume de la dette négociable, une relance inégalée pour plus de 20 milliards d'euros des bons du Trésor sur formule, c'est-à-dire des titres de trésorerie de court et de très court terme.

De plus, cette amélioration apparente du budget de l'État se situe dans un contexte de dégradation accélérée des comptes sociaux, malgré, ou à cause de la réforme Fillon de l'assurance vieillesse et de la réforme Douste-Blazy de l'assurance maladie.

Entre 1997 et 2002, dans un contexte de croissance économique réelle et de création importante d'emplois, notamment grâce à l'aménagement et à la réduction du temps de travail, notre régime de protection sociale avait dégagé des excédents de trésorerie cumulés pour plus de 30 milliards de francs.

Depuis 2002, nous sommes, année après année, confrontés à une détérioration accélérée des comptes sociaux, avec un déficit de 12 milliards d'euros encore cette année.

L'accumulation des déficits depuis 2002 contribue aujourd'hui à pousser certains à aller encore plus loin dans le démembrement de notre système de protection sociale, jusqu'à la mise en avant de l'assurance individuelle, dont les fameuses « franchises » sur les soins sont un avatar.

C'est donc aussi en ponctionnant les comptes de la sécurité sociale que vous avez réduit le déficit budgétaire de l'État, ne serait-ce que parce que les politiques de l'emploi menées depuis 2002 ont favorisé et encouragé l'extension ininterrompue des bas salaires, des contrats de travail à temps partiel et des contrats précaires.

Monsieur le ministre, les choix économiques et sociaux de votre majorité, tels qu'ils ont été mis en oeuvre par les précédents gouvernements et tels que vous entendez les poursuivre, notamment avec le projet de loi en faveur du travail, de l'emploi et du pouvoir d'achat, favorisent la dégradation de notre économie et creusent les inégalités.

Cette « rupture », si chère au Président de la République, qui en avait fait son thème de campagne, n'est en réalité que la poursuite et l'aggravation d'une politique qui fait perdre la France sur tous les plans.

C'est donc le budget d'une France malade de la précarité de l'emploi, de la persistance du chômage, de la fuite en avant dans la rentabilité financière, de l'aggravation de son déficit commercial extérieur, de la désindustrialisation que vous nous demandez de valider, avec ce projet de loi de règlement.

Vous comprendrez que, ayant une autre conception de l'action publique, nous ne puissions, sur ce texte, que confirmer la position que le groupe CRC avait adoptée lors de l'examen de la loi de finances initiale. Nous ne le voterons donc pas.

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