Intervention de Philippe Marini

Réunion du 23 juillet 2007 à 21h45
Règlement du budget de l'année 2006 — Débat de contrôle de l'exécution des crédits de la mission « culture »

Photo de Philippe MariniPhilippe Marini, rapporteur général de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation :

Madame la ministre, à ce stade du compte rendu de gestion - car telle est la signification que revêt à nos yeux la loi de règlement -, et dans le cadre de cet échange que nous voulons interactif, je vous poserai deux questions.

Avec ma première question, je ne quitte pas le domaine que vient d'aborder avec brio, efficacité et conviction Philippe Richert. Dans la loi de finances pour 2007 figure un article 90, introduit sur mon initiative et sur celle de la commission des finances, qui prévoit que le Gouvernement transmettra dans un délai de neuf mois au Parlement un rapport évaluant les investissements nécessaires à l'entretien et à la conservation des monuments classés ou inscrits sur la base de critères cohérents établis au plan national.

Madame la ministre, je voudrais savoir où en est l'élaboration de ce rapport et vous rappeler, si vous me le permettez, les raisons pour lesquelles nous l'avons désiré.

En règle générale, d'une région à l'autre, d'une conservation régionale des monuments historiques à l'autre, les évaluations varient, et l'on ne procède pas toujours de la même façon pour définir les travaux, qui d'ailleurs ne visent pas forcément les seules réhabilitation ou conservation mais peuvent incorporer des objectifs autres comme la restitution partielle ou totale d'un monument ou d'un ouvrage à telle ou telle époque de son histoire.

La commission des finances souhaite en quelque sorte connaître le passif de l'État. En d'autres termes, quel est le montant nécessaire pour assurer la pérennité de ces monuments et de ces ouvrages, sans qu'il y ait d'autre ambition que leur simple maintien, sans mise en valeur, sans embellissement, sans restitution ? Il s'agirait uniquement d'une stabilisation, par opposition à la dégradation croissante, qui serait par exemple liée à l'état de la menuiserie, de la couverture ou de tout autre élément technique, lequel, si l'on n'intervenait pas, conduirait à la disparition irréparable de l'édifice ou de l'ouvrage.

C'est donc dans une perspective de comptabilité patrimoniale que nous nous plaçons. Ce faisant, nous pensons être dans le droit fil de la loi organique relative aux lois de finances.

Ma seconde question est plus ponctuelle, mais elle est également de nature patrimoniale. Je résumerai en quelques mots une très longue et très complexe affaire, qui a d'ailleurs été évoquée, lorsqu'elle se trouvait à un stade antérieur, par notre excellent collègue Yann Gaillard dans son rapport sur le marché de l'art et la protection du patrimoine national, en 1999.

Il s'agit d'un tableau du XVIIe siècle, vendu par ses propriétaires initiaux à la fin des années quatre-vingt pour la somme de 250 000 euros d'aujourd'hui.

Après avoir été déclaré « trésor national » par la commission ad hoc, ce tableau de Nicolas Poussin, La Fuite en Égypte, vient d'être acquis par le musée des beaux-arts de Lyon grâce à une aide puissante du musée du Louvre et de l'État, pour 17 millions d'euros. L'écart entre 250 000 euros et 17 millions d'euros interpelle, pour dire le moins.

Nous savons que les évaluations, estimations, attributions sont choses fluctuantes, qu'il s'agit d'un art complexe et que les attributions d'aujourd'hui, fondant une valeur sur le marché de l'art du moment, ne sont pas forcément les attributions d'hier, encore moins sans doute celles de demain.

Il n'en reste pas moins que le dispositif au terme duquel une oeuvre que l'on aurait pu se procurer pour une somme considérablement moins élevée rejoint les collections publiques pour le montant que je viens d'indiquer suscite de ma part trois questions.

Premièrement, qui détermine la notion de « trésor national » ? Cette notion est appréciée par la commission ad hoc qui a été instituée par le décret modifié du 29 janvier 1993. J'ai naturellement le plus grand respect pour les personnalités, toutes éminentes, qui siègent au sein de cette commission. Toutefois, lorsque je me penche sur sa composition, je ne peux m'empêcher de constater - cela peut paraître naturel à certains égards - que le monde des conservateurs en activité ou restés très proches de l'activité y est significativement majoritaire.

La question du degré d'indépendance de cette commission est donc extrêmement délicate, quelles que soient la bonne foi et l'intégrité personnelle de ses membres, qu'il ne saurait être question de mettre en cause une seule seconde. Du point de vue de la logique et de la sociologie des organisations, je me demande si nous nous sommes dotés d'un système dans lequel l'indépendance prévaut nécessairement.

Deuxièmement, l'État et le secteur public de manière générale ne sont-ils pas toujours réduits à acheter au plus haut, comme l'exemple que je viens de citer tend à le montrer ?

Troisièmement, le musée des beaux-arts de Lyon a bénéficié, pour cette acquisition remarquable, de contributions de l'établissement public du musée du Louvre, lesquelles sont apparemment adossées au produit attendu de l'opération avec les Émirats arabes unis, plus exactement avec l'Émirat d'Abou Dhabi, dont une quote-part est de nature à faciliter la réalisation de cette acquisition. Madame la ministre, quelles sont les règles qui prévaudront quant à la répartition de ce produit exceptionnel, dont je me réjouis et me félicite ? Quelle part reviendra directement au musée du Louvre ? Quelle part indirectement ? Quelle proportion sera versée à d'autres établissements publics nationaux ou à d'autres monuments ?

Nous pouvons tous nous enorgueillir de cette très belle opération du Louvre à Abou Dhabi, madame la ministre. Les musées pourront disposer d'un abondement significatif de leurs moyens. Il serait heureux que nous en sachions plus sur l'articulation de cette opération et sur les besoins d'intérêt public qui pourront ainsi être satisfaits.

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