Intervention de Christine Albanel

Réunion du 23 juillet 2007 à 21h45
Règlement du budget de l'année 2006 — Débat de contrôle de l'exécution des crédits de la mission « culture », amendement 5

Christine Albanel, ministre de la culture et de la communication :

Monsieur le président, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le président de la commission des affaires culturelles, monsieur le rapporteur général, monsieur le rapporteur spécial, monsieur le rapporteur pour avis, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de votre accueil. C'est pour moi un honneur d'intervenir pour la première fois dans cet hémicycle. Je sais tout l'intérêt que le Sénat porte à la politique culturelle, mais également toute l'attention que les commissions accordent à son financement et surtout à la bonne et juste allocation des moyens. Les interventions qui viennent de se succéder en témoignent.

Je me réjouis de pouvoir m'exprimer et débattre avec vous ce soir, non pas simplement sur ce qui va être fait mais également sur ce qui vient de l'être. Il est tout à fait normal que chaque ministre vienne non seulement présenter et défendre son projet de budget, mais également rendre compte de l'exécution de ce budget et l'expliquer.

Il convient tout d'abord de se remémorer ce qu'a été le budget 2006 pour le ministère de la culture et de la communication. En effet, 2006 constitue le premier exercice pour lequel le budget a été élaboré, présenté, voté et exécuté dans le cadre de la nouvelle constitution financière consacrée par la LOLF.

À cet égard, je tiens à saluer l'excellent travail accompli par les services du ministère. En effet, ce budget 2006, dans sa construction comme dans son exécution, a été le fruit d'une mobilisation sans précédent pour que la LOLF devienne une réalité.

Certes, je suis d'accord avec MM. les rapporteurs pour considérer que le rapport annuel de performance du ministère de la culture et de la communication est perfectible, notamment dans la justification au premier euro de l'exécution. Toutefois, ce premier exercice constitue d'ores et déjà un véritable progrès, puisque c'est la première fois que les ministères, anciennement « dépensiers », désormais « gestionnaires », rendent compte de l'exécution de l'exercice précédent et fournissent des explications. En outre, je rappelle que le ministère s'est employé dès 2007 à en améliorer le cadre, lequel vous est apparu plus satisfaisant, mesdames, messieurs les sénateurs.

On a souvent reproché au ministère de la culture et de la communication sa difficulté à consommer le budget voté. L'exécution du budget 2006 aura convaincu chacun qu'une telle époque était révolue. En effet, sur l'ensemble des crédits « consommables » en 2006, seuls 3 millions d'euros n'ont pas été consommés, soit 0, 1 % des crédits ouverts, ce qui a permis d'atteindre, hors rattachement de fonds de concours tardifs, un taux d'exécution record en crédits de paiement proche de 100 %.

C'est pour moi une source de satisfaction, car cela signifie que le ministère a su améliorer ses méthodes de gestion et que, grâce à la LOLF, il est entré dans une nouvelle ère. Mais c'est également une source d'inquiétude, car cela signifie aussi que la moindre marge de manoeuvre a été utilisée, en particulier pour faire face à la grave crise des paiements que le ministère a connue en ce qui concerne les monuments historiques et dont il commence tout juste à sortir.

La satisfaction l'emporte toutefois sur l'inquiétude, car je reste convaincue qu'une telle performance n'aurait pas été possible sans une véritable amélioration du pilotage des crédits et un renforcement du dialogue de gestion entre services centraux et déconcentrés.

Soyez certains que je m'attacherai à consolider ces progrès tant en 2007 que pour les prochains exercices. Si un budget est avant tout l'expression d'une politique, son exécution en est bien la concrétisation.

J'en viens maintenant aux interrogations qui ont été formulées par MM. les rapporteurs.

M. le rapporteur général s'est interrogé sur les dispositions de l'article 90 de la loi de finances pour 2007, aux termes duquel le Gouvernement devait transmettre au Parlement un rapport sur l'état du patrimoine monumental français dans un délai de neuf mois.

Un premier rapport avait été établi sur cette question en 2002. Le besoin de financement total pour la réhabilitation du patrimoine monumental français était évalué à 6 milliards d'euros, dont 1, 5 milliard d'euros pour les travaux d'urgence, ce que vous avez qualifié, monsieur le rapporteur, de « maintien ».

La Direction de l'architecture et du patrimoine a donc été chargée d'actualiser ces données pour préparer le rapport demandé par le Parlement. L'Inspection générale de l'architecture et du patrimoine a été mandatée pour se rendre dans chaque région afin d'évaluer, à partir des travaux menés par les DRAC et par les services départementaux de l'architecture et du patrimoine, les SDAP, la situation des monuments protégés, en commençant par les 14 000 monuments classés.

Cette évaluation doit permettre d'établir les priorités sanitaires des monuments et de faire notamment apparaître les situations de péril. À terme, cette situation sera suivie par le logiciel AGRÉGÉE, qui comportera, pour chaque monument, une fiche sanitaire pouvant être facilement actualisée.

Le rapport sera transmis au Parlement avant la fin de l'année 2007. Il présentera, comme le demande la loi de finances, la situation dans chaque région.

S'agissant du tableau de Nicolas Poussin, je rappelle que la Commission consultative des trésors nationaux, présidée par un membre du Conseil d'État, siège en deux formations différentes, selon qu'elle examine les demandes de refus de certificat, pour des objets classés « trésors nationaux », ou les appels à mécénat ; il s'agit là de déclaration d'objets présentant un « intérêt patrimonial majeur ».

Dans le premier cas, la commission comprend exclusivement des spécialistes du patrimoine ; dans le second, elle comprend en plus un représentant du ministère de l'économie et des finances, qui participe activement au débat et a voix délibérative.

Le tableau La Fuite en Égypte a été examiné à deux reprises par cette commission. En 2004, il a fait l'objet d'un refus de certificat, qui venait à expiration en 2007. Au mois de juillet 2007, il a été déclaré d'intérêt patrimonial majeur, ce qui le rendait éligible, pour son acquisition par les collections publiques, au mécénat des entreprises, qui prévoit une déduction à 90 % de l'impôt sur les sociétés. Dans les deux cas, c'est à une forte majorité que la commission s'est prononcée, pour décider, d'abord, l'interdiction de sortie, puis le classement de l'oeuvre d'intérêt patrimonial majeur.

Je rappelle que la commission ne suit pas systématiquement les propositions que lui adresse l'administration des musées. Ainsi, au mois de juillet dernier, elle a refusé de considérer comme trésor national, donc insusceptible d'exportation, un tableau italien qui était présenté par le musée du Louvre.

Il est vrai qu'en 2004 l'estimation par les musées de La Fuite en Égypte atteignait environ 14 millions d'euros. Cette somme, qui d'ailleurs n'avait pu être réunie avant l'expiration des trente mois de validité du refus de certificat, n'avait pas été acceptée par les propriétaires de l'oeuvre. Ceux-ci avaient pu faire état de propositions étrangères d'un montant supérieur à celui sur lequel, grâce aux efforts conjugués de l'État, de la Direction des musées de France et du musée du Louvre, ainsi que de la Ville de Lyon, des collectivités territoriales et d'entreprises mécènes - car le mécénat a joué un grand rôle dans cette opération -, un accord a pu être conclu, soit 17 millions d'euros.

Bien sûr, il s'agit d'une somme très élevée, mais les experts s'étaient accordés à dire que ce tableau pouvait être estimé entre 17 millions d'euros et 22 millions d'euros en vente publique.

Sans même parler des sommets financiers aujourd'hui atteints dans le domaine de l'art contemporain ou, dans une moindre mesure, dans celui de l'art moderne, ce prix est éloigné des valeurs constatées récemment. Je pense, par exemple, à un tableau de Rembrandt ou à une oeuvre de Duccio acquis chacun pour plusieurs dizaines de millions de dollars, mesdames, messieurs les sénateurs.

Il faut se réjouir de l'efficacité du dispositif fiscal mis en place en 2002 et en 2003 pour des oeuvres de cette importance. De surcroît, c'est la première fois que cette procédure est appliquée au bénéfice d'un musée territorial puisque ce magnifique tableau va enrichir le musée des beaux-arts de Lyon. L'opération a été assez exemplaire, eu égard à tous les mécénats qui ont été engagés.

Étant donné le prix d'acquisition de l'oeuvre en cause, cette opération peut paraître extrêmement onéreuse, mais, par rapport au prix du marché et aux estimations effectuées en 2004, j'estime que le projet était raisonnable. En tout cas, il a suscité beaucoup d'enthousiasme.

Pour ce qui concerne la crise financière sans précédent qui a frappé la politique conduite par le ministère en faveur des monuments historiques, le paroxysme a été atteint en 2006.

Vous l'avez rappelé, monsieur Richert, le Sénat, à travers la mission d'information que vous présidiez et dont le sénateur Nachbar a été le rapporteur, a légitimement lancé un véritable cri d'alarme au début de l'été 2006. Sensible à la gravité de la situation, le précédent gouvernement a annoncé un plan de relance dès le mois de septembre, marqué, d'une part, par le déblocage immédiat de 20 millions d'euros en région et, d'autre part, par la mise en place d'un financement pérenne supplémentaire de 70 millions d'euros en faveur des monuments appartenant à l'État, cette mesure applicable en 2007 ayant un effet rétroactif en 2006.

Délégués le 20 septembre, les 20 millions d'euros ont été consommés extrêmement rapidement et en totalité sur l'exercice 2006. En ce qui concerne les 70 millions d'euros de taxe affectée, ouverts dans le cadre de la loi de finances rectificative de la fin de l'année 2006, ces crédits étaient quasiment totalement consommés à la fin du mois de juin dernier, puisque le taux global de consommation des crédits affectés aux monuments historiques s'élevait déjà à 41 %.

Comme l'a rappelé M. Gaillard, ces mesures faisaient suite à l'affectation à l'Établissement public de maîtrise d'ouvrage des travaux culturels, l'EMOC, d'une dotation exceptionnelle en capital de 100 millions d'euros provenant des privatisations des autoroutes. Allouée à la fin de l'année 2005 et consommée effectivement en 2006, cette dotation a été décomposée en deux parties : la première, d'un montant de 47, 6 millions d'euros, a été affectée aux grandes opérations concernant des monuments historiques - Grand Palais, Cité de l'architecture et du patrimoine, Fort Saint-Jean à Marseille, Versailles, pour n'en citer que quelques-uns - ; la seconde a été consacrée à d'autres grandes opérations d'aménagement - Cité nationale de l'histoire de l'immigration, rénovation des écoles d'architecture, Cinémathèque française, notamment.

Au total, le passif de 2006 devrait ainsi être globalement traité sur la gestion de 2007, grâce, notamment, aux 70 millions d'euros de taxe affectée alloués à titre rétroactif à la fin de 2006, qui se sont ajoutés aux 70 millions d'euros prévus au titre de la loi de finances de 2007. Je rendrai compte de l'utilisation des 140 millions d'euros affectés au Centre des monuments nationaux dans le cadre du rapport annuel de performance de 2007, répondant ainsi au souhait que vous avez manifesté en déposant l'amendement n° 5, monsieur le rapporteur spécial.

Pour revenir à l'exécution de 2006, notamment à la répartition des crédits entre les monuments appartenant à l'État et les monuments des autres propriétaires, ainsi que m'y ont invité M. le rapporteur spécial et M. le rapporteur pour avis, je souhaite préciser que les monuments n'appartenant pas à l'État ont bénéficié de 83 millions d'euros en titre V, sous maîtrise d'ouvrage de l'État, mais également de 69 millions d'euros de subvention pour leur restauration en titre VI et de 12 millions d'euros pour leur entretien en titre III.

Au total, ce sont donc 164 millions d'euros de crédits de paiement, alors que 147 millions d'euros avaient été prévus initialement, qui ont été consacrés à l'entretien et à la restauration des monuments appartenant à des collectivités locales ou à des propriétaires privés, soit plus de 50 % des crédits consommés en 2006.

Les variations que vous avez observées dans la gestion des crédits déconcentrés - à la baisse, sur le titre VI, de 40 millions d'euros, et à la hausse, sur le titre V, de 73 millions d'euros - résultent essentiellement du passage à la LOLF. En effet, l'inscription au titre V des crédits destinés aux monuments appartenant à des tiers lorsque l'État en assurait la maîtrise d'ouvrage a été postérieure à la répartition des crédits. La fongibilité des crédits a toutefois permis de résoudre cette difficulté. Il en est résulté un rééquilibrage technique au profit du titre V, qui ne saurait en conséquence être interprété comme un choix stratégique au profit de la maîtrise d'ouvrage de l'État.

Bien au contraire, les DRAC ont prioritairement traité en 2006 les opérations portant sur les monuments appartenant aux collectivités locales et aux propriétaires privés. Cette priorité s'inscrit dans le droit fil de la réforme engagée avec l'ordonnance du 8 septembre 2005, notamment pour ce qui concerne l'objectif de restitution de la maîtrise d'ouvrage au propriétaire.

Grâce à l'ensemble de ces mesures, la crise a pu être enrayée, mais je crois que nous en sommes encore au stade de la convalescence. Car, si l'enjeu est bien de disposer de moyens financiers suffisants afin que notre patrimoine puisse être conservé, entretenu et restauré dans les meilleures conditions, je suis tout à fait convaincue qu'il s'agit d'abord et surtout de rompre avec une politique budgétaire faite d'à-coups, très préjudiciables dans un secteur qui a besoin de stabilité et de visibilité. Vous l'avez souligné et ce point me paraît essentiel. Je crois ainsi que l'affectation d'une partie de la taxe relative aux droits de mutation à titre onéreux a constitué une première réponse à cette exigence de stabilité.

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