Intervention de Michèle André

Réunion du 10 novembre 2009 à 9h45
Financement de la sécurité sociale pour 2010 — Discussion d'un projet de loi

Photo de Michèle AndréMichèle André, présidente de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes :

Monsieur le président, madame et messieurs les ministres, mes chers collègues, je me réjouis que la commission des affaires sociales ait, comme je le souhaitais, saisi notre délégation aux droits des femmes sur la question des majorations de durée d’assurance des mères de famille, dont la réforme est inscrite à l’article 38 du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2010. Je tiens à en remercier sa présidente, Mme Muguette Dini, que je sais très mobilisée sur toutes les questions qui intéressent les droits des femmes, et qui est d’ailleurs membre de la délégation.

Il me paraissait indispensable que notre délégation soit consultée sur cette réforme pour au moins trois raisons.

La première tient au fait que ce dispositif, qui permet aux mères de famille de bénéficier de deux années de majoration d’assurance par enfant, a été conçu pour les femmes. Il intéresse, dans la pratique, la très grande majorité d’entre elles. Ainsi, en 2005, il a bénéficié à 90 % des femmes parties à la retraite qui relevaient du régime général.

La deuxième raison est liée au fait que ce dispositif majore de 20 % en moyenne les pensions des femmes, et contribue donc partiellement, mais de façon significative, à compenser des inégalités de retraite entre hommes et femmes, inégalités fortes puisque le montant moyen des retraites des femmes représente à peine les deux tiers – 62 % pour être précise – de celui des hommes.

Mais – gardons bien cela à l’esprit – ce dispositif ne joue ce rôle correcteur que parce qu’il a été conçu, à l’origine, pour ne bénéficier qu’aux femmes, contrairement à la plupart des autres avantages familiaux, qui bénéficient aux pères et aux mères.

La troisième raison tient aux motifs de la réforme que l’on nous propose, et qui soulèvent une question de fond sur laquelle nous nous devons de prendre position sans ambiguïté.

Le Gouvernement est en effet conduit à remanier le dispositif actuel, car un récent arrêt de la Cour de cassation, amplifiant une jurisprudence amorcée en 2006, a estimé discriminatoires les règles qui réservent la majoration aux femmes. Il a décidé, en conséquence, d’en étendre, sans conditions, le bénéfice aux pères, en s’appuyant sur les principes posés par la Convention européenne des droits de l’homme. Était-ce la seule réponse possible ? Peut-être ! Quoi qu’il en soit, tel est le choix retenu.

Cette décision soulève une question de fond : des mécanismes asymétriques compensant les inégalités de retraite entre hommes et femmes restent-ils aujourd’hui légitimes et justifiés ? Pour nous, la réponse ne fait aucun doute, pour des raisons de fait, de droit et d’équité.

Les raisons de fait sont bien connues et statistiquement établies. Les écarts entre les pensions des femmes et celles des hommes sont considérables. Ils tiennent au fait que les carrières des femmes sont aujourd’hui encore plus courtes que celles des hommes et plus encore au fait que la rémunération des femmes est en moyenne inférieure de 25 % à celle des hommes.

Comme l’a très bien montré le rapport de Mme Grésy, ces écarts s’expliquent en partie parce que les naissances affectent durablement les parcours professionnels des femmes, parce que ce sont les femmes qui optent alors pour un travail à temps partiel ou qui s’arrêtent de travailler pour assurer l’éducation de leurs enfants : 98 % des allocataires des prestations servies par les caisses d’allocations familiales dans le cadre du congé parental sont des femmes. Nous nous prenons à rêver au système existant dans certains pays du Nord, où la durée du congé parental est aussi longue pour les pères que pour les mères. Nous en parlerons ultérieurement.

Les raisons de droit pèsent beaucoup dans ce dossier. Il faut répéter que tant le droit constitutionnel français que le droit communautaire nous autorisent à compenser ces inégalités, dont personne ne conteste la réalité.

Le Conseil constitutionnel a confirmé, lors de la réforme des retraites de 2003, qu’il appartenait au législateur de prendre en compte les inégalités de fait dont les femmes ont jusqu’à présent fait l’objet, et que celui-ci pouvait maintenir, en les aménageant, les dispositions destinées à compenser ces inégalités.

Le droit communautaire va dans le même sens. J’aimerais citer, même s’il n’a pas été conçu pour s’appliquer au régime général des retraites français, l’article 141 du traité d’Amsterdam, qui pose le principe suivant : « Pour assurer concrètement une pleine égalité entre hommes et femmes dans la vie professionnelle, le principe de l’égalité de traitement n’empêche pas un État membre de maintenir ou d’adopter des mesures prévoyant des avantages spécifiques destinés à faciliter l’exercice d’une activité professionnelle par le sexe sous-représenté ou à prévenir ou compenser des désavantages dans la carrière professionnelle. »

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