Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, permettez-moi de me féliciter de ce que notre délégation ait été saisie, sur votre initiative, madame la présidente de la commission des affaires sociales, de l’article 38 du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2010.
Ma satisfaction tient à trois motifs.
Tout d’abord, les femmes retraitées constituent l’une des catégories de la population les plus fragiles.
En outre, étant donné les contraintes qui s’exercent sur les retraites – on comptera deux actifs pour un retraité en Europe à l’horizon 2050, contre quatre en 2005 –, la prise en compte de l’égalité entre hommes et femmes risquait de se traduire par un alignement par le bas des avantages accordés aux mères.
Enfin, eu égard à la subtilité de certains raisonnements juridiques, il était essentiel de rappeler quelques données de bon sens.
Ma première préoccupation, en tant que rapporteur de ce texte, a été de mieux situer les majorations de durée d’assurance, appelées communément MDA, dans l’ensemble des avantages familiaux et dans l’évolution récente de notre « mosaïque » de régimes de retraite.
Premier constat : la plupart des avantages familiaux de retraite ne sont pas réservés aux femmes. Par exemple, les parents de trois enfants et plus bénéficient, dans tous les régimes, de majorations du montant de leur pension d’au moins 10 %, et ces majorations, qui représentent, comme les MDA, environ 6 milliards d’euros, avantagent nettement les pères : ceux-ci percevaient en moyenne 123 euros par mois en 2004, les femmes 56 euros seulement.
Bref, les majorations de durée d’assurance dans le régime général de base – deux ans par enfant – demeurent aujourd’hui l’un des seuls avantages réservés exclusivement aux femmes. Elles ont été créées en 1971 par le ministre de la santé publique et de la sécurité sociale, M. Robert Boulin : à l’époque, au cours des débats parlementaires, un député que nous connaissons bien, M. Christian Poncelet, justifiait cette mesure en insistant sur le « double fardeau » pesant sur les mères. Quarante ans après, le cumul des activités professionnelles et familiales est toujours d’actualité, même si, aujourd'hui, on observe que les pères participent de plus en plus aux tâches ménagères et à l’éducation des enfants. Mme Michèle André a évoqué ce matin la situation à cet égard dans les pays nordiques, sur lesquels il nous faudrait prendre exemple.
Financièrement, la masse des MDA atteint donc un peu plus de 6 milliards d’euros. En divisant cette somme par le nombre de femmes retraitées, qui est d’à peu près 6 millions, on constate que l’allocation moyenne est de 1 000 euros par an, soit 80 euros par mois : les MDA représentent ainsi 20 % de la pension de base moyenne des femmes, qui est de 400 à 500 euros par mois.
Deuxième constat : cet avantage de retraite féminin a été volontairement préservé jusqu’à aujourd’hui, en dépit d’une tendance à l’alignement des situations des deux sexes par les régimes de retraite.
Il a tout d’abord été préservé des exigences du droit communautaire, qui distingue le régime général et les régimes spéciaux.
Les pensions du régime général de base relèvent de la sécurité sociale. Dans ce cadre, le droit communautaire admet les mesures de compensation des inégalités et la protection de la maternité : tel est le sens de la directive du 19 décembre 1978 relative à la mise en œuvre progressive du principe de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en matière de sécurité sociale. En revanche, les pensions de retraite des régimes spéciaux sont assimilées à des rémunérations différées. C’est pourquoi la Cour de justice des Communautés européennes leur a appliqué le principe d’égalité salariale entre femmes et hommes : tel est le sens du célèbre arrêt Griesmar du 29 novembre 2001.
Qu’on la trouve pertinente ou artificielle, cette distinction a permis de préserver les MDA en faveur des mères salariées, alors que les avantages familiaux de la fonction publique et des régimes spéciaux ont progressivement été étendus aux pères, depuis la loi du 21 août 2003 portant réforme des retraites jusqu’à une série de décrets pris en 2008, certains régimes relevant du domaine réglementaire.
L’essentiel est de constater que dans cette séquence de réformes se manifeste la volonté très ferme du législateur de préserver les MDA du régime général en tant qu’avantage réservé aux femmes. Est-ce discriminatoire à l’égard des pères ? Le Conseil constitutionnel a répondu très clairement à cette question dans sa décision du 14 août 2003 sur la loi portant réforme des retraites : premièrement, le législateur peut régler « de façon différente des situations différentes » ; deuxièmement, il appartient au législateur « de prendre en compte les inégalités de fait dont les femmes ont jusqu’à présent été l’objet ».
Par la suite, cet édifice juridique a commencé à se fissurer. En 2006, la Cour de cassation a accordé les majorations à un père ayant élevé seul ses enfants. Le Gouvernement a alors considéré qu’il s’agissait d’un cas d’espèce et qu’il n’y avait pas lieu de légiférer. Cependant, depuis le début de l’année 2009, une rafale d’arrêts a recouru à une formulation plus générale, ce qui renforce les chances de succès d’un éventuel afflux de recours intentés par des pères salariés. La Cour de cassation ne se fonde ni sur le droit interne français ni sur le droit communautaire, mais sur deux dispositions de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales imposant le respect de la propriété et interdisant toute discrimination fondée sur le sexe.
Face à une telle situation, les solutions les plus simples pour préserver intégralement la répartition actuelle ont été considérées comme trop fragiles. Le Gouvernement s’est donc engagé dans une voie entièrement nouvelle : le résultat est assez complexe, mais consensuel et innovant.
Qu’en pense la délégation ? Je rappelle que le droit en vigueur tient en une seule phrase : « Les femmes assurées sociales bénéficient d’une majoration […] de huit trimestres par enfant. » En revanche, l’article 38 du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2010 comporte, quant à lui, trente-quatre alinéas.
La logique du dispositif a parfaitement été résumée par M. le ministre.
Pour les enfants nés avant le 1er janvier 2010, des mesures transitoires visent à préserver les droits acquis de la mère, tout en ouvrant droit aux majorations au père dans des cas précis et limités.
Pour les enfants nés après le 1er janvier 2010, la réforme prévoit d’attribuer un an à la mère au titre de « l’incidence sur sa carrière de la maternité »…