Intervention de Thierry Foucaud

Réunion du 20 mai 2010 à 9h00
Bouclier fiscal — Rejet d'une proposition de loi

Photo de Thierry FoucaudThierry Foucaud :

Nous savons que certains s’emploient aujourd’hui à « gager » la suppression du bouclier fiscal sur d’autres mesures, par exemple la suppression de l’impôt de solidarité sur la fortune. Cela ne doit pas nous faire oublier l’essentiel : même au sein de la majorité présidentielle, même dans les rangs de la majorité sénatoriale, on sait que le bouclier fiscal fait tache et s’apparente de plus en plus, non à une égide protectrice, mais à une sorte de tunique de Nessus, qui empoisonnera la vie de tous les candidats et élus UMP jusqu’à sa disparition…

Madame la secrétaire d’État, alors que le pari économique du sarkozysme s’est fracassé sur la crise financière de 2008 et ses répliques économiques et sociales, alors que les déficits publics ont explosé sans que la nation s’enrichisse vraiment, et alors que paraît venu le temps de la rigueur, qui cache mal la grande austérité, comment allez-vous faire admettre aux Françaises et aux Français l’allongement de la durée de cotisation pour la retraite, la baisse des prestations sociales, le gel de la rémunération des agents publics et les suppressions massives d’emplois, si vous laissez perdurer le bouclier fiscal ? Et en feignant de mettre à contribution les plus hauts revenus, et notamment les revenus financiers, pour équilibrer un peu mieux les comptes sociaux, tout en maintenant le bouclier fiscal, vous ferez simplement diversion, puisque ce dispositif ne concerne qu’une petite partie des détenteurs de tels revenus !

D’aucuns nous diront que le bouclier fiscal est symbolique et que sa suppression ne suffira sans doute pas à redresser les comptes publics. La belle affaire ! Et la belle critique que voilà…

Bien entendu, cela ne suffira pas à redresser les comptes publics ! Que pèsent 600 millions d’euros face aux 150 milliards d’euros de déficit constatés en 2009 ou en 2010 ? Mais la suppression du bouclier fiscal est l’une des étapes, et peut-être la première, de la réforme fiscale de grande ampleur que nous entendons promouvoir.

On nous dit aussi que ce n’est pas le moment de parler de tout cela et qu’il sera plus opportun d’en débattre lors de l’examen du prochain projet de loi de finances. Au cas où nous n’aurions pas compris ce que ces propos signifient, on nous annonce d’ailleurs que l’on va « raboter » les niches fiscales de 5 à 6 milliards d’euros.

Mes chers collègues, faisons tout de suite 10 % du chemin en supprimant le bouclier fiscal ! Ce sera déjà cela de fait !

Disant cela, j’oubliais que le bouclier fiscal n’était pas une niche fiscale à proprement parler, mais en quelque sorte la dernière cartouche qui reste après utilisation de toute l’artillerie de la défiscalisation ! C’est sans doute ce qui fait aujourd’hui son insuccès et ce qui nous prive de la vision concrète de son efficacité.

En effet, le problème est là : le bouclier fiscal ne fait pas recette ; ou plutôt, il n’est qu’une dépense fiscale de plus, la plus impopulaire de toutes et sans doute la plus inefficace.

Pourtant, en 2005, que d’espérances ! Que de belles et nobles déclarations !

Que constate-t-on à la lecture du rapport succinct, incomplet, mais néanmoins instructif sur certains points, de notre collègue eurélien Albéric de Montgolfier, qui n’était pas encore sénateur en 2005 ?

Mme Lagarde déclarait, voilà quelques semaines : « Le bouclier fiscal ça n’est pas que pour les plus riches. [...] 60 % des bénéficiaires sont des petits revenus ». Or les chiffres figurant dans le tableau intégré au rapport ne souffrent aucune équivoque.

Premièrement, il est désormais acquis que les attentes portant sur le nombre de bénéficiaires sont loin d’être satisfaites.

Malgré les consignes adressées aux agents du fisc de relancer les contribuables, au lieu des 93 000 boucliers attendus, on en compte seulement 16 350, parmi lesquels figurent en majorité des titulaires de faibles revenus. Encore heureux que les redevables de l’ISF ne soient pas majoritaires parmi les bénéficiaires du bouclier fiscal !

Je rappelle à ceux qui seraient quelque peu fâchés avec les ordres de grandeur, que les 550 000 ou 600 000 redevables de l’ISF représentent seulement 1, 5 % des 36 millions de contribuables de notre pays !

Deuxièmement, 8 675 bénéficiaires du bouclier fiscal, non redevables de l’impôt de solidarité sur la fortune, se voient rembourser, au total, environ 5, 5 millions d’euros ; cela signifie que 53 % des bénéficiaires du bouclier fiscal se partagent 1 % de son enveloppe. Le cadeau est, en moyenne, de 632 euros par an… S’il fallait encore prouver que le bouclier fiscal vise à s’attaquer à l’ISF, ces éléments chiffrés communiqués par Bercy en fourniraient une démonstration éclatante.

Nous trouvons même parmi les « petits revenus » une petite trentaine de contribuables dont le patrimoine est supérieur à 16 millions d’euros et les revenus imposables inférieurs à 16 000 euros annuels ! En théorie, sans doute...

En clair, le bouclier fiscal est l’un des outils de démolition de l’ISF les plus efficaces, détruisant de 15 % à 20 % du rendement potentiel de ce juste impôt sur le patrimoine. Bien abrités derrière le bouclier, 7 675 redevables de l’ISF se partagent 99 % du bénéfice de la mesure, soit 580 millions d’euros et une restitution moyenne de 75 580 euros ! Cette somme est équivalente à 120 fois la moyenne de ce qui est rendu aux non-redevables de l’ISF !

En raison de cette situation, le bénéficiaire du bouclier fiscal est soit un contribuable très modeste, se faisant rembourser sa taxe foncière, soit un contribuable de l’ISF disposant d’au moins 12 000 euros de revenus mensuels ! Le reste ne procède que de l’exception ou du cumul des étrangetés de la fiscalité...

Une telle situation anéantit d’ailleurs la fiction idéologique selon laquelle le bouclier fiscal limite la somme des impôts prise en compte à 50 % du produit du travail de chacun. Ce ne sont pas les taxes locales, la contribution sociale généralisée, la CSG, ou la contribution pour le remboursement de la dette sociale, la CRDS, qui sont remboursées à ce niveau ! C’est bel et bien d’abord et avant tout la taxation du patrimoine qui est visée !

La moindre des dix remises les plus importantes s’avère supérieure au total du remboursement effectué en faveur des 8 675 bénéficiaires non assujettis à l’ISF ! Le bouclier fiscal n’est une très bonne opération que pour le millier de contribuables qui, en moyenne, ont reçu un chèque de 360 000 euros du Trésor public, soit le versement de l’équivalent d’un SMIC net tous les jours que Dieu fait !

Devons-nous laisser perdurer une telle situation ? Devons-nous laisser exister dans notre droit fiscal une mesure qui n’intéresse réellement que moins du tiers du dix millième des contribuables de ce pays, c’est-à-dire une disposition étrangère à 99, 997 % d’entre eux ?

Le peu de succès du bouclier fiscal soulève néanmoins des interrogations. Il faut y voir plusieurs raisons, à la fois techniques et politiques. Atteindre un taux d’imposition de 50 % dans un système de prélèvements comme le nôtre nécessite, à proprement parler, une certaine méconnaissance des outils d’optimisation fiscale existants. En effet, d’une part, la tranche supérieure du barème de l’impôt sur le revenu est plafonnée à 40 % ; d’autre part, le taux maximal d’imposition réellement observé est proche de 28 % et souvent compris entre 20 % et 25 %.

Selon l’étude de l’Institut national de la statistique et des études économiques, l’INSEE, sur les inégalités de revenus et de patrimoine en France, les revenus dits des « plus aisés », déclarant un revenu moyen annuel par personne de 1 269 355 euros, sont, en majorité, soumis à un prélèvement fiscal inférieur à 25 %. Et c’est également le cas des trois quarts des redevables qui disposent d’un revenu moyen annuel de 118 634 euros, c’est-à-dire, tout de même, 10 000 euros mensuels…

Pourquoi une telle situation ? Tout simplement parce que notre droit fiscal est truffé de dispositifs dérogatoires – taux de prélèvements libératoires plus faibles que le taux maximal du barème de l’impôt, dispositifs particuliers incitatifs pour les placements boursiers, les investissements locatifs, le traitement des plus-values de cession d’actifs, entre autres – qui font largement échapper à l’impôt progressif des éléments très importants du revenu des personnes concernées. Ces dispositifs portent un nom générique : ce sont les niches fiscales, ces fameuses niches qui font l’objet d’une attention particulière ces derniers temps.

Mes chers collègues, l’accroissement des inégalités sociales dans notre pays se manifeste aussi dans la diversité des sources de revenus. Si les personnes percevant de très hauts revenus disposent souvent de rémunérations élevées – importantes notes de frais, éléments de rémunération variable confortables, stock-options et autres « joyeusetés » –, elles bénéficient, dans le même temps, d’importants revenus tirés de l’exploitation d’un patrimoine foncier, immobilier ou mobilier. Elles cumulent donc différents revenus Pour reprendre une expression populaire, « l’argent va à l’argent » ! Et comme ces revenus échappent largement à l’impôt progressif, le besoin de recourir au bouclier fiscal est d’autant plus faible qu’il est, de droit et de fait, inutile.

Dans notre pays, les 10 % de contribuables les plus aisés perçoivent in fine les deux tiers des revenus du patrimoine et les quatre cinquièmes des revenus de caractère exceptionnel, telles, entre autres, les plus-values. Plus on est riche et dépositaire de revenus du capital et du patrimoine, moins on dispose de biens immobiliers, plus on diversifie les éléments de son patrimoine, allant éventuellement jusqu’à jouir de revenus de source étrangère, au fil des opportunités !

Le fait que les RMIstes de la Réunion qui, grâce au bouclier fiscal, récupèrent leur taxe foncière, jadis remboursée sur recours gracieux, procède de l’anecdote ! C’est bel et bien dans les milieux de la grande bourgeoisie, particulièrement parisienne, puis des banlieues aisées et des quartiers chics de province que l’on recrute les vrais et peu nombreux bénéficiaires du bouclier fiscal ! C’est aussi là que l’on trouve ceux qui « savent » ne pas payer d’ISF en donnant, à l’euro près, la somme nécessaire à la Fondation de France…

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion