Séance en hémicycle du 20 mai 2010 à 9h00

Résumé de la séance

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La séance

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La séance est ouverte à neuf heures.

Debut de section - PermalienPhoto de Roger Romani

Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

Debut de section - PermalienPhoto de Roger Romani

L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi tendant à abroger le bouclier fiscal, présentée par M. Thierry Foucaud et les membres du groupe communiste républicain citoyen et des sénateurs du parti de gauche (proposition n° 381, rapport n° 439).

Dans la discussion générale, la parole est à M. Thierry Foucaud, auteur de la proposition de loi.

Debut de section - PermalienPhoto de Thierry Foucaud

« Le bouclier fiscal est mort. Les retraites vont lui mettre le coup de grâce, car elles obligent à la solidarité. La mesure est insupportable, car ce sont les gros riches qui en profitent. Aux régionales, nos électeurs nous ont reproché de faire une politique pour les riches. » Ces mots, monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, sont signés Lionnel Luca, député UMP de Cagnes-sur-Mer et Villeneuve-Loubet.

Que ne nous avait-on pas dit, pourtant !

Rappelons-nous les propos tenus, en décembre 2005, par Jean-François Copé, alors ministre du budget : « Le plafonnement des impôts est une grande innovation. C’est en effet la première fois en France, en tout cas depuis fort longtemps, que la totalité des impôts à la personne sont plafonnés par rapport aux revenus. [...]

« Cette mesure est un bon concentré de la philosophie qui sous-tend notre réforme fiscale. Celle-ci est juste et préserve l’attractivité de notre territoire.

« En effet, sur les 93 000 personnes qui bénéficieront de ce plafonnement, près de 90 % sont dans le premier décile de revenu. Cela s’explique par le fait que les impôts locaux ont été intégrés au bouclier fiscal. C’est un point très important, auquel je tiens beaucoup. Cela signifie qu’il s’agit d’une mesure de justice. [...]

« Notre rôle est de veiller à ce que chacun soit reconnu : les personnes modestes doivent pouvoir bénéficier de la solidarité et les gens aisés doivent être encouragés. Nombre d’entre eux, en effet, sont des gens qui s’engagent, qui prennent des risques, qui entreprennent et sont de très bons contribuables. Or, à force d’être fustigés, certains ont quitté notre territoire et ne paient plus d’impôts en France, à la plus grande satisfaction, sans doute, des idéologues. Je rappellerai tout de même que le fait que ces personnes aient été obligées de s’expatrier au motif que l’impôt est confiscatoire en France est un échec pour notre nation ».

Dans ce discours de Jean-François Copé visant à défendre la création du bouclier fiscal, nous trouvons, encore aujourd’hui, une bonne partie des arguments que certains opposent à cette nécessité impérieuse, à cette mesure de justice fiscale et sociale élémentaire dont nous débattons aujourd’hui : la suppression de ce dispositif coûteux et inutile dont notre droit fiscal est encore affublé.

Aujourd’hui, près de 70 % des Français, qu’ils soient de droite ou de gauche, jugent nécessaire la suppression ou, à tout le moins, la suspension du bouclier fiscal. Comme ils ont raison !

Du chèque de 7 millions d’euros remboursés, lors de la première année d’application de ce dispositif, à Mme Meyer, héritière des Galeries Lafayette, au chèque moyen de 360 000 euros versés à un petit millier de bénéficiaires en 2009, en passant par l’auto-liquidation encouragée par notre rapporteur général – une mesure qui coûte 142 millions d’euros de trésorerie à l’État ! –, tout a conduit, et singulièrement depuis l’abaissement du plafond à 50 %, à rendre intolérable l’existence du bouclier fiscal.

Nos compatriotes se font une idée élevée de l’égalité, qui leur rend parfaitement insupportable un dispositif comme le bouclier fiscal.

On ne peut pas écrire dans la Constitution que chacun contribue à la charge publique à concurrence de ses facultés, et laisser perdurer un système dans lequel, à un moment donné, certains sont considérés comme étant trop riches pour continuer à payer impôts et cotisations sociales.

Au-delà de la gauche parlementaire et politique, d’autres voix se sont fait entendre, ces derniers temps, sur le bouclier fiscal : celle du président Arthuis, …

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

C’est vrai, M. Arthuis en a beaucoup parlé !

Debut de section - PermalienPhoto de Thierry Foucaud

... celle de Dominique de Villepin, qui était pourtant Premier ministre en 2006, celle de Jean-Pierre Fourcade et du secrétaire d’État chargé des affaires européennes, Pierre Lellouche ; tous ont demandé, en invoquant le contexte de crise que nous connaissons, la suppression du bouclier fiscal.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Arthuis

Vous n’avez pas cité l’ensemble de mon propos, monsieur Foucaud ; j’ai parlé de « trilogie » !

Debut de section - PermalienPhoto de Thierry Foucaud

Nous savons que certains s’emploient aujourd’hui à « gager » la suppression du bouclier fiscal sur d’autres mesures, par exemple la suppression de l’impôt de solidarité sur la fortune. Cela ne doit pas nous faire oublier l’essentiel : même au sein de la majorité présidentielle, même dans les rangs de la majorité sénatoriale, on sait que le bouclier fiscal fait tache et s’apparente de plus en plus, non à une égide protectrice, mais à une sorte de tunique de Nessus, qui empoisonnera la vie de tous les candidats et élus UMP jusqu’à sa disparition…

Madame la secrétaire d’État, alors que le pari économique du sarkozysme s’est fracassé sur la crise financière de 2008 et ses répliques économiques et sociales, alors que les déficits publics ont explosé sans que la nation s’enrichisse vraiment, et alors que paraît venu le temps de la rigueur, qui cache mal la grande austérité, comment allez-vous faire admettre aux Françaises et aux Français l’allongement de la durée de cotisation pour la retraite, la baisse des prestations sociales, le gel de la rémunération des agents publics et les suppressions massives d’emplois, si vous laissez perdurer le bouclier fiscal ? Et en feignant de mettre à contribution les plus hauts revenus, et notamment les revenus financiers, pour équilibrer un peu mieux les comptes sociaux, tout en maintenant le bouclier fiscal, vous ferez simplement diversion, puisque ce dispositif ne concerne qu’une petite partie des détenteurs de tels revenus !

D’aucuns nous diront que le bouclier fiscal est symbolique et que sa suppression ne suffira sans doute pas à redresser les comptes publics. La belle affaire ! Et la belle critique que voilà…

Bien entendu, cela ne suffira pas à redresser les comptes publics ! Que pèsent 600 millions d’euros face aux 150 milliards d’euros de déficit constatés en 2009 ou en 2010 ? Mais la suppression du bouclier fiscal est l’une des étapes, et peut-être la première, de la réforme fiscale de grande ampleur que nous entendons promouvoir.

On nous dit aussi que ce n’est pas le moment de parler de tout cela et qu’il sera plus opportun d’en débattre lors de l’examen du prochain projet de loi de finances. Au cas où nous n’aurions pas compris ce que ces propos signifient, on nous annonce d’ailleurs que l’on va « raboter » les niches fiscales de 5 à 6 milliards d’euros.

Mes chers collègues, faisons tout de suite 10 % du chemin en supprimant le bouclier fiscal ! Ce sera déjà cela de fait !

Disant cela, j’oubliais que le bouclier fiscal n’était pas une niche fiscale à proprement parler, mais en quelque sorte la dernière cartouche qui reste après utilisation de toute l’artillerie de la défiscalisation ! C’est sans doute ce qui fait aujourd’hui son insuccès et ce qui nous prive de la vision concrète de son efficacité.

En effet, le problème est là : le bouclier fiscal ne fait pas recette ; ou plutôt, il n’est qu’une dépense fiscale de plus, la plus impopulaire de toutes et sans doute la plus inefficace.

Pourtant, en 2005, que d’espérances ! Que de belles et nobles déclarations !

Que constate-t-on à la lecture du rapport succinct, incomplet, mais néanmoins instructif sur certains points, de notre collègue eurélien Albéric de Montgolfier, qui n’était pas encore sénateur en 2005 ?

Mme Lagarde déclarait, voilà quelques semaines : « Le bouclier fiscal ça n’est pas que pour les plus riches. [...] 60 % des bénéficiaires sont des petits revenus ». Or les chiffres figurant dans le tableau intégré au rapport ne souffrent aucune équivoque.

Premièrement, il est désormais acquis que les attentes portant sur le nombre de bénéficiaires sont loin d’être satisfaites.

Malgré les consignes adressées aux agents du fisc de relancer les contribuables, au lieu des 93 000 boucliers attendus, on en compte seulement 16 350, parmi lesquels figurent en majorité des titulaires de faibles revenus. Encore heureux que les redevables de l’ISF ne soient pas majoritaires parmi les bénéficiaires du bouclier fiscal !

Je rappelle à ceux qui seraient quelque peu fâchés avec les ordres de grandeur, que les 550 000 ou 600 000 redevables de l’ISF représentent seulement 1, 5 % des 36 millions de contribuables de notre pays !

Deuxièmement, 8 675 bénéficiaires du bouclier fiscal, non redevables de l’impôt de solidarité sur la fortune, se voient rembourser, au total, environ 5, 5 millions d’euros ; cela signifie que 53 % des bénéficiaires du bouclier fiscal se partagent 1 % de son enveloppe. Le cadeau est, en moyenne, de 632 euros par an… S’il fallait encore prouver que le bouclier fiscal vise à s’attaquer à l’ISF, ces éléments chiffrés communiqués par Bercy en fourniraient une démonstration éclatante.

Nous trouvons même parmi les « petits revenus » une petite trentaine de contribuables dont le patrimoine est supérieur à 16 millions d’euros et les revenus imposables inférieurs à 16 000 euros annuels ! En théorie, sans doute...

En clair, le bouclier fiscal est l’un des outils de démolition de l’ISF les plus efficaces, détruisant de 15 % à 20 % du rendement potentiel de ce juste impôt sur le patrimoine. Bien abrités derrière le bouclier, 7 675 redevables de l’ISF se partagent 99 % du bénéfice de la mesure, soit 580 millions d’euros et une restitution moyenne de 75 580 euros ! Cette somme est équivalente à 120 fois la moyenne de ce qui est rendu aux non-redevables de l’ISF !

En raison de cette situation, le bénéficiaire du bouclier fiscal est soit un contribuable très modeste, se faisant rembourser sa taxe foncière, soit un contribuable de l’ISF disposant d’au moins 12 000 euros de revenus mensuels ! Le reste ne procède que de l’exception ou du cumul des étrangetés de la fiscalité...

Une telle situation anéantit d’ailleurs la fiction idéologique selon laquelle le bouclier fiscal limite la somme des impôts prise en compte à 50 % du produit du travail de chacun. Ce ne sont pas les taxes locales, la contribution sociale généralisée, la CSG, ou la contribution pour le remboursement de la dette sociale, la CRDS, qui sont remboursées à ce niveau ! C’est bel et bien d’abord et avant tout la taxation du patrimoine qui est visée !

La moindre des dix remises les plus importantes s’avère supérieure au total du remboursement effectué en faveur des 8 675 bénéficiaires non assujettis à l’ISF ! Le bouclier fiscal n’est une très bonne opération que pour le millier de contribuables qui, en moyenne, ont reçu un chèque de 360 000 euros du Trésor public, soit le versement de l’équivalent d’un SMIC net tous les jours que Dieu fait !

Devons-nous laisser perdurer une telle situation ? Devons-nous laisser exister dans notre droit fiscal une mesure qui n’intéresse réellement que moins du tiers du dix millième des contribuables de ce pays, c’est-à-dire une disposition étrangère à 99, 997 % d’entre eux ?

Le peu de succès du bouclier fiscal soulève néanmoins des interrogations. Il faut y voir plusieurs raisons, à la fois techniques et politiques. Atteindre un taux d’imposition de 50 % dans un système de prélèvements comme le nôtre nécessite, à proprement parler, une certaine méconnaissance des outils d’optimisation fiscale existants. En effet, d’une part, la tranche supérieure du barème de l’impôt sur le revenu est plafonnée à 40 % ; d’autre part, le taux maximal d’imposition réellement observé est proche de 28 % et souvent compris entre 20 % et 25 %.

Selon l’étude de l’Institut national de la statistique et des études économiques, l’INSEE, sur les inégalités de revenus et de patrimoine en France, les revenus dits des « plus aisés », déclarant un revenu moyen annuel par personne de 1 269 355 euros, sont, en majorité, soumis à un prélèvement fiscal inférieur à 25 %. Et c’est également le cas des trois quarts des redevables qui disposent d’un revenu moyen annuel de 118 634 euros, c’est-à-dire, tout de même, 10 000 euros mensuels…

Pourquoi une telle situation ? Tout simplement parce que notre droit fiscal est truffé de dispositifs dérogatoires – taux de prélèvements libératoires plus faibles que le taux maximal du barème de l’impôt, dispositifs particuliers incitatifs pour les placements boursiers, les investissements locatifs, le traitement des plus-values de cession d’actifs, entre autres – qui font largement échapper à l’impôt progressif des éléments très importants du revenu des personnes concernées. Ces dispositifs portent un nom générique : ce sont les niches fiscales, ces fameuses niches qui font l’objet d’une attention particulière ces derniers temps.

Mes chers collègues, l’accroissement des inégalités sociales dans notre pays se manifeste aussi dans la diversité des sources de revenus. Si les personnes percevant de très hauts revenus disposent souvent de rémunérations élevées – importantes notes de frais, éléments de rémunération variable confortables, stock-options et autres « joyeusetés » –, elles bénéficient, dans le même temps, d’importants revenus tirés de l’exploitation d’un patrimoine foncier, immobilier ou mobilier. Elles cumulent donc différents revenus Pour reprendre une expression populaire, « l’argent va à l’argent » ! Et comme ces revenus échappent largement à l’impôt progressif, le besoin de recourir au bouclier fiscal est d’autant plus faible qu’il est, de droit et de fait, inutile.

Dans notre pays, les 10 % de contribuables les plus aisés perçoivent in fine les deux tiers des revenus du patrimoine et les quatre cinquièmes des revenus de caractère exceptionnel, telles, entre autres, les plus-values. Plus on est riche et dépositaire de revenus du capital et du patrimoine, moins on dispose de biens immobiliers, plus on diversifie les éléments de son patrimoine, allant éventuellement jusqu’à jouir de revenus de source étrangère, au fil des opportunités !

Le fait que les RMIstes de la Réunion qui, grâce au bouclier fiscal, récupèrent leur taxe foncière, jadis remboursée sur recours gracieux, procède de l’anecdote ! C’est bel et bien dans les milieux de la grande bourgeoisie, particulièrement parisienne, puis des banlieues aisées et des quartiers chics de province que l’on recrute les vrais et peu nombreux bénéficiaires du bouclier fiscal ! C’est aussi là que l’on trouve ceux qui « savent » ne pas payer d’ISF en donnant, à l’euro près, la somme nécessaire à la Fondation de France…

Debut de section - PermalienPhoto de Thierry Foucaud

… ou au dispositif ISF-PME, en imputant comme il convient les coûts éventuels d’acquisition de tel ou tel élément de patrimoine, qu’il s’agisse d’un immeuble comme de titres ou de parts de sociétés.

Dans notre pays, la diversité des niches fiscales est telle que le bouclier fiscal est une sorte de « niche ultime », quelque peu similaire à la session de rattrapage des « cancres » qui n’auraient pas fait ce qu’il faut avant...

Debut de section - PermalienPhoto de Thierry Foucaud

Il faut jouer cartes sur table, sans montages hasardeux ni bricolage fiscal, pour voir si l’administration fiscale considère si, oui ou non, plus de 50 % des revenus, rarement d’origine professionnelle et provenant plus souvent d’autres sources d’alimentation, sont imposés. Cette transparence – concession obligée –, beaucoup refusent de la jouer. Cela explique sans doute aussi cette stagnation du nombre des bénéficiaires du bouclier fiscal.

Devons-nous laisser perdurer dans notre droit fiscal une mesure ciblée, qui ne semble pas avoir résolu le problème de la dissimulation des revenus et de la fraude fiscale ?

Portons maintenant un regard sur l’une des motivations de l’existence du bouclier fiscal, rappelées, à l’origine, par M. Copé : le « bouclier » allait faire rentrer en France quelques-uns des « exilés fiscaux » que le paiement trop élevé d’impôt aurait éloignés de la mère patrie.

De quelle évaluation des effets du bouclier fiscal sur le retour de ces Français méritants disposons-nous aujourd’hui ? D’aucune, malgré nos réclamations ! Je ne sais d’ailleurs si le nombre de nos compatriotes rentrés en France est élevé, si celui des redevables partis est plus important, ou encore s’il faut, comme le pointait le grand journaliste Patrick Poivre d’Arvor, accorder autant d’intérêt à ceux qui « préfèrent leur portefeuille à leur drapeau ». Quoi qu’il en soit, la question mérite sans doute d’être traitée.

Prétendre que le retour des contribuables de l’ISF suffirait à prouver le bien-fondé du bouclier fiscal revient à avouer que le bouclier fiscal cible bien l’ISF et que le reste du discours procède de l’habillage idéologique !

Quant aux contribuables de l’ISF entrant et sortant du territoire français, faut-il les regretter, comme on pourrait regretter notre estimé collègue Paul Dubrule qui, ayant cessé ses fonctions à la tête du groupe Accor, n’a pas trouvé mieux – les faits ont été relatés par la télévision – que d’émigrer aussi vite que possible sur les hauteurs de Genève, dans une villa de 500 mètres carrés habitables, pour faire échapper les 300 millions d’euros de son patrimoine à l’ISF ?

Debut de section - PermalienPhoto de Thierry Foucaud

Cet impôt l’aurait contraint à payer chaque année 2, 5 millions d’euros, soit moins d’un point de la valeur de ce patrimoine, somme qui aurait permis d’embaucher des enseignants, de rémunérer des gardiens de la paix, de bitumer des routes ou encore de construire des gymnases et des logements sociaux, toutes dépenses scandaleuses de l’État et des collectivités publiques pour une grande majorité d’entre vous, mes chers collègues ! Grâce à cette somme, on aurait même pu financer la formation des cuisiniers, des réceptionnistes polyglottes et des gestionnaires d’établissements dont son groupe a besoin pour continuer à lui verser des dividendes ! Tout cela est un scandale sans nom !

À la vérité, réduire l’efficacité du bouclier fiscal aux seuls mouvements observés sur les contribuables de l’ISF fait perdre de vue l’essentiel : ce qui coûte cher à la France, mes chers collègues, ce n’est pas l’égoïsme et la morgue de quelques individus fortunés qui s’exilent à l’étranger pour des raisons fiscales, c’est bien plutôt l’exode massif de jeunes salariés, le plus souvent diplômés, qui ne trouvent pas d’emploi dans notre pays et qui sont l’objet d’une véritable razzia de la part des entreprises étrangères. Ces dernières savent que la dépense publique, contrepartie de l’impôt citoyen, permet à notre pays, par le biais de ses lycées, de ses facultés ou de ses grandes écoles, de former une main-d’œuvre nombreuse, qualifiée, dynamique, créative, que les systèmes éducatifs plus libéraux ou les sociétés fermées, qui méprisent le droit des femmes aux études et à la formation, sont dans la plus parfaite incapacité de produire.

Mes chers collègues, notre potentiel de croissance ne réside pas dans le maintien d’un bouclier fiscal, qui ne conduit aucun contribuable à revenir et coûte 600 millions d’euros au budget général, somme à laquelle doit être ajoutée la dette induite et ses intérêts ! Il dépend de la suppression pure et simple de cette disposition et d’un effort renouvelé dans le domaine de la formation initiale et de l’insertion professionnelle de notre jeunesse, quelle que soit son origine sociale.

Madame la secrétaire d’État, seul le travail doit être valorisé, seul le travailleur doit être assisté, s’il ne peut faire valoir ses droits.

Outre les raisons que je viens de rappeler, c’est aussi pour rétablir cette priorité de l’action publique que nous vous invitons, mes chers collègues, à adopter cette proposition de loi tendant à l’abrogation du bouclier fiscal.

Dois-je comparer le coût de 600 millions d’euros précité et la suppression de la prime de 150 euros accordée aux 3 millions de personnes les plus pauvres de France, mesure qui ne rapportera que 450 millions d’euros, pour illustrer mon propos ? Arrêtez ! Mettez fin à la dette, aux scandaleuses niches fiscales, au bouclier fiscal !

Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Albéric de Montgolfier

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, par cette proposition de loi, les membres du groupe CRC-SPG nous invitent à abroger le bouclier fiscal.

Comme je l’ai déjà indiqué en commission, il convient de saluer leur constance, puisqu’ils ont déjà formulé cette proposition au Sénat, par voie d’amendements, lors de l’examen de la loi de finances et de chaque loi de finances rectificative de l’année écoulée, ainsi que dans le cadre d’une proposition de loi examinée l’année dernière par notre assemblée.

Debut de section - PermalienPhoto de Albéric de Montgolfier

Le Sénat, lui aussi, s’est montré constant en repoussant systématiquement ces initiatives.

Pour abréger le suspense, je vous indique d’ores et déjà, mes chers collègues, que la commission des finances a décidé de vous inviter, une fois encore, à persévérer dans cette voie. Ce choix s’explique par des raisons à la fois de fond et de forme.

Sur le fond, l’article 1er du code général des impôts pose le principe suivant : « Les impôts directs payés par un contribuable ne peuvent être supérieurs à 50 % de ses revenus ».

Debut de section - PermalienPhoto de Albéric de Montgolfier

Il s’agit de la traduction littérale d’un engagement pris par Nicolas Sarkozy devant les Français lors de la campagne présidentielle de 2007.

Debut de section - PermalienPhoto de Nicole Borvo Cohen-Seat

Il avait pris bien d’autres engagements qu’il n’a pas tenus !

Debut de section - PermalienPhoto de Albéric de Montgolfier

Dès lors, nul n’a pu être surpris par le renforcement du bouclier dans le cadre de la loi en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat, dite « loi TEPA », de 2007. Et nul ne devrait être surpris que la majorité fasse preuve de constance sur ce sujet !

En outre, ce bouclier, que critiquent nos collègues, est un rempart indispensable en raison de l’architecture actuelle de la fiscalité des personnes. Il est bon de rappeler – cette remarque vous fera peut-être moins plaisir, mes chers collègues de l’opposition – que, lorsqu’il a créé l’ISF dans la loi de finances pour 1989, le gouvernement Rocard avait prévu son plafonnement. Ainsi, le cumul de l’impôt sur le revenu et de l’ISF ne devait pas dépasser 70 % du revenu.

Debut de section - PermalienPhoto de Albéric de Montgolfier

Même si ce taux a été porté à 85 % en 1991, le principe du plafonnement est demeuré. Ce n’est, par la suite, que parce que ce plafonnement a lui-même été plafonné à 50 % de l’ISF normalement dû que cet impôt a pu se révéler confiscatoire pour certains contribuables, en les obligeant à consacrer l’ensemble de leurs revenus au paiement de leurs impôts.

Monsieur Thierry Foucaud, vous avez cité la Constitution. Je citerai, pour ma part, le Conseil constitutionnel : il s’est exprimé de façon claire sur le bouclier fiscal, en considérant que l’exigence définie par l’article 13 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen « ne serait pas respectée si l’impôt revêtait un caractère confiscatoire ou faisait peser sur une catégorie de contribuables une charge excessive au regard de leurs facultés contributives » et que, dès lors, l’instauration du bouclier fiscal « loin de méconnaître l’égalité devant l’impôt, tend à éviter une rupture caractérisée de l’égalité devant les charges publiques ».

D’ailleurs, mes chers collègues, comme le montrent les chiffres provisoires sur le coût du bouclier fiscal en 2009, qui figurent dans mon rapport écrit, plus de la moitié des bénéficiaires du bouclier fiscal – 53 %, pour être exact – ne sont pas redevables de l’ISF. Certes, le coût du dispositif, soit 585, 6 millions d’euros selon les données provisoires de 2009, se concentre principalement sur les plus gros contributeurs.

Mais cela relève de la pure logique mathématique.

Debut de section - PermalienPhoto de Albéric de Montgolfier

Et, comme il est normal, les principaux contributeurs avant restitution restent les principaux contributeurs après l’application du bouclier fiscal.

Debut de section - PermalienPhoto de Nicole Borvo Cohen-Seat

Ce sont les plus riches qui bénéficient du bouclier fiscal, c’est le but !

Debut de section - PermalienPhoto de Albéric de Montgolfier

Les contribuables du dernier centile, au nombre de 536, ont perçu en moyenne 336 000 euros – c’est indiqué dans le rapport –, mais ils ont déboursé en moyenne 806 000 euros.

La restitution n’excède donc pas un quart de l’impôt payé. Rendons aux chiffres leur juste mesure...

Contrairement à la caricature qui en est parfois faite, au regard de notre fiscalité actuelle, le bouclier fiscal répond donc à un impératif de justice fiscale. En effet, les impôts décorrélés du revenu – c’est-à-dire l’ISF et la taxe foncière – ne doivent pas conduire à une surtaxation des contribuables.

Mes chers collègues, si la majorité ne peut adhérer à l’esprit de cette proposition de loi, elle n’est pas pour autant arc-boutée sur un texte qui serait intouchable, comme certains ici ont l’air de le croire.

Debut de section - PermalienPhoto de Albéric de Montgolfier

La majorité l’a déjà montré au cours de la dernière discussion budgétaire. En effet, je vous le rappelle, afin d’assurer une meilleure prise en compte des revenus réels des contribuables, les régimes des dividendes et de l’imputation des déficits ont été révisés dans le cadre de la loi de finances pour 2010.

De plus, le Gouvernement a récemment dit que, face à la charge constante que représente le financement des retraites, la règle du bouclier fiscal pourrait s’accommoder de l’exception d’un prélèvement supplémentaire qui ne serait pas pris en compte pour le calcul du droit à restitution. À nos yeux, le maintien d’une pression fiscale normale ne doit pas faire obstacle à la nécessaire solidarité des plus aisés.

En un mot, la commission des finances considère que la question du bouclier fiscal ne doit pas être traitée de manière simpliste.

Debut de section - PermalienPhoto de Nicole Borvo Cohen-Seat

Mais oui, c’est vrai, nous, nous sommes simplistes !

Debut de section - PermalienPhoto de Albéric de Montgolfier

Tout débat sur le bouclier fiscal ne peut se faire séparément d’un débat sur notre fiscalité, et en particulier sur l’ISF lui-même.

Qui ne voit le handicap que constitue cet impôt pour l’économie française dans un monde qui bouge, alors même que les pays, les uns après les autres, nos partenaires européens en particulier – notamment les pays scandinaves ou l’Espagne de M. Zapatero – ont abrogé leur impôt sur le patrimoine ?

Qui ne voit que l’évolution des rendements des produits financiers a profondément changé le sens de cet impôt ? Aujourd’hui, le taux marginal de 1, 8 % peut imposer, au regard des taux actuels de placement, de céder une partie du patrimoine pour acquitter l’impôt.

En 1981, tandis que le taux marginal de l’IGF, l’impôt sur les grandes fortunes, s’élevait à 1, 5 %, les taux de placement étaient plus élevés – par exemple, l’emprunt Delors était émis au taux de 17 %. Il faut donc observer le taux marginal de l’impôt au regard du taux des placements financiers.

Ne vous en déplaise, chers collègues du groupe CRC-SPG, poser la question du bouclier fiscal revient donc à poser la question de l’architecture de notre fiscalité, et en particulier de l’ISF, impôt devenu atypique

M. Thierry Foucaud s’exclame.

Debut de section - PermalienPhoto de Albéric de Montgolfier

À cet égard, le président de la commission Jean Arthuis – il vient de quitter l’hémicycle pour se rendre à la conférence sur les déficits publics, tenue à dix heures à l’Élysée –, le rapporteur général Philippe Marini et notre collègue Jean-Pierre Fourcade ont ouvert une piste intéressante à travers le triptyque que vous connaissez : abrogation de l’ISF et du bouclier fiscal, création d’une tranche supplémentaire d’impôt sur le revenu et révision de la fiscalité des plus-values.

En effet – et c’est sans doute une raison supplémentaire pour ne pas adopter ce texte –, aux yeux de la commission des finances, une telle réforme de la fiscalité des personnes ne saurait être examinée dans un cadre autre que celui de la loi de finances de l’année.

De manière générale, la fiscalité et, plus généralement, les décisions affectant le solde budgétaire devraient être débattues en loi de finances ou en loi de financement de la sécurité sociale afin que le Parlement, quand il vote ce type de mesure, dispose d’une vision correcte de l’état des finances publiques.

Debut de section - PermalienPhoto de Albéric de Montgolfier

En tout cas, les conclusions de la conférence sur les déficits publics qui se tient ce matin devraient nous y inciter.

La commission n’est évidemment pas favorable à l’adoption de la proposition de loi présentée par nos collègues du groupe CRC-SPG.

Elle souhaite donc le rejet de chacun des articles qui la constituent et de l’ensemble du texte.

Très bien ! et applaudissements sur les travées de l ’ UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Vera

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je commencerai mon propos par quelques courtes citations.

La première est d’Alain Juppé : « Cela ne me choquerait pas que l’on demande aux très riches de faire un effort de solidarité supplémentaire vis-à-vis de ceux qui souffrent ».

La deuxième est de Gilles Carrez : « Il faut suspendre le bouclier fiscal le temps que les finances publiques soient assainies ».

La suivante est le titre d’une tribune cosignée par treize députés du groupe UMP : « Il faut suspendre le bouclier fiscal pour redonner du sens à la politique ».

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Vera

La dernière est de Jean Arthuis, président de notre commission des finances : « Le bouclier fiscal est une offense à l’idée que je me fais de la justice ».

Voilà donc, rapidement rappelées, quelques-unes des déclarations produites au sein de la majorité parlementaire sur la question dont nous débattons.

L’affaire serait, nous dit-on, symbolique.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Vera

M. Baroin, à peine nommé au ministère du budget, a eu l’occasion de nous indiquer que les 600 millions d’euros du bouclier fiscal n’étaient qu’une goutte d’eau au regard des 140 à 150 milliards d’euros des déficits publics, que des années de cadeaux fiscaux distribués par votre majorité n’ont cessé d’étendre.

Mais alors, madame la secrétaire d’État, si ce dispositif a si peu d’importance, pourquoi s’entêter ? Ou bien l’incidence est négligeable et la suppression du bouclier fiscal ne réduira les déficits que de manière marginale, ou bien la valeur de l’objet est plus importante.

Tel doit d’ailleurs être le cas puisque nombreux sont désormais ceux qui lient la suppression du bouclier fiscal – cela vient d’être rappelé par M. le rapporteur – à une réforme fiscale de plus grande ampleur, sur laquelle je souhaite ici revenir.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Vera

Nous voici en effet face à la tétralogie du président Jean Arthuis, du rapporteur général Philippe Marini et de Jean-Pierre Fourcade : suppression du bouclier fiscal et suppression de l’impôt de solidarité sur la fortune, taxation plus importante des plus-values et relèvement de la dernière tranche de l’impôt sur le revenu.

Nous sommes d’accord avec cette proposition sur trois des quatre éléments.

Oui à la suppression du bouclier fiscal ! Oui à l’accroissement de la taxation des plus-values ! Oui au relèvement de la tranche supérieure de l’impôt sur le revenu !

Nous sommes favorables à l’accroissement de la taxation des plus-values, au point d’ailleurs que nous souhaiterions, sur le fond, que ces revenus soient traités de la même manière que les traitements, salaires, pensions et retraites sur le plan de l’impôt sur le revenu, c’est-à-dire qu’ils soient soumis au barème progressif.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Vera

Il faudra aussi s’interroger sur la taxation – ou plutôt l’absence de taxation – des plus-values d’entreprises, notamment dans le cas des cessions de titres.

Faciliter les regroupements de capitaux ne semble avoir évité à notre pays ni les délocalisations ni les suppressions d’emplois, bien au contraire !

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Vera

Par conséquent, oui au relèvement de la dernière tranche de l’impôt sur le revenu ! Mais, il est utile de l’indiquer, cela repose la question de l’imposition des revenus et celle des patrimoines.

L’INSEE, étudiant le patrimoine des Français, a largement montré que le facteur principal d’inégalité dans notre pays résidait plus dans l’existence d’inégalités profondes de patrimoine que dans celles de revenu.

Vouloir accroître l’imposition des revenus les plus importants ne doit donc se faire qu’en maintenant une imposition du patrimoine, au risque de décourager un peu plus ceux qui, par leur seul travail, sans avoir de patrimoine personnel important au départ, valorisent leurs compétences, exercent des responsabilités et des fonctions raisonnablement rémunérées.

Imposer demain le cadre supérieur, imaginatif, créatif, et porteur d’idées nouvelles, impliqué dans la vie de son entreprise, pour mieux exonérer l’héritier qui se contente de vivre du revenu de son patrimoine et qui s’intéresse de très loin à la vie de l’entreprise dont il détient une partie des actions, ne serait pas de bonne politique.

Protéger les acquis des détenteurs de patrimoine et taxer le travail au moment même où 70 % des Français attendent plus de justice sociale, singulièrement quand on parle du devenir de nos retraites, est tout de même le plus parfait exemple de conservatisme qu’il nous soit donné d’apprécier !

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Vera

Si nous sommes opposés à la suppression de l’ISF, c’est précisément en cohérence avec notre volonté de suppression du bouclier fiscal.

L’ISF, assis sur le patrimoine, agit par nature sur le facteur essentiel de développement et de maintien des inégalités sociales dans notre pays.

Nous appelons à l’existence d’un ISF renforcé, équilibré, plus efficace, par la suppression des niches qui l’affectent et en réduisent la portée.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Vera

Supprimer le bouclier fiscal, détruisant de 15 à 20 % de l’ISF mais ne concernant que 1, 3 % de ses contribuables, sera le premier pas dans cette direction.

Les plus gros patrimoines, dans notre pays, n’ont qu’un lointain rapport avec le travail et le talent de leurs détenteurs, fussent-ils réels, et beaucoup avec le travail et le talent des autres !

Il n’y a pas de richesse sans travail, et la réussite de l’entreprise ne procède pas de la génération spontanée du capital !

Il est grand temps que la justice revienne un peu dans notre droit fiscal.

L’adoption de cette proposition de loi, simple et opératoire immédiatement, y contribuera utilement. Il faut abroger le bouclier fiscal, cette offense insupportable à la justice fiscale et sociale, rejetée par près de 70 % de nos concitoyens !

Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Morin-Desailly

Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, comme l’an dernier, comme lors de chaque projet de loi de finances récent, nos collègues, membres du groupe communiste, républicain et citoyen et les sénateurs du parti de gauche, nous proposent d’abroger le bouclier fiscal.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Morin-Desailly

Ils renouvellent leur proposition. Nous réitérons donc notre position, maintes fois exprimée et désormais connue : le bouclier fiscal est la mauvaise réponse au mauvais impôt qu’est l’impôt de solidarité sur la fortune. L’abrogation de l’un doit aller de pair avec la suppression de l’autre.

Abroger le bouclier fiscal sans entreprendre une réforme plus large de notre fiscalité reviendrait à traiter un problème global par une réponse partielle.

Le bouclier a été créé parce que l’impôt, et particulièrement l’ISF, revêtait un caractère confiscatoire pour certains contribuables, notamment des foyers modestes. Supprimer la réponse sans traiter le problème est une démarche que nous ne jugeons pas opportune.

Mes chers collègues, comme en témoigne le dépôt de ce texte, quand on aime, on ne compte pas. À nouveau, nous souhaitons donc exprimer à cette tribune les raisons qui nous poussent à proposer une réforme globale et ambitieuse de la fiscalité des ménages.

Le bouclier, tout d’abord, est un dispositif qui doit être profondément repensé. Sont en cause non pas son principe ou son coût, mais certaines modalités et certains effets de sa mise en œuvre. Nous en dénonçons au moins quatre.

Premièrement, il ne répond pas à l’objectif affiché : il visait à ce que nul ne paie plus de 50 % de ses revenus en impôts. Or, c’est le revenu fiscal, et non pas le revenu réel, qui est pris en compte dans le calcul. Par le jeu de trop nombreuses niches fiscales, ce revenu fiscal est parfois très éloigné du revenu réel des redevables, surtout de ceux qui pratiquent activement l’optimisation fiscale. On s’est donc écarté du principe et de l’objectif affiché.

Que certains contribuables réduisent le montant d’impôt qu’ils doivent acquitter en recourant à des déductions fiscales, soit. Mais comment peut-on justifier que ce soit leur revenu fiscal, fictif, et non pas le montant de leurs revenus effectivement perçus, qui soit pris en compte ?

À nos yeux, aucune logique ne le justifie. Le principe inscrit solennellement à l’article 1er du code général des impôts a été dévoyé par les conditions d’application définies à l’article 1649-0 A du même code.

Deuxièmement, le maintien du bouclier conduirait à une situation inacceptable : il semble difficilement concevable que tous les Français sauf les plus aisés, protégés par le bouclier, consentent les efforts contributifs qui vont s’imposer dans les années à venir.

Le problème s’est déjà posé, dès 2008, lorsqu’il a fallu financer la généralisation du revenu de solidarité active. Au vu de la situation de nos comptes publics, il ne fait aucun doute que le problème se posera à nouveau.

Cette semaine, l’annonce de la création d’une contribution exceptionnelle sur les hauts revenus et les revenus du capital pour contribuer au financement des retraites, hors du périmètre du bouclier, a illustré les contorsions, les bricolages auxquels il faudra de plus en plus se livrer si le bouclier n’est pas révisé.

Ne pas faire participer les plus favorisés de nos compatriotes à l’effort national qui va s’imposer dans les mois et les années à venir n’est pas envisageable.

Troisièmement, le bouclier ne permet pas de rapatrier les exilés fiscaux : la proportion de départs et de retours d’assujettis à l’ISF est restée stable, et faible, entre 2002 et 2008. Donc, l’argument ne tient pas.

Enfin, le dispositif crée des situations choquantes : moins d’un millier de foyers perçoivent 63% du bénéfice du bouclier, soit un chèque moyen de 376 000 euros.

Oui, le bouclier fiscal est un « marqueur ». Mais, un réexamen de ce dispositif s’impose, avec lucidité et sans dogmatisme.

Et ce réexamen doit aller de pair avec une réforme de l’ISF, qui est un mauvais impôt pour une raison très simple : il pèse sur le stock de patrimoine, et non sur les revenus du patrimoine. Nos principaux voisins et partenaires s’en sont rendu compte, et ont fait évoluer leur fiscalité du patrimoine. Nous le pouvons aussi.

L’imposition du patrimoine du simple fait de sa détention s’est faite de plus en plus rare en Europe ainsi que dans le reste du monde ces vingt dernières années. Les impôts portant sur l’ensemble du capital détenu par le contribuable ont été supprimés en Autriche en 1994, au Danemark en 1996, en Allemagne en 1997, aux Pays-Bas en 2001, en Finlande et au Luxembourg en 2006, ou encore en Suède en 2007. Tous ces États voisins ont entrepris la même démarche, fondée sur la même analyse.

Plusieurs pistes de réforme existent. Le président de la commission des finances, M. Arthuis, mais aussi le député centriste Charles de Courson ont proposé à de nombreuses reprises d’abroger conjointement le bouclier fiscal et l’ISF, de créer une tranche supplémentaire d’impôt sur le revenu, et de revoir à la hausse le barème d’imposition des plus-values mobilières et immobilières.

Cette piste de réforme, ainsi que d’autres, devra être examinée dans le cadre de la prochaine loi de finances. Comme la commission des finances l’a rappelé, les questions fiscales ne devraient être traitées qu’en loi de finances ou en loi de financement de la sécurité sociale. Cette discipline nous semble nécessaire à la bonne visibilité du Parlement sur les dispositions qui affectent les comptes publics.

Pour cette raison de forme mais surtout pour les raisons de fond que j’ai exposées, l’Union centriste ne soutiendra pas cette proposition de loi. En revanche, lors de l’examen de la prochaine loi de finances, les membres de ce groupe proposeront à nouveau une réforme globale qui correspond à notre vision de la justice fiscale.

Applaudissements sur les travées de l ’ Union centriste et de l ’ UMP. – M. Jean-Pierre Plancade applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de François Marc

Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, le Palais du Luxembourg est devenu depuis quelques mois un Palais des lamentations.

En effet, nombre de nos collègues ayant voté en faveur du bouclier fiscal voilà maintenant quelques années se lamentent à longueur de temps : « comment avons-nous pu voter un dispositif aussi injuste ? ». Et ces lamentations sont entendues bien au-delà du Palais du Luxembourg. Nos concitoyens, pour 67 % d’entre eux, considèrent que le bouclier fiscal est totalement injuste, cependant que 87 % jugent qu’il faut demander aux plus riches de participer davantage à la solidarité fiscale, bien nécessaire aujourd’hui.

C’est dire que la suppression de ce bouclier se justifie pleinement. Nous l’avons demandée à maintes reprises dans le cadre des amendements que nous avons pu présenter lors de l’examen des lois de finances.

À l’Assemblée nationale, nos collègues socialistes ont également déposé une proposition de loi qui est débattue ces jours-ci. Nous sommes donc en cohérence avec nos collègues quant à la réponse à apporter : il faut supprimer le bouclier fiscal, et c’est pour nous une évidence.

Mais, au-delà de cette suppression, il faut remettre en cause la politique fiscale mise en œuvre depuis 2002. Au fond, ce bouclier fiscal n’est pas un avatar d’un dispositif qui aurait été imaginé par Michel Rocard, Dominique Strauss-Kahn ou d’autres encore ; c’est une composante d’un tout, et les mêmes objectifs ont été développés depuis 2002 pour justifier cette politique fiscale.

Je rappelle les objectifs visés : encourager l’initiative et l’investissement, et rechercher de la croissance supplémentaire. Tout cela a été dit depuis 2002 ! Je vous rappelle que la France, au sortir de l’expérience Jospin, avait l’un des meilleurs taux de croissance de l’Europe !

Mais on nous a dit alors qu’on allait faire encore mieux en matière de croissance, le dispositif fiscal devant contribuer à amplifier cette dernière ; on nous a dit que le dispositif permettrait de faire revenir en France des exilés fiscaux, véritable manque à gagner pour notre pays, et qu’il favoriserait l’implantation d’entreprises multinationales et la domiciliation en France de cadres ayant tendance, du fait de notre dispositif fiscal, à se domicilier dans d’autres pays européens.

Cette politique fiscale a-t-elle produit des effets ? Une chose est sûre, c’est qu’elle a coûté très cher au budget de l’État ! Le rapport de la Cour des comptes, présenté l’an passé par le regretté Philippe Séguin, nous indiquait déjà que, dans le déficit total de 140 milliards d’euros, le déficit structurel s’élevait à 70 milliards d’euros, l’essentiel de ce dernier étant dû aux décisions prises par les gouvernements depuis 2002 en matière de baisse des recettes.

Incontestablement, on peut considérer que la politique mise en œuvre depuis 2002 sur le plan fiscal aboutit aujourd’hui à une moins-value de recettes fiscales de 50 milliards d’euros – le chiffre est fourni par la Cour des comptes et ne supporte pas de contestation –, alors que le déficit de la France est de 140 milliards d’euros.

Dans ces conditions, on peut se demander quel était le sens du propos tenu voilà quelques mois par le ministre du budget, avant qu’il n’aille s’occuper des retraites : « il me faut trouver 50 milliards d’euros ». Mais les 50 milliards d’euros sont là ! C’est la politique mise en œuvre depuis 2002 qui a abouti à cette moins-value. Dès lors, il serait facile de s’y retrouver.

Cette politique, qui a coûté si cher, a-t-elle produit les effets escomptés ? La réponse est incontestablement non.

Qu’en est-il de la croissance supplémentaire qui devait être créée ? On voit à quel point la France se traîne aujourd’hui dans l’Union européenne, s’agissant du taux de croissance : notre pays se situe en dessous de la moyenne européenne ! Alors que l’on devait aller chercher « avec les dents » le point de croissance supplémentaire, les dents ne sont pas au rendez-vous !

A-t-on influencé la localisation des investissements internationaux ? Là encore, incontestablement, la France n’a pas été en mesure d’attirer sur son territoire davantage d’investisseurs. Les statistiques nous l’indiquent : il n’y a aucun résultat de ce point de vue.

Enfin, y a-t-il eu un retour d’exilés fiscaux ? Cet argument était fortement agité, rappelez-vous. Selon les données de Bercy, « 821 redevables à l’ISF ont quitté la France en 2008 », soit 102 de plus qu’en 2007, ce qui représente une augmentation de 14 % en une année. Alors que l’on voulait faire revenir les exilés fiscaux, les Français sont plus nombreux qu’auparavant à s’en aller à l’étranger !

Sur ces trois registres, la politique mise en œuvre n’apporte incontestablement aucun résultat. Pis, elle a atteint, par ses effets pervers, des résultats tout à fait regrettables, avec un sentiment accru d’injustice en une période où il faudrait mobiliser tous les acteurs de notre territoire pour améliorer notre situation.

Or, les gens ont été au contraire démobilisés, et ils se sentent peu concernés – on le voit au travers des enquêtes d’opinion – par les appels qui leur sont adressés par le Gouvernement. C’est une politique totalement néfaste ! Elle n’a pas répondu aux attentes mais elle a créé des effets pervers redoutables.

Mes chers collègues, si l’on veut, en définitive, faire un bilan objectif de la situation, il nous faut être attentifs à quelques éléments de synthèse qui nous sont fournis par les économistes.

Premièrement, lorsque l’on analyse objectivement la situation depuis 2002, il n’y a pas eu de baisse des impôts en France. Les prélèvements obligatoires sont restés à un niveau remarquablement stable : autour de 43 % du PIB. En revanche, la hausse des prélèvements sur les uns a financé la baisse de ces derniers sur quelques autres, un déséquilibre étant ainsi créé à l’intérieur des prélèvements.

Deuxièmement, la politique fiscale est marquée par une forte baisse des impôts au profit des ménages les plus aisés. Les deux tiers des baisses d’impôts de la période, représentant donc 20 milliards d’euros par an sur un total de 30 milliards d’euros – ces chiffres sont ceux d’une étude menée sur la période 2002-2008, mais le montant est aujourd’hui de 50 milliards d’euros, et non plus de 30 milliards d’euros –, ont concerné les plus riches.

Troisièmement – c’est le point le plus grave –, cette redistribution est également financée par les prélèvements sur les jeunes et les générations futures.

En effet, les baisses de recettes fiscales ont été en partie financées par l’endettement, via le creusement du déficit budgétaire qui, in fine, devra être remboursé par les générations futures.

Quatrièmement, la politique fiscale a été orientée vers la rente, en contradiction avec l’objectif affiché de revalorisation du travail. Il s'agit là d’une révolution discrète : depuis 2002 la fiscalité du patrimoine et de ses revenus a été considérablement et systématiquement réduite, là encore au profit des ménages les plus aisés.

Cinquièmement, la politique fiscale se révèle d’une grande continuité depuis 2002 : elle a été la même sous les gouvernements Raffarin et Villepin, entre 2002 et 2007, ainsi que, après cette date, sous la présidence Sarkozy.

Le tiers des baisses d’impôts consenties au profit des contribuables les plus riches est imputable à la période qui a commencé en mai 2007. Le rythme des cadeaux fiscaux aux plus aisés s’est même quelque peu accéléré : ils représentaient 2, 4 milliards d’euros par an entre 2002 et 2007 ; ils s’élèvent à 3 milliards d’euros par an depuis 2007, et ce montant ne cesse d’augmenter.

Cette politique injuste vient se greffer sur un système fiscalo-social qui se caractérisait déjà par sa faible redistributivité. Aujourd’hui, la fiscalité française est devenue régressive. Mes chers collègues, notre système fiscal marche sur la tête !

Sixièmement, et enfin, toujours selon l’étude réalisée par des économistes – je puis vous citer ses auteurs, monsieur le rapporteur –, la politique fiscale a significativement accru les inégalités dans notre pays, renforçant des inégalités de marché qui, pourtant, connaissaient déjà une croissance importante. « Donner plus à ceux qui ont plus » : tel semble être l’étonnant credo suivi, depuis 2002, par la politique fiscale en France, au détriment, notamment, des classes moyennes !

Tels sont, mes chers collègues, certains des enseignements essentiels que nous pouvons tirer s’agissant de la politique fiscale menée durant cette période.

En définitive, et pour conclure, selon les prévisions du ministre du budget, 20 000 personnes bénéficieront du bouclier fiscal en 2010, ce qui coûtera de 650 à 700 millions d’euros au budget de l’État. Un millier de nos concitoyens recevront un chèque individuel de 370 000 euros ; 53 % des bénéficiaires du dispositif toucheront un chèque de 632 euros. On voit à quel point le fossé est en train de se creuser, à quel point l’injustice progresse !

Il s'agit donc là d’une politique qui n’a pas atteint les objectifs qu’elle s’était fixés, qui a été extrêmement coûteuse pour le budget de l’État et qui a creusé d’une façon tout à fait dramatique les injustices dans notre pays.

Aujourd’hui, il faut supprimer le bouclier fiscal, et le plus vite possible. Pourquoi agir avec hâte ? Certains affirment, notamment au sein de la commission des finances, que, au fond, il n’est qu’à attendre la prochaine loi de finances, ou peut-être la suivante, que l’on trouvera un jour une solution, éventuellement sous la forme d’un « triptyque », …

Debut de section - PermalienPhoto de François Marc

… ou peut-être mieux encore. Je crois pour ma part qu’il faut procéder au plus vite, et cela pour une raison simple : notre pays, dont la situation d'ailleurs a bien évolué depuis la mise en place de ce bouclier, traverse une crise dramatique pour ce qui concerne ses finances publiques. En outre, il sera confronté à une crise sociale d’une ampleur considérable.

Debut de section - PermalienPhoto de François Marc

Dans ces conditions, comment mobiliser les Français autour d’objectifs qui permettraient à chacun d’espérer obtenir, à l’avenir, une juste part du gâteau ? Pour y parvenir, mes chers collègues, il faut supprimer les dispositifs de ce genre, qui créent un malaise très profond dans notre société. C’est ainsi, en prenant des décisions courageuses le plus rapidement possible, que nous nous mettrons en ordre de bataille pour affronter la situation très difficile qui nous attend.

C’est pourquoi il faut, dès aujourd’hui, ici et maintenant, supprimer le bouclier fiscal.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG. – M. Jean-Pierre Plancade applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Plancade

Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, depuis plusieurs mois, les pays membres de la zone euro sont confrontés à une crise sans précédent, qui pourrait bien, à terme, remettre en cause la pérennité de notre monnaie.

Cette crise trouve son origine dans les dérèglements dont les marchés financiers ont fait l’objet : à force de rendre toujours plus opaques les échanges, de faciliter la libre et rapide circulation des capitaux et de vouloir se mettre à l’abri du risque en faisant chaque fois porter ce dernier sur les voisins, et surtout de façon camouflée, de telles difficultés étaient inévitables !

Aujourd’hui, cette crise a évidemment des répercussions en France, à telle enseigne que le Gouvernement nous annonce un plan de rigueur ou d’austérité – peu importe le vocabulaire, la réalité sera dramatique ! –, dont nous pouvons craindre, compte tenu de l’expérience passée, que ses mesures porteront principalement sur les classes moyennes et populaires.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Plancade

Or, depuis trois ans, je le répète, le Gouvernement a pris toute une série de mesures en faveur des catégories les plus aisées. On peut citer le bouclier fiscal, puisque c’est de lui qu’il est question aujourd'hui, l’exonération des droits de succession, les niches fiscales, la baisse de la TVA pour les restaurateurs, la suppression de la publicité à la télévision... Autant de réformes qui n’ont fait que grever le budget et aggraver le déficit.

D'ailleurs – c’est là un point essentiel –, de façon constante, les déficits créés l’ont été en majeure partie au bénéfice des couches les plus aisées de la population, ce qui est indécent dans la période de crise sociale que nous traversons !

Comme mes collègues membres du RDSE l’ont exprimé à plusieurs reprises, la suppression du bouclier fiscal est devenue une mesure de bon sens et d’équité ; elle doit avoir lieu aujourd'hui, et pas demain !

Cette mesure serait de bon sens, car l’État n’a plus les moyens financiers de pratiquer une politique de cadeaux fiscaux à l’égard de ceux dont le cœur est peut-être en France, même si j’en doute de plus en plus, mais dont le porte-monnaie se porte toujours mieux sous des cieux plus attractifs…

Au passage, je rappellerai que la suppression du bouclier fiscal, qui n’a toujours pas fait revenir en France les grandes fortunes – elles partent même en plus grand nombre à l’étranger –, pourrait dégager une plus-value fiscale susceptible – pourquoi pas ? – d’approvisionner en partie le Fonds de réserve pour les retraites.

Cette mesure serait aussi d’équité, parce que, dans son essence même, ce dispositif est injuste : comment demander toujours plus aux centaines de milliers de chômeurs et aux ménages les plus modestes, et cela dans une période de forte baisse du pouvoir d’achat, sans obtenir, par ailleurs, la garantie que les exilés fiscaux et les entreprises délocalisées participeront, eux aussi, aux efforts de la nation ?

Aujourd’hui, ce sont la Grèce, l’Espagne et le Portugal qui se trouvent dans l’œil du cyclone. Demain qu’en sera-t-il réellement pour notre pays ?

Alors que le Gouvernement s’efforce, avec raison – je le reconnais –, de minimiser l’impact de la crise sur notre économie et ses conséquences sociales, de même qu’il a agi avec pertinence – je le reconnais également – au cœur de la crise bancaire, il devient urgent d’arrêter cette hémorragie financière en prenant des mesures de bon sens, à commencer par la suppression du bouclier fiscal, qui, madame la secrétaire d'État, joue le rôle d’une niche de plus, d’une niche de trop.

Cette proposition de loi de nos collègues du groupe CRC-SPG a donc le mérite de la clarté. La suppression du bouclier fiscal, ce dispositif inopérant et dépourvu d’effet économique avéré, est une nécessité objective. Bien plus, elle est devenue un impératif social !

Je le répète, le mécanisme du bouclier fiscal a autorisé l’État à rembourser aux contribuables les plus aisés de ce pays 368 millions d’euros en 2008 et 586 millions d’euros en 2009, et l’on annonce pour 2010 de 700 à 800 millions d'euros !

Dans un contexte de crise financière, de récession économique, de hausse du chômage, de plans sociaux, de déficit budgétaire, de crise de nos systèmes de retraite, de mesures de rigueur et d’austérité qui seront appliquées aux Français, quoi que vous en disiez, madame la secrétaire d'État, comment justifier politiquement, économiquement et surtout socialement le maintien de ces avantages accordés aux plus riches ?

Ce texte est pour moi l’occasion de rappeler que l’impôt possède de réelles vertus républicaines, puisqu’il permet de faire contribuer chacun justement, en fonction de ses possibilités, à l’œuvre commune. Par sa fonction redistributive, il doit jouer un rôle de cohésion sociale ; toutefois, je dois admettre qu’il remplit de moins en moins cette fonction.

Selon moi, une politique fiscale à la fois juste et efficace doit donc permettre de revenir à des principes fondamentaux : l’égalité devant l’impôt et la progressivité de celui-ci.

Parce qu’il limite à 50 % de leurs revenus les impôts versés par une catégorie de Français, le bouclier fiscal porte atteinte au principe de progressivité de l’impôt, donc à l’effort de solidarité nationale, qui devrait correspondre à l’exacte capacité de chacun des contribuables.

Dans ces conditions, les sénateurs radicaux de gauche et la majorité des membres du groupe du RDSE sont favorables à la suppression du bouclier fiscal et militent pour une politique fiscale différente, plus juste, plus équitable, plus efficace et plus progressive, a fortiori quand notre pays traverse une crise économique grave, au bénéfice des Français les plus démunis.

Pour résumer, je le répète avec force, à un moment où nous sommes confrontés à des mesures de rigueur très fortes et où nous devons assurer l’équilibre de nos retraites, le Gouvernement traîne comme un boulet ce bouclier fiscal, qui empêche toute évolution de la pensée sur l’impôt dans ce pays et interdit d’avancer dans la bonne direction.

Pourtant, face à cette crise, mes chers collègues, nous devrions nous rejoindre, que nous appartenions à la majorité ou à l’opposition, pour défendre la cohésion nationale et écarter le risque d’une sortie de la zone euro, qui, quoi que l’on prétende, est bien réel. Mettons-nous d’accord sur la suppression du bouclier fiscal et sur la nécessité de revisiter les niches fiscales ; réfléchissons à l’impôt sur la fortune et à la mise en place d’un nouveau système fiscal, plus juste, plus efficace et plus progressif.

C'est pourquoi le groupe du RDSE, dans sa quasi-totalité, votera la proposition de loi de nos collègues du groupe CRC-SPG.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Louis Masson

Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, je soulignerai que la réforme du bouclier fiscal constitue un élément fondamental de la justice sociale et de l’équité devant l’impôt.

La crise financière que connaît la Grèce est un avertissement pour tous les pays, en particulier pour la France ; c’est d’autant plus vrai que, depuis 2007, la politique conduite par le Gouvernement et par le Président de la République a entraîné une augmentation colossale de notre endettement.

J’approuve donc les mesures qui pourraient accroître les recettes fiscales ou réduire les dépenses publiques. L’annonce d’une réduction importante des niches fiscales est ainsi un élément très positif.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Louis Masson

En revanche, le bouclier fiscal constitue la niche la plus scandaleuse, et c’est par elle qu’il faut commencer.

Bien que je sois clairement de droite, je déplore l’obstination du Président de la République sur ce dossier. D'ailleurs, et plus généralement, je considère que, dans de nombreux domaines, les choix et les attitudes de nos gouvernants depuis 2007 sont affligeants. Le bouclier fiscal n’en est qu’un exemple parmi d’autres.

Marques d’approbation sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Louis Masson

Oui, on peut être de droite et réclamer plus de solidarité, plus de justice sociale et plus d’équité fiscale.

Oui, on peut être de droite et rester attaché aux valeurs nationales, populaires et sociales qui sont le fondement du gaullisme.

Oui, on peut être de droite et déplorer l’abaissement de la fonction présidentielle, les gesticulations stériles, les promesses mirobolantes jamais suivies d’effets et le « bling-bling » à tous les étages.

Partout, des voix, de plus en plus nombreuses, s’inquiètent du refus du Président de la République d’entendre le message, pourtant fort, que lui ont adressé les électeurs à l’occasion de la déroute des régionales.

À juste titre, l’ancien Premier ministre Alain Juppé, que personne ne peut accuser de gauchisme, résume ainsi l’opinion générale, dans un entretien au journal Le Monde du 11 avril 2010 :

« La pauvreté et la précarité augmentent, ainsi que le sentiment d’injustice. Cela nous oblige à prendre à bras-le-corps la question du logement, notamment pour les travailleurs pauvres, et à remettre à plat tout notre système fiscal, pour le rendre efficace et plus juste. […] En tout cas, ce que je ne digère pas, c’est le triomphe de la cupidité. »

M. François Marc applaudit.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Louis Masson

« C’est indécent de voir les bonus, les “retraites chapeau”, toutes ces rémunérations extravagantes qui se chiffrent par millions d’euros et que rien ne justifie, alors qu’on explique par ailleurs qu’il n’est pas possible d’augmenter les bas salaires de 20 euros. » Mes chers collègues, ce n’est pas moi qui l’affirme, c’est Alain Juppé !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Louis Masson

Au fond d’eux-mêmes, tous nos concitoyens savent que la France ne dispose pas d’une recette miracle qui lui permettrait de rester le seul pays de l’Union européenne où l’âge de la retraite serait fixé à soixante ans. Toutefois, pour qu’il y ait un consensus sur cette question, il faut que les sacrifices soient répartis équitablement entre tous.

En la matière, une mesure emblématique s’impose : une réforme radicale du bouclier fiscal, lequel ne doit pas continuer à profiter, à plus de 99 %, à quelques milliers de super-privilégiés.

Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.

Debut de section - PermalienPhoto de Roger Romani

M. le président. La parole est à M. Adrien Gouteyron.

Applaudissements sur les travées de l ’ UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de François Marc

M. François Marc. La parole est à la défense !

Sourires

Debut de section - PermalienPhoto de Adrien Gouteyron

Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, d’aucuns l’ont souligné, ce débat est rituel. Et l’on comprend parfaitement la constance – ce terme ayant été employé par d’autres, je le reprends également – de ceux qui proposent la suppression du bouclier fiscal : elle justifie d’ailleurs en quelque sorte la nôtre, comme l’a fort justement fait remarquer le rapporteur.

Si ce débat est rituel, je reconnais que les arguments se sont quelque peu renouvelés, notamment dans la forme, et je dois reconnaître que j’ai apprécié certaines interventions. Dois-je préciser, parlant au nom de mon groupe, que l’UMP, qui a défendu le principe du bouclier fiscal, ne saurait aujourd’hui ni se contredire ni renoncer aux principes qui sont les siens ?

Puisque nous en sommes aux principes, je rappelle, à la suite d’Albéric de Montgolfier, dont je tiens à saluer la qualité et la précision du rapport, que le Conseil constitutionnel a estimé dans sa jurisprudence, notamment dans sa décision du 29 décembre 2005, qu’un niveau confiscatoire de l’impôt, représentant une charge excessive par rapport à la capacité contributive, serait frappé d’inconstitutionnalité.

Nous ne pouvons qu’adhérer à l’idée que l’existence d’un bouclier dans l’arsenal fiscal français constitue en quelque sorte la preuve de la responsabilité de l’État. Il s’agit d’un « garde-fou » dans un système fiscal complexe où la superposition de différents impôts peut, dans certains cas particuliers, générer une imposition excessive et contre-productive.

« Trop d’impôt tue l’impôt. » La formule est connue, je n’insiste pas. N’oublions pas que le niveau de prélèvements obligatoires en France est l’un des plus élevés du monde ! Un magazine a publié l’an dernier une étude comparative de la pression fiscale dans cinquante pays du monde qui le démontre.

Le bouclier fiscal à 50 %, c’est l’affirmation d’un principe clair : en France, on ne travaille pas plus de six mois de l’année pour payer ses impôts.

D’ailleurs, le principe même du bouclier fiscal a été institué par un gouvernement de gauche, celui de Lionel Jospin, …

Debut de section - PermalienPhoto de Adrien Gouteyron

... qui, je le dis au passage, avait aussi baissé la fiscalité sur les stock-options et les taux de l’impôt sur le revenu.

Debut de section - PermalienPhoto de Adrien Gouteyron

Ce n’est pas faux.

La France n’est pas le seul pays à appliquer le bouclier fiscal. En Europe, d’autres États l’ont mis en place : l’Espagne, la Finlande, la Suède, le Danemark et l’Allemagne où il existe un bouclier à 50 %. La Cour constitutionnelle de Karlsruhe a ainsi estimé le 22 juin 1995 qu’il était contraire à la Constitution de prélever l’impôt sur la fortune si cela équivalait à prélever plus de la moitié des revenus du contribuable. Nous sommes donc là sur une ligne assez largement partagée et suivie au niveau européen.

Debut de section - PermalienPhoto de Adrien Gouteyron

M. Adrien Gouteyron. Contrairement à ce que prétend l’opposition, le bouclier fiscal n’est pas un « cadeau » indécent fait aux riches. Je fais remarquer que deux tiers des bénéficiaires déclarent un revenu fiscal inférieur à 13 000 euros.

Mme Marie-France Beaufils s’exclame.

Debut de section - PermalienPhoto de Adrien Gouteyron

Mes chers collègues, c’est à travers la progressivité de l’impôt sur le revenu que doit s’exprimer la solidarité des plus aisés à l’égard des plus faibles. Un Français sur deux ne paie pas d’impôt sur le revenu, 10 % des contribuables les plus aisés acquittent 70 % du produit, alors qu’ils déclarent un peu plus du tiers des revenus. Ce principe de progressivité de l’impôt doit absolument être préservé comme fondement intangible de notre système fiscal. Sur ce point, il nous faut être extrêmement vigilants.

Comme d’autres avant moi, je tiens à souligner que, si le bouclier fiscal n’a pas permis, comme on avait pu l’espérer, de rapatrier beaucoup de grandes fortunes en France, il a sans nul doute évité plus d’expatriations. Certes, aucune donnée chiffrée ne vient confirmer cette affirmation, mais nous pouvons légitimement le penser, même si, malheureusement, le nombre d’expatriations a augmenté au cours de la période récente.

Debut de section - PermalienPhoto de Adrien Gouteyron

Nous devons être honnêtes et ne pas cacher notre souhait de voir le retour d’un plus grand nombre de nos concitoyens en France.

Le Gouvernement est cohérent. Ce n’est pas contre le bouclier fiscal qu’il faut lutter, mais contre l’évasion fiscale, qu’il faut combattre de toutes nos forces, et contre les paradis fiscaux, en œuvrant pour mettre en place à l’échelon international une politique coordonnée avec les autres États.

D’une manière générale, la stabilité fiscale ne doit pas être mise à mal. Modifier le dispositif du bouclier fiscal sans réformer la fiscalité dans son ensemble reviendrait à créer une insécurité juridique tout à fait dommageable et contre-productive pour notre économie.

Il est vrai qu’il existe dans l’opinion, et même au sein de la majorité, un débat sur le sujet.

Debut de section - PermalienPhoto de Adrien Gouteyron

Et c’est tant mieux !

Je tiens à saluer ici l’insistance, la persévérance, voire la constance de nos collègues Jean Arthuis, Philippe Marini et Jean-Pierre Fourcade, du rapporteur et d’autres encore qui défendent l’idée d’une indispensable réforme fiscale, …

Debut de section - PermalienPhoto de Roland du Luart

C’est ce que souhaite la commission des finances !

Debut de section - PermalienPhoto de Adrien Gouteyron

... fondée sur une trilogie ou une tétralogie dont les termes sont indissociables : abrogation du bouclier fiscal, suppression de l’ISF, institution d’une tranche supplémentaire dans le barème de l’impôt sur le revenu assortie d’une révision du barème d’imposition des plus-values de valeurs mobilières et de biens immobiliers.

Debut de section - PermalienPhoto de Adrien Gouteyron

C’est une piste qu’il faut absolument explorer, et je félicite Albéric de Montgolfier de l’avoir rappelé dans son rapport.

Ce débat est notamment alimenté par la nécessité de réduire nos déficits et d’accomplir des réformes structurelles importantes. Il est impossible de prendre le problème par le bout le plus commode et le plus évident.

Debut de section - PermalienPhoto de Adrien Gouteyron

Il faut le traiter dans son ensemble.

Ainsi, M. le rapporteur propose des évolutions, qui doivent s’inscrire dans le cadre d’une réforme fiscale plus globale…

Debut de section - PermalienPhoto de Adrien Gouteyron

... et, surtout, comme cela doit se faire en bonne politique, à l’occasion d’un projet de loi de finances.

Debut de section - PermalienPhoto de Adrien Gouteyron

M. Adrien Gouteyron. Il ne faut pas agir au hasard d’une proposition de loi qui risque de ne pas saisir la pleine complexité du problème et de ne pas y répondre correctement.

Applaudissements sur les travées de l ’ UMP.

Debut de section - Permalien
Anne-Marie Idrac, secrétaire d'État chargée du commerce extérieur

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous prie tout d’abord de bien vouloir excuser l’absence de Christine Lagarde, qui m’a chargée de participer à sa place à l’examen de cette proposition de loi.

Vous le savez, il faut toujours revenir aux principes fondamentaux. Ce sont ceux-là mêmes qui avaient conduit Michel Rocard en son temps à instaurer le bouclier fiscal. Il s’agit de concilier deux principes essentiels aux termes desquels, d’une part, l’impôt doit être progressif et proportionné aux capacités contributives, d’autre part, l’impôt ne saurait être confiscatoire. C’est le cas avec le bouclier fiscal.

Les sénateurs du groupe communiste républicain citoyen et du parti de gauche ont déposé un texte qui supprime purement et simplement le bouclier fiscal.

Sur la forme, une telle proposition ne devrait pouvoir être débattue que dans le cadre d’un projet de loi de finances. Sur le fond, elle ne nous paraît guère acceptable.

Le bouclier fiscal répond avant tout à un objectif d’équité. Le principe même du bouclier fiscal, c’est que l’impôt ne doit pas être confiscatoire.

Debut de section - Permalien
Anne-Marie Idrac, secrétaire d'État

Je rappelle ici les termes mêmes de la décision du Conseil constitutionnel lors de l’examen de la loi en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat, dite « loi TEPA » : « dans son principe, le plafonnement de la part des revenus d’un foyer fiscal affectée au paiement d’impôts directs, loin de méconnaître l’égalité devant l’impôt, tend à éviter une rupture caractérisée de l’égalité devant les charges publiques ». C’est dire si ce principe est tout sauf anodin.

Plusieurs d’entre vous l’ont souligné et je tiens à le répéter avec une force particulière compte tenu des fonctions que m’ont confiées le Président de la République et le Premier ministre : le bouclier fiscal est aussi une condition de l’attractivité de notre territoire.

M. Bernard Vera fait un signe de dénégation.

Debut de section - Permalien
Anne-Marie Idrac, secrétaire d'État

Mme Anne-Marie Idrac, secrétaire d'État. Il nous faut maintenir ce cap si nous voulons attirer des investissements. Vous le savez, la France a la chance d’être le deuxième ou le troisième pays – cela varie selon les années – pour l’attraction de capitaux étrangers en particulier.

Protestations sur les travées du groupe CRC-SPG.

Debut de section - Permalien
Anne-Marie Idrac, secrétaire d'État

Enfin, nous avons absolument besoin de sécurité juridique et de stabilité fiscale.

La stabilité en matière fiscale est impérative, qu’il s’agisse du bouclier fiscal ou de tout autre dispositif. Ce n’est pas en changeant sans arrêt les règles du jeu fiscal que nous serons en mesure de juger de l’efficacité des mécanismes mis en place ou de dresser un bilan global. En outre, sur cette matière, le Président de la République et le Gouvernement ont pris des engagements devant les Français.

J’en viens maintenant à l’aspect fiscal et budgétaire du débat.

Pour certains, la suppression du bouclier fiscal permettrait, comme par magie, de guérir tous les maux de la France...

Debut de section - Permalien
Anne-Marie Idrac, secrétaire d'État

... et serait en quelque sorte un cautère miraculeux.

Debut de section - Permalien
Anne-Marie Idrac, secrétaire d'État

En réalité, une telle mesure ne résoudrait aucune des difficultés auxquelles nous sommes confrontés.

Sur le plan budgétaire, le bouclier fiscal est un micro-sujet. Il représente un enjeu de 600 millions d’euros, ...

Debut de section - Permalien
Anne-Marie Idrac, secrétaire d'État

Mme Anne-Marie Idrac, secrétaire d'État. … ce qui est sans commune mesure avec l’ampleur du déficit qu’il nous faut résorber.

Exclamations sur les travées du groupe CRC-SPG.

Debut de section - Permalien
Anne-Marie Idrac, secrétaire d'État

Il est tout de même curieux de concentrer, par pure démagogie, l’essentiel du débat économique sur un si petit problème !

Exclamations amusées sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.

Debut de section - Permalien
Anne-Marie Idrac, secrétaire d'État

Ce n’est pas en s’attaquant aux 600 millions d'euros du bouclier fiscal que nous résoudrons le problème du déficit de la France, qui se compte, lui, en dizaines de milliards d'euros !

Debut de section - PermalienPhoto de Nicole Borvo Cohen-Seat

S’ils n’ont pas de pain, qu’ils mangent de la brioche !

Debut de section - Permalien
Anne-Marie Idrac, secrétaire d'État

Mesdames, messieurs les sénateurs, sur cette question des déficits, faisant écho aux propos de Jean-Pierre Plancade, je considère qu’adopter une approche d’union nationale aurait de la valeur.

Je me félicite de la participation de Jean Arthuis à la Conférence sur le déficit organisée par le Président de la République. En revanche, au nom de tous les Français, je regrette que les partis de gauche, en particulier le parti socialiste, n’aient pas jugé bon de s’y rendre…

Debut de section - Permalien
Anne-Marie Idrac, secrétaire d'État

Mme Anne-Marie Idrac, secrétaire d'État. ... et préfèrent se consacrer à des petits sujets comme celui-là.

Nouvelles exclamations sur les mêmes travées.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

Ce sont les pauvres et les salariés qui vont payer !

Debut de section - Permalien
Anne-Marie Idrac, secrétaire d'État

Vous affirmez que le bouclier fiscal « ne profite qu’aux riches ». Il va de soi que le bouclier fiscal instauré par Michel Rocard profite à ceux qui paient beaucoup d’impôt ; c’est l’évidence même.

Mais que l’on cesse de nous faire croire que payer 50 % d’impôt sur son revenu serait un privilège fiscal inacceptable dans un pays où plus de la moitié des foyers fiscaux ne supportent pas l’impôt sur le revenu.

M. Thierry Foucaud s’exclame.

Debut de section - Permalien
Anne-Marie Idrac, secrétaire d'État

Je rappelle l’argument invoqué par le Conseil constitutionnel : l’égalité devant l’impôt est un principe d’équité important.

Certains ont regretté un manque de transparence sur certains sujets. Je rappelle que l’administration fiscale, à la demande de Christine Lagarde, d’Éric Woerth et maintenant de François Baroin, a entrepris des efforts en ce sens.

Le Gouvernement a ainsi rendu publiques des statistiques provisoires dès le mois d’avril. On peut difficilement faire mieux ! Dès que les données définitives seront connues, c’est-à-dire dès le mois de juillet, elles viendront alimenter le débat public.

Nous avons également publié les statistiques sur les exilés fiscaux, et nous répondons à toutes les sollicitations du président et du rapporteur général de la commission des finances de l’Assemblée nationale. Leurs homologues du Sénat ont reçu copie de toutes les données transmises.

Je profite de l’occasion qui m’est donnée pour revenir sur les propositions alternatives à la suppression du bouclier fiscal, et faire ainsi écho aux propos de Catherine Morin-Desailly.

Sur la forme, cela a été dit, l’examen d’une proposition de loi se prête mal à la discussion de tels sujets, qui sont d’ordinaire rattachés aux projets de loi de finances.

Les propositions alternatives consisteraient pour l’essentiel à supprimer à la fois le bouclier fiscal et l’impôt de solidarité sur la fortune, l’ISF, et à majorer l’impôt sur les revenus du travail et du patrimoine ; c’est la fameuse « trilogie », ou plutôt « tétralogie », chère au président Jean Arthuis.

Il est vrai que nous sommes presque les seuls en Europe – à l’exception de quelques cantons suisses – à avoir conservé une taxation sur la fortune, ce qui peut avoir des effets négatifs.

Cela étant, nous avons fait beaucoup ces dernières années pour que l’ISF soit un impôt plus juste économiquement. Nous avons par exemple augmenté l’abattement applicable à la valeur de la résidence principale, qui est passé de 20 % à 30 %.

Nous avons également offert aux contribuables la possibilité d’investir une partie des sommes dues au titre de l’ISF dans des petites et moyennes entreprises, sous le contrôle vigilant du Parlement, et en particulier du Sénat. Il faut en effet éviter les abus, ce à quoi nous nous sommes employés, avec M. Albéric de Montgolfier. Cela nous a également permis d’améliorer l’emploi et la solidité de ces entreprises.

À propos du bouclier fiscal, Mme Catherine Morin-Desailly soutenait que le revenu réel était trop éloigné du revenu final pris en compte. Sur ce point, des améliorations ont déjà été apportées, notamment en ce qui concerne les dividendes. Au demeurant, nous pourrons poursuivre notre réflexion dans ce domaine.

Nous ne sommes donc pas figés, et encore moins autistes. Au contraire, nous sommes prêts à engager le dialogue et à débattre.

Au sujet de la fameuse « trilogie » ou « tétralogie », dont Christine Lagarde et François Baroin auront l’occasion de débattre avec vous, mesdames, messieurs les sénateurs, lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2011, je ferai remarquer que le fait d’exonérer la détention de capital en supprimant l’ISF et de taxer davantage des revenus issus, pour la plupart, du travail ou d’activités en relation avec l’emploi me semble paradoxal.

Serait-il juste de privilégier les rentiers au détriment des actifs ? Cela pose un problème d’équité et je ne doute pas que le groupe Union centriste contribuera au débat de la majorité sur cette question.

En guise de conclusion, je souhaite saluer le sens des responsabilités manifesté par votre assemblée, et spécialement par la commission des finances et la majorité sénatoriale.

Le Sénat est depuis longtemps à la pointe de la réflexion sur les questions fiscales, et notamment sur le bouclier fiscal. Il entend conserver sa position, et il a raison. Nous comptons sur lui pour animer le débat.

Pour autant, j’ai relevé qu’aucun amendement n’avait été déposé sur cette proposition de loi. J’y vois le signe que nous nous entendons sur l’essentiel, c’est-à-dire sur la notion d’équité fiscale.

Le débat est respectable, mais il ne nous paraît pas apporter une réponse crédible aux enjeux majeurs auxquels nous sommes confrontés aujourd’hui, en particulier l’évolution démographique des actifs – aucune proposition n’a été faite sur ce sujet – et le financement des retraites.

En faisant appel à votre sens des responsabilités, je vous demande, mesdames, messieurs les sénateurs, de rejeter l’ensemble de cette proposition de loi.

Applaudissements sur les travées de l ’ UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Roger Romani

Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…

La discussion générale est close.

La commission n’ayant pas élaboré de texte, nous passons à la discussion des articles de la proposition de loi initiale.

Les articles 1er et 1649 O-A du code général des impôts sont abrogés.

Debut de section - PermalienPhoto de Roger Romani

La parole est à Mme Marie-France Beaufils, sur l’article.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-France Beaufils

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, pourquoi cette obstination ? Pourquoi le maintien du bouclier fiscal constituerait-il une « ligne rouge » à ne pas dépasser ? Ne pas le supprimer, c’est bien mal augurer de toute réforme fiscale dans notre pays.

Vous le savez bien, tout mouvement tendant à accroître le produit de l’impôt sur le revenu, de l’ISF ou même des taxes locales – une telle évolution est probable, puisque les difficultés des collectivités territoriales, avec la disparition de la taxe professionnelle, sont à l’ordre du jour – serait simplement l’occasion de permettre aux bénéficiaires du bouclier fiscal de percevoir de la part du Trésor public un chèque plus élevé.

Au moment où l’on nous annonce que le bouclier fiscal pourrait être entaillé pour financer une partie du déficit des régimes de retraite, il convient donc de rétablir la vérité et de rappeler que l’entaille sera légère…

Tous les détenteurs de revenus du capital seraient assujettis à ce prélèvement, et pas seulement la poignée de bénéficiaires du bouclier fiscal.

La mesure qui est envisagée démontre, s’il le fallait, que l’injustice du bouclier est ressentie, même si le Gouvernement ne veut pas encore s’atteler à cette question.

Il ne peut pas y avoir de prélèvements justes ni justement répartis, notamment pour équilibrer les comptes des caisses de retraite, sans la suppression du bouclier fiscal. Décidemment, justice et bouclier fiscal ne vont pas ensemble !

Le bouclier fiscal ne protège pas de l’impôt excessif, il fait simplement obstacle à la justice fiscale et sociale. À la lecture des éléments du rapport, on peut d’ailleurs se demander quel a pu être l’impact de l’intégration dans le bouclier fiscal des prélèvements CSG et CRDS sur le montant des remboursements ordonnancés, ou encore ce qui pourrait justifier aujourd’hui que les collectivités territoriales soient mises à contribution pour la prise en charge du bouclier fiscal.

Permettez-moi d’ajouter quelques éléments de réflexion sur les motivations qui semblent expliquer le maintien du bouclier fiscal.

Le taux maximal d’imposition sur le revenu est de 40 %. Le taux d’imposition des plus-values, prélèvements sociaux compris, est inférieur à 30 %. La taxe d’habitation est plafonnée en fonction du revenu et la taxe foncière fait l’objet, dans de nombreux cas, d’exonérations ou de remises gracieuses des droits. Ce sont donc bel et bien les contribuables soumis à l’ISF qui sont les principaux bénéficiaires visés.

Il n’y a même probablement que cet impôt, à l’exclusion de tout autre, qui soit remboursé aux 7 675 bénéficiaires du bouclier fiscal. Ce seul argument suffit amplement à justifier la suppression pure et simple d’un dispositif qui piétine à ce point la justice fiscale.

Madame la secrétaire d’État, en vous écoutant tout à l’heure, je me posais la question suivante : si les parlementaires de l’opposition ne peuvent pas déposer de propositions de loi, au motif que les dispositions qu’elles contiennent devraient être intégrées à un projet de loi présenté par le Gouvernement, que reste-t-il de l’initiative parlementaire ?

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-France Beaufils

C’est bien beau d’avoir la possibilité de déposer des propositions de loi ! Mais si nous ne pouvons jamais débattre des questions de fond que nous estimons devoir être abordées, je ne vois pas quel rôle il reste au Parlement ni où se déroule la vie démocratique.

Selon moi, nous avons tous intérêt à ce que le débat ait lieu.

Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG

Debut de section - PermalienPhoto de Yannick Bodin

Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, plusieurs de mes collègues du groupe socialiste sont intervenus tout à l’heure pour s’exprimer sur le fond et donner les raisons pour lesquelles nous sommes opposés au bouclier fiscal. Cette position n’a pas dû apparaître comme un scoop pour l’auditoire présent ce matin dans l’hémicycle.

Madame la secrétaire d’État, je m’appuierai simplement sur un exemple tout à fait récent pour démontrer que le bouclier fiscal est à la fois immoral, peu pratique et inutile.

Les membres de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication se sont réunis hier pour examiner une proposition de loi tout à fait intéressante qui vise à réglementer de manière plus stricte les rémunérations des agents sportifs. Ce texte va dans le bon sens, et nous nous en sommes tous félicités, dans la mesure où ces professions utilisent le sport pour en faire une activité de spéculation financière qui atteint des dimensions proprement scandaleuses.

Alors que certains sportifs font preuve d’une véritable immoralité, rendant nécessaire une réglementation de cette profession, il est tout de même surprenant de constater qu’ils sont protégés par le bouclier fiscal.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Goulet

Mme Nathalie Goulet. Sans être obligés de marquer des buts, d’ailleurs !

Sourires

Debut de section - PermalienPhoto de Yannick Bodin

Est-ce normal ? Est-ce acceptable ?

M. le rapporteur, qui est un collègue tout à fait honorable et charmant, …

Debut de section - PermalienPhoto de Yannick Bodin

M. Yannick Bodin. … a fait remarquer que, de toute façon, les agents sportifs en question ne bénéficient pas du bouclier fiscal, puisque aucun d’entre eux ne paie ses impôts en France !

Exclamations ironiques sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.

Debut de section - PermalienPhoto de Yannick Bodin

Madame la secrétaire d’État, voilà donc une profession – je ne voudrais pas la stigmatiser, bien que je n’en pense pas moins – qui bénéficie du bouclier fiscal, alors même que la façon dont certains de ses membres s’enrichissent paraît hautement contestable.

Par ailleurs, vous nous répétez depuis des mois que le bouclier fiscal est susceptible de faire revenir en France certains contribuables. Je vous invite à nous en faire la démonstration ! Si un seul de ces agents sportifs décidait de venir payer ses impôts en France, peut-être pourrions-nous commencer à vous donner raison. Mais, pour l’instant, on n’a pas vu le nez d’un seul d’entre eux refranchir la frontière française !

Je voulais simplement, à travers cet exemple, …

Debut de section - PermalienPhoto de Yannick Bodin

M. Yannick Bodin. … qui a suscité le dépôt d’une proposition de loi à laquelle nous sommes prêts à nous rallier, démontrer que, si le bouclier fiscal n’est pas supprimé, vous le traînerez jusqu’au bout, et nos concitoyens en tireront les conséquences ! N’ayez crainte : ce dispositif est maintenant inscrit dans le subconscient de tous les Français ; ils ne l’oublieront pas !

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC -SPG.

Debut de section - PermalienPhoto de Roger Romani

Mes chers collègues, je vous rappelle qu’il est préférable, afin d’assurer une meilleure prévisibilité de nos travaux, de s’inscrire sur un article avant le début de la discussion de celui-ci. La conférence des présidents a été très claire et très ferme sur ce point, et je vous demanderai donc d’en tenir compte à l’avenir.

La parole est à Mme Nathalie Goulet, sur l’article.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Goulet

Mme Nathalie Goulet. Monsieur le président, au cours de l’examen d’une autre proposition de loi déposée par l’opposition, j’ai appris, dans le cadre de ma formation continue

Sourires

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Goulet

Ce ne sera pas un scoop non plus, je voterai les deux articles.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Goulet

Je maintiens la position que j’ai déjà maintes fois expliquée, notamment dans le cadre du projet de loi de finances, lorsqu’il a été question de supprimer le bouclier fiscal, ou de taxer les stock-options et les parachutes dorés.

Par ailleurs, rien n’empêcherait le Sénat de voter ce texte en guise d’encouragement à une réforme plus globale, …

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Goulet

… qui ne serait évidemment pas applicable immédiatement, la navette permettant d’enliser le texte durant un certain temps.

Adopter cette proposition de loi aurait au moins le mérite de garantir une certaine cohérence et de permettre à Jean Arthuis de convaincre ceux qui ne le sont pas encore de l’intérêt de son triptyque. J’espère en tout cas qu’il aura gain de cause lors de l’adoption de la loi de finances à venir !

Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG. – Mme Gisèle Printz applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de François Marc

Monsieur le président, rassurez-vous, j’utiliserai mon temps de parole avec parcimonie, pour ne pas prolonger nos débats !

Madame la secrétaire d’État, je tiens à réagir aux propos que vous venez de tenir.

Tout d’abord, contrairement à ce que vous prétendez, la question du bouclier fiscal est loin d’être secondaire. Certes, du point de vue arithmétique, les 700 millions d’euros du bouclier fiscal peuvent paraître bien modestes comparés aux 149 milliards d’euros du déficit de l’État français. Mais, d’un point de vue symbolique, au regard de la justice fiscale, il s’agit incontestablement d’un problème considérable. En ce sens, la proposition de loi de nos collègues visant à supprimer le bouclier fiscal est parfaitement justifiée.

Ensuite, vous avez stigmatisé l’attitude des socialistes, qui ne participent pas aujourd’hui à la conférence sur le déficit. Plusieurs raisons justifiant une telle attitude, permettez-moi de vous en rappeler les deux principales.

La première est toute simple : comme je l’ai expliqué dans mon intervention tout à l’heure, une bonne part des déficits publics est due à la mise en œuvre des décisions prises depuis 2002 en matière de politique fiscale.

Debut de section - PermalienPhoto de François Marc

Je le répète, le déficit structurel de notre pays s’explique, pour l’essentiel, par une moins-value de recettes fiscales qui atteint 50 milliards d’euros.

Debut de section - PermalienPhoto de François Marc

C’est votre gouvernement et ceux qui l’ont précédé depuis 2002 qui ont créé le déficit !

Debut de section - PermalienPhoto de François Marc

Alors, ne venez pas ensuite demander aux autres groupes politiques de jouer les pompiers dans le cadre d’une conférence sur le déficit ! En la matière, les responsabilités sont clairement établies, et nous n’avons pas l’intention de les partager avec vous.

La seconde raison est de même nature : la conférence sur le déficit vise à mettre dans le même panier l’État et les collectivités locales.

Depuis de nombreux mois, on culpabilise les élus locaux, en prétendant qu’ils sont dépensiers et, donc, coresponsables des déficits. Or, cela a été démontré, c’est la baisse tendancielle des dotations de l’État, du fait de la non-compensation des transferts de compétences, qui explique en partie la dégradation de la situation financière des collectivités.

Là aussi, les responsabilités sont connues. Elles légitiment pleinement le comportement de ceux de nos collègues qui ont refusé de s’associer aujourd’hui à la réflexion.

Pour ce qui concerne la proposition de loi, j’ai compris, madame le secrétaire d’État, que vous n’étiez pas très favorable à la « tétralogie », préférant remettre le débat à plus tard, au motif, avez-vous dit, que sa mise en œuvre poserait de multiples problèmes. En fait, conditionner le vote sur le bouclier fiscal à l’adoption d’un hypothétique dispositif qui traiterait de quatre problèmes, voire de cinq, à la fois, c’est se voiler la face, car, vous l’avez vous-même confirmé, jamais le Gouvernement n’acceptera une telle solution !

Dans ces conditions, nos collègues auraient bien tort de s’abriter derrière ce que je qualifierai de digue idéologique et devraient plutôt se rallier au dispositif proposé.

Par ailleurs, l’argument constitutionnel qui a été évoqué me paraît quelque peu fallacieux. La vague du mécontentement est en train de monter, et, là encore, vous essayez de vous abriter derrière des digues bien fragiles. À cet égard, certains de nos collègues ont cité l’exemple de l’Allemagne, que M. Sarkozy a toujours invoqué pour défendre le bouclier fiscal.

Or j’ai le regret de leur dire qu’un tel argument ne tient pas, et ce depuis un spectaculaire revirement de jurisprudence opéré par la Cour constitutionnelle de Karlsruhe. Saisis par un ménage qui avait acquitté un impôt direct équivalent à 60 % de son revenu, les juges allemands l’ont débouté, au motif que « le droit à la propriété garanti par l’article 14 de la loi fondamentale ne saurait justifier de limiter à 50 % de manière générale, obligatoire et absolue l’imposition directe des revenus d’un contribuable. »

Ainsi, selon les juges allemands, le fait de consacrer l’équivalent de 60 % de ses revenus au paiement de ses impôts est donc tout à fait acceptable d’un point de vue constitutionnel. La prétendue non-constitutionnalité de cette proposition de loi n’est donc qu’un leurre.

Mes chers collègues, n’attendons pas je ne sais combien d’années que les hypothétiques révolutions annoncées voient le jour et votons dès à présent la suppression du bouclier fiscal !

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC -SPG.

Debut de section - PermalienPhoto de Albéric de Montgolfier

Après avoir entendu les différents arguments qui ont été avancés, la commission maintient bien évidemment sa position.

À propos de la conférence sur le déficit, je répondrai qu’il n’est pas question ce matin de stigmatiser l’attitude de tel ou tel, mais que la question des déficits et de la stabilité des finances publiques concerne l’ensemble des acteurs de notre pays.

Personne ne peut donc s’exonérer d’un débat sur le sujet, surtout pas les collectivités locales, qui réalisent 73 % de l’investissement public. Dans certaines d’entre elles, on a constaté une augmentation très importante de la fiscalité locale. Or je crois savoir qu’une stabilité des concours versés aux collectivités sera annoncée au cours de cette conférence. Je regrette donc qu’un certain nombre d’acteurs n’y participent pas.

Au demeurant, nous aurons tout loisir de revenir sur l’architecture générale de notre fiscalité au moment de l’examen de la loi de finances. Nous pouvons faire confiance au président de la commission des finances pour nous soumettre des propositions dans ce cadre.

Debut de section - PermalienPhoto de Albéric de Montgolfier

Je le répète, dans une économie ouverte comme la nôtre, on ne peut pas traiter de manière isolée la question du bouclier fiscal. C’est l'ensemble du système fiscal qui doit être étudié.

Ainsi se pose également la question de l’ISF, de l’imposition du patrimoine, que la plupart des pays d’Europe ont supprimée. De ce point de vue, la situation de la France est tout à fait atypique.

Par conséquent, tous les sujets sont liés, car il y va de l’équilibre général des finances publiques. Voilà pourquoi la loi de finances apparaît comme le cadre le plus approprié pour en discuter.

Debut de section - Permalien
Anne-Marie Idrac, secrétaire d’État

J’ai déjà exposé les raisons pour lesquelles le Gouvernement était défavorable à cet article.

Debut de section - PermalienPhoto de Roger Romani

La parole est à Mme Marie-France Beaufils, pour explication de vote sur l’article 1er.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-France Beaufils

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le moment n’est-il justement pas venu de faire preuve de courage politique ?

Les mesures de réduction des dépenses publiques, autrement dit la politique de rigueur, ont été présentées à l’Union européenne comme un gage de la bonne volonté de la France. Or toutes ces mesures vont d’abord toucher les populations les plus modestes.

Nous l’avons encore constaté ce matin, de moins en moins de parlementaires sont en mesure de trouver la moindre qualité à ce boulier fiscal. Tout, dans la discussion, dans l’examen des faits et des données, montre qu’il s’agit d’un dispositif profondément inefficace pour notre économie.

Je voudrais tout de même le rappeler, le bouclier entraîne chaque année, pour les comptes publics, une perte de 600 millions d’euros.

Avec une telle somme, nous aurions de quoi faire face à certaines nécessités impératives de l’action publique. Pour ne prendre que quelques exemples, je pourrais citer l’indemnisation des victimes de la tempête Xynthia, la prise en compte des difficultés des agriculteurs confrontés à la chute des cours du lait ou des fruits et légumes ou la participation à la coopération internationale pour Haïti.

En fait, 600 millions d’euros, c’est plus qu’il n’en faudrait pour maintenir la remise exceptionnelle de 150 euros – laquelle, selon certaines annonces, devrait être supprimée – sur le montant de l’impôt acquitté par les 3 millions de redevables modestes qui en ont bénéficié l’an dernier, après le sommet social de février 2009.

C’est aussi plus qu’il n’en faut pour conserver aux indemnités versées à la suite d’un accident du travail leur caractère non imposable, que ces indemnités soient versées pour incapacité temporaire ou permanente de travailler.

C’est sans doute assez pour garantir aux contribuables isolés le bénéfice de la demi-part qui a été mise en cause au travers de mesures n’ayant que peu de rapport avec la justice fiscale, mais bien plus avec la pingrerie et l’étroitesse morale.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-France Beaufils

Pour toutes ces raisons, il faut donc supprimer le bouclier fiscal, afin de donner le premier signal, ô combien nécessaire, de l’engagement dans la voie d’une réforme fiscale. Celle-ci se doit de poursuivre un impératif de justice, dont le dispositif de plafonnement des impôts actuellement en vigueur est totalement dépourvu.

Mes chers collègues, adoptons cet article 1er, pour engager, enfin, cette indispensable réforme !

Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG.

Debut de section - PermalienPhoto de Roger Romani

Je mets aux voix l’article 1er.

Je suis saisi de deux demandes de scrutin public émanant, l’une, du groupe CRC-SPG et, l’autre, du groupe UMP.

Je rappelle que la commission et le Gouvernement se sont prononcés contre cet article.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

Le scrutin a lieu.

Debut de section - PermalienPhoto de Roger Romani

Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.

Il est procédé au dépouillement du scrutin.

Debut de section - PermalienPhoto de Roger Romani

Voici le résultat du scrutin n° 202 :

Le Sénat n’a pas adopté.

La présente loi s'applique aux revenus de l'année 2009 et des années suivantes.

Debut de section - PermalienPhoto de Roger Romani

La parole est à Mme Marie-Christine Blandin, sur l'article.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Christine Blandin

Monsieur le président, madame la secrétaire d’Etat, mes chers collègues, je ferai tout d’abord une petite mise au point concernant les collectivités. En effet, celles-ci ne sont à l’origine que de 10 % de la dette publique, ce qui paraît bien léger par rapport aux dépenses engagées par le Gouvernement.

Si ce dernier avait tenu parole et compensé de façon juste et évolutive tous les transferts des missions de service public qui ont été réalisés, le pourcentage de la dette afférant aux collectivités aurait été diminué de moitié.

Les collectivités n’ont donc pas de leçon à recevoir dans ce domaine, d’autant qu’elles réalisent près de 80 % de l’investissement public civil.

J’en viens maintenant à la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui. Son article 2 dispose que la mesure prévue à l’article 1er aurait vocation à s’appliquer pour 2009, mais aussi les années suivantes. La nécessité d’une telle précision reflète l’autisme durable du Gouvernement en la matière !

Les sénateurs Verts se prononcent résolument en faveur de ce texte tendant à abroger le bouclier fiscal.

Le terme de « bouclier » a d’ailleurs été fort bien choisi ! Au temps des chevaliers juchés sur leurs montures, cet instrument de protection était l’apanage des nobles et des nantis ! Aux fantassins ne restaient souvent que les bâtons et autres piètres objets pour patauger dans la boue…

Ce symbole d’injustice et sa réalité comptable sont de véritables provocations pour ceux qui souffrent : les salariés à temps partiel, les chômeurs en fin de droits et, enfin, toutes les personnes en situation précaire.

À l’inverse, les bénéficiaires du bouclier fiscal sont les auteurs reconnus de tous les maux qui pèsent sur le reste de la population ! Je pense aux grands spéculateurs, aux majors issus de la concentration de la presse, aux grands patrons ayant mené leurs groupes dans des spirales inhumaines d’exploitation des ressources humaines et aux acteurs agissant contre la solidarité et la préservation de l’environnement, que nous n’avons vraiment pas à récompenser !

Les foules en colère des rues d’Athènes nous donnent à voir l’insupportable injustice et interpellent chacun d’entre nous. Aujourd’hui, pour la majorité, s’abstenir devient vraiment une erreur coupable.

Nous soutenons donc cette proposition de loi.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC -SPG.

Debut de section - PermalienPhoto de Albéric de Montgolfier

Les arguments qui viennent d’être développés n’ont pas modifié la position de la commission. Au demeurant, l’article 2 vise simplement à préciser la période d’application de la proposition de loi. Par ailleurs, nous aurons l’occasion de revenir sur la question de la fiscalité lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2011.

La commission est également opposée à cet article.

Debut de section - Permalien
Anne-Marie Idrac, secrétaire d'État

Le Gouvernement est lui aussi opposé à cet article.

Debut de section - PermalienPhoto de Roger Romani

Mes chers collègues, je vous rappelle que, si cet article n’était pas adopté, il n’y aurait plus lieu de voter sur l’ensemble de la proposition de loi, dans la mesure où les deux articles qui la composent auraient été rejetés.

Personne ne demande la parole ?...

Je mets aux voix l'article 2.

Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Nicole Borvo Cohen-Seat

Il faut qu’ils se mobilisent pour le bouclier fiscal. Leur absence est regrettable !

Debut de section - PermalienPhoto de Roger Romani

Je rappelle que la commission et le Gouvernement se sont prononcés contre cet article.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

Le scrutin a lieu.

Debut de section - PermalienPhoto de Roger Romani

Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.

Il est procédé au dépouillement du scrutin.

Debut de section - PermalienPhoto de Roger Romani

Voici le résultat du scrutin n° 203 :

Le Sénat n'a pas adopté.

Debut de section - PermalienPhoto de Nicole Borvo Cohen-Seat

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Voilà qui est étonnant !

Sourires

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

M. Guy Fischer. C’est probablement au centre que cela s’est joué !

Nouveaux sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Roger Romani

Les deux articles de la proposition de loi ayant été successivement repoussés, je constate qu’il n’y a pas lieu de voter sur l’ensemble.

La proposition de loi est rejetée.

Mes chers collègues, avant d’aborder la suite de l’ordre du jour, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

La séance, suspendue à onze heures dix, est reprise à onze heures quinze.

Debut de section - PermalienPhoto de Roger Romani

L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi visant à assurer la sauvegarde du service public de la télévision, présentée par M. Jack Ralite et les membres du groupe communiste républicain citoyen et des sénateurs du parti de gauche (proposition n°384, rapport n°431).

Dans la discussion générale, la parole est à M. Jack Ralite, auteur de la proposition de loi.

Debut de section - PermalienPhoto de Jack Ralite

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je commencerai mon intervention en rappelant les propos que j’ai tenus ici même le 10 mai dernier. Je le fais notamment parce que, ce jour-là, nous étions peu, très peu même. Or j’aime l’information et la pensée débattues, « disputées ». Je vous sais en attente d’un diagnostic. Le mien, partagé par nombre de parlementaires de tous bords, était le suivant :

Premièrement, le 4 avril 2007, lors de la rencontre « Mon engagement pour la culture » organisée par Nicolas Sarkozy, alors candidat à la présidence de la République, celui-ci déclarait : « Il faut être ambitieux pour notre télévision, et notamment pour les chaînes publiques. C’est un fait, l’audiovisuel public est actuellement sous-financé. »

Deuxièmement, le 21 mai 2008, j’affirmais, devant la commission Copé, à laquelle je participais avec mon collègue Ivan Renar, mais que nous avons quittée : « Au plan financier, la télévision publique n’est pas assurée de son avenir. C’est comme si les parents d’un enfant avaient décidé de ne plus le reconnaître. Aucune entreprise privée n’accepterait la situation faite à France Télévisions. »

Troisièmement, le 3 mars 2009, le Conseil constitutionnel a validé la loi relative à la communication audiovisuelle et au nouveau service public de la télévision, sous la réserve expresse, mentionnée au considérant 19, que la suppression de la publicité sur France Télévisions soit compensée chaque année, sous peine d’affecter son indépendance.

Quatrièmement, le 14 octobre 2009, la Cour des comptes a estimé que « la situation financière actuelle et prévisionnelle du groupe est donc très fragile ».

Cinquièmement, le 7 avril 2010, la nouvelle commission des affaires culturelles et de l’éducation de l’Assemblée nationale a organisé une table ronde très suivie, et à laquelle j’ai d’ailleurs assisté ; les propos qui y ont été tenus rejoignent, dans leur majorité, mes conclusions.

Sixièmement, le 10 mai 2010, lors du débat sur l’application de la loi relative à la communication audiovisuelle et au nouveau service public de télévision, notre collègue Hervé Maurey, qui appartient au groupe Union centriste et qui a voté cette loi en 2009, déclarait : « En ce qui concerne la question des financements, qui nous inquiétait voilà un an, la situation est, me semble-t-il, beaucoup moins satisfaisante. »

Ce même jour, notre collègue socialiste David Assouline, qui n’avait pas voté la loi, intervenait fermement sur la situation financière de l’audiovisuel public, incontestablement et gravement fragilisée...

Tout cela explique certainement que les engagements gouvernementaux de créer un comité de suivi de la loi et un groupe de travail sur la modernisation de la redevance n’aient pas été honorés.

Le diagnostic est clair, le financement de la télévision publique ne peut rester en l’état et appelle des décisions immédiates. Car mon propos s’appuie non pas sur des impressions, mais sur des réalités.

Tout d’abord, Bouygues-TF1, malgré un vrai redressement, continue de contester la taxe sur la publicité et a saisi les instances européennes.

Ensuite, l’Europe a tout contesté : la taxe de 0, 9 % sur les opérateurs de communications électroniques, qui représente 400 millions d’euros ; la nature de la dotation budgétaire de 450 millions d’euros attribuéepar l’État à France Télévisions en 2009 ; le régime de TVA appliqué à Internet, une taxe qu’elle souhaite voir passer de 5, 5 % à 19, 5 %, notamment dans le cas des abonnements triple play, ce qui priverait la création audiovisuelle française de 60 millions à 100 millions d’euros ; enfin, l’aide envisagée par l’État pour le développement du global media, sous prétexte qu’il s’agit d’un marché concurrentiel dont les ressources doivent être de caractère privé.

Bref, l’ensemble – j’y insiste – des modalités de compensation de la publicité est contesté. L’État lui-même a réduit de 35 millions d’euros les 450 millions d’euros que nous avions votés, sanctionnant ainsi, au lieu de les récompenser, les performances réalisées par France Télévisions.

Or c’est sur ce terrain financier, entièrement fragilisé – 800 millions d’euros à 1 milliard d’euros sont en question ! –, qu’interviendra le plan dit de « non-rigueur » de MM. Sarkozy et Fillon. Sera-t-il appliqué à France Télévisions en 2011, et comment ? Un exemple : le Sénat a décidé, et il a été suivi, d’une indexation de la redevance. Que va-t-il se passer ?

On nous dit qu’une mission animée par Catherine Morin-Desailly rendra un rapport pourvu de toutes les couleurs, le mien étant pâlot, insuffisant !

Sourires

Debut de section - PermalienPhoto de Jack Ralite

En effet, comment s’expliquer qu’il faille faire un travail de chercheur, pour envisager, au centime d’euro près, de ne pas supprimer la publicité diurne, alors que, à peine intervenu le vote de la loi, il a suffi au lobby Bouygues-TF1 de quelques interventions autoritairement pleureuses pour que la taxe d’émanation gouvernementale ratifiée par le Parlement passe de 3 % à 1, 5 %, puis à 0, 5 % ? Et tout cela alors même que TF1 gagnait, en vertu de la loi, une deuxième coupure publicitaire, le passage de l’heure glissante à l’heure d’horloge, une durée de neuf minutes par heure contre sept auparavant, ainsi que la possibilité de racheter deux chaînes de la TNT à des prix défiant toute concurrence !

Debut de section - PermalienPhoto de Jack Ralite

Comme le disait La Bruyère, au chapitre VI des Caractères, intitulé Des Biens de fortune, « s’il est vrai que les riches soient colères, c’est de ce que la moindre chose puisse leur manquer, ou que quelqu’un veuille leur résister. »

Il y a aussi des personnes qui ne veulent pas revenir sur la suppression totale de la publicité. Étant donné son omniprésence antérieure, qui aboutissait à une insatiable mercantilisation des programmes, on peut s’expliquer ce parti pris. C’est un vieux débat.

À l’article 6 d’une proposition de loi relative à l’audiovisuel enregistrée à la présidence du Sénat le 22 avril 1999, portant ma signature, et élaborée pendant six mois par une trentaine de personnes faisant et aimant la télévision, on peut lire : « les missions spécifiques du service public constituent le fondement d’un financement mixte dont bénéficie le service public de l’audiovisuel.

« Le financement public et pluriannuel du service public de l’audiovisuel est assis sur la redevance et des aides publiques décidées en fonction de contrats d’objectifs conclus entre l’État et le service public de l’audiovisuel. » […]

« Le financement privé du service public de l’audiovisuel repose sur les ressources publicitaires et la création de nouveaux services.

« Afin de garantir l’indépendance et le respect des missions du service public de l’audiovisuel, l’organisme collecteur de ressources publicitaires est séparé des services de programmation […].

« Les clauses contractuelles des contrats de publicité ne peuvent être fondées sur l’audience des émissions mais seulement sur des critères prenant en compte l’heure de diffusion.

« Pour l’ensemble des sociétés de programmes du service public de l’audiovisuel, le temps consacré à la diffusion de messages publicitaires ne peut être supérieur à 5 minutes par période de 60 minutes. La perte de recettes est intégralement compensée par l’État. »

Ainsi, pour les auteurs de cette proposition de loi, qui n’a d’ailleurs eu droit qu’à un examen de trois minutes au Sénat, la publicité participe à un financement croisé qui, plafonné et régulé strictement, devient même partie prenante de la garantie de liberté et d’indépendance dont doit bénéficier l’audiovisuel public.

Mais il faut aller plus loin pour analyser le blocage fondamental que nous connaissons aujourd’hui sur le maintien de la publicité diurne, c’est-à-dire sur les finances de la télévision publique. Pour ce faire, il suffit de rapprocher deux déclarations.

Dans son rapport du 14 octobre 2009, la Cour des comptes, ne se contentant pas d’évoquer la situation financière difficile de la télévision publique, précisait : « Les questions liées au périmètre du groupe, au nombre des chaînes publiques et aux genres qui y sont représentés ne sauraient être exclues de l’évaluation de la réforme […]. »

Dans son livre intitulé Libre, publié en 2001, Nicolas Sarkozy écrivait : « La question du périmètre du service public est, elle, bien réelle. Je suis convaincu que nous ne pourrons maintenir tout à la fois : France 2, France 3, Arte et la Cinquième. Pas moins de quatre chaînes nationales de service public, qui pêchent souvent par un grave déficit de complémentarité et d’identification. Cette abondance quantitative met en jeu la pérennité du service public, car elle se construit au détriment de la qualité, parce que ces chaînes se concurrencent entre elles sur le terrain de l’audience et parce qu’elles s’épuisent à se partager un budget qui n’est forcément pas extensible à l’infini. C’est dans ce contexte que doit être évoquée la question de la privatisation de France 2. »

Sur cette problématique, on peut utilement lire le Livre blanc de TF1, paru à la fin de l’année 2007, le rapport de Danièle Giazzi intitulé Les médias et le numérique, remis, en septembre 2008, au Président de la République, et le livre d’Alain Minc intitulé Le média-choc, publié en 1992, qui traite de la régulation audiovisuelle, qualifiée de « remède de cheval, version droite ».

À la lecture de ces déclarations néolibérales, on peut légitimement se poser la question suivante : la raide résistance constatée ici et là au maintien de la publicité diurne, donc le déficit programmé, assuré, organisé de la télévision publique, ne cache-t-elle pas une volonté de privatisation d’une partie du secteur, sous une forme qui reste à débattre, mais qui pourrait passer par la « coopération entre le privé et le public », pour reprendre une expression aujourd'hui à la mode, pendant que se développe une politique de soutien au déploiement de grands groupes audiovisuels privés français, promus « groupes champions » ?

C’est Jean-Marie Messier, échouant dans une quasi-faillite, qui a montré la voie. À cet égard, je rappelle d’ailleurs à la Haute Assemblée l’opposition de la majorité à toute enquête sur les raisons de la chute de J6M, entraînant, chez Vivendi, la cascade de difficultés que l’on a connue.

Mais, surtout, se précisait alors la définition, aujourd’hui affinée, de la « politique historique », comme la nomme Nicolas Sarkozy, des « champions nationaux », lancée sous le gouvernement Balladur de 1993, à travers la loi Carignon de 1994, que Nicolas Sarkozy, chargé d’exercer les fonctions de ministre de la communication, mit en œuvre durant une année.

L’universitaire Pierre Musso, grand spécialiste de toutes ces questions, commente ainsi cette évolution : « Cela revient à distinguer d’un côté un secteur public géré comme une entreprise, mais connoté par l’emprise politico-étatique, et de l’autre un secteur privé considéré comme un champion partant à la conquête des marchés extérieurs. Le néolibéralisme sarkozien a pour nœud gordien cette nouvelle dialectique de l’État et du marché : un État géré comme une entreprise et des entreprises champions soutenues par l’État néolibéral sur un marché mondialisé. »

Le philosophe Pierre Legendre a bien raison d’affirmer que « la paix gestionnaire est une guerre », dans laquelle « le droit des affaires est une pointe avancée du management. »

Mais je ne résiste pas à illustrer ainsi le compagnonnage État-marché que l’État actuel – Élysée et Gouvernement – s’évertue à cacher, en faisant du marché un deus ex machina, au lieu d’avouer qu’il est quasiment membre du Gouvernement, lequel travaille pour lui, tout en décochant de temps à autre des flèches verbales à son endroit. Je trouve à la limite de l’impudeur la petite phrase gouvernementale rencontrée partout : « C’est pas moi, c’est pas nous, c’est le marché ! » Je trouve cela insultant pour les citoyens !

Je connais mon oncle, ma cousine, mon voisin, beaucoup d’entre vous, chers collègues sénateurs, j’ai même bien connu Georges Marchais, mais je n’ai jamais rencontré le marché, qui n’est pas, comme disait Karl Polanyi dans La Grande transformation, « un état de nature, mais une pure construction de la société ».

Et je fais mienne cette remarque de Myriam Revault d’Allonnes : « Ce qui caractérise le néolibéralisme, c’est que l’économie de marché n’est plus un principe de limitation de l’État, mais le principe de régulation interne de bout en bout de son existence et de son action, en sorte que l’État est sous surveillance du marché et non l’inverse. »

J6M disait adorer cette phrase de René Char : « Impose ta chance, serre ton bonheur et va vers ton risque. À te regarder, ils s’habitueront. » Non, nous ne nous habituerons jamais !

Debut de section - PermalienPhoto de Jack Ralite

C’est pourquoi nous demandons un vote ! Oui, un vote, et pas une esquive, ce que serait un renvoi en commission, sur le maintien de la publicité diurne et sur cinq autres objectifs garantissant au niveau nécessaire les financements du service public et son indépendance !

À cet égard, j’ai appris ce matin dans le Bulletin quotidien que nous recevons les uns et les autres que l’ancienne directrice de cabinet de M. Sarkozy vient d’être nommée PDG d’une société dont l’essentiel de l’activité concerne la production audiovisuelle. « Indépendance » n’est donc pas un mot coquin ; c’est un mot réel !

Étant donné la gravité de la situation, le maintien de la publicité en journée ne saurait, à lui seul, garantir un service public de l’audiovisuel digne de ce nom. Aussi est-il indispensable de solliciter d’autres leviers de financement.

Cela implique d’agir sur la contribution à l’audiovisuel public en rétablissant l’assujettissement des résidences secondaires à cette contribution ; tel est l’objet de l’article 5 de cette proposition de loi, et vous vous en souvenez, mes chers collègues, le Sénat s’était d’ailleurs prononcé en ce sens.

En outre, notre démarche de sauvegarde du service public de la télévision ne saurait faire l’impasse sur la participation des chaînes de télévision privées, dont le taux de taxation des revenus publicitaires serait porté à 5 %, aux termes de l’article 6 de la proposition de loi. Tout cela implique bien sûr la suspension immédiate de la privatisation de la régie publicitaire, suspension prévue à l’article 3, que le conseil d’administration de France Télévisions a majoritairement, parlementaires compris, et donc sénateur compris, déjà reportée, suivant en cela les décisions du Conseil constitutionnel.

Enfin, et c’est l’objet de l’article 4, l’indépendance décisionnelle, éditoriale et de programmation de la société France Télévisions implique qu’aucune instruction écrite ou orale ne puisse être adressée par le pouvoir exécutif à France Télévisions qui arbitre seul et librement de ses décisions en conseil d’administration, ce dernier désignant seul son président, et il faudra bien revenir un jour sur ce point.

C’est pourquoi nous demandons un vote : oui, un vote osant une télévision publique dont le sens profond est de se libérer des seules règles d’un jeu qui ne serait qu’économiquement profitable et socialement tolérable ; une télévision publique qui se nourrit de valeurs à l’heure exacte de la conscience, qui ne laisse aucun problème sur la touche, qui va au-devant des désirs et plaisirs, des savoirs et vouloirs des citoyens et des créateurs. Cette télévision veut que la pensée et l’imaginaire ne restent pas à quai, qu’ils gagnent la haute mer, là où le vent est favorable à l’aventure humaine, dont la télévision est partie prenante dès qu’elle n’a pas l’imprudence – ou l’impudence – de mépriser les rêves, qu’elle choisit autre chose que la morale du présent asservissante de l’énergie d’avenir, qu’elle refuse d’ignorer que « la pensée, avant d’être œuvre est trajet », et que « l’universel, c’est le local sans les murs ».

Nous voulons contribuer à donner un départ nouveau à la télévision, à l’image de ce que disait Arthur Rimbaud : « J’ai tendu des cordes de clocher à clocher ; des guirlandes de fenêtre à fenêtre ; des chaînes d’or d’étoile à étoile, et je danse. »

Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Roger Romani

Je vous donne de nouveau la parole, mon cher collègue, en votre qualité de rapporteur.

Debut de section - PermalienPhoto de Jack Ralite

Monsieur le président, je vais donc m’exprimer maintenant en tant que rapporteur de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication sur la proposition de loi du CRC-SPG, visant à assurer la sauvegarde du service public de la télévision.

Je dois tout d’abord dire que la majorité de la commission n’a pas adopté cette proposition de loi pour deux raisons principales.

En premier lieu, la commission déclare attendre le rapport de contrôle budgétaire de la télévision qu’elle élabore actuellement de concert avec la commission des finances.

Permettez-moi d’observer au passage que la commission des finances intervient de plus en plus souvent dans la vie des autres commissions. Nous avons pu le constater lors de la discussion de l’amendement visant à instaurer ce que l’on a appelé la « taxe Google », retiré en séance par son auteur ? le rapporteur général du budget ; nous avons également pu le constater avec le rapport rédigé par le Sénat, à la suite duquel on a pu lire dans la presse : le Sénat aime Google. Je puis vous assurer que nombre d’élus dans cet hémicycle, en tout cas à ma gauche, ne sont pas d’accord avec Google.

En second lieu, certains membres de la commission sont attachés à la suppression totale de la publicité sur tous les écrans de la télévision publique.

Telle est ma première observation, qui relève du simple constat. J’en ferai d’autres, graves, sur la procédure d’examen des propositions de loi en général, et de cette proposition de loi en particulier, car c’est en effet sur cette procédure que s’est appuyée la majorité de la commission des affaires culturelles pour exprimer son désaccord.

Il est normal qu’une proposition de loi soit rapportée par un parlementaire de même sensibilité que ses auteurs. Pourtant, l’expérience que je viens de vivre a fait chanceler cette évidence, tant l’organisation qu’implique la procédure d’examen des propositions de loi issue de la réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008 est alambiquée ou, si je me place sur un autre registre, a une nuance comique.

Je me souviens, vous aussi sans doute, que Roger Karoutchi, alors ministre des relations avec le Parlement, nous vantait le « bouger » constitutionnel : « C’est une révolution ! », répétait-il, en refroidissant le mot.

J’ai consulté le parcours législatif offert aux propositions de loi, que l’on trouve dans les pages des guides pratiques d’application de la révision constitutionnelle du Sénat. Sous l’intitulé « Les nouvelles compétences de la conférence des présidents », on peut lire : « Les groupes de l’opposition et les groupes minoritaires peuvent demander – c’est un droit de tirage – l’inscription d’un texte dans le cadre du jour de séance qui leur est réservé, une fois par mois et selon les modalités fixées par la conférence des présidents. »

Ainsi que l’ont rappelé les présidents de séance du 26 mars et du 30 avril 2009, « conformément à un accord conclu entre les présidents de groupe et de commission – acté par la conférence des présidents –, les propositions de loi ou de résolution inscrites à l’ordre du jour réservé sont discutées sur la base du texte initial, sauf souhait contraire du groupe politique intéressé ».

« Par ailleurs, même en cas de désaccord de la commission sur l’ensemble de la proposition de loi ou de résolution, celle-ci doit être examinée par le Sénat en séance publique, article par article, sans qu’une question préalable ou une exception d’irrecevabilité puisse être déposée. »

C’est ce droit de tirage que le groupe CRC-SPG applique scrupuleusement. Or, la commission a décidé, tout en marquant une certaine sympathie pour une partie de mon propos, qu’il y avait lieu à un renvoi du texte à la commission. Autrement dit, il y aura un court débat, mais il n’y aura pas de vote, c’est-à-dire pas d’acte, alors que tout y appelle urgemment, comme je l’ai démontré dans ma présentation de la proposition de loi.

Face à cette situation, pour moi imprévisible, j’ai interrogé certains collègues, au premier rang desquels Thierry Foucaud, qui vient de présenter une proposition de loi tendant à abroger le bouclier fiscal. Lui a eu droit à un débat et, surtout, à un vote, grâce, selon l’expression de M. Arthuis, à « la courtoisie sénatoriale ».

Sourires sur les travées du groupe CRC-SPG.

Debut de section - PermalienPhoto de Jack Ralite

Tiens, tiens, ma proposition de loi est privée de porte de sortie tandis que celle de Thierry Foucaud en bénéficie !

Nouveaux sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Jack Ralite

Et puis, je me suis entretenu avec Isabelle Pasquet, qui était intervenue sur la proposition de loi relative à la création des maisons d’assistants maternels, discutée le 14 janvier 2010, dans le cadre de l’ordre du jour réservé au groupe de l’Union centriste. Elle m’a indiqué qu’elle avait envisagé de présenter une motion tendant au renvoi du texte à la commission, mais qu’elle y avait renoncé parce que, lui avait-on fait comprendre, « ce n’était pas l’usage » et « ce n’était pas conforme aux accords passés collectivement entre présidents de groupe et de commission, actés par la conférence des présidents ». Cela revenait, sans le dire, à rejeter le renvoi à la commission.

Je me suis trouvé alors comme « un skieur au fond du puits » ! Qu’avait donc ma proposition de loi pour ne mériter ni la courtoisie sénatoriale ni le bénéfice du consensus d’usage ?

Sourires et applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Jack Ralite

En fait, dans la déclaration de la conférence des présidents relative aux propositions de loi, il y a un non-dit consensuel dont le résultat peut être – l’expérience est là – la dilution de l’opposition, l’effacement de ses effets d’intervention, sans que soit exercée la moindre contrainte. Le texte de l’alinéa a été tellement comprimé qu’il peut n’en ressortir qu’un sage alignement.

Eh bien, je ne me suis pas aligné ! J’ai refusé de présenter la motion tendant au renvoi à la commission de la proposition de loi, c’est-à-dire que je n’ai pas accepté de dire une chose et son contraire. Ajouterai-je que l’on peut lire, dans le compte rendu intégral de la séance du 26 mars 2009, à propos de la première application de la journée mensuelle réservée aux groupes de l’opposition et aux groupes minoritaires, que « les présidents de groupe et de commission se sont accordés au sein de la conférence des présidents pour ne pas adopter de “conclusions négatives” qui couperaient court à la discussion des articles ».

Je remercie donc le président Legendre de s’être substitué à moi pour défendre la motion tendant au renvoi à la commission. C’était une question d’honnêteté de sa part et de la mienne. Je le dis comme je le pense, et avec force : il faut ajouter au texte de la conférence des présidents que les propositions de loi ne peuvent pas faire l’objet d’un renvoi à la commission.

C’est précisément le sens du courrier que Nicole Borvo Cohen-Seat, présidente de notre groupe, a adressé au président Larcher. Ce dernier lui a répondu, le 18 mai, par une lettre dont je ne citerai qu’une phrase : « La question de principe mise en évidence par votre courrier, est, à mes yeux, du plus grand intérêt. C’est pourquoi il me paraîtrait utile, si cela recueillait votre assentiment » – je suis sûr qu’il est acquis – « que cette question puisse être soumise à notre groupe de travail sur la réforme de notre règlement. »

Plus généralement, de quoi a-t-on eu peur lorsque le vote a été mis de côté en commission ? Je ne parviens pas à partager ce refus de vote qui, dans les faits, revient à dire que la question ne sera pas posée aujourd’hui. Je considère qu’il s’agit d’une restauration du fait majoritaire dans une démarche censée définir les droits de l’opposition parlementaire. J’ai dit « censée » et non « censure » !

Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.

Debut de section - Permalien
Frédéric Mitterrand, ministre de la culture et de la communication

Monsieur le président, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, la réforme de l’audiovisuel public, lancée par le Président de la République, est à mes yeux essentielle et son enjeu va bien au-delà de la seule « sauvegarde » de notre audiovisuel public, car la loi du 5 mars 2009 permet non seulement sa pérennisation, mais également son renouveau, et même sa refondation.

Sur l’initiative de la Haute Assemblée, nous avons, voilà dix jours, esquissé ici même un premier bilan de la mise en œuvre de cette loi, et je voudrais, pour commencer, vous restituer les principales conclusions que j’en tire.

Je note, tout d’abord, que la suppression de la publicité en soirée a libéré le service public de la contrainte de l’audience commerciale. Cette suppression était nécessaire à l’approfondissement du virage éditorial – qui était en gésine, comme l’avait rappelé M. Assouline – engagé par les dirigeants de France Télévisions, que je tiens à saluer de nouveau.

La télévision publique renoue ainsi avec une exigence culturelle qui correspond à sa vocation première. Et nous ne pouvons tous que nous féliciter, par exemple, qu’aient été présentées en mars dernier, en première partie de soirée sur France 2, Les Fausses Confidences de Marivaux, dans l’excellente mise en scène du théâtre de la Commune d’Aubervilliers, réunissant près de deux millions de téléspectateurs ! Car, si les perspectives de recettes publicitaires pesaient encore sur leurs choix de programmation, les dirigeants de France Télévisions auraient-ils véritablement la liberté de renouveler ce type d’expérience, sachant que deux millions de téléspectateurs représentent seulement – si j’ose dire ! – 9, 6 % de parts d’audience, contre les 15, 8 % que France 2 a atteints en moyenne ce mois-là ? Ainsi, la notion perverse et la tyrannie de l’audimat ne représentent plus la même contrainte qu’autrefois. J’ajoute que des résultats d’audience similaires ont été obtenus lors de la diffusion de la pièce Colombe, de Jean Anouilh, voilà quelques jours.

Certains considèrent, tout en reconnaissant l’avancée pour la liberté éditoriale que constitue la suppression de la publicité en soirée, que nous pourrions, et même que nous devrions, en rester là. Je pense, au contraire, que l’idée de libérer totalement la télévision publique de la contrainte de l’audience commerciale est toujours la bonne, notamment sur le créneau stratégique du début de soirée, entre 18 et 20 heures.

Par ailleurs, je le rappelle, la suppression de la publicité est largement reconnue par les téléspectateurs. En ce sens, il me semble que France Télévisions a très bien réussi à marquer sa différence par rapport à la télévision privée, et qu’il y a là un encouragement à continuer résolument dans cette direction.

Je tiens également à revenir sur un sujet que je sais un peu sensible, mais qui, à mes yeux, n’a rien de tabou : celui des éditeurs privés de télévision, notamment des nouvelles chaînes de la TNT. Leur développement est essentiel, à la fois parce qu’il contribuera au pluralisme de l’offre et parce qu’il apportera à la création française des ressources financières supplémentaires.

En effet, comme vous le savez, les chaînes de télévision financent massivement notre création dans le cadre d’obligations fixées par la réglementation, sur la base de leur chiffre d’affaires, et il faut à l’évidence maintenir ce dispositif vertueux. Pour cela, il est hautement souhaitable que le financement de l’audiovisuel soit clarifié, c’est-à-dire que la télévision publique soit financée par des fonds publics, et la télévision privée par la publicité.

Voilà les raisons pour lesquelles le Gouvernement estime que la réforme doit être menée jusqu’à son terme et que la publicité commerciale doit disparaître des services nationaux de France Télévisions, y compris en journée.

Cela étant posé, je tiens à répondre point par point aux éléments qui vous inquiètent, monsieur le sénateur, et qui vous ont conduit à déposer cette proposition de loi.

Concernant l’indépendance de France Télévisions, tout d’abord, et plus particulièrement la procédure de nomination de son président, la loi du 5 mars 2009 et la loi organique adoptée le même jour ont modifié la procédure de nomination de ce dernier et, plus largement, celle des présidents des sociétés nationales de programmes. Par ces nominations, il s’agit pour l’État actionnaire d’assumer ses responsabilités, et c’est précisément ce qu’a souhaité le Président de la République.

Cette nouvelle procédure de nomination offre de nombreuses garanties. En particulier, la nomination par décret du Président de la République ne peut intervenir qu’après avis conforme du Conseil supérieur de l’audiovisuel et après avis des commissions parlementaires chargées des affaires culturelles dans chacune des deux assemblées.

Elle a été une première fois mise en œuvre avec la nomination de M. Jean-Luc HEES à la présidence de Radio France par un décret en conseil des ministres du 7 mai 2009. Vous y avez d’ailleurs été étroitement associés comme le prévoit la loi. Cette nouvelle procédure a fait ses preuves, puisqu’elle a abouti à la nomination d’un professionnel aux compétences incontestées et force est de constater que l’indépendance des sociétés nationales de programmes concernées n’est aucunement entamée, comme l’a d’ailleurs confirmé le Conseil constitutionnel.

La même sérénité et le même sérieux entoureront le choix de la personne appelée à assurer la prochaine présidence de France Télévisions. Aussi, lorsque j’entends ou lis ça et là que les jeux seraient faits et que le successeur de M. de Carolis serait connu, je suis étonné. C’est faire peu de cas du Parlement et du Conseil supérieur de l’audiovisuel !

Je souhaite, à ce sujet, souligner deux points tout à fait clairs. En premier lieu, je tiens à vous assurer de mon total accord avec le Président de la République quant à la prochaine présidence de France Télévisions. Notre ambition est la même et nous sommes déterminés à ce qu’un professionnel accompli conduise France Télévisions vers la télévision du XXlème siècle, portant haut les valeurs fondamentales et l’excellence du service public. En second lieu, vous, parlementaires, serez étroitement associés à cette future nomination qui constitue un choix fondamental pour l’avenir de notre audiovisuel public.

J’en viens maintenant à la garantie du financement de France Télévisions, qui suscite également vos inquiétudes.

Vous avez raison d’estimer que l’indépendance de France Télévisions est liée aux garanties et à la visibilité dont disposeront les dirigeants sur le financement.

Ces garanties et cette visibilité sont justement assurées par la loi, puisque, parallèlement à la suppression de la publicité, le mode de financement de France Télévisions a évolué : pour compenser la perte des recettes publicitaires, le législateur a en effet prévu que la dotation issue de la contribution à l’audiovisuel public, c’est-à-dire l’ex-redevance, soit désormais complétée par une dotation issue du budget général de l’Etat.

Cette évolution me semble rationnelle, raisonnable et, pour tout dire vertueuse, d’une part, parce que le remplacement d’une recette publicitaire incertaine par une recette publique assurée constitue un facteur indiscutable de sérénité financière et éditoriale pour France Télévisions, et, d’autre part, parce que le financement de la réforme est bel et bien prévu : le montant de la ressource publique à prévoir pour les années 2009 à 2012 figure noir sur blanc dans le plan d’affaires de l’avenant au contrat d’objectifs et de moyens conclu entre la société publique et l’État. II tient compte de l’ensemble des paramètres, parmi lesquels la suppression de la publicité en soirée en 2009 ainsi qu’en journée à partir de la fin de l’année 2011.

J’en profite pour rappeler que la loi prévoit la suppression totale de la publicité sur France Télévisions au moment où la France aura entièrement basculé dans la télévision numérique, c’est-à-dire, justement, fin 2011. Cette date n’a pas été choisie au hasard : l’extinction totale de la diffusion analogique permettra de réaliser des économies importantes sur les coûts de diffusion, qui limiteront d’autant le besoin de financement complémentaire apporté par l’État.

Quant à la révision de la dotation budgétaire de France Télévisions en 2009, permettez-moi de vous apporter quelques précisions. France Télévisions, la Commission pour la télévision publique et le Gouvernement ont évalué en 2008 à 450 millions d’euros la dotation budgétaire destinée à compléter le financement de France Télévisions. Le plan d’affaires pour 2009-2012, finalisé en mai 2009, a repris ce montant au regard des estimations de recettes publicitaires.

Or il est apparu, au cours de l’année 2009, que les recettes réellement encaissées dépassaient largement les prévisions. La révision de la dotation budgétaire de France Télévisions est donc tout ce qu’il y a de plus logique et relève d’une gestion saine et responsable des deniers publics, qui sait tenir compte des autres besoins de l’audiovisuel. Cette réduction s’est faite dans le respect de l’indispensable retour à l’équilibre de France Télévisions : la société a ainsi terminé l’année 2009 avec un résultat positif, alors que ce retour à l’équilibre opérationnel n’était initialement prévu que pour 2011.

Le troisième sujet d’inquiétude que vous avez exprimé n’est pas davantage fondé, me semble-t-il. Il concerne le dynamisme de la contribution à l’audiovisuel public.

Bien que la dotation budgétaire complète désormais le financement de France Télévisions, la majeure partie de ce financement continue à provenir du produit de la contribution à l’audiovisuel public. C’est pourquoi je partage pleinement l’attention que vous lui portez et je me félicite d’ailleurs du travail de la mission lancée par le Sénat sur l’adéquation du financement de France Télévisions à ses moyens. Comme vous, je suis extrêmement attentif aux déterminants de l’ex-redevance audiovisuelle : assiette de la contribution à l’audiovisuel public, montant, champ des bénéficiaires, etc. Là encore, les faits sont tout à fait clairs : la contribution à l’audiovisuel public a été rehaussée de deux euros en janvier 2010 et elle est indexée sur l’inflation depuis 2009.

Ces mesures lui assurent une solidité et un dynamisme qui garantissent à notre audiovisuel public un financement fort et pérenne : les recettes globales du compte de concours financiers, alimenté par la contribution à l’audiovisuel public, ont progressé de 3, 7 % entre 2008 et 2009 et devraient connaître une nouvelle progression de 4, 3 % en 2010 et de 3 % les trois années suivantes.

Un philosophe disait que le mouvement se prouve en marchant : je vous ai à la fois montré le mouvement, la progression des ressources de l’audiovisuel public, et vous en ai indiqué les raisons, claires et distinctes : tous ces éléments sont – je crois – de nature à vous rassurer quant au dynamisme, actuel et à venir, de ces ressources.

Vous vous souciez, enfin, des taxes créées par la loi du 5 mars 2009.

Je vous répondrai d’emblée qu’il n’y a pas de lien d’affectation entre le financement budgétaire de France Télévisions et lesdites taxes, puisque le financement de France Télévisions, sur lequel se concentre à juste titre notre attention aujourd’hui, n’est pas soumis à leur évolution.

J’en profiterai néanmoins pour souligner deux points importants concernant ces deux taxes.

La taxe sur la publicité télévisée a vu son taux réduit en 2009 en raison des difficultés économiques du secteur, mais elle demeure, en dépit de cette réduction conjoncturelle.

Quant à la taxe sur le chiffre d’affaires des opérateurs de communications électroniques, elle fait l’objet d’une discussion avec la Commission européenne, dont nous contestons les griefs notifiés à ce sujet. En tout état de cause, je le répète, il n’existe pas de lien entre cette taxe et le financement budgétaire de France Télévisions.

Tous ces éléments, je l’espère, sont de nature à vous rassurer quant à l’avenir serein de la télévision publique, auquel je suis, vous le savez, particulièrement attaché. La loi a été votée il y a un an. Nous ne sommes qu’à la moitié du chemin, et nous devons mener cette réforme jusqu’à son terme. Ses conséquences, notamment financières, sont parfaitement prises en compte. Ce dont France Télévisions a besoin aujourd’hui, tout comme l’ensemble du secteur audiovisuel, c’est de stabilité législative et réglementaire : c’est précisément ce que lui garantit la loi.

Alors, dans ce cadre, renoncer à l’ouverture du capital de la régie de France Télévisions serait tout à fait contre-productif et pénaliserait les salariés de la régie.

Ne rien faire pour France Télévisions Publicité, ce serait laisser dépérir un outil industriel performant et mettre dans une situation délicate des équipes solides et compétentes. Seul le développement de l’activité de la régie est à même de limiter les effets d’une douloureuse restructuration.

À cette fin, France Télévisions a fait le choix d’ouvrir le capital de la régie à un partenaire industriel. Le Gouvernement approuve logiquement ce choix responsable.

Outre l’avenir des salariés de France Télévisions Publicité, ce sont les moyens dont pourra disposer France Télévisions qui m’importent. Or, renoncer à l’ouverture du capital de la régie mettrait également en péril les perspectives de ressources commerciales qui subsisteront après la fin de l’année 2011 : la publicité régionale, le parrainage, la publicité sur Internet. Leur développement ne pourra s’appuyer que sur une régie forte et dynamique, c’est-à-dire ouverte à de nouveaux horizons industriels.

Je vous rappelle enfin que la décision d’ouvrir le capital de la régie ne relève aucunement d’une demande de l’État. Elle a été prise par la direction de France Télévisions elle-même et approuvée par son conseil d’administration, où siègent à la fois des représentants de l’État, des parlementaires, des personnalités indépendantes nommés par le CSA et des représentants du personnel, et dont le rôle est de veiller aux intérêts de l’entreprise. Il s’agit là d’un processus parfaitement transparent.

Murmures sur les travées du groupe socialiste.

Debut de section - Permalien
Frédéric Mitterrand, ministre

Pour conclure, je tiens à rappeler que le mouvement de suppression de la publicité en journée sur France Télévisions, dont nous débattons aujourd’hui, fait – comme il se doit – l’objet d’un processus d’évaluation, prévu par le législateur. Ainsi, avant que la suppression ne soit effective, le Gouvernement devra remettre au Parlement, au plus tard le 1er mai 2011, un rapport sur l’impact de la fin de la publicité en soirée, qui permettra d’en établir le bilan.

Pour l’ensemble de ces raisons et compte tenu du travail engagé par les sénateurs dans le cadre de la mission sur l’adéquation du financement de France Télévisions à ses moyens, le Gouvernement n’est pas favorable à l’adoption de cette proposition de loi.

Applaudissements sur les travées de l ’ UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Morin-Desailly

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme vous tous, j’ai écouté attentivement l’exposé de notre collègue Jack Ralite relatif à la proposition de loi visant à assurer la sauvegarde du service public de la télévision, qu’il a déposée le 6 avril dernier. Je crois que nous avons tous à cœur d’assurer la sauvegarde du service public de la télévision ; cet objectif commun avait d’ailleurs mobilisé nombre d’entre nous l’année dernière sur le projet de loi relatif à la communication audiovisuelle et au nouveau service public de la télévision.

Mais, plutôt que « sauvegarder », je préférerais utiliser les mots « pérenniser et développer ». Telle était, me semble-t-il, notre ambition. Sinon, je vous assure que je ne me serais pas autant battue, aux côtés de Michel Thiollière, pour faire admettre l’indexation et la revalorisation de la redevance. Une fois encore, je vous remercie de nous avoir soutenus dans ce combat, mes chers collègues.

La pérennité et le développement de France Télévisions reposent, bien entendu, sur des financements adéquats – je vous rejoins complètement sur ce point, monsieur Ralite –, mais aussi sur une gestion stratégique de ceux-ci, sur une différentiation accrue de l’offre du service public par rapport à ses concurrents, sur sa capacité à muter rapidement en média global. Dans un paysage audiovisuel qui s’est considérablement diversifié ces dernières années, notamment avec l’arrivée des chaînes de la TNT, face aux nouvelles pratiques générées par le boom de l’internet et les innovations technologiques, la télévision publique doit non seulement se moderniser, mais également se singulariser, en développant une offre éditoriale originale, de qualité et attractive qui lui permettra d’être l’un des grands vecteurs de la « culture pour chacun », comme vous aimez l’affirmer, monsieur le ministre. Là résident avant tout les conditions de sa survie, mon cher collègue, pour reprendre votre expression.

Mais il faut également avoir une vision globale des défis à relever, lesquels ne sont pas exclusivement financiers. C’est pourquoi nous avons adopté la loi du 5 mars 2009, dont certaines dispositions permettent à France Télévisions de réaliser cette adaptation, que le président Patrick de Carolis avait de lui-même sagement engagée.

C’est donc cet ensemble d’objectifs qu’il ne faut pas perdre de vue si l’on souhaite voir aboutir cette réforme qui, si elle est désormais bien engagée, reste encore au milieu du gué. Soucieux de la réussite de la réforme, le groupe centriste a jugé bon qu’un débat sur sa mise en œuvre soit organisé dans le cadre de la semaine réservée au contrôle parlementaire. Nous, centristes, sommes en effet très attachés au rôle du Parlement en matière de contrôle de l’action gouvernementale, rendu possible par la réforme de la Constitution d’août 2008.

Vous reconnaîtrez, monsieur Ralite, que, comme vous, nous jouons pleinement notre rôle, et que nous avons réaffirmé sans complaisance nos exigences quant aux mesures non appliquées et aux promesses non tenues. Je pense notamment au comité de suivi, composé de quatre députés et quatre sénateurs, ainsi qu’au groupe de travail sur la modernisation de la redevance. À ce propos, pourriez-vous nous apporter aujourd’hui la réponse que nous n’avons pu obtenir le 10 mai dernier, monsieur le ministre ?

Nous avons aussi exposé nos préoccupations devant l’incertitude qui pèse sur les taxes que vous avez largement évoquées, même si elles ne sont pas directement affectées. Je vous prends à témoin, monsieur le ministre : mon collègue Hervé Maurey a évoqué la taxe sur les fournisseurs d’accès à internet ; j’ai quant à moi souligné que l’effet d’aubaine escompté pour les chaînes privées n’avait pas été au rendez-vous ; j’ai tout comme vous, parce que nous sommes des élus responsables, exprimé mes inquiétudes sur les modalités de financement du groupe France Télévisions dans un contexte économique dégradé par la crise.

C’est pourquoi, en tant que rapporteur, j’ai aussi tenu à vous rappeler les précautions que nous avions prises, avec mon collègue Michel Thiollière, au nom de la commission, pour pouvoir ajuster le cas échéant le modèle économique de l’audiovisuel public après observation de la mise en œuvre de la réforme dans sa première phase. Je redis, comme nous l’avions affirmé à l’époque, que la clause de revoyure introduite à l’article 18 par notre collègue Christian Kert constitue un garde-fou.

Conformément à ce que nous écrivions, je me penche aujourd’hui avec mon collègue de la commission des finances Claude Belot sur « les effets culturels et financiers de la diminution de la publicité sur le service public ». Car, si le comité de suivi que nous avions fait inscrire à l’article 75 de la loi n’a, hélas, pas été mis en place, la commission de la culture – j’en profite pour remercier son président Jacques Legendre, qui a fait preuve d’une grande réactivité à cette occasion – a, dès le mois de novembre dernier, décidé de mettre en place une mission de contrôle sur l’adéquation des moyens de France Télévisions à ses missions. Je précise, monsieur Ralite, que cette demande émane exclusivement de la commission de la culture, laquelle ne se trouve aucunement sous la domination de la commission des finances.

Le travail que vous m’avez confié, mes chers collègues, est l’occasion d’un bilan d’étape précis de la réforme. Étant donné le contexte, il ne saurait être bâclé. Alors que vous avez maintes fois dénoncé l’urgence dans laquelle nous légiférons bien souvent, monsieur Ralite, je ne vois pas pourquoi il faudrait tout à coup, sans éléments tangibles d’appréciation, se précipiter pour modifier une loi votée voilà tout juste un an.

Si la situation de France Télévisions reste fragile, comme l’a souligné le rapport de la Cour des comptes, elle n’a pas non plus pris la tournure dramatique que vous lui prédisiez et que vous estimez voir se réaliser aujourd’hui, monsieur Ralite, laquelle pourrait éventuellement justifier votre proposition de rétablir la publicité après vingt heures. Rappelons qu’en 2009 le financement de France Télévisions a été suffisant pour que le groupe soit à l’équilibre et que, pour 2010, la contribution à l’audiovisuel public et la dotation de l’État ont assuré l’augmentation des ressources prévues par le contrat d’objectifs et de moyens. Je veux aussi souligner que le virage éditorial dont chacun se félicite aujourd’hui a été favorisé par la suppression de la publicité après 20 heures.

Pour autant, nous devons rester prudents, ne pas faire d’autosatisfaction et étudier avec davantage de précision la situation financière de France Télévisions, pour accompagner jusqu’au bout deux chantiers majeurs de la réforme qui, en définitive, conditionnent tout le reste : l’entreprise commune et le média global. Il faut aussi, comme le recommande la Cour des comptes, « préserver l’équipe dirigeante des atermoiements et revirements qui ont affecté la stratégie de l’entreprise au cours des dernières années ».

Il n’y a pas lieu de crier au loup aujourd’hui et de remettre en cause le calendrier que nous nous étions fixé pour aborder dans de bonnes conditions l’échéance de la clause de revoyure, prévue en mai 2011. S’il est important, en effet, que les décisions pour l’avenir de la régie publicitaire soient prises – je me suis renseignée, elles devraient l’être au plus tard fin 2010 –, on notera que, dans l’attente, nos deux collègues Michel Thiollière et Christian Kert, administrateurs de France Télévisions, ont pris toutes les garanties pour que la réflexion se poursuive, en ne votant pas sa privatisation.

En tout état de cause, les décisions relatives au financement de l’audiovisuel ne se prendront pas avant la prochaine loi de finances, c’est-à-dire avant la fin de l’année. En conséquence, à moins qu’on ne cherche, ce qui serait fort peu courtois, à court-circuiter sciemment le travail de fond que nous menons, Claude Belot et moi, et qui doit aboutir avant la fin de la session parlementaire, il me paraît raisonnable de différer l’examen de cette proposition de loi, en renvoyant celle-ci en commission. Cela ne remettrait nullement en cause votre propre travail, mes chers collègues, dont nous partageons d’ailleurs certaines des orientations.

Monsieur Ralite, vous reconnaissiez d’ailleurs vous-même en commission, le 4 mai dernier, que le rapport d’information de M. Belot, réalisé en 2000, portait un diagnostic très fin sur l’avenir de l’audiovisuel public. Ne pensez-vous donc pas qu’il serait pertinent d’attendre un peu plus d’un mois pour obtenir un nouveau diagnostic qui, puisqu’il émane du même auteur, ne devrait pas non plus manquer de finesse ?

Au risque de paraître un peu terne, je préfère la rigueur de la démonstration aux effets de manche. J’estime qu’avant de voter de nouvelles dispositions les parlementaires doivent pouvoir prendre connaissance de toutes les informations et de tous les chiffres nécessaires pour prévoir au plus juste les besoins et ressources du groupe public. Je tiens d’ailleurs à votre disposition la liste de la soixantaine de personnes que j’ai d’ores et déjà auditionnées avec mon collègue, ainsi que celle des travaux en cours et à venir. Ne prenons pas le risque de voter aujourd’hui des articles qui, sans plus de précisions, suscitent en moi des interrogations !

Je prendrai quelques exemples.

J’ai déjà eu l’occasion de commenter l’article 2, qui porte sur l’éventuel retour de la publicité après 20 heures.

En ce qui concerne l’article 3, il me semble difficile de statuer définitivement sur la vente de la régie publicitaire tant que nous n’avons ni confirmé ni infirmé la suppression totale de la publicité sur les chaînes de France Télévisions avant 20 heures.

À l’article 5, vous suggérez d’élargir l’assiette de la contribution audiovisuelle aux résidences secondaires, une proposition qui émanait de la commission Copé. Je crois que la contribution à l’audiovisuel public mérite une réflexion plus poussée sur son équité et sa modernisation. Il me semble que nous pouvons être plus ambitieux.

L’article 6 porte sur la taxe sur les recettes publicitaires des chaînes privées. Par esprit de justice, nous sommes déjà revenus sur cette taxe il y a peu de temps, en abaissant son taux à 1, 5 %, pour justement éviter aux chaînes privées de payer pour un effet d’aubaine qui n’a pas eu lieu. Nous ne serions pas crédibles en proposant maintenant de le faire passer de 3 % à 5 %.

Vous êtes, comme nous, très attachés à l’indépendance de France Télévisions. Qui dit indépendance du pouvoir politique dit aussi indépendance de l’expertise des besoins de financement. Je regrette par exemple que, pour assurer une meilleure adéquation du financement aux missions du groupe, aucun dispositif d’évaluation indépendant et neutre, comme cela se fait en Allemagne avec la Kommission zur Ermittlung des Finanzbedarfs der Rundfunkanstalten, la KEF, ne soit prévu dans votre proposition.

Nous avions d’ailleurs fait adopter en séance au Sénat un amendement visant à confier au CSA un rapport annuel sur le financement de l’audiovisuel public. Vous avez fait le choix de vous abstenir sur cette proposition. Il me semble pourtant que ce document aurait été précieux.

Autant nous devons nous saisir du débat en amont, comme nous l’avons fait le 10 mai dernier, comme nous le faisons aujourd’hui, autant nous devons attendre avant de décider de revenir ou non sur la loi du 5 mars 2009.

D’ici là, comme vous vous y êtes engagé, monsieur le ministre, le Gouvernement devra remettre au Parlement un rapport sur l’incidence de la fin de la diffusion de la publicité en soirée, et ce au plus tard le 1er mai 2011.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Tasca

Oh oui, le temps de parole est largement dépassé !

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Morin-Desailly

Mes chers collègues, nous savons tous qu’avec la crise économique la situation actuelle n’est plus la même que celle qui prévalait au début de l’année 2008 : le déficit budgétaire de l’État s’est creusé de façon alarmante et de nouveaux paramètres sont intervenus.

Nous saurons prendre nos responsabilités le moment venu, le temps de la discussion budgétaire n’étant plus si éloigné maintenant.

Pour toutes ces raisons, j’apporte ce matin mon soutien à la demande de renvoi à la commission, au nom de la sagesse qui me semble, tout autant que la courtoisie, être la marque de fabrique de notre assemblée.

Applaudissements sur les travées de l ’ Union centriste et de l ’ UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

Cette proposition de loi vient en discussion au moment où la question de savoir si l’audiovisuel public, c’est-à-dire France Télévisions, doit passer à une nouvelle étape de dépendance financière – la suppression de la publicité, y compris avant 20 heures, contribuerait en effet à renforcer sa mise sous tutelle par le pouvoir politique – fait l’objet d’un débat public.

Je rappelle qu’il n’existe que deux systèmes permettant d’assurer l’indépendance financière, et donc politique, de l’audiovisuel public, tant vis-à-vis des entreprises commerciales que de l’État. Le premier est un système audiovisuel entièrement financé par la redevance. La commission Copé en a discuté, mais l’UMP n’en a jamais voulu. Le second système, celui qui prévalait avant cette réforme, associe un financement par la redevance, ce qui n’est pas la même chose qu’un financement par le budget de l’État, et un financement par la publicité, ce qui permet de ne dépendre ni de l’un ni de l’autre, et d’assurer ainsi un équilibre.

Ce dernier système a fonctionné. Il a permis d’amorcer des changements éditoriaux et de diffuser des programmes de qualité, y compris à des heures de grande écoute, bien avant la réforme intervenue l’année dernière.

Aujourd’hui, le problème est de savoir quel est le système qui assure l’indépendance. Après une année, au vu des pressions constantes – toutes ne sont pas portées sur la place publique ! – qu’exerce le pouvoir politique sur les différents échelons de la direction de France Télévisions, nous pouvons dire que nous avions raison d’affirmer que la dépendance financière allait se transformer en une dépendance politique.

Marques de dénégation sur les travées de l’UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

Hier, en regardant la télévision publique, à vingt heures, j’ai pu constater comment l’on traitait une chef de l’opposition et, en tout cas, qu’elle n’était pas traitée de la même manière que le chef de l’État, toujours interviewé avec complaisance.

Protestations sur les travées de l ’ UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

Mais tout de même, mes chers collègues, on ne peut pas expliquer aux Français qu’il manque 100 milliards d’euros dans les caisses de l’État, qu’il faut se serrer la ceinture, réduire les dépenses publiques et les dépenses sociales, et leur annoncer que l’on va supprimer la recette de 430 millions d’euros apportée par la publicité diffusée avant 20 heures, d’autant que les taxes qui devaient permettre à l’État de financer la suppression de la publicité après 20 heures ne sont pas au rendez-vous. Avec la crise, le report sur les chaînes privées n’est pas ce qu’il aurait dû être et les rentrées sont moindres.

Quant à la deuxième recette, la taxe sur les opérateurs de télécommunications – 300 millions d’euros – elle est attaquée par la Commission européenne. La France n’est pas sûre de gagner car cette attaque est argumentée et nous risquons d’être sanctionnés. Par conséquent, le produit de cette taxe ne sera pas perçu dans les années à venir, et il faudra de surcroît rembourser 300 millions d’euros par an pour les deux années passées. Telle est la réalité.

Je comprends que l’on puisse ne pas être d’accord avec nous sur le principe, mais les rentrées d’argent prévues ne sont pas au rendez-vous et les caisses de l’État sont vides. M. Ralite vous demande donc par sa proposition de loi de ne pas vous entêter et de ne pas supprimer la publicité avant 20 heures.

Je voudrais maintenant insister sur la façon dont vous avez procédé en déposant une motion tendant au renvoi en commission.

M. Ralite a bien expliqué en quoi c’est une manœuvre antidémocratique qui consacre le fait majoritaire et qui n’est pas du tout dans la tradition sénatoriale pour des débats de ce type.

Mes chers collègues, je me suis demandé pourquoi vous aviez agi de la sorte. Vous êtes majoritaires, vous n’aviez qu’à voter contre… Si vous avez utilisé cet artifice, c’est parce que notre point de vue est partagé par nombre de professionnels et nombre de responsables de la majorité, y compris par le président du groupe UMP à l’Assemblée nationale, qui a dit lui-même qu’il fallait revoir cette idée de suppression totale de la publicité.

Mais, comme les arbitrages ne sont pas encore rendus, comme vous avez encore un peu de temps puisque la décision ne sera pas prise avant l’été 2011, par une manœuvre pour le moins politicienne, vous n’hésitez pas à donner un coup de canif à une procédure démocratique. Ce n’est pas ainsi qu’on légifère et ce n’est pas ainsi que l’on fait vivre la démocratie !

Je voulais affirmer cela haut et fort parce qu’il y va de l’avenir des propositions de loi, parce qu’il y va de l’avenir des droits de l’opposition, droits de l’opposition que nous voulions, au contraire, consacrer lorsque nous avons discuté de ces niches.

Enfin, mes chers collègues, sachez que l’opposition actuelle ne sera pas toujours l’opposition : elle peut devenir majoritaire. Cette indépendance vis-à-vis du pouvoir politique que nous défendons n’est pas conjoncturelle, elle sera aussi valable demain en cas de changement de majorité ; ce sont des principes démocratiques intangibles que nous défendons ici.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG. – Protestations sur les travées de l’UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Plancade

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons ce matin a le mérite de soulever un véritable problème : celui de la pérennité du financement de France Télévisions. Ce texte vient donc fort à propos ; il a permis à M. le ministre de nous donner des explications alors que la situation financière de l’État nous préoccupe vivement.

Je comprends le cri de douleur qu’a poussé Jack Ralite en déposant cette proposition de loi : nous connaissons tous ici – personne ne le met en cause – son attachement au service public et notamment au service public de la télévision.

Lorsque je lis les propositions qui nous sont faites, il me vient à l’esprit l’image d’Eustache de Saint-Pierre, le chef des bourgeois de Calais, qui, dans un geste héroïque, est arrivé en chemise, la corde au cou, avec cinq autres de ses compatriotes en disant : nous donnons notre vie, mais sauvez celle des habitants de Calais !

Aujourd’hui, dans une même démarche héroïque, on nous dit que, pour sauver le service public, il faut avoir recours à la manne financière des entreprises privées…

Le RDSE, quant à lui, en reste à un principe simple : activité privée, fonds privés ; activité publique, fonds publics.

Monsieur le ministre, nous sommes inquiets : de 450 millions d’euros initialement prévus, on est passé à 415 millions ; la suppression totale de la publicité devra être compensée par une recette de 800 millions d’euros. Mais où allons-nous trouver cet argent ? Notre inquiétude est tout à fait légitime.

En fait, il n’existe qu’une seule solution : l’indépendance financière passe par la redevance.

On nous dit que la publicité assurera l’indépendance financière. Non, elle confirmera son diktat sur l’entreprise publique.

Je me suis livré à un petit calcul. Aujourd’hui, la redevance représente dix euros par mois et par foyer fiscal. Pour assurer le financement total sans subventions publiques et sans subventions privées – la publicité peut être assimilée à une subvention privée –, il en coûterait trois euros de plus par mois. Nous avons donc tout ce débat pour trois euros de plus !

Le rapport de Mme Morin-Desailly et de M. Belot, qui a été demandé, je le rappelle, par l’ensemble de la commission, sera certainement excellent, …

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Plancade

Mais cela ne changera rien, parce que, au bout du compte, des chemins de traverse seront trouvés pour le financement. Ces trois euros par mois, c’est le prix du courage politique des parlementaires. L’aurez-vous ? Jusqu’à présent, nous ne l’avons pas eu.

J’ai été de ceux qui ont soutenu l’augmentation de la redevance, mais maintenant il faut aller au bout de la logique et au bout de l’indépendance : trois euros de plus par mois pour chaque foyer fiscal sachant que 25 % en sont exonérés.

Mes chers collègues, nous ne voterons pas contre cette proposition de loi, mais nous ne la soutiendrons pas non plus parce que, même si elle présente des mesures positives, justes, avec lesquelles nous sommes complètement d’accord, nous préférons en rester au principe : activité publique, fonds publics ; activité privée, fonds privés.

Voilà, mes chers collègues, ce que je souhaitais vous dire au nom des radicaux de gauche et du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Louis Masson

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais préciser ma position sur le problème du financement de la télévision.

Première remarque : je considère que nos concitoyens, notamment les plus modestes, sont suffisamment pressurés par la fiscalité pour qu’il ne soit pas très judicieux de rajouter des prélèvements qui, finalement, vont encore obérer leur situation.

Deuxième remarque : il faut, bien sûr, garantir l’indépendance et la liberté totale de l’information télévisée, en particulier sur les chaînes publiques et, sur ce point, je ne suis pas totalement persuadé que certaines influences ne se fassent pas sentir… C’est une pratique habituelle pour les gouvernements, et le gouvernement actuel n’est certainement pas irréprochable en la matière.

Troisième remarque : la télévision, qu’elle soit publique ou privée, connaît des dérives financières extraordinaires ; les sommes engagées sont absolument colossales. Les chaînes de télévision, publiques ou privées, paient des sommes effarantes à Endemol ou autres pour produire des émissions au ras des pâquerettes, même parfois en-dessous…

En fait, si l’on ne veut pas relever la redevance – je ne le souhaite pas –, il faut garantir des ressources à France 2.

Pour ma part, j’étais contre la suppression de la publicité sur France 2, parce que l’objectif final était, me semble-t-il, non pas de supprimer la publicité, mais de permettre à certaines chaînes amies du pouvoir de récupérer des parts de publicité.

Si l’on veut garantir des ressources aux chaînes publiques, il faut augmenter les prélèvements sur les chaînes privées. Je le dis avec d’autant plus de conviction que je vois les sommes qui sont brassées et gaspillées pour des émissions archinulles, qui ne servent qu’à enrichir des producteurs tels qu’Endemol ou à payer à prix d’or des animateurs ou des journalistes du 20 heures, de TF1 par exemple. Il n’y a qu’à les payer un peu moins et on aura les moyens de financer la télévision publique…

Ma position est très claire : je suis hostile à l’augmentation de la redevance et je suis partisan, si on ne rétablit pas la publicité sur les chaînes publiques, d’effectuer des prélèvements beaucoup plus importants sur TF1 et sur un certain nombre d’autres chaînes privées qui ont des chiffres d’affaires absolument fabuleux et qui peuvent très bien supporter un prélèvement supplémentaire.

Debut de section - PermalienPhoto de Roger Romani

M. le président. La parole est à Mme Colette Mélot.

Applaudissements sur les travées de l ’ UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Colette Mélot

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi qui est aujourd’hui soumise à notre examen témoigne de l’intérêt profond que nous avons tous pour l’enjeu majeur que constitue l’avenir de l’audiovisuel public et plus particulièrement pour les ressources nécessaires aux missions de service public télévisuel.

Toutefois, je suis réservée à l’idée de revenir sur le processus retenu par la loi du 5 mars 2009.

La loi du 5 mars 2009, un peu plus d’une année après son entrée en vigueur, a permis de répondre à une certaine idée du service public télévisuel, en renouant avec une exigence culturelle de qualité pour le plus grand profit de tous les publics.

La mise en œuvre de cette réforme est un succès tant dans son application par les professionnels que dans la manière dont elle a été accueillie par les téléspectateurs.

L’une des dispositions phare de cette réforme salutaire est, bien évidemment, la suppression progressive de la publicité.

Libérer la télévision publique de la publicité est une nécessité culturelle, mais aussi une nécessité économique, car la publicité n’est pas une manne inépuisable, la crise nous l’a confirmé.

Cette mesure de suppression progressive de la publicité est largement plébiscitée par les téléspectateurs, qui apprécient que les programmes de première partie de soirée puissent débuter dès 20 heures 35 : plus de 70 % d’entre eux s’en déclarent satisfaits. J’ajoute que les programmes de deuxième et de troisième parties de soirée démarrent, eux aussi, plus tôt et rencontrent ainsi un plus large public.

La loi du 5 mars 2009 prévoit que la suppression totale de la publicité en journée sur France Télévisions interviendra au moment où la France aura entièrement basculé dans la diffusion numérique, c’est-à-dire à la fin de 2011. Ce basculement permettra de réaliser des économies importantes sur les coûts de diffusion, économies qui limiteront d’autant le besoin de financement complémentaire apporté par l’État.

Pour compenser la suppression de la publicité, la loi a introduit plusieurs dispositions financières, notamment l’indexation sur l’inflation de la redevance, qui présente l’avantage d’être la seule ressource réellement pérenne.

Je rappelle que la commission de la culture a de longue date engagé une réflexion sur la revalorisation de la redevance, dont le montant était gelé depuis 2001. Ce montant reste par ailleurs inférieur à la moyenne constatée dans d’autres pays d’Europe. Une augmentation de la redevance pourrait être le moyen d’accompagner le passage à la suppression totale de la publicité.

Certes, monsieur le ministre, le débat ouvert en 2008 sur la contribution à l’audiovisuel public, alors dénommée « redevance audiovisuelle », ne se pose plus dans les mêmes termes aujourd’hui puisque des changements importants ont eu lieu. Le montant de la contribution a été indexé sur l’inflation à compter de 2009 et porté à 120 euros en 2010, soit 2 euros supplémentaires. En outre, le programme qui finance le passage à la télévision tout-numérique ne fait plus partie des bénéficiaires de la contribution à l’audiovisuel public.

Nous pourrions réfléchir à l’assiette de cette taxe et à son éventuel élargissement aux nouveaux modes de réception de la télévision. Je rappelle que, lors de l’examen du texte, la commission de la culture avait proposé d’étendre la redevance aux ordinateurs, puisque les habitudes des téléspectateurs ont changé. Je crois que, effectivement, il faudra tenir compte un jour des nouveaux moyens de consommation de l’offre audiovisuelle. Peut-être serait-il également souhaitable d’assujettir à la redevance les propriétaires de résidences secondaires. Ce sont là des pistes à étudier pour garantir l’évolution des ressources de France Télévisions.

Enfin, pour terminer le panorama des ressources dont le service public dispose, il faut citer la subvention spécifique et nouvelle du budget de l’État, inscrite chaque année dans le projet de loi de finances. Comme vous l’avez démontré, monsieur le ministre, le remplacement d’une recette publicitaire incertaine par une recette publique assurée constitue évidemment un facteur de sérénité financière et éditoriale pour France Télévisions.

Le montant de la ressource publique à prévoir pour les années 2009 à 2012 figure dans l’avenant au contrat d’objectifs et de moyens conclu entre la société et l’État. Il tient compte de l’ensemble des paramètres, dont la suppression de la publicité en soirée en 2009 et, à la fin de 2011, en journée.

À l’extinction de l’analogique, prévue pour la fin de 2011, et avec la suppression de la publicité en journée, la part des fonds publics devrait représenter plus de 95 % des ressources du groupe.

Il faut rappeler que nous sommes dans un moment technologique particulier, celui de la révolution du numérique, de l’usage d’internet et de la généralisation de la TNT gratuite, laquelle permet à chaque Français de recevoir plus de vingt chaînes et oblige le service public à se réinventer. Pour les années à venir, nous devons donc suivre avec vigilance la question du financement de celui-ci, car il est nécessaire pour que France Télévisions devienne un « média global », capable de réunir tous les publics sur tous les supports de diffusion.

La loi a créé les conditions de cette transformation en organisant le groupe en une entreprise unique et en créant le maximum de synergies par la mutualisation des moyens. Cette simplification et cette rationalisation des structures sont le gage d’une plus grande efficacité du groupe et d’une force accrue sur le marché.

Je voudrais maintenant évoquer l’actualité et l’idée qui circule de ne pas réaliser la prochaine étape prévue par la loi : la suppression totale de la publicité sur France Télévisions, qui signifierait pourtant la suppression totale de la dépendance à l’égard des ressources publicitaires.

Je suis assez surprise que la question soit posée, alors que cette décision a été prise à l’issue d’une longue réflexion.

Debut de section - PermalienPhoto de Colette Mélot

Compte tenu de l’incertitude substantielle entourant le maintien ou non de la publicité avant 20 heures, je regrette, tout en l’approuvant, la décision du conseil d’administration de France Télévisions de suspendre les négociations engagées pour céder sa régie publicitaire, France Télévisions Publicité.

À ce jour, je suis pour ma part favorable à la suppression totale de la publicité sur la télévision publique. Il me semble nécessaire de pouvoir la distinguer des chaînes commerciales et lui donner ce que j’appellerais une « couleur », montrer sa valeur particulière et son apport pédagogique et culturel.

La question me semble surtout prématurée. Une seule année s’est écoulée, la crise économique s’est invitée au moment où la réforme était votée, et nous ne disposons pas d’un bilan très précis. Certes, la loi a prévu qu’un comité de suivi ferait un point d’étape régulier de l’application de la loi et qu’un groupe de travail sur la redevance audiovisuelle serait constitué. Mais la mise en place de ce dispositif a pris du retard, et les études nous manquent.

J’ajouterai que le groupe France Télévisions a été à l’équilibre en 2009 et que la dotation pour 2010 respecte le contrat d’objectifs et de moyens. Dans leur rapport établi il y a quelques mois, mes collègues Michel Thiollière et Catherine Morin-Desailly estimaient qu’à court terme, avec l’arrivée du média global ayant vocation à réunir tous les publics, il faudrait faire face à des coûts… qui ne faisaient l’objet d’aucune évaluation sérieuse. Ils avaient donc proposé, dans un amendement qui fut voté par le Sénat, la réalisation par le CSA d’un audit annuel sur le financement de l’audiovisuel public. La disposition a disparu en commission mixte paritaire ; c’est regrettable, car un tel document aurait été précieux.

La Haute Assemblée a, pour sa part, créé une mission d’information, commune à la commission des finances et à la commission de la culture, sur le financement de France Télévisions. Elle a, pour le moment, procédé à une trentaine d’auditions et devrait publier ses conclusions au début de l’été. Comme Catherine Morin-Desailly l’a précisé, il me semble opportun d’attendre les conclusions de cette mission avant d’ouvrir un débat sur les suites de la réforme.

Debut de section - PermalienPhoto de Colette Mélot

Par conséquent, le groupe UMP est favorable à l’adoption d’une motion de renvoi en commission, afin que nous puissions examiner ce sujet d’importance en disposant d’éléments supplémentaires, dans une démarche rigoureuse et dans un esprit de coopération entre les groupes politiques.

Pour conclure, je souhaite réaffirmer ma confiance dans notre service public pour mettre à la portée du plus grand nombre l’information, la culture et la création. Avec la réforme, nous avons donné à France Télévisions la possibilité d’une programmation plus audacieuse, et je pense que nous lui avons permis d’affirmer son identité, dans un secteur audiovisuel en pleine mutation.

Applaudissements sur les travées de l ’ UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Roger Romani

Mes chers collègues, je vous informe que, en application de la décision prise hier soir par la conférence des présidents, je suspendrai la séance au plus tard à 13 heures précises, les questions d’actualité au Gouvernement devant commencer à 15 heures.

La parole est à M. Ivan Renar.

Debut de section - PermalienPhoto de Ivan Renar

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, contrairement à ce qui s’est dit ici même voilà dix jours, et encore ce matin, il y a véritablement urgence à adopter de véritables dispositions relatives à la télévision publique.

Comme a pu l’expliquer mon ami Jack Ralite, la télévision est, dans son financement, et donc dans son indépendance, gravement menacée. C’est pourquoi notre proposition de loi ne se contente pas de dresser un bilan de l’application de la loi du 9 mars 2009, qui a bouleversé l’équilibre économique de France Télévisions : elle en tire les conséquences et présente des solutions avant qu’il ne soit trop tard.

Oui, il est indispensable que le groupe France Télévisions possède dès aujourd’hui – et non pas, comme cela est prévu dans la clause de revoyure, en 2011 – les éléments constitutifs et déterminants de l’élaboration de sa stratégie de développement, à savoir le maintien de ses ressources publicitaires.

La télévision publique de demain se construit aujourd’hui, en fonction du projet et de la visibilité que nous lui donnons en déterminant, par les textes que nous votons, les financements nécessaires et adéquats. Il est véritablement de notre devoir et de notre responsabilité de décider sans tarder, pour qu’un véritable service public télévisuel digne de ce nom puisse encore et pour longtemps trouver sa place dans la société française.

Pour cela, afin de sortir France Télévisions des ornières dans lesquelles la loi de mars 2009 l’a embourbé, nous proposons aujourd’hui un plan de sauvetage en six mesures, détaillées dans les six articles de notre proposition de loi, que Jack Ralite a rappelées tout à l’heure.

Une de nos propositions consiste à maintenir la publicité en journée sur France Télévisions, même après 2011 – une publicité, naturellement, sévèrement encadrée. Et vous aurez remarqué comme moi, monsieur le ministre, mes chers collègues, que, loin d’être partisane, cette proposition transcende actuellement les appartenances politiques, et pour cause : cette solution, combinée au financement par la redevance télévisuelle et par les dotations de l’État, est la seule qui puisse assurer les moyens nécessaires à la sauvegarde de France Télévisions, et elle permet au débat de sortir de sa béatitude conflictuelle.

J’en profite ici pour affirmer, même si cela va de soi, que nous ne défendons évidemment pas la publicité en tant que telle, les intérêts privés des « marchands du Temple ». Nous défendons une télévision publique indépendante, qui dispose des financements nécessaires à son développement, à l’accomplissement de ses missions propres et au maintien de programmes de qualité. Or cette télévision-là ne saurait actuellement exister sans les revenus liés aux ressources publicitaires, à défaut, on ne le répétera jamais assez, d’une redevance à la hauteur.

Ces revenus sont d’autant plus indispensables que, en période de crise et de déficits étatiques colossaux, le Gouvernement vient d’annoncer un plan d’austérité sans précédent, qui vient s’ajouter à la désormais fameuse et sinistre révision générale des politiques publiques, dont la culture comme d’autres secteurs de la vie sociale font les frais, particulièrement par la suppression de nombreux emplois. Se trouvent ainsi aggravées les inégalités qui marquent une société où le tout des uns est fait du rien des autres.

Dès lors, comment croire que l’État aura les moyens – sans même parler de volonté ! – de compenser cette diminution de ressources qui ne ferait que s’accentuer avec la suppression totale de la publicité en 2011 ?

Il ne s’agit pas ici d’asservir la télévision publique à des intérêts économiques – auxquels, du reste, grâce au panachage des financements, elle n’a jamais été soumise. Il ne s’agit pas non plus de faire dépendre la télévision publique exclusivement des finances de l’État, surtout quand on sait que les taxes destinées à compenser les pertes provoquées par la diminution des recettes publicitaires sont tour à tour remises en cause par le lobbying des chaînes privées ou encore par la Commission européenne, ce qui affecte de manière évidente l’indépendance des chaînes publiques à l’égard du pouvoir politique. Paradoxalement, le cumul de ces mesures et la remise en cause systématique des systèmes de compensation nous font revenir aux débuts de la télévision, à l’ère de l’ORTF et de son financement quasi exclusivement étatique !

En revanche, la nomination du président de France Télévisions par décret présidentiel – question que vous avez abordée, monsieur le ministre – suscite davantage d’interrogations en termes d’indépendance… La nomination doit en effet être validée par un avis conforme des sénateurs et des députés ainsi que du CSA. Malheureusement, les rapports de force politiques dans les assemblées ainsi que les conditions de mise en œuvre de ce mécanisme ne permettent pas l’émergence d’un véritable dialogue ni d’une véritable voie alternative. Dès lors, comment décemment parier qu’il en ira autrement dans le futur ?

À l’heure où est organisée la circulation de rumeurs concernant les noms des futurs prétendants, je crois important et opportun de réaffirmer la nécessité que le président soit choisi pour ses compétences et son expérience du service public, qu’il soit déterminé à affirmer les valeurs d’un véritable service public proposant une télévision de qualité, et non exclusivement préoccupé de la gestion économique et financière, à l’instar d’un dirigeant d’un grand groupe privé.

À titre personnel, je me prononce même pour la reconduction de l’équipe de direction actuelle, qui a jusqu’aujourd’hui, dans un contexte plus que difficile, effectué un travail remarquable et dont l’implication n’a jamais fait défaut.

Avant de conclure, je soulignerai que la publicité, qu’on le veuille ou non, reste un élément déterminant du financement de la télévision publique aussi bien que privée. Il n’est que d’observer la stratégie de TF1 et de M6, qui rachètent les nouvelles chaînes numériques dont les audiences en hausse attirent la publicité ! On assiste d’ailleurs à un inquiétant phénomène de concentration sur la TNT, où le pluralisme est sérieusement menacé.

Qui plus est, comment penser que la suppression de la publicité puisse être un bien, ou un « plus », quand France Télévisions souffre d’un sous-financement chronique, comme l’a souligné la Cour des comptes et comme l’a rappelé Jack Ralite, du fait du refus obstiné d’augmenter la redevance pour la porter au niveau de celle de nos voisins européens ?

Or la bonne santé de la télévision publique conditionne celle de la télévision tout court, car la qualité des programmes de France Télévisions a toujours eu un effet d’émulation sur les chaînes commerciales.

Enfin, parce qu’il n’y a pas de démocratie sans une séparation claire et nette des pouvoirs, nous ne pouvons que nous insurger contre une situation inédite qui place de fait l’exécutif de notre pays en position tout à la fois de directeur du budget, de directeur des programmes et de l’information et de directeur des ressources humaines de France Télévisions. Tout est dans tout, et le reste est dans Télémaque

C’est pourquoi nous pensons qu’il faut maintenir et développer toutes les ressources, y compris la ressource publicitaire, pour que vive l’indépendance de l’audiovisuel public, qui a permis jusqu’à présent à nos concitoyens de bénéficier d’une télévision de qualité. En un mot, le service public de la télévision se portera bien à condition qu’on le sauve.

Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Christine Blandin

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en matière d’audiovisuel public, il y a la peste – la dépendance à l’égard du pouvoir – et le choléra – la dépendance à l’égard de la publicité, au risque de l’audimat facile et de la baisse de la qualité.

Voilà plus d’un an, pour nous éviter le choléra, nous étions mis devant le fait accompli : la suppression de la publicité entre 20 heures et 6 heures sur les chaînes de télévision publique était mise en œuvre, alors même que le Sénat ne s’était pas encore prononcé…

Aujourd’hui, la majorité ne prodigue plus les soins nécessaires. La suppression de cette recette appelait des compensations intégrales ou des mesures courageuses sur la redevance. Ni les unes ni les autres ne furent au rendez-vous, et la fragilisation de l’équilibre financier de la télévision publique s’est précipitée.

Monsieur le ministre, vous connaissez l’hostilité des Verts envers la publicité. Qu’elle soit télévisée ou statique dans nos paysages, elle est particulièrement pernicieuse et invasive. Quand ce n’est pas l’antirides qui rajeunit, c’est la voiture plus économe qu’une luge en émissions de C02 que l’on veut promouvoir. Quel abêtissement ! Elle est tout aussi néfaste quand elle rend les enfants prescripteurs et quand, dans le domaine alimentaire, elle fabrique les diabétiques et les obèses de demain.

La position du Gouvernement, d’apparence vertueuse quand elle évacue la publicité de nos écrans, n’est, hélas ! pas crédible sur le sujet : il y a moins de deux semaines, les maigres avancées du Grenelle en matière de publicité dont notre collègue Ambroise Dupont avait pris l’initiative ont été réduites à néant.

M. Ambroise Dupont en convient.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Christine Blandin

La promesse du Gouvernement d’assurer un financement durable pour l’audiovisuel public n’a, elle non plus, pas résisté au temps. Ainsi, la dotation promise a été réduite au motif que le groupe public était à l’équilibre cette année : quel mauvais prétexte et quel bel encouragement à une gestion saine et transparente !

J’en viens à l’allégement de la taxe sur les chaînes privées : vous avez dit, monsieur le ministre, l’absence de lien entre les taxes sur la publicité des chaînes privées et le financement de France Télévisions. Sans doute avez-vous raison au regard des textes, mais l’existence d’un tel lien est pourtant bien ce que la majorité nous a vendu ! Notre ancien collègue Michel Thiollière, rapporteur du texte, indiquait lors de la séance publique du 15 janvier 2009 : « Ce financement est donc assuré : par la redevance ; par ce qui reste du financement lié à la publicité et aux services payants de France Télévisions ; par les deux taxes prévues… » Nous ne l’avons pas inventé !

On a donc voulu faire croire que l’indépendance financière de France Télévisions serait assurée ; or il n’en est rien !

Peut-être nous annoncera-t-on bientôt que la seule solution est la privatisation. Les repreneurs éventuels sont-ils déjà pressentis ? Vous allez dire que nous faisons des cauchemars, que nous avons des fantasmes, mais le projet de cession à prix bradé de la régie publicitaire a donné le ton sur les intentions et les méthodes : un conseiller du Président détenant des parts dans la holding pressentie, elle-même maison mère d’une société de production, qui vend des émissions à France 2, mais qui pourrait aussi y caser des publicités !

Après GDF, les pépites du service public font briller les yeux des amis du pouvoir ! La récente libéralisation des jeux en ligne a aussi donné le ton et les Français lisent davantage leur avenir dans les plans de table du Fouquet’sque dans les déclarations d’intention du Gouvernement !

Heureusement, nous sommes encore en République, avec une Constitution, des règles, des garde-fous, un Conseil constitutionnel, un Conseil d’État, qui se sont prononcés : sans liberté de la presse, il n’y a plus de démocratie.

Les sénatrices et sénateurs Verts considèrent que la proposition de loi de Jack Ralite est nécessaire. Elle ne réécrit pas l’histoire, elle n’opère pas de choix stratégiques – si c’était le cas, nous ne serions pas à ses côtés pour remettre le poison publicitaire dans les cerveaux des spectateurs ! –, mais elle pose des principes et elle fait en sorte de stopper l’hémorragie. C’est un acte de bon sens et de sauvegarde du service public. Nous la soutiendrons.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.

Debut de section - PermalienPhoto de Adrien Gouteyron

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je vois, dans ce débat important, l’occasion de faire un certain nombre de mises au point.

Je tiens d’abord à réaffirmer, après plusieurs autres orateurs, que la réforme était nécessaire. Les effets produits sont déjà substantiels, et je veux, au passage, rendre hommage au ministre, qui nous a présenté la situation d’une manière extrêmement claire, en s’appuyant sur des exemples précis.

Si les résultats culturels ne sont jamais suffisants, du moins le progrès est évident. Quant aux résultats économiques, ils sont, eux aussi, satisfaisants : vous l’avez souligné, monsieur le ministre, en 2009, la télévision publique a été à l’équilibre. Nous ne pouvons que nous en réjouir ! Bien entendu, il ne s’agit pas de relâcher les efforts : il faut au contraire persévérer !

Notre excellent collègue Jack Ralite a défendu sa proposition de loi avec la passion et la conviction que nous lui connaissons et auxquelles je souhaite également rendre hommage, mais elle me paraît reposer sur des éléments largement faux.

Je me dois de rappeler, car nous sommes ici peu nombreux à pouvoir nous en souvenir, que l’un des sujets principaux du débat qui a eu lieu dans cet hémicycle en 1986 sur la réorganisation de l’audiovisuel a été la présence de la publicité sur les chaînes publiques. Or, sur les travées du groupe communiste, à l’époque, on la dénonçait, et avec quelle vigueur !

Debut de section - PermalienPhoto de Adrien Gouteyron

Je ne vous reproche pas d’avoir changé d’avis, je me contente de faire un constat ! Je suis dans mon rôle en le rappelant.

Debut de section - PermalienPhoto de Adrien Gouteyron

Quoi qu'il en soit, on ne peut pas fonder une proposition de loi sur un diagnostic qui est largement faux. La description faite par notre collègue Ralite était, certes, talentueuse. Il a, comme à son habitude, su brosser un tableau apparemment convaincant. Mais à y regarder de plus près, on voit bien qu’il ne repose sur aucune réalité avérée.

Debut de section - PermalienPhoto de Adrien Gouteyron

Il était nécessaire de clarifier le financement du service public de l’audiovisuel, de réformer France Télévisions, de faire en sorte que cette dernière tende vers le média global, pour tous les publics et sur tous les supports, dont a très bien parlé Mme Colette Mélot tout à l’heure.

Debut de section - PermalienPhoto de Adrien Gouteyron

Tels étaient les objectifs de la réforme.

Je ne reviens pas sur ses résultats culturels, mais je veux insister sur le contexte économique, car nous devons avoir présents à l’esprit un certain nombre d’éléments.

Je crois – et c’est chez moi une conviction bien ancrée – à un système dans lequel la télévision publique et la télévision privée jouent chacune leur rôle. Nous ne devons, selon moi, stigmatiser ni l’une ni l’autre. Or j’ai trop souvent l’impression, à entendre certains de nos collègues, qu’il s’agit de jeter l’opprobre sur tel ou tel groupe, sur tel ou tel nom.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

On ne l’a pas fait ! Mais on le fera la prochaine fois !

Debut de section - PermalienPhoto de Adrien Gouteyron

Eh bien, je ne vous suivrai pas sur ce terrain-là !

Nous avons besoin à la fois de groupes privés forts et d’une télévision publique forte, et de qualité.

On ne peut ignorer que, du fait du développement de la TNT – et peut-être aussi pour d’autres raisons –, on assiste actuellement à une fragmentation très importante des audiences, de sorte que les grands médias généralistes voient leur audience diminuer très sensiblement.

Je peux citer des chiffres à l’appui de mon propos : pour TF1, la perte d’audience est proche de 6 points ; pour France Télévisions, elle est supérieure à 6 points ; pour M6, elle frôle 2 points. Dans le même temps, la TNT, elle, voit son audience augmenter de 14 points !

Autre élément déterminant du contexte : le marché publicitaire français est très loin d’être à la hauteur des marchés publicitaires des autres grands pays ; je pense, notamment, au Royaume-Uni.

Dans ces conditions, si l’on veut tenir compte de la desserte et de la nécessité d’assurer, sur la télévision publique, un service de qualité, il faut la libérer de la contrainte de l’audience, et donc de la contrainte de la publicité.

Parallèlement, si l’on veut des groupes privés suffisamment forts pour résister tant à la crise qu’aux évolutions technologiques, il faut également qu’ils puissent s’alimenter sur le marché publicitaire.

Je souhaite donc que notre pays dispose d’un groupe public puissant, garantissant la qualité, assurant l’information culturelle et politique, l’information en général de nos concitoyens, et, en même temps, que s’y épanouissent des télévisions privées qui jouent leur rôle et aient les moyens de le jouer. Cet ensemble me paraît nécessaire à la création et à la démocratie. Pour sauver les uns, ne tuons pas les autres !

Applaudissements sur les travées de l ’ UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Roger Romani

Pour ma part, mon cher collègue, je n’ai pas oublié que vous aviez été ici le rapporteur de la loi de 1986 !

La parole est à M. Serge Lagauche.

Debut de section - PermalienPhoto de Serge Lagauche

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez-moi de rappeler les impératifs sur lesquels nous ne transigeons pas concernant France Télévisions : indépendance, garantie d’un financement affecté, conséquent et pérenne, promotion de la diversité et de la création.

La suppression de la publicité entre 20 heures et 6 heures sur les chaînes publiques a fondamentalement remis en question toute l’architecture du financement de France Télévisions. Il est d’ailleurs fort regrettable, à ce titre, que le Parlement ait été mis devant le fait accompli de la suppression de la publicité et, par conséquent, de celle des ressources correspondantes, qui équilibraient le budget des chaînes publiques.

De fait, aujourd’hui, une partie non négligeable du financement de notre audiovisuel public est assurée – si l’on peut dire ! – par une taxe sur les opérateurs de télécommunications qui fait actuellement l’objet, de la part de la Commission européenne, d’une procédure d’infraction contre la France, et par une autre taxe portant sur les recettes publicitaires des opérateurs privés et publics de télévision qui, pour 2009, a été considérablement rabotée : de 3 % à 0, 5 %.

Ces taxes sont supposées alimenter une dotation budgétaire annuelle. Mais si les chaînes publiques devaient initialement bénéficier d’une dotation budgétaire de 450 millions d’euros pour compenser la perte de recettes publicitaires en soirée, seuls 415 millions d’euros ont été budgétés au moment du vote de la loi de finances pour 2009. On peut d’ailleurs s’interroger sur l’avenir de cette dotation, après l’annonce, par le Gouvernement, du gel des dépenses publiques pour les trois années à venir.

La vente en accéléré de la régie publicitaire France Télévisions Publicité nous paraît aussi pour le moins inopportune, et nous partageons sur ce point la position de notre collègue Ralite. Tant que le choix de la suppression totale de la publicité sur les chaînes publiques n’est pas opéré, il ne faut pas préjuger de l’avenir de la régie publicitaire. Il s’agit d’un outil extrêmement concurrentiel par rapport aux opérateurs privés. En outre, ses bénéfices apportent une contribution significative au budget de France Télévisions : près de 30 % de son chiffre d’affaires.

Cette année, les recettes de France Télévisions Publicité ont dépassé des prévisions pessimistes : les résultats de 2009 montrent que le groupe France Télévisions a généré un bénéfice net de 19, 6 millions d’euros, alors qu’un déficit de 135, 3 millions d’euros était inscrit au budget. France Télévisions a ainsi engrangé 405 millions d’euros de recettes publicitaires sur la tranche 6 heures-20 heures, au lieu des quelque 260 millions d’euros inscrits au budget.

Nous sommes attachés à un service public dégagé des contraintes de la rentabilité commerciale, de façon que la programmation soit libérée de la pression des annonceurs et que la grille des programmes puisse être renouvelée. Mais cet objectif ne pourra être réalisé sans nouvelles ressources, sûres, prévisibles et dynamiques, propres à garantir un financement pluriannuel pérenne et à la hauteur des missions qui lui sont imparties. Or rien n’est prévu pour compenser la suppression totale de la publicité après 2012.

Nous regrettons ici que la visibilité du Parlement soit extrêmement faible sur cette question. L’absence de mise en place du comité de suivi prévu par la loi du 5 mars 2009 et du groupe de travail sur la contribution à l’audiovisuel public, correspondant pourtant à un engagement du Gouvernement, y est pour beaucoup. C’est pourquoi nous plaidons, avec mes collègues sénateurs socialistes, pour que la dotation de l’État soit pérenne, évolutive et affectée. Nous plaidons pour une révision des mécanismes de la contribution à l’audiovisuel public.

Le dispositif proposé ici, qui prévoit que la contribution est due au titre local, qu’il s’agisse de l’habitation principale ou secondaire, est souhaitable. Le non-assujettissement des téléviseurs des résidences secondaires entraîne un manque à gagner de l’ordre de 60 millions d’euros pour l’audiovisuel public.

Enfin, comme le note le rapporteur, la seule indexation de la contribution à l’audiovisuel public ne suffira pas à répondre aux besoins de financement. C’est pourquoi nous sommes favorables à une réévaluation régulière de la contribution, et pas seulement, comme cela est prévu par la loi de finances pour 2009, suivant l’indice des prix. D’autres grands pays européens, comme la Grande-Bretagne et l’Allemagne, ont su faire ce choix courageux, et leurs programmations audiovisuelles publiques sont régulièrement citées en exemple pour leur qualité.

Quant aux exonérations, elles doivent être intégralement compensées par l’État, comme l’avait fait le gouvernement de Lionel Jospin, il y a quelques années.

Pour toutes ces raisons, il nous apparaît que la proposition de loi déposée par notre collègue Jack Ralite est de circonstance. Elle constitue surtout un appel pressant, qui devrait encourager le Gouvernement à donner une réponse immédiate sur ce qu’il compte faire, face à l’ampleur de la fragilisation économique et sociale de notre audiovisuel public, pour la pérennisation des ressources de France Télévisions, pour son indépendance financière et éditoriale. Nous soutenons donc ce texte et nous nous opposerons, bien entendu, au renvoi en commission de cette proposition de loi.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Legendre

Monsieur le président, avant que, conformément à la décision de la conférence des présidents, vous ne suspendiez la séance, je veux dire mon étonnement que la commission de la culture ait été soupçonnée de discourtoisie. On l’a même accusée de refuser d’aller au fond des choses !

Il faut tout de même rappeler que deux textes ont été présentés ce matin par le même groupe politique. Bien sûr, celui-ci était là tout à fait dans son droit, mais il est impossible de débattre en quatre heures sur deux sujets aussi importants que le bouclier fiscal et le service public de la télévision ! Même si nous n’avions pas proposé le renvoi en commission, il aurait fallu, inéluctablement, suspendre la séance à treize heures, et nous n’aurions pas pu mener ce débat jusqu’à son terme.

La commission de la culture n’est ni discourtoise ni manœuvrière, et nous avons tous beaucoup d’estime pour Jack Ralite. C’est bien pour cela que je lui ai proposé de rapporter son texte ; étant à la fois auteur de la proposition de loi et rapporteur, il a donc bénéficié d’un temps de parole prolongé.

Nous reprendrons, le moment venu, ce débat important ; sans doute disposerons-nous alors des éléments d’information rassemblés par les commissions de la culture et des finances dans le cadre de la mission commune sur le service public de la télévision. Nous pourrons alors débattre et voter en pleine connaissance de cause.

Debut de section - PermalienPhoto de Roger Romani

La suite de la discussion est renvoyée à une séance ultérieure.

Mes chers collègues, comme je l’ai indiqué précédemment, nous devons maintenant interrompre nos travaux, de manière à pouvoir les reprendre à quinze heures.

La séance est suspendue.

La séance, suspendue à treize heures cinq, est reprise à quinze heures, sous la présidence de M. Gérard Larcher.