Intervention de Catherine Morin-Desailly

Réunion du 20 mai 2010 à 9h00
Bouclier fiscal — Rejet d'une proposition de loi

Photo de Catherine Morin-DesaillyCatherine Morin-Desailly :

Ils renouvellent leur proposition. Nous réitérons donc notre position, maintes fois exprimée et désormais connue : le bouclier fiscal est la mauvaise réponse au mauvais impôt qu’est l’impôt de solidarité sur la fortune. L’abrogation de l’un doit aller de pair avec la suppression de l’autre.

Abroger le bouclier fiscal sans entreprendre une réforme plus large de notre fiscalité reviendrait à traiter un problème global par une réponse partielle.

Le bouclier a été créé parce que l’impôt, et particulièrement l’ISF, revêtait un caractère confiscatoire pour certains contribuables, notamment des foyers modestes. Supprimer la réponse sans traiter le problème est une démarche que nous ne jugeons pas opportune.

Mes chers collègues, comme en témoigne le dépôt de ce texte, quand on aime, on ne compte pas. À nouveau, nous souhaitons donc exprimer à cette tribune les raisons qui nous poussent à proposer une réforme globale et ambitieuse de la fiscalité des ménages.

Le bouclier, tout d’abord, est un dispositif qui doit être profondément repensé. Sont en cause non pas son principe ou son coût, mais certaines modalités et certains effets de sa mise en œuvre. Nous en dénonçons au moins quatre.

Premièrement, il ne répond pas à l’objectif affiché : il visait à ce que nul ne paie plus de 50 % de ses revenus en impôts. Or, c’est le revenu fiscal, et non pas le revenu réel, qui est pris en compte dans le calcul. Par le jeu de trop nombreuses niches fiscales, ce revenu fiscal est parfois très éloigné du revenu réel des redevables, surtout de ceux qui pratiquent activement l’optimisation fiscale. On s’est donc écarté du principe et de l’objectif affiché.

Que certains contribuables réduisent le montant d’impôt qu’ils doivent acquitter en recourant à des déductions fiscales, soit. Mais comment peut-on justifier que ce soit leur revenu fiscal, fictif, et non pas le montant de leurs revenus effectivement perçus, qui soit pris en compte ?

À nos yeux, aucune logique ne le justifie. Le principe inscrit solennellement à l’article 1er du code général des impôts a été dévoyé par les conditions d’application définies à l’article 1649-0 A du même code.

Deuxièmement, le maintien du bouclier conduirait à une situation inacceptable : il semble difficilement concevable que tous les Français sauf les plus aisés, protégés par le bouclier, consentent les efforts contributifs qui vont s’imposer dans les années à venir.

Le problème s’est déjà posé, dès 2008, lorsqu’il a fallu financer la généralisation du revenu de solidarité active. Au vu de la situation de nos comptes publics, il ne fait aucun doute que le problème se posera à nouveau.

Cette semaine, l’annonce de la création d’une contribution exceptionnelle sur les hauts revenus et les revenus du capital pour contribuer au financement des retraites, hors du périmètre du bouclier, a illustré les contorsions, les bricolages auxquels il faudra de plus en plus se livrer si le bouclier n’est pas révisé.

Ne pas faire participer les plus favorisés de nos compatriotes à l’effort national qui va s’imposer dans les mois et les années à venir n’est pas envisageable.

Troisièmement, le bouclier ne permet pas de rapatrier les exilés fiscaux : la proportion de départs et de retours d’assujettis à l’ISF est restée stable, et faible, entre 2002 et 2008. Donc, l’argument ne tient pas.

Enfin, le dispositif crée des situations choquantes : moins d’un millier de foyers perçoivent 63% du bénéfice du bouclier, soit un chèque moyen de 376 000 euros.

Oui, le bouclier fiscal est un « marqueur ». Mais, un réexamen de ce dispositif s’impose, avec lucidité et sans dogmatisme.

Et ce réexamen doit aller de pair avec une réforme de l’ISF, qui est un mauvais impôt pour une raison très simple : il pèse sur le stock de patrimoine, et non sur les revenus du patrimoine. Nos principaux voisins et partenaires s’en sont rendu compte, et ont fait évoluer leur fiscalité du patrimoine. Nous le pouvons aussi.

L’imposition du patrimoine du simple fait de sa détention s’est faite de plus en plus rare en Europe ainsi que dans le reste du monde ces vingt dernières années. Les impôts portant sur l’ensemble du capital détenu par le contribuable ont été supprimés en Autriche en 1994, au Danemark en 1996, en Allemagne en 1997, aux Pays-Bas en 2001, en Finlande et au Luxembourg en 2006, ou encore en Suède en 2007. Tous ces États voisins ont entrepris la même démarche, fondée sur la même analyse.

Plusieurs pistes de réforme existent. Le président de la commission des finances, M. Arthuis, mais aussi le député centriste Charles de Courson ont proposé à de nombreuses reprises d’abroger conjointement le bouclier fiscal et l’ISF, de créer une tranche supplémentaire d’impôt sur le revenu, et de revoir à la hausse le barème d’imposition des plus-values mobilières et immobilières.

Cette piste de réforme, ainsi que d’autres, devra être examinée dans le cadre de la prochaine loi de finances. Comme la commission des finances l’a rappelé, les questions fiscales ne devraient être traitées qu’en loi de finances ou en loi de financement de la sécurité sociale. Cette discipline nous semble nécessaire à la bonne visibilité du Parlement sur les dispositions qui affectent les comptes publics.

Pour cette raison de forme mais surtout pour les raisons de fond que j’ai exposées, l’Union centriste ne soutiendra pas cette proposition de loi. En revanche, lors de l’examen de la prochaine loi de finances, les membres de ce groupe proposeront à nouveau une réforme globale qui correspond à notre vision de la justice fiscale.

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