Intervention de François Marc

Réunion du 20 mai 2010 à 9h00
Bouclier fiscal — Rejet d'une proposition de loi

Photo de François MarcFrançois Marc :

Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, le Palais du Luxembourg est devenu depuis quelques mois un Palais des lamentations.

En effet, nombre de nos collègues ayant voté en faveur du bouclier fiscal voilà maintenant quelques années se lamentent à longueur de temps : « comment avons-nous pu voter un dispositif aussi injuste ? ». Et ces lamentations sont entendues bien au-delà du Palais du Luxembourg. Nos concitoyens, pour 67 % d’entre eux, considèrent que le bouclier fiscal est totalement injuste, cependant que 87 % jugent qu’il faut demander aux plus riches de participer davantage à la solidarité fiscale, bien nécessaire aujourd’hui.

C’est dire que la suppression de ce bouclier se justifie pleinement. Nous l’avons demandée à maintes reprises dans le cadre des amendements que nous avons pu présenter lors de l’examen des lois de finances.

À l’Assemblée nationale, nos collègues socialistes ont également déposé une proposition de loi qui est débattue ces jours-ci. Nous sommes donc en cohérence avec nos collègues quant à la réponse à apporter : il faut supprimer le bouclier fiscal, et c’est pour nous une évidence.

Mais, au-delà de cette suppression, il faut remettre en cause la politique fiscale mise en œuvre depuis 2002. Au fond, ce bouclier fiscal n’est pas un avatar d’un dispositif qui aurait été imaginé par Michel Rocard, Dominique Strauss-Kahn ou d’autres encore ; c’est une composante d’un tout, et les mêmes objectifs ont été développés depuis 2002 pour justifier cette politique fiscale.

Je rappelle les objectifs visés : encourager l’initiative et l’investissement, et rechercher de la croissance supplémentaire. Tout cela a été dit depuis 2002 ! Je vous rappelle que la France, au sortir de l’expérience Jospin, avait l’un des meilleurs taux de croissance de l’Europe !

Mais on nous a dit alors qu’on allait faire encore mieux en matière de croissance, le dispositif fiscal devant contribuer à amplifier cette dernière ; on nous a dit que le dispositif permettrait de faire revenir en France des exilés fiscaux, véritable manque à gagner pour notre pays, et qu’il favoriserait l’implantation d’entreprises multinationales et la domiciliation en France de cadres ayant tendance, du fait de notre dispositif fiscal, à se domicilier dans d’autres pays européens.

Cette politique fiscale a-t-elle produit des effets ? Une chose est sûre, c’est qu’elle a coûté très cher au budget de l’État ! Le rapport de la Cour des comptes, présenté l’an passé par le regretté Philippe Séguin, nous indiquait déjà que, dans le déficit total de 140 milliards d’euros, le déficit structurel s’élevait à 70 milliards d’euros, l’essentiel de ce dernier étant dû aux décisions prises par les gouvernements depuis 2002 en matière de baisse des recettes.

Incontestablement, on peut considérer que la politique mise en œuvre depuis 2002 sur le plan fiscal aboutit aujourd’hui à une moins-value de recettes fiscales de 50 milliards d’euros – le chiffre est fourni par la Cour des comptes et ne supporte pas de contestation –, alors que le déficit de la France est de 140 milliards d’euros.

Dans ces conditions, on peut se demander quel était le sens du propos tenu voilà quelques mois par le ministre du budget, avant qu’il n’aille s’occuper des retraites : « il me faut trouver 50 milliards d’euros ». Mais les 50 milliards d’euros sont là ! C’est la politique mise en œuvre depuis 2002 qui a abouti à cette moins-value. Dès lors, il serait facile de s’y retrouver.

Cette politique, qui a coûté si cher, a-t-elle produit les effets escomptés ? La réponse est incontestablement non.

Qu’en est-il de la croissance supplémentaire qui devait être créée ? On voit à quel point la France se traîne aujourd’hui dans l’Union européenne, s’agissant du taux de croissance : notre pays se situe en dessous de la moyenne européenne ! Alors que l’on devait aller chercher « avec les dents » le point de croissance supplémentaire, les dents ne sont pas au rendez-vous !

A-t-on influencé la localisation des investissements internationaux ? Là encore, incontestablement, la France n’a pas été en mesure d’attirer sur son territoire davantage d’investisseurs. Les statistiques nous l’indiquent : il n’y a aucun résultat de ce point de vue.

Enfin, y a-t-il eu un retour d’exilés fiscaux ? Cet argument était fortement agité, rappelez-vous. Selon les données de Bercy, « 821 redevables à l’ISF ont quitté la France en 2008 », soit 102 de plus qu’en 2007, ce qui représente une augmentation de 14 % en une année. Alors que l’on voulait faire revenir les exilés fiscaux, les Français sont plus nombreux qu’auparavant à s’en aller à l’étranger !

Sur ces trois registres, la politique mise en œuvre n’apporte incontestablement aucun résultat. Pis, elle a atteint, par ses effets pervers, des résultats tout à fait regrettables, avec un sentiment accru d’injustice en une période où il faudrait mobiliser tous les acteurs de notre territoire pour améliorer notre situation.

Or, les gens ont été au contraire démobilisés, et ils se sentent peu concernés – on le voit au travers des enquêtes d’opinion – par les appels qui leur sont adressés par le Gouvernement. C’est une politique totalement néfaste ! Elle n’a pas répondu aux attentes mais elle a créé des effets pervers redoutables.

Mes chers collègues, si l’on veut, en définitive, faire un bilan objectif de la situation, il nous faut être attentifs à quelques éléments de synthèse qui nous sont fournis par les économistes.

Premièrement, lorsque l’on analyse objectivement la situation depuis 2002, il n’y a pas eu de baisse des impôts en France. Les prélèvements obligatoires sont restés à un niveau remarquablement stable : autour de 43 % du PIB. En revanche, la hausse des prélèvements sur les uns a financé la baisse de ces derniers sur quelques autres, un déséquilibre étant ainsi créé à l’intérieur des prélèvements.

Deuxièmement, la politique fiscale est marquée par une forte baisse des impôts au profit des ménages les plus aisés. Les deux tiers des baisses d’impôts de la période, représentant donc 20 milliards d’euros par an sur un total de 30 milliards d’euros – ces chiffres sont ceux d’une étude menée sur la période 2002-2008, mais le montant est aujourd’hui de 50 milliards d’euros, et non plus de 30 milliards d’euros –, ont concerné les plus riches.

Troisièmement – c’est le point le plus grave –, cette redistribution est également financée par les prélèvements sur les jeunes et les générations futures.

En effet, les baisses de recettes fiscales ont été en partie financées par l’endettement, via le creusement du déficit budgétaire qui, in fine, devra être remboursé par les générations futures.

Quatrièmement, la politique fiscale a été orientée vers la rente, en contradiction avec l’objectif affiché de revalorisation du travail. Il s'agit là d’une révolution discrète : depuis 2002 la fiscalité du patrimoine et de ses revenus a été considérablement et systématiquement réduite, là encore au profit des ménages les plus aisés.

Cinquièmement, la politique fiscale se révèle d’une grande continuité depuis 2002 : elle a été la même sous les gouvernements Raffarin et Villepin, entre 2002 et 2007, ainsi que, après cette date, sous la présidence Sarkozy.

Le tiers des baisses d’impôts consenties au profit des contribuables les plus riches est imputable à la période qui a commencé en mai 2007. Le rythme des cadeaux fiscaux aux plus aisés s’est même quelque peu accéléré : ils représentaient 2, 4 milliards d’euros par an entre 2002 et 2007 ; ils s’élèvent à 3 milliards d’euros par an depuis 2007, et ce montant ne cesse d’augmenter.

Cette politique injuste vient se greffer sur un système fiscalo-social qui se caractérisait déjà par sa faible redistributivité. Aujourd’hui, la fiscalité française est devenue régressive. Mes chers collègues, notre système fiscal marche sur la tête !

Sixièmement, et enfin, toujours selon l’étude réalisée par des économistes – je puis vous citer ses auteurs, monsieur le rapporteur –, la politique fiscale a significativement accru les inégalités dans notre pays, renforçant des inégalités de marché qui, pourtant, connaissaient déjà une croissance importante. « Donner plus à ceux qui ont plus » : tel semble être l’étonnant credo suivi, depuis 2002, par la politique fiscale en France, au détriment, notamment, des classes moyennes !

Tels sont, mes chers collègues, certains des enseignements essentiels que nous pouvons tirer s’agissant de la politique fiscale menée durant cette période.

En définitive, et pour conclure, selon les prévisions du ministre du budget, 20 000 personnes bénéficieront du bouclier fiscal en 2010, ce qui coûtera de 650 à 700 millions d’euros au budget de l’État. Un millier de nos concitoyens recevront un chèque individuel de 370 000 euros ; 53 % des bénéficiaires du dispositif toucheront un chèque de 632 euros. On voit à quel point le fossé est en train de se creuser, à quel point l’injustice progresse !

Il s'agit donc là d’une politique qui n’a pas atteint les objectifs qu’elle s’était fixés, qui a été extrêmement coûteuse pour le budget de l’État et qui a creusé d’une façon tout à fait dramatique les injustices dans notre pays.

Aujourd’hui, il faut supprimer le bouclier fiscal, et le plus vite possible. Pourquoi agir avec hâte ? Certains affirment, notamment au sein de la commission des finances, que, au fond, il n’est qu’à attendre la prochaine loi de finances, ou peut-être la suivante, que l’on trouvera un jour une solution, éventuellement sous la forme d’un « triptyque », …

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